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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Trotsky (1904), NOS TÂCHES POLITIQUES. Traduction revue et corrigée par Boris Fraenkel. Avant-propos de Marguerite Bonnet. Paris: Denöel-Gonthier, 1970, Collection: Bibliothèque Médiations, 220 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'enseignement de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. PRÉFACE
L'année qui vient de s'écouler a été une année qui a pesé lourd dans la vie de notre Parti. Il suffit que nous nous la rappelions : à un moment où le prolétariat révolutionnaire du monde entier regarde vers notre Parti avec espoir, - notre Parti à qui l'histoire propose la tâche grandiose de trancher le nœud gordien de la réaction mondiale, - nous, sociaux-démocrates russes, nous ne connaissons pas, semble-t-il, d'autres problèmes que de médiocres querelles intestines de parti et de compétence juridique, comme si nous n'avions pour toute perspective que celle d'une scission probable..., ce qui est vraiment cauchemardesque. Fait tragique et déchirant, on voit de nombreux secteurs de notre Parti [1] se complaire dans des mesquineries organisationnelles (alors qu'au loin des grondements de tonnerre annoncent une tempête historique imminente). Ils se mettent à suspecter les meilleurs d'entre nos camarades, les plus anciens, ceux qui marchent aux premiers rangs de la social-démocratie internationale [2], ils les accusent de pécher contre la théorie (et leurs accusateurs sont bien incapables de définir de façon concrète ces « péchés » !) ; ils appellent à la croisade contre la moitié du Parti ; ils se désolidarisent de leurs amis politiques quand ceux-ci prônent la conciliation avec l'aile « oppositionnelle », et ils sont prêts, enfin, à déclarer une guerre implacable, non seulement aux « conciliateurs » actifs, mais aussi à tous ceux qui, sans faire état de ce rôle, se comportent parmi ces « conciliateurs ». C'est dans cette atmosphère de véritable cauchemar que nous avons passé toute une année. La scission, plusieurs fois, est apparue comme inévitable. Tous nous ressentions l'horreur de la situation ; presque tous nous étions conscients du caractère criminel de cette scission. Mais qui de nous pouvait se dégager de l'étau d'acier où l'Histoire nous enserrait ? La phase la plus aiguë est passée. Maintenant, les partisans de l'unité du Parti peuvent regarder devant eux avec assurance. Les rares scissionnistes fanatiques qui, il n'y a pas longtemps encore, en imposaient par leur « intransigeance », rencontrent une vive opposition chez leurs alliés d'hier. Il est clair que notre Parti est à un tournant de son évolution interne, tournant qui, nous le croyons, concerne la totalité de son action révolutionnaire. Ce tournant devrait entraîner un apaisement propre à créer les conditions favorables à une concentration de toutes nos capacités de travail sur des tâches communes à l'ensemble du Parti. Cet apaisement, auquel aspirent tous les éléments sains du Parti, signifie la mort, en tant que force organisationnelle, de ce qu'il est convenu d'appeler la « minorité ». Nous, représentants de cette « minorité », nous considérons sans nous en affliger une telle perspective ; car cette mort, si étrange que cela puisse paraître de prime abord, fait partie intégrante de nos plans. Pas un seul instant notre but n'a été de faire basculer le Parti du côté de sa « minorité ». Cette opération aurait été en contradiction avec le sens même du mot (un parti ne peut être tout entier dans sa « minorité »), et ce qui est plus important encore, avec les tâches qui ont commandé la formation de cette « minorité ». Ce qui vient d'être dit peut à première vue - mais à première vue seulement - sembler paradoxal. En effet, la « minorité », cette partie non officielle d'un parti officiel, s'est battue contre un régime bien précis, à l'intérieur du Parti : un régime produit par des considérations absolument fantastiques sur les méthodes de développement d'une organisation comme la nôtre. D'après ces vues, le Parti ne se développerait pas seulement en éliminant les courants et les nuances les plus progressistes du point de vue tactique et organisationnel, mais exclusivement selon la méthode suivante : le Comité central, chargé de la direction et de la coordination du Parti du prolétariat (ou l'Organe central ou le Conseil du Parti) tire logiquement des prémisses connues des déductions nouvelles en matière de tactique et d'organisation. Cette conception purement rationaliste engendre un rigorisme qui se sanctifie lui-même, et selon lequel toute immixtion d'éléments pensant « autrement » est un phénomène pathologique, une sorte d'abcès de l'organisation qui exige l'intervention d'un chirurgien qualifié et l'emploi du bistouri. Ni dans cette préface, ni dans le livre qui la suit nous n'aborderons les divers épisodes de ce brouillamini organisationnel qui persiste depuis bientôt un an. Sur ce sujet, il existe déjà toute une littérature, dont nous n'avons que faire et qui a émoussé les dents du Parti tout entier. Pour nous, dans la situation qui nous occupe, une seule chose importe : que la « minorité » puisse acquérir droit de cité ; et puisque la campagne a été menée au nom des principes, cela devrait valoir pour tous les autres courants d'opposition à venir. La dernière déclaration en date du Comité central semble faire le bilan du bouleversement intervenu au niveau de la conscience du Parti et représenter (si toutefois nous comprenons bien les intentions des auteurs) le pas décisif vers une véritable réunification. Espérons que cette déclaration renverra définitivement aux archives les comportements et méthodes de « l'état de siège ». Mais la fin de ce régime, dans le Parti, signifie en même temps la mort organisationnelle de notre « minorité ». C'est avec un grand soulagement qu'elle pourra dire d'elle-même, en se dissolvant dans le Parti : Requiescat in pace. À la suite de sa lutte contre une certaine politique intérieure du Parti, la « minorité » - ou plus précisément, une petite partie de celle-ci -, placée dans des conditions particulièrement favorables [3] a soumis à un réexamen la pratique politique du Parti en cherchant de nouvelles voies tactiques. Sa mort organisationnelle ne signifie pas l'anéantissement des découvertes qu'elle a su faire dans ce domaine. Bien au contraire. Nous en sommes persuadé : la destruction de ce mur historique qui séparait les deux moitiés du Parti permettra la concentration de toutes nos forces en vue d'une refonte de notre pratique de Parti et aboutira à une solution commune des nouveaux problèmes de tactique qui se posent aujourd'hui et qui ne manqueront pas de surgir, au fur et à mesure de notre croissance politique. Ce livre se présente comme une tentative pour attirer l'attention des camarades (attention presque entièrement émoussée par les débats scolastiques sur des questions d'organisation) sur les problèmes de tactique politique dont dépend toute la destinée de notre Parti. Mais ces problèmes ne constituent pas à eux seuls le contenu de ce livre. Les pénibles frictions internes de l'année qui vient de s'écouler n'ont compromis que certaines pratiques de « politique interne » qui n'ont pas résisté à l'épreuve ; mais des préjugés principiels - liés à ces pratiques et grandis sur cette base - dominent encore de nombreux secteurs de la pensée de notre Parti. Nous ne doutons pas que ces préjugés finiront par dépérir, mais notre devoir est de travailler activement à leur disparition. C'est pourquoi nous avons jugé bon de consacrer une partie de ce livre au dernier opuscule du camarade Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, où quelques-uns de ces préjugés sont un tant soit peu systématisés. Reconnaissons-le : c'est sans aucun plaisir que nous avons rempli cette partie de notre tâche. Jusqu'à la parution dudit opuscule, il était pour nous évident que le camarade Lénine ne pouvait rien dire qui fût digne d'attention pour défendre sa position, car la position qu'il avait adoptée était tout à fait désespérée. Cela dit, nous ne nous attendions pas à une telle indigence de pensée. Notre premier mouvement, après lecture, fut de dire : passons tout simplement aux problèmes à l'ordre du jour. Mais après réflexion - réflexion dont nous avons exposé l'essentiel plus haut - il nous a paru indispensable d'expliciter notre position ; il est impossible de sauter par-dessus l'état fâcheux de la conscience du Parti. Naturellement le lecteur qui se considère comme totalement libéré des préjugés organisationnels bureaucratiques et « jacobins » peut se limiter aux deux premières parties de ce livre. Pendant les mois où il a été écrit (et il a été écrit morceau par morceau [4], la pensée que ce n'était pas le moment arrêta plus d'une fois notre main. En un temps où le tsarisme agonisant s'efforce d'apaiser la Némésis bourgeoise - le Japon - en brûlant sur son autel les richesses et les forces vives de la nation russe martyrisée ; où, en bas, dans les profondeurs du peuple, s'est déclenché, invisible, mais irréversible, le processus moléculaire selon lequel s'accumule la colère révolutionnaire qui, demain peut-être, éclatera au grand jour dans sa vigueur première et élémentaire, emportant sur son passage, comme les crues de printemps emportent toutes les digues, non seulement les barrages policiers mais aussi toutes les constructions de notre travail organisationnel de fourmis ; à cette époque où une seule science nous semble juste : la science de l'insurrection, où un seul art trouve sa raison d'être : l'art des barricades, à quoi bon se battre contre les préjugés organisationnels ? Débrouiller des sophismes théoriques ? Écrire sur de nouvelles questions de tactique ? Rechercher de nouvelles formes de développement pour l'action autonome du prolétariat, dans un moment historique sans précédent ? Le sentiment révolutionnaire spontané proteste avec indignation - Ce n'est pas le moment ! - Si, c'est le moment, répond la voix confiante de la conscience sociale-démocrate. Et c'est elle qui l'emporte. - C'est le moment, c'est toujours le moment ! Nous ne savons ni le jour ni l'heure ; et chaque jour, claque heure, chaque minute qui nous sépare du jour décisif, il est de notre devoir de l'utiliser. Nous devons nous livrer à l'autocritique, nous préparer politiquement pour que notre participation aux événements décisifs qui approchent soit digne de la grande classe à laquelle nous avons lié notre destin révolutionnaire : la classe prolétarienne. Nous ne savons ni le jour ni l'heure. Et si, contre toute attente, l'autocratie parvient à reculer l'heure de son décès ; si une nouvelle période de « calme » s'instaure, balayant de la scène politique les groupes oppositionnels et révolutionnaires apparus pendant la période ascendante, nous, sociaux-démocrates, nous resterons à notre poste dans les rangs du prolétariat et nous accomplirons notre grande tâche. Et ni la réaction, ni la révolution [5] ne pourront nous détourner de nos tâches historiques. Bien sûr, quand arriveront ces événements décisifs - et même s'ils arrivent demain - nous, communistes, pionniers du nouveau monde socialiste, nous saurons accomplir notre devoir révolutionnaire envers le vieux monde bourgeois. Nous nous battrons sur les barricades. Nous conquerrons pour lui cette liberté qu'il est impuissant à acquérir sans nous. Mais, quand bien même ces événements seraient arrivés, nous, communistes, nous ne voulons ni ne pouvons oublier ou repousser nos tâches prolétariennes. C'est à ces tâches que nous devons subordonner notre tactique révolutionnaire, non seulement dans la grisaille politique quotidienne, mais aussi à la veille de l'explosion révolutionnaire et pendant la tourmente même de la révolution. C'est en avant qu'il nous faut regarder, non seulement au-delà de la tête criminelle du tsarisme, mais bien au-delà encore, au-delà des sommets des barricades révolutionnaires, au-delà des ruines fumantes de [la forteresse] « Pierre et Paul », vers notre propre destinée : l'irréconciliable combat du prolétariat contre le monde bourgeois tout entier. N. Trotsky [6], 23 août 1904. [1] Trotsky fait ici essentiellement allusion aux amis de Lénine. [2] Trotsky a ici en vue quelques-uns des :principaux chefs de la « minorité », qui étaient effectivement les seuls à être, à l'époque, internationalement connus, tels Plekhanov, Zassoulitch, Axelrod, etc. [3] Il s'agit des mencheviks vivant dans l'émigration, tels que, par exemple, les rédacteurs et collaborateurs de l'Iskra. [4] Cela se reflète et dans le contenu et dans le ton des différents chapitres. Pendant cette période, d'autres auteurs ont exprimé dans 1'Iskra, mais au sujet d'autres choses, certaines idées de cette brochure. (Note de Trotsky.) [5] Bourgeoise, bien entendu ! [6] Lev Davidovitch Bronstein prit le pseudonyme de N. Trotsky, le nom de son garde sibérien. Il garda ce pseudonyme de 1902 jusqu'à la Première Guerre mondiale, ne changeant ultérieurement que l'initiale du prénom.
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