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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Hippolyte Taine (1828-1893), LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE. Tome II: La révolution: l'anarchie. Paris: Les Éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 1986, Tome I, 255 pp sur 839. Édition publiée avec le concours du Centre National des Lettres. Première édition: Hachette, 1878. Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Pierre Palpant, retraité et bénévole. EXTRAIT JOURNÉES DES 5 ET 6 OCTOBRE 1789 Cette fois encore, deux courants distincts se réunissent en un seul torrent, et précipitent la foule vers le même but. D’un côté, ce sont les passions de l’estomac et les femmes ameutées par la disette : puisqu’il n’y a pas de pain à Paris, allons en demander à Versailles ; une fois le roi, la reine et le dauphin parmi nous, ils seront bien obligés de nous nourrir ; « nous ramènerons le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». De l’autre côté, ce sont les passions de la cervelle et les hommes poussés par le besoin de domination : puisque nos chefs nous désobéissent là-bas, allons-y et faisons-nous obéir, séance tenante ; le roi chicane sur la Constitution et les Droits de l’homme, qu’il les sanctionne ; ses gardes refusent notre cocarde, qu’ils la prennent ; on veut l’emmener à Metz, qu’il vienne à Paris ; là, sous nos yeux et sous nos mains, avec l’Assemblée qui se traîne en boiteuse, il ira droit et vite, elle aussi, de gré ou de force, et toujours dans le bon chemin. Sous ce confluent d’idées, l’expédition se prépare. Dix jours auparavant, on en parlait publiquement à Versailles. Le 4 octobre, à Paris, une femme la propose au Palais-Royal ; Danton mugit aux Cordeliers ; Marat « fait à lui seul autant de bruit que les quatre trompettes du jugement dernier » ; « il faut, écrit Loustalot, un second accès de Révolution ». « La journée se passe, dit Desmoulins, à tenir conseil au Palais-Royal, au faubourg Saint-Antoine, au bout des ponts, sur les quais,... à faire main basse sur les cocardes d’une seule couleur.... Elles sont arrachées, foulées aux pieds, avec menace de la lanterne en cas de récidive : un militaire essayant de rattacher la sienne, cent cannes levées lui en font perdre l’envie ». Ce sont tous les symptômes avant-coureurs d’une crise ; dans ce grand corps fiévreux et douloureux, un abcès énorme s’est formé et va percer. Mais, comme d’ordinaire, il a pour centre un foyer purulent, composé des passions les plus vénéneuses et des motifs les plus sales. Des femmes et des hommes immondes ont été embauchés. De l’argent a été distribué. Est-ce par les intrigants subalternes qui exploitent les velléités du duc d’Orléans, et lui soutirent des millions sous prétexte de le faire lieutenant-général du royaume ? Est-ce par les fanatiques qui, depuis la fin d’avril, se cotisent pour débaucher les soldats, lancer les brigands, tout niveler et tout détruire ? Toujours est-il que des Machiavels de place publique et de mauvais lieu ont remué les hommes du ruisseau et les femmes du trottoir. Du premier jour où le régiment de Flandre est venu tenir garnison à Versailles, on l’a travaillé par les filles et par l’argent. Soixante drôlesses ont été expédiées à cet effet, et des gardes françaises viennent payer à boire à leurs nouveaux camarades. Ceux-ci ont été régalés au Palais-Royal, et trois d’entre eux, à Versailles, disent en montrant des écus de six livres : « C’est un plaisir d’aller à Paris ; on en revient toujours avec de l’argent ». De cette façon et d’avance, la résistance a été dissoute. Quant à l’attaque, les femmes seront l’avant-garde, parce qu’on se fait scrupule de tirer sur elles ; mais, pour les renforcer, nombre d’hommes déguisés en femmes sont dans leurs rangs ; en les regardant de près, on les reconnaît, sous leur rouge, à leur barbe mal rasée, à leur voix, à leur démarche. Hommes et femmes, on n’a pas eu de peine à les trouver parmi les filles du Palais-Royal et les soldats transfuges qui leur servent de souteneurs ; probablement celles-ci ont prêté à leurs amants leur défroque de rechange ; et elles se retrouveront avec eux, la nuit, au rendez-vous commun, sur les bancs de l’Assemblée nationale, où elles seront aussi à l’aise que chez elles. En tout cas, le premier peloton qui se met en marche est de cette espèce, avec le linge et la gaieté de l’emploi, « la plupart jeunes, vêtues de blanc, coiffées et poudrées, ayant l’air enjoué », plusieurs « riant, chantant et dansant », comme elles font au début d’une partie de campagne. Trois ou quatre sont connues par leur nom, l’une qui brandit une épée, l’autre qui est la fameuse Théroigne ; Madeleine Chabry, dite Louison, qu’elles choisissent pour parler au roi, est une jolie grisette qui vend des bouquets, et sans doute autre chose au Palais-Royal. Quelques-unes semblent être des premières dans leur métier, avoir du tact et l’habitude du monde : supposez, si vous voulez, que Chamfort et Laclos ont envoyé leurs maîtresses. Ajoutez-y des blanchisseuses, des mendiantes, des femmes sans souliers, des poissardes racolées depuis plusieurs jours à prix d’argent. Tel est le premier noyau, et il va grossissant ; car, de force ou de gré, la troupe s’incorpore les femmes qu’elle rencontre, portières, couturières, femmes de ménage et même des bourgeoises chez lesquelles on monte, avec menace de leur couper les cheveux si elles ne suivent pas. Joignez à cela des gens sans aveu, des rôdeurs de rue, des bandits, des voleurs, toute cette lie qui s’est entassée à Paris et qui surnage à chaque secousse : il y en a déjà à la première heure, derrière la troupe des femmes à l’Hôtel de Ville. D’autres partiront après elles, le soir et dans la nuit. D’autres attendent à Versailles. À Paris et à Versailles, beaucoup sont soudoyés : tel, en sale veste blanchâtre, fait sauter des pièces d’or et d’argent dans sa main. Voilà la fange qui, en arrière, en avant, roule avec le fleuve populaire ; quoi qu’on fasse pour la refouler, elle s’étale et laissera sa tache à tous les degrés du débordement. Tout d’abord, à l’Hôtel de Ville, la première troupe, quatre ou cinq cents femmes ont forcé la garde qui n’a pas voulu faire usage de ses baïonnettes. Elles se répandent dans les salles et veulent brûler les écritures, disant qu’on n’a rien fait, sinon des paperasses, depuis la Révolution. Un flot d’hommes les suit, enfonce les portes, pille le magasin d’armes. Deux cent mille francs en billets de caisse sont volés ou disparaissent ; plusieurs bandits mettent le feu, d’autres pendent un abbé. L’abbé est décroché, le feu est arrêté, mais juste à temps : ce sont là les intermèdes de tout drame populaire. Cependant, sur la place de Grève, la foule des femmes augmente, et toujours avec le même cri continu : « Du pain et à Versailles ! » Un des vainqueurs de la Bastille, l’huissier Maillard, se propose pour chef ; il est accepté, bat le tambour ; au sortir de Paris, il a sept ou huit mille femmes avec lui, de plus quelques centaines d’hommes, et, jusqu’à Versailles, il parvient, à force de remontrances, à maintenir un peu d’ordre dans cette cohue. Mais c’est une cohue, partant une force brute, à la fois anarchique et despotique. D’une part, chacun, et le pire de tous, y fait ce qui lui plaît : on s’en apercevra le soir même. D’autre part, sa pesanteur massive accable toute autorité et fait fléchir toute règle : arrivée à Versailles, à l’instant même on s’en aperçoit. Admises dans l’Assemblée, et d’abord en petit nombre, les femmes poussent à la porte, entrent en foule, remplissent les galeries, puis la salle, les hommes avec elles, armés de bâtons, de hallebardes et de piques, tout cela pêle-mêle, côte à côte avec les députés, sur leurs bancs, votant avec eux, autour du président, investi, menacé, insulté, qui, à la fin, quitte la place et dont une femme prend le fauteuil. Une poissarde commande dans une galerie et, autour d’elle, une centaine de femmes crient ou se taisent à son signal, tandis qu’elle interpelle les députés et les gourmande : « Qui est-ce qui parle là-bas ? Faites taire ce bavard. Il ne s’agit pas de cela, il s’agit d’avoir du pain. Qu’on fasse parler notre petite mère Mirabeau ; nous voulons l’entendre. » Un décret sur les subsistances ayant été rendu, les meneurs demandent davantage ; il faut encore qu’on leur accorde d’entrer partout où ils soupçonneront des accaparements ; il faut aussi « qu’on taxe le pain à six sous les quatre livres, et la viande à six sous la livre ». « N’imaginez pas que nous sommes des enfants qu’on joue : nous avons le bras levé, faites ce qu’on vous demande. » De cette idée centrale partent toutes leurs injonctions politiques. Qu’on renvoie le régiment de Flandre ; ce sont mille hommes de plus à nourrir et qui nous ôtent le pain de la bouche. Punissez les aristocrates qui empêchent les boulangers de cuire. « A bas la calotte ! c’est tout le clergé qui fait notre mal. » « Monsieur Mounier, pourquoi avez-vous défendu ce vilain veto ? Prenez bien garde à la lanterne. » Sous cette pression, une députation de l’Assemblée, conduite par le président, se met en marche à pied, dans la boue, par la pluie, surveillée par une escorte hurlante de femmes et d’hommes à piques ; après cinq heures d’instances ou d’attente, elle arrache au roi, outre le décret sur les subsistances pour lequel il n’y avait pas de difficulté, l’acceptation pure et simple de la Déclaration des Droits et la sanction des articles constitutionnels. Telle est l’indépendance de l’Assemblée et du roi. C’est ainsi que s’établissent les principes du droit nouveau, les grandes lignes de la Constitution, les axiomes abstraits de la vérité politique, sous la dictature d’une foule qui les extorque, non seulement en aveugle, mais encore avec une demi-conscience de son aveuglement : « Monsieur le président, disaient des femmes à Mounier qui leur rapportait la sanction royale, cela sera-t-il bien avantageux ? Cela fera-t-il avoir du pain aux pauvres gens de Paris ? » Pendant ce temps, autour du château, l’écume a bouillonné, et les filles embauchées à Paris font leur métier, elles se faufilent, malgré la consigne, dans les rangs du régiment qui est en bataille sur la place. Théroigne, en veste rouge d’amazone, distribue de l’argent. Quelques-unes disent aux soldats : « Mettez-vous avec nous ; tout à l’heure nous battrons les gardes du roi ; nous aurons leurs beaux habits et nous les vendrons ». Les autres s’étalent, agaçant les soldats, s’offrant à eux, tellement que ceux-ci disent : « Nous allons avoir un plaisir de mâtin ». Avant la fin de la journée, le régiment est séduit ; elles ont opéré en conscience, pour le bon motif. Quand une idée politique pénètre en de tels cerveaux, au lieu de les ennoblir, elle s’y dégrade ; tout ce qu’elle y apporte, c’est le déchaînement des vices qu’un reste de pudeur y comprimait encore, et l’instinct de luxure ou de férocité se donne carrière sous le couvert de l’intérêt public. D’ailleurs, les passions s’exaltent par leur contagion mutuelle, et l’attroupement, les clameurs, le désordre, l’attente, le jeûne, finissent par composer une ivresse de laquelle rien ne peut sortir que le vertige et la fureur. L’ivresse a commencé sur la route ; déjà, au départ, une femme disait : « Nous apporterons la tête de la reine au bout d’une pique ». Au pont de Sèvres d’autres ajoutent : « Il faut qu’elle soit égorgée et qu’on fasse des cocardes avec ses boyaux ». Il pleut, on a froid, on est las, on a faim ; on n’obtient, pour se soutenir, qu’un morceau de pain distribué tard et à grand’peine sur la place d’Armes. Une bande dépèce un cheval abattu, le fait rôtir et le mange à demi cru, à la façon des sauvages. Rien d’étonnant, si, sous le nom de patriotisme et de « justice », il leur vient des pensées de sauvages contre les « membres de l’Assemblée nationale qui ne sont pas dans les principes du peuple », contre « l’évêque de Langres, Mounier et autres ». Un homme, vêtu d’une souquenille rouge, dit « qu’il lui faut la tête de l’abbé Maury pour jouer aux quilles ». Mais c’est surtout la reine, qui est femme et en vue, sur qui s’acharne l’imagination féminine. « Elle seule est la cause de tous les maux que nous souffrons.... Il faut la massacrer, l’écarteler. » La nuit avance, il y a eu des voies de fait, et la violence engendre la violence. « Que j’aurais du plaisir, dit un homme, si je mettais la main sur cette bougresse-là, à lui couper le cou sur la première borne ! » Vers le matin, des gens crient : « Où est cette sacrée coquine ? Il faut lui manger le cœur.... Nous voulons lui couper sa tête, son cœur, et fricasser ses foies ». Avec les premiers meurtres, l’appétit sanguinaire s’est éveillé ; des femmes, venues de Paris, disent « qu’elles ont apporté des baquets pour emporter les tronches des gardes du roi », et, sur ce mot, les autres battent des mains. Dans la cour de l’Assemblée nationale, des gens du peuple, examinant la corde de la lanterne et jugeant qu’elle est trop faible, veulent en mettre une autre « pour pendre l’archevêque de Paris, Maury, d’Esprémenil ». La fureur meurtrière et carnassière pénètre jusque parmi les défenseurs attitrés de l’ordre, et l’on entend un garde national dire « qu’il faut tuer les gardes du corps jusqu’au dernier, leur arracher le cœur et déjeuner avec ». A la fin, vers minuit, la garde nationale de Paris est arrivée ; mais elle apporte une émeute par-dessus l’émeute ; car, elle aussi, elle a violenté ses chefs. « Si M. de la Fayette ne veut pas venir avec nous, dit un grenadier, nous prendrons un ancien grenadier pour nous commander. » Ceci arrêté, on est allé trouver le général à l’Hôtel de Ville, et les délégués de six compagnies lui ont intimé leurs ordres : « Mon général, nous ne vous croyons pas traître ; mais nous croyons que le gouvernement nous trahit.... Le comité des subsistances nous trompe, il faut le renvoyer. Nous voulons aller à Versailles exterminer les gardes du corps et le régiment de Flandre, qui ont foulé aux pieds la cocarde nationale. Si le roi de France est trop faible pour porter sa couronne, qu’il la dépose ; nous couronnerons son fils, et tout ira mieux ». En vain La Fayette refuse, et vient haranguer sur la place de Grève ; en vain, pendant plusieurs heures, il résiste, tantôt parlant, tantôt imposant silence. Des bandes armées, parties des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, grossissent la foule ; on le couche en joue ; on prépare la lanterne. Alors, descendant de cheval, il veut rentrer à l’Hôtel de Ville ; mais ses grenadiers lui barrent le passage : « Morbleu ! général, vous resterez avec nous ; vous ne nous abandonnerez pas ». Étant leur chef, il faut bien qu’il les suive ; c’est aussi le sentiment des représentants de la Commune à l’Hôtel de Ville ; ils envoient l’autorisation et même l’ordre de partir, « vu qu’il est impossible de s’y refuser ». Quinze mille hommes arrivent ainsi à Versailles, et, devant eux, avec eux, protégés par la nuit, des milliers de bandits. De son côté, la garde nationale de Versailles, qui entoure le château, et le peuple de Versailles, qui barre le passage aux voitures, ont fermé toute issue. Le roi est prisonnier dans son palais, lui, les siens, ses ministres, sa cour, et sans défense. Car, avec son optimisme ordinaire, il a confié les postes extérieurs du château aux soldats de La Fayette, et, par une obstination d’humanité dans laquelle il persévérera jusqu’à la fin, il a défendu à ses propres gardes de tirer, en sorte qu’ils