RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les lois de l'imitation (1895).
Avant-propos de la 1re édition, 1890


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gabriel Tarde, Les lois de l'imitation. Texte de la deuxième édition, 1895. Réimpression, Paris: Kimé Éditeur, 1993, 428 pages. Un édition numérique réalisée par Mme Réjeanne Toussaint, ma belle-soeur, de Chomedy, Ville Laval, Québec. Je suis tout particulièrement reconnaissant à Réjeanne à cause de l'importance de cette oeuvre. La piètre qualité de l'édition papier utilisée pour la numérisation a rendu la tâche de correction très pénible. Merci. JMT.

Avant-propos de la première édition, 1890


Dans ce livre, j'ai essayé de dégager, avec le plus de netteté possible, le côté purement social des faits humains, abstraction faite de ce qui est en eux simplement vital ou physique. Mais, précisément, il s'est trouvé que le point de vue à la faveur duquel j'ai pu bien marquer cette différence, m'a montré entre les phénomènes sociaux et les phénomènes d'ordre naturel les analogies les plus nombreuses, les plus suivies, les moins forcées. Il y a de longues années déjà que j'ai énoncé et développé çà et là, dans la Revue philosophique, mon idée principale - «clef qui ouvre presque toutes les serrures», a eu l'obligeance de m'écrire un de nos plus grands historiens philosophes; - et, comme le plan de cet ouvrage était dès lors dans ma pensée, plusieurs des articles dont il s'agit ont pu sans peine entrer dans sa composition sous forme de chapitres (1). Je n'ai fait que les rendre de la sorte, en les refondant, à leur destination première. Les sociologistes qui m'ont fait l'honneur, parfois, de remarquer ma manière de voir, pourront maintenant, s'ils le jugent à propos, la critiquer en connaissance de cause et non d'après des fragments détachés. Je leur pardonnerai d'être sévères pour moi s'ils sont bienveillants pour mon idée, ce qui n'aurait rien d'impossible. Elle peut, en effet, avoir à se plaindre de moi, comme la semence de la terre. Mais je souhaite, en ce cas, que, par suite de cette publication, elle tombe dans un esprit mieux préparé que le mien à la mettre en valeur.

J'ai donc tâché d'esquisser une sociologie pure. Autant vaut dire une sociologie générale. Les lois de celle-ci, telle que je la comprends, s'appliquent à toutes les sociétés actuelles, passées ou possibles, comme les lois de la physiologie générale à toutes les espèces vivantes, éteintes ou concevables. Il est bien plus aisé, je n'en disconviens pas, de poser et de prouver même ces principes, d'une simplicité égale à leur généralité, que de les suivre dans le dédale de leurs applications particulières; mais il n'en est pas moins nécessaire de les formuler.

Par philosophie de l'histoire, au contraire, et par philosophie de la nature, on entendait jadis un système étroit d'explication historique ou d'interprétation scientifique, qui cherchait à rendre raison du groupe entier ou de la série entière des faits de l'histoire ou des phénomènes naturels, mais présentés de telle sorte que la possibilité de tout autre groupement et de toute autre succession fût exclue. De là l'avortement de ces tentatives. Le réel n'est explicable que rattaché à l'immensité du possible, c'est-à-dire du nécessaire sous condition, où il nage comme l'étoile dans l'espace infini. L'idée même de loi est la conception de ce firmament des faits.

Certes, tout est rigoureusement déterminé, et la réalité ne pouvait être différente, ses conditions primordiales et inconnues étant données. Mais pourquoi celles-ci et non d'autres? Il y a de l'irrationnel à la base du nécessaire. Aussi, dans le domaine physique et le domaine vivant, comme dans le monde social, le réalisé semble n'être qu'un fragment du réalisable. Voyez le caractère épars et morcelé des cieux, avec leur dissémination arbitraire de soleils et de nébuleuses; l'air bizarre des faunes et des flores; l'aspect mutilé et incohérent des sociétés qui se juxtaposent, pêle-mêle d'ébauches et de ruines. Sous ce rapport, comme à tant d'autres égards que je signale-rai en passant, les trois grands compartiments de la réalité se ressemblent trop bien.

Un chapitre de ce livre, celui qui est intitulé les lois logiques de l'imitation, n'y est placé que comme pierre d'attente d'un ouvrage ultérieur, destiné à compléter celui-ci. Si j'avais donné au sujet tous les développements qu'il comporte, ce volume n'aurait pas suffi.

Les idées que j'émets pourraient fournir, je crois, des solutions nouvelles aux questions politiques ou autres qui nous divisent maintenant. Je n'ai pas cru devoir les déduire, et la classe de lecteurs à laquelle je m'adresse ne me reprochera pas d'avoir négligé cet attrait d'actualité. Je ne l'aurais pu, d'ailleurs, sans sortir des limites de mon travail.

- Encore un mot, pour justifier ma dédicace. Je ne suis ni l'élève, ni le disciple même de Cournot. Je ne l'ai jamais vu ni connu. Mais je tiens pour une chance heureuse de ma vie de l'avoir beaucoup lu au sortir du collège; j'ai souvent pensé qu'il lui a manqué uniquement d'être né anglais ou allemand et d'avoir été traduit dans un français fourmillant de solécismes pour être illustre parmi nous; surtout, je n'oublierai jamais que, dans une période néfaste de ma jeunesse, malade des yeux, devenu par force unius libri, je lui dois de n'être pas tout à fait mort de faim mentale. Mais on se moquerait de moi, à coup sûr, si je ne me hâtais d'ajouter qu'à ce sentiment démodé de gratitude intellectuelle auquel j'obéis, s'en joint un autre, beaucoup moins désintéressé. Si mon livre - éventualité qu'un philosophe en France doit toujours prévoir, même après n'avoir eu encore qu'à se louer de la bienveillance du public - était mal accueilli, ma dédicace m'offrirait à propos un sujet de consolation. En songeant, alors, que Cournot, ce Sainte-Beuve de la critique philosophique, cet esprit aussi original que judicieux, aussi encyclopédique et compréhensif que pénétrant, ce géomètre profond, ce logicien hors ligne, cet économiste hors cadres, précurseur méconnu des économistes nouveaux, et pour tout dire, cet Auguste Comte épuré, condensé, affiné, a toute sa vie pensé dans l'ombre et n'est pas même très connu depuis sa mort, comment oserais-je un jour me plaindre de n'avoir pas eu plus de succès ?


Note:

(1) Ce sont les chapitres premier, troisième, quatrième et cinquième, modifiés ou amplifiés. Le premier a été publié en septembre 1882, le troisième en 1884, le quatrième en octobre et novembre 1883, le cinquième en 1888. - Je n'ai pas cru devoir reproduire ici bien d'autres articles sociologiques publiés dans le même recueil, mais destinés à une révision ultérieure.

Dans un autre ouvrage (La Philosophie pénale), j'ai développé l'application de mon point de vue au côté criminel et pénal des sociétés comme je l'avais essayé déjà dans ma Criminalité comparée.


Retour à l'oeuvre de l'auteur: Gabriel Tarde Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 13 juillet 2005 08:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref