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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Paul VIAL, Les Lolos. Histoire, religion, moeurs, langue, écriture (1898)
Extrait 1: Naissance. Mariage. Mort.


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul VIAL (1855-1917), Les Lolos. Histoire, religion, moeurs, langue, écriture. Chang-Hai, Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, 1898, 72 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT

Naissance. Mariage. Mort.

Naissance. — Garçon ou fille, tout est reçu avec joie et soigné avec amour ; aucune cérémonie spéciale, que je sache, n’accompagne l’entrée au monde de cette jeune âme. Du sein de la mère l’enfant passe sur le dos de sa petite sœur, qui le promène ainsi à travers le village tout en jouant avec ses compagnes. Si le bambin n’a pas de sœur, on invite une petite voisine moyennant un léger cadeau ; et ainsi il roule jusqu’au moment où il peu marcher avec ses propres jambes.

Le costume de la jeune fille varie avec l’âge ; mais je n’en donne pas la description, car le costume changeant avec la tribu, parfois même dans la même tribu, une description serait forcément ou trop longue ou trop restreinte. Je dirai seulement qu’il est presque toujours impossible de distinguer une jeune fille d’une femme mariée. Il n’y a que le costume d’apparat où l’on puisse quelquefois remarquer une différence.

Mariage. — Il semblerait que l’antique coutume des Lolos est de ne fiancer leurs enfants que lorsqu’ils sont eux-mêmes en état de choisir. Tel est, du moins actuellement, l’usage le plus général. Toutefois la mauvaise habitude chinoise de fiancer dès le bas âge commence à s’introduire, avec ce correctif pourtant que plus tard les enfants pourront se séparer s’ils ne se plaisent pas.

Si vous voulez connaître le fiancé ou la fiancée de tel ou telle enfant, vous n’avez qu’à le lui demander ; votre question ne l’étonnera pas, et il vous répondra en toute ingénuité.

Les fiançailles doivent avoir lieu deux fois. Le père du fiancé, accompagné de deux ou trois amis, se rend chez le père de la jeune fille pour y prendre un honnête repas à ses frais. C’est dans cette circonstance que l’on chante le récit du Déluge (dalaje).

Quelques mois après, on répète cette cérémonie et l’on fixe le jour du mariage. On calcule si la récolte sera bonne et à quel moment le porc pourra être tué. Il faut aussi tenir compte des traditions ; ainsi, dans la tribu gni, les noces ont lieu à la fin ou au commencement de l’année, selon que l’on habite l’ouest ou l’est. Deux jours avant la noce, le fiancé porte lui-même la corbeille de mariage. Les cadeaux consistent en :

12 livres d’eau-de-vie, 12 livres de viande,
12 morceaux de teou-fou, 2 morceaux de sel,
2 mesures (chen) de riz, 2 paniers (pou-lo),
2 poussins, 3.600 sapèques,
1 habit complet, 1 tablier d’ornement,
4 pièces de toiles (deux rouges et deux noires).

Telle est du moins la règle ; mais il va sans dire qu’il est rare que les cadeaux ne soient pas plus nombreux. La noce dure trois jours, ou plutôt une soirée, un jour plein et une matinée ; et chaque jour a ses cérémonies spéciales.

1er jour. — Le 1er jour, le fiancé, accompagné d’un nombre indéterminé de garçons d’honneur, arrive à la maison de sa fiancée, pour y prendre un repas. Le garçon et la fille d’honneur sont toujours le dernier marié et la dernière mariée du village.

Au coucher du soleil, pendant que la fiancée est habillée par son oncle, il se passe à l’extérieur une cérémonie singulière. Au milieu de la cour, sur une table, on a disposé du riz, des légumes et des éclats de sapin. Une échelle est appliquée à côté de la porte et le sorcier y monte muni d’une poule. Il commence à chanter la complainte de la mariée et finit en disant :

Sa ta, ge ma ta ; Le gendre veut, l’oncle ne veut pas ;
ge ta, ke ma ta ;         l’oncle veut, elle ne veut pas ;
ke ta, fi ma ta !         elle veut, ne les séparez pas!

A chaque phrase le pimo tire la queue de la poule qui crie, naturellement ; et puis il la lance en l’air en disant : ge lé, ge lé, ge lé, ge lé, « sortez, sortez, sortez, sortez ! » A cet instant, la tante casse, sur le pas de la porte, un bol plein d’eau. Le fiancé sort, suivi de ses garçons d’honneur ; il doit porter un panier vide dans lequel chacun peut jeter une pierre ; il fait trois fois le tour de la table et s’en va.

Bientôt la jeune fiancée, portée sur le dos de son frère aîné, sort ainsi équipée : deux filles d’honneur marchent à côté d’elle. étendant un voile sur sa tête. Tout le monde fait trois fois le tour de la table ; le frère dépose son précieux fardeau et l’on se dirige vers la famille du fiancé. Là, sa belle-mère lui offre d’abord une petite branche verte dans un vase rempli d’eau, signe de sa fécondité ; ensuite un peigne, en lui disant : « Peigne-toi chaque jour avant de faire cuire le riz, afin que tes cheveux ne tombent pas dans la soupe. » Puis elle se rend chez tous les parents de son fiancé pour les saluer. Enfin on se sépare, le fiancé et ses suivants dans une maison préparée ad hoc ; la fiancée et ses suivantes dans une autre, où tous couchent sur la paille étendue par terre.

Ce soir-là tous les invités ont été hébergés aux frais de la famille de la fiancée.

2e jour. — Je ne décrirai pas le repas. Il est étendu par terre sur une couche d’herbe. Tout le monde mange ensemble, bien que les hommes et les femmes se séparent en général pour la commodité de la conversation. Le fiancé d’abord, la fiancée ensuite, font le tour des tables en versant un petit verre à chacun. On se promène pendant toute la journée. La fiancée doit faire un semblant de cuisine et aller chercher l’eau ; le fiancé de son côté va dans les champs faire semblant de piocher la terre.

3e jour. — C’est le dernier jour : on a de nouveau préparé une table, mais cette fois devant la porte du fiancé ; on y voit les mêmes objets déjà décrits. Tous les parents sont réunis ; les deux époux sont à genoux, l’époux le front levé, l’épouse le front par terre et couverte d’un voile. Deux joueurs de flûte font entendre des accords très doux, et chaque parent, en commençant par le plus vieux, place quelques sapèques devant chacun des deux conjoints, en donnant un peu plus à la fille qu’au garçon. Ce sera leur première fortune. Ils se lèvent après avoir adoré le Dieu suprême (Kedze) ; la jeune épouse prend les petits morceaux de bois préparés et va commencer son office en allumant le feu. Tout le monde se sépare peu à peu, et la reine d’un jour quitte ses beaux atours pour revêtir les habits de travail.

Il est d’usage de dire que chez les Lolos la jeune épouse s’en retourne chez ses parents et ne revient que lorsqu’elle porte un signe de sa fécondité. Pour ne parler que des Gnipa, cette coutume n’existe pas chez eux. Sans doute la jeune épouse s’en retourne : mais c’est uniquement parce que son cœur n’est pas habitué à l’absence ; elle revient, puis elle s’en retourne, puis elle revient pour ne plus s’en retourner.

Je l’avoue cependant, il y a des tribus, comme celles des Kopou et des Nasepou, où la jeune mariée se fait parfois attendre un an, deux ans et même plus. C’est un abus, mais il ne va pas plus loin ; et il faut que les préjugés contre ce peuple soient bien enracinés pour oser en conclure à une monstruosité.

Funérailles. — Du mariage à la mort, il n’y a parfois pas loin : j’y passe sans transition. Il n’y a pas cinquante ans que chez les Lolos on brûlait les morts, on enfermait leurs cendres pêle-mêle avec de la cendre de bois dans un vase, et ce vase était enterré ; tout autour de lui on disposait une rangée de pierres et tout était dit. Cette cérémonie, grâce à Dieu, est abolie actuellement ; les funérailles des Lolos différent peu des funérailles chinoises. La distinction la plus importante est celle de la danse.

Chez les Gnipa la danse est une cérémonie religieuse et non un amusement. Les danses sont nombreuses : la danse du lion, du tigre, de la lance, du couteau, du bâton, etc., les danses en rond où chacun joue de son instrument, et enfin la danse des sapèques. Je n’en décrirai aucune, ce serait fastidieux ; j’ajouterai seulement que les femmes ne dansent jamais, du moins chez les Gnipa et dans les tribus environnantes. Du reste, toutes ces danses sont très honnêtes et je ne fais aucune difficulté d’y assister.

Pendant que l’on danse d’un côté, les pimo ou sorciers prient de l’autre : assis devant une table bien garnie, les yeux sur leur livre, chacun récite à tour de rôle un verset de la prière des morts commençant par une magnifique description du ciel qui s’ouvre et des juges qui se lèvent.

Après l’enterrement, le chef pimo, s’étant à l’avance muni d’une tige d’orchidée (keleu), en coupe une longueur de sept nœuds, si le défunt est un homme, de neuf nœuds si c’est une femme (le tout a une longueur de neuf à dix centimètres) ; et à l’aide de quelques minces filoches de toile on forme une espèce de petit bonhomme : ce sera l’image de celui qui vient de mourir. Elle sera pour le Lolo ce qu’est le lin-pai ou tablette des ancêtres pour le Chinois.

Cette image sera placée entre le mur et le toit, où les deux se rencontrent ; parfois cependant elle sera suspendue au mur ou placée dans une boite. Mais, comme l’un doit faire place à l’autre, le plus vieux sera remis dans une anfractuosité de rocher, où ses descendants viendront le visiter une fois par an.

Il est singulier que ce culte des ancêtres se rencontre chez des peuples si différents ; on ne peut pas plus dire qu’il est passé des Chinois aux Lolos que des Lolos aux Chinois ; mais ces deux peuples, comme plusieurs autres sans doute, le tirèrent d’une source commune. Ce culte n’est pas plus le signe d’un amour filial bien sincère que d’une combinaison politique très profonde, puisqu’on le retrouve chez des nations sans cœur et des peuples sans tête. Mais peut-être tous ces placards chinois, comme ces bonshommes lolos, ne sont-ils qu’un souvenir de leurs premiers ancêtres ou patriarches dