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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les descriptions de la Chine par les Français (1650-1750)
Préface d'Henri Maspero


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Tchao-ts'ing TING, Les descriptions de la Chine par les Français (1650-1750). Thèse présentée à la Faculté des Lettres pour le Doctorat ès-Lettres. Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1928, 114 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Préface
d'Henri Maspero

La Chine a été autant à la mode en France au XVIIIe siècle que de nos jours, grâce aux missionnaires jésuites ; et l’on a souvent étudié l’influence que leurs descriptions de la Chine, de son histoire, de son gouvernement, de sa religion, de sa philosophie, ont exercé sur les écrivains français de ce temps. Mais on n’avait pas encore songé à s’occuper de la genèse même de ces ouvrages, à rechercher à quelles conditions particulières chacun d’eux, ou du moins les principaux d’entre eux, doivent le jour. Leur histoire en France, depuis le jour où ils y furent publiés, est bien connue. Leur histoire en Chine, pendant la période obscure de la composition, ne l’est pas. Et cependant celle-ci n’a pas moins d’intérêt que celle-là : elle aussi marque les étapes des influences réciproques des idées françaises et chinoises les unes sur les autres. Comment a réagi le monde chinois envers ces étrangers qui lui apportaient, avec des connaissances scientifiques dont on admit bientôt la haute valeur, des idées religieuses par tant de points contraires à la Doctrine orthodoxe, c’est-à-dire au Confucianisme ? Quelle fut d’autre part l’état d’esprit des missionnaires quand ils virent de près cette civilisation si éloignée de la leur, en ce début de la dynastie Ts’ing qui fut peut-être l’époque où elle eut, sinon le plus d’éclat, du moins le plus de puissance ? Comment les idées et les goûts personnels de chacun ont-ils influé sur sa conception de la société chinoise, dans quelle mesure ont-ils dirigé le choix nécessaire parmi les innombrables faits de toute espèce qui se présentaient ? Un pareil sujet, où les choses de Chine et de France se mêlent à tout instant, était bien fait pour tenter un étudiant chinois : nul ne s’étonnera de l’intérêt dont M. Ting s’est pris pour lui.

La première question qui se pose est de savoir où les missionnaires ont puisé les éléments de leurs ouvrages sur la Chine. Pour ce qui était sciences naturelles, et même géographie et cartographie, ils n’avaient guère besoin des documents chinois, et ils pouvaient faire des observations directes. Il y avait bien des recueils chinois sur les pierres et les plantes, mais les méthodes de classement et de description sont si différentes des nôtres que ces livres n’ont guère d’intérêt que pour l’histoire des sciences ; de même il a été fait des cartes géographiques en Chine dès avant le temps des Han, mais elles sont toujours restées des dessins rudimentaires, sans proportions définies entre les diverses parties, sans mesures d’angles, et ce sont les Jésuites qui, en même temps qu’ils enseignaient aux Chinois les éléments de géométrie et de géodésie, ont fait la première triangulation de l’empire et en ont donné les premières cartes mathématiques précises.

Mais pour l’histoire, la religion, la philosophie, où ont-ils puisé ? A vrai dire, ils n’eurent la liberté du choix que dans une mesure très restreinte. S’ils avaient dû ensuite commencer par tout lire et tout étudier pour pouvoir faire ensuite un choix raisonné, ils n’auraient jamais rien écrit. Il est évident qu’ils devaient se laisser guider par les lettrés au milieu desquels ils vivaient à la cour des empereurs mandchous. Aussi, ce qu’ils traduisirent ou résumèrent, ce furent les ouvrages qui étaient le plus couramment acceptés par la société lettrée de leur temps. Si pour l’histoire ils ont pris le petit manuel assez médiocre qu’est le T’ong kien kang mou, c’est parce que c’était à peu près le seul ouvrage d’histoire qui fût entre les mains des lettrés, et qu’aucun de ceux-ci, même des meilleurs, n’avait lu l’énorme collection des histoires dynastiques, à peu près inaccessibles d’ailleurs jusqu’à l’édition collective qu’en fit faire l’empereur K’ien-long en 1739, presque à la fin de la période dont s’occupe M. Ting. Si parmi les écoles de philosophie chinoise ils ne connurent guère que l’école confucéenne, c’est encore pour une raison analogue : combien de personnes à la cour de K’ang-hi ou de K’ien-long savaient de Mo-tseu ou de Yang-tseu autre chose que les critiques de Mencius ? Ce n’est que de nos jours que (en grande partie sous l’influence personnelle de M. Leang K’i-tch’ao) la curiosité s’est éveillée pour tous les systèmes de philosophie antique non orthodoxe. Mais de l’école confucéenne ils ne voulurent pas qu’on ignorât rien, et ils traduisirent, soit en français, soit en latin, tous les Classiques (sauf le Yi king) : ce n’est pas leur faute si la traduction du Che king ne fut publiée qu’en 1831, et si celle du Tch’ouen ts’ieou ne le fut jamais. Et dans ce souci de faire connaître à fond toutes ces œuvres, il y a bien encore un reflet des idées des lettrés du temps, pour qui les Classiques représentaient le summum de la sagesse humaine. Cette influence du milieu s’est exercée avec beaucoup de force : isolés dans une cour étrangère, reliés à l’Occident par le lien ténu des correspondances, ils se sont laissés en quelque sorte imbiber d’esprit chinois dans tout ce qu’il avait de compatible avec leurs idées de prêtres chrétiens.

Ces milieux chinois où évoluaient ces quelques Jésuites, M. Ting les connaît et les comprend naturellement mieux que les missionnaires eux-mêmes : ceux-ci il les représente d’une manière quelque peu conventionnelle, leur état d’esprit lui échappe parfois, et il y aurait certaines réserves à faire sur les motifs qu’il attribue à leurs actes. C’est la rançon inévitable : un Français aurait eu évidemment le défaut inverse. Mais le choix même d’un pareil sujet est significatif. En réalité ce livre est bien autre chose que l’histoire des descriptions de la Chine par des Français pendant un siècle : c’est peut-être le premier où un Chinois ait tenté sérieusement de comprendre et juger l’effort des Européens pour comprendre son pays. Aussi mérite-t-il d’avoir sa place parmi ceux qui auront aidé les deux grandes civilisations contemporaines, Occident et Extrême-Orient, à se pénétrer mutuellement.


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le vendredi 12 janvier 2007 19:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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