ne sont là que pour la montre. Ayant pour lui le droit commun, la loi et le serment que La Fayette vient de faire renouveler à ses troupes, que pourrait-il craindre ? Rien de plus efficace auprès du peuple que la confiance et la prudence, et, à force d’agir en mouton, on est sûr d’apprivoiser des bêtes féroces. Dès cinq heures du matin, avant le jour, elles rôdent autour des grilles. La Fayette, épuisé de fatigue, s’est reposé une heure, et cette heure leur suffit. Une population armée de piques et de bâtons, hommes et femmes, entoure un peloton de quatre-vingts gardes nationaux, les force à tirer sur les gardes du roi, enfonce une porte, saisit deux gardes, leur tranche la tête. Le coupe-tête, qui est un modèle d’atelier, homme à grande barbe, montre ses mains rouges en se glorifiant de ce qu’il vient de faire, et l’effet est si grand sur les gardes nationaux, que, par sensibilité, ils s’écartent pour ne pas être témoins de pareils spectacles : voilà la résistance. Pendant ce temps la foule envahit les escaliers, assomme et foule aux pieds les gardes qu’elle rencontre, fait sauter les portes avec des imprécations contre la reine. La reine se sauve, à temps et tout juste, en jupon. Réfugiée auprès du roi avec toute la famille royale, et vainement barricadés dans l’Œil-de-Bœuf dont une porte éclate, ils n’attendaient que la mort, lorsque La Fayette arrive avec ses grenadiers, et sauve ce qui peut encore être sauvé, les vies, rien de plus. Car de la foule entassée dans la cour de Marbre, part une clameur : « Le roi à Paris ! » et le roi se soumet à cet ordre. A présent qu’ils ont dans leurs mains le grand otage, daigneront-ils accepter le second ? Cela est douteux. La reine s’étant approchée du balcon avec son fils et sa fille, un hurlement monte : « Point d’enfants ! » on veut l’avoir seule au bout des fusils, et elle le comprend. A cet instant, M. de la Fayette, la couvrant de sa popularité, paraît avec elle sur le balcon et lui baise respectueusement la main. Dans la foule surexcitée, le revirement est subit ; en cet état de tension nerveuse, l’homme et surtout la femme sautent brusquement d’un extrême à l’autre, et la fureur confine aux larmes. Une portière, compagne de Maillard, entend en imagination La Fayette promettre, au nom de la reine, « qu’elle aimera son peuple et lui sera attachée comme Jésus-Christ à son Église ». On s’attendrit, on s’embrasse ; les grenadiers coiffent de leurs bonnets les gardes du corps. Tout ira bien : « le peuple a reconquis son roi ». Il n’y a plus qu’à se réjouir, et le cortège se met en marche : au centre, la famille royale et cent députés dans des voitures, puis l’artillerie avec des femmes à califourchon sur les canons, puis un convoi de farines ; alentour, les gardes du roi ayant chacun en croupe un garde national, puis la garde nationale de Paris, puis les hommes à piques, les femmes à pied, à cheval, en fiacre, sur des charrettes ; en tête, une bande qui porte au bout de deux perches des têtes coupées et s’arrête à Sèvres chez un perruquier pour les faire poudrer et friser ; on les incline pour saluer, on les barbouille de crème ; il y a des rires et des quolibets ; on mange et on boit en route, on oblige les gardes du corps à trinquer ; on crie et on tire des salves de mousqueterie : hommes et femmes, se tenant par la main, chantent et dansent dans la boue. Telle est la fraternité nouvelle : un convoi funèbre de toutes les autorités légales et légitimes, un triomphe de la brutalité sur l’intelligence, un Mardi-gras meurtrier et politique, une formidable descente de la Courtille, qui, précédée par ses insignes de mort, traîne avec elle les chefs de la France, roi, ministres et députés, pour les contraindre à gouverner selon ses folies et pour les tenir sous ses piques, jusqu’au moment où il lui plaira de les égorger.
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