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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de TCHANG Tche-tong (1835-1909), K’IUEN-HIO-P’IEN, EXHORTATIONS À L’ÉTUDE. Variétés sinologiques n° 26, Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1909, IV+198 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. Préface de l'auteur Aux temps passés, le roi Tchoang, archonte de Tch’ou, poussait son peuple au travail, en lui disant que la vie de l’homme dépend de son application ; il entretenait l’ardeur de ses soldats, en leur imposant tous les jours des exercices militaires ; et enfin il exhortait tous ses sujets à bien faire, en leur exposant comment les malheurs, pour tomber sur quelqu’un, n’ont pas de jour fixe. Le royaume de Tch’ou, à l’époque du Tch’oen-ts’ieou, au temps des princes Wen et Hiuen du royaume de Lou, possédait un vaste territoire ; son armée était puissante, la prépondérance de son autorité s’étendait au loin. Parmi les royaumes rivaux, tels que Ts’i, Tsin, Song et Ts’in, aucun n’osait lui résister ni même marcher de pair avec lui ; partant, qui pouvait lui être une cause de malheur ? Pourquoi donc son roi Tchoang se montrait-il si diligent et si craintif ? Confucius a dit : "La honte tombera sur celui qui ne prévoit pas les malheurs, et, au contraire, celui qui les prévoit aura la félicité en partage." Comment comparer les changements qui s’imposent à présent avec ceux de l’époque dite Tch’oen-ts’ieou ? Depuis les dynasties Ts’in et Han jusqu’aux dynasties Yuen et Ming, il n’y a jamais eu une époque semblable à celle où nous vivons, et quiconque réfléchit sur les malheurs qui peuvent arriver, éprouvera dans son cœur une douleur supérieure à celle ressentie par le préfet des travaux [qui en devint fou] et à celle de Sin-Yeou. Notre gouvernement à cause de cela du matin jusqu’au soir est toujours occupé ; il vit dans des anxiétés et dans des craintes continuelles. En ce moment, où il s’agit de changer les cordes de l’instrument de musique et d’accorder la guitare, de faire surgir des hommes de talent supérieur qui puissent devenir des ministres et des généraux, d’établir des écoles et d’instituer des examens [nouveaux], les hommes de caractère qui vivent dans l’intérieur des quatre mers sont pleins d’animation et, anxieux, ils se frappent la poitrine. Dans cet état de choses, ceux qui cherchent à porter remède aux affaires actuelles, parlent des sciences nouvelles, et ceux qui pensent que des changements nuiront à la doctrine traditionnelle, s’attachent aux anciennes ; les uns et les autres ne peuvent pas s’entendre et se mettre d’accord. Les conservateurs ressemblent à ceux qui, par crainte d’avoir la gorge obstruée par un os, ne veulent plus rien manger : et les progressistes sont comme des brebis placées devant plusieurs chemins et qui fatalement s’égarent. Les premiers ne comprennent pas les choses nouvelles et les seconds ignorent quelle en est la base fondamentale ; ceux-là, ne comprenant pas les choses nouvelles, n’ont pas de moyens pour faire face aux ennemis de l’Empire et pour diriger les réformes ; ceux-ci, ignorant le vrai fondement des sciences, n’ont que des pensées de mépris pour la doctrine justement célébre des anciens. Les choses étant ainsi, les conservateurs se plaignent de plus en plus des progressistes ; ceux-ci prennent de plus en plus en dégoût les conservateurs ; tous, par leurs attaques, se blessent mutuellement au cœur, et enfin, des gens trompeurs, partisans de changements toujours dangereux, profitent de toutes ces circonstances pour répandre leurs mauvais propos et séduire la multitude. Pendant ce temps, les étudiants se tournent de côté et d’autre sans trouver un point d’appui ; les mauvais sujets lancent avec fougue dans le public leurs opinions perverses qui se répandent peu à peu par tout l’Empire. Cependant l’ennemi une fois arrivé sur nous, on n’a pas les moyens de le combattre avec succès ; et s’il n’arrive pas, on n’a pas non plus les moyens de vivre en paix. En vérité je crains bien que les malheurs de la Chine ne soient pas au dehors des quatre mers, mais qu’ils soient à l’intérieur des neuf régions. Quand je pense aux vicissitudes de splendeur ou de troubles des siècles passés, d’abondance ou de rareté des hommes capables dont nous parle l’histoire, je remarque que ces choses se manifestent dans l’administration, mais que leur source cachée est dans la science. De plus, chargé quoique indigne de la vice-royauté des deux provinces de Hou-pé et de Hou-nan, ayant le devoir d’instruire les lettrés et de réformer le peuple, jour et nuit, en toute crainte et diligence, je réfléchis sur les moyens qui peuvent y contribuer. Ainsi donc, en méditant sur les affaires actuelles de l’Empire, j’ai disposé d’après un ordre méthodique ce qui est principal et ce qui n’est que secondaire, et j’ai écrit vingt-quatre dissertations, que j’adresse d’abord aux lettrés de ces deux provinces de ma juridiction, et ensuite aux lettrés de toute la Chine qui sont animés des mêmes sentiments que moi. Le livre se divise en deux parties : la première, intérieure, s’occupe du fondement de la doctrine et tend à réformer le cœur ; la seconde, extérieure, traite de l’intelligence des choses et vise à ouvrir la voie au vent des nouvelles pratiques ; neuf dissertations forment la première partie et quinze la seconde. Voici le titre de celles de la première partie. I. "Unissez les Cœurs". Elle montre clairement que ces trois choses : la protection de l’Empire, celle de la doctrine (nationale) et celle de la race, n’ont qu’un seul et même sens. En effet, quand les mains et les pieds ont trouvé ce qui leur convient, les yeux et la tête sont en pleine prospérité ; si le sang et les esprits vitaux sont abondants, alors les visées du cœur sont tenaces ; que les hommes de talent soient nombreux, et l’Empire de lui-même ne fera que prospérer. II. "Enseignez la loyauté [à la dynastie]". On y expose en détail les nombreux et importants bienfaits que nous a procurés la dynastie régnante, afin que dans l’Empire tous, mandarins et gens du peuple, nous nourrissions des sentiments de loyauté envers elle et travaillions à la protection de l’Empire. III. "Expliquez les relations fondamentales." Les trois relations fondamentales forment la partie la plus importante des enseignements transmis de génération en génération par les saints et les sages de l’Empire chinois. Elles sont aussi le fondement primordial des rites et de l’administration, et la grande ligne de démarcation entre l’homme et les animaux. De l’explication des relations fondamentales dépend la protection de la doctrine [nationale]. IV. "Connaissez vos semblables (les Chinois]." [Si vous avez cette connaissance], vous prendrez en compassion les descendants des illustres prédécesseurs, qui sont sur la pente de leur ruine, et emploierez les moyens de protéger la race [chinoise]. V. "Vénérez les livres Canoniques". Les lettrés et philosophes des dynasties Tcheou et Ts’in, bien qu’ils soient des pierres précieuses, ne peuvent pas cacher leurs défauts. Il faut donc se contenter d’en choisir quelques parties ; quant à celles qui sont contraires à la vraie doctrine, qu’on les laisse de côté, prenant pour règle les enseignements du Saint [Confucius]. VI. "Réglez l’Autorité." En séparant bien les classes supérieures et inférieures de l’État, et en donnant une direction fixe aux désirs du peuple, on rend impossible l’anarchie du régime où le peuple participe à l’autorité. VII. "Suivez un certain ordre" dans les études. Car ce qui entre d’abord en notre intelligence en devient le maître. Avant de s’adonner à l’étude des sciences européennes, il est indispensable de posséder les livres chinois ; de cette manière l’on n’oubliera pas les ancêtres. VIII. "Attachez-vous aux points importants". L’amour des nouveautés est agréable et la conservation des choses anciennes est pénible. Si l’on veut conserver les sciences chinoises, il faut s’appliquer à l’étude de ce qui en est la base, et viser à l’acquisition des principes généraux. IX. "Éloignez le poison" de l’opium. Si en effet la mauvaise habitude de fumer l’opium est déracinée, notre peuple reviendra à la vie. Arrachons donc le mal par la racine de manière qu’elle ne pousse à jamais. Voici les titres des quinze dissertations de la deuxième partie. I. "Augmentez vos connaissances pratiques". Car les stupides viendront vous attaquer, et ceux qui s’aveuglent rencontreront des malheurs. II. "Voyagez pour étudier". Si quelqu’un veut se rendre compte de l’état actuel des affaires, élever les aspirations de son âme, augmenter ses connaissances, développer ses talents, et cependant ne visite pas en observateur attentif les royaumes étrangers, il n’aboutira pas. III. "Ouvrez des écoles" en grand nombre et formez-y des hommes de talent qui puissent être utiles à l’Empire au temps présent. Quant aux [anciennes] compositions littéraires, elles ne sont bonnes qu’à ouvrir l’intelligence des enfants. IV. "Réglez les études". La supériorité des royaumes étrangers vient de celle de leurs écoles. Les professeurs ont un programme arrêté pour leur enseignement, et les élèves ont un but à atteindre. Si des hommes capables sont à leur place, cela est dû aux études faites dans les écoles. Nous devons choisir ce qu’il y a de bon en cela et le mettre en pratique. V. "Multipliez les traductions" des livres. Les avantages que l’on retire de l’étude sous des maîtres étrangers sont limités ; mais ils sont sans nombre ceux que nous procure la traduction de leurs livres. VI. "Lisez les journaux". On se voit difficilement les cils et les sourcils ; c’est avec difficulté qu’on savoure les médecines amères. Prenez connaissance des abus de l’Empire et pressez-vous de les faire disparaître ; apprenez les malheurs qui vous menacent de la part des étrangers et prenez vos mesures pour les prévenir. VII. "Changez vos méthodes". Ceux qui se fient uniquement à eux-mêmes et s’attachent à ce qui a été toujours fait ne pourront pas se conserver. VIII. "Changez les examens" établis pour le choix des hommes de talent. Les études doivent répondre à l’usage que l’on veut en faire. IX. "Développez les études d’agriculture, industrie et commerce". La protection du peuple dépend des moyens de le nourrir ; et son entretien dépend à son tour de l’éducation qu’on lui donne ; enseignez-lui l’agriculture, l’industrie et le commerce, et des avantages en surgiront infailliblement. X. "Étudiez les sciences militaires". Car la formation des soldats ne vaut pas celle des généraux. La formation des soldats est chose facile, mais celle des généraux est bien difficile. XI. "Étudiez la minéralogie." C’est le moyen de développer les richesses du sol. XII. "Étudiez la construction des chemins de fer". Ils servent à faire pénétrer partout l’esprit vital de la nation. XIII. "Approfondissez vos connaissances". C’est-à-dire, rendez vous bien compte de ce qu’il y a d’excellent dans les sciences européennes, et faites-le pénétrer dans les connaissances chinoises ; cela servira à éclairer les hommes entêtés et bornés. XIV. "Ne supprimez pas l’armée". La ruine [des nations] vient des enseignements qui portent les hommes à la recherche des plaisirs. XV. "Ne combattez pas les religions étrangères". Celui qui se laisse aller à des colères de peu d’importance fait échouer de grands projets. On peut résumer le contenu des vingt-quatre dissertations dans la connaissance de cinq choses. La première est qu’il faut savoir rougir : c’est-à-dire rougir de voir l’Empire inférieur au Japon, à la Turquie, au Siam, à Cuba même. La deuxième est qu’il faut savoir craindre ; c’est-à-dire, craindre de voir l’Empire devenir semblable à l’Annam, à la Birmanie, à la Corée, à l’Egypte et à la Pologne. La troisième est qu’il faut savoir changer. Si l’Empire ne change pas ses vieilles coutumes, il ne pourra pas changer ses vieilles méthodes ; et s’il ne change pas ses méthodes, il ne pourra pas changer non plus l’antique outillage de ses instruments et machines. La quatrième est qu’il faut savoir le point capital des choses ; ainsi, quand on s’occupe de sciences chinoises, faire des recherches sur l’antiquité n’est pas une chose capitale ; mais savoir en profiter, voilà ce qui est capital. Parmi les sciences européennes il y a aussi des différences ; ainsi les arts européens ne sont pas une chose capitale, mais ce qui est capital c’est l’administration européenne. Enfin la cinquième est qu’il faut savoir ou est le fondement : ainsi en dehors des mers chinoises (à l’étranger), il ne faut pas oublier son propre royaume ; en voyant des mœurs différentes, il ne faut pas oublier celles de son propre pays ; quand on a acquis beaucoup de connaissances et de savoir-faire, il ne faut pas oublier les saints personnages de l’Empire (qui préféraient la vertu aux connaissances et aux avantages de la vie). Tout ceci je l’ai comparé aux enseignements du Tchong-yong et je l’ai trouvé conforme. Lou était un royaume faible ; son prince, Ngai, demanda un jour des instructions sur le gouvernement à Confucius, qui lui répondit : "Celui qui aime l’étude est près d’être sage ; celui qui fait des efforts pour bien agir est près de devenir humain, et celui qui sait rougir est près d’être brave". En finissant son enseignement, il ajouta : "Si quelqu’un agit d’après ces principes, fût-il ignorant, il deviendra intelligent ; et fût-il faible, il deviendra fort". Les enseignements de la première partie de notre travail sont tous pour nous aider à la poursuite de l’humanité ; et ceux de la seconde tendent à nous faire acquérir la sagesse et la bravoure. Le but du Tchong-yong serait-il seulement d’examiner les plus petites parties du cœur humain pour en déterminer leurs dimensions ? Évidemment non. Confucius savait bien que le royaume de Lou, bien que observateur des rites, était devenu très faible ; l’un après l’autre, les royaumes de Ts’i, Tch’ou, Ou et Yué, appuyés sur leurs troupes, le traitèrent avec mépris ; c’est pourquoi, par sa réponse au prince Ngai, il voulut ouvrir les yeux aveugles et les oreilles sourdes des ministres et du peuple de Lou, et relever l’abattement maladif des lettrés du même royaume ; il espérait, que le royaume de Lou, résolu à agir avec énergie, renouvellerait les hauts faits accomplis autrefois sous les Empereurs Wen et Ou. Ainsi donc, celui qui néglige l’étude, ne fait pas d’efforts et ne sait pas rougir, sera ignorant et faible ; au contraire, il sera intelligent et fort celui qui étudie, fait des efforts et rougit. Si cela était vrai au royaume de Lou, à combien plus forte raison ne le serait-il pas dans l’Empire qui a une surface de 700.000 li carrés, et est habité par 400.000.000 d’hommes ? Je crains que les lettrés et les mandarins de l’Empire, s’endormant dans une paix tranquille, ignorent les malheurs qui bientôt vont tomber sur eux ; c’est pour cela qu’au commencement de cette préface, j’ai mis en avant un fait relatif au royaume de Tch’ou. De même je crains que, trouvant leur plaisir dans l’abandon d’eux-mêmes et dans l’inaction, ils ne cherchent plus à se rendre forts ; c’est pour cela qu’à la fin, j’ai fait mention d’un fait relatif au royaume de Lou. Le livre des Changements dit : « Il périt ! il périt ! c’est qu’il n’est attaché que par une tendre branche de mûrier ! » Hélas ! Alors seulement que l’Empire est sur le point de périr, on se rend enfin compte qu’il aurait dû être fortifié ! Tchang Tche-tong, de la sous-préfecture de Nan-p’i [Tche-li] a écrit cette préface en la 3e lune de la 24e année de Koang-siu. Mars 1898.
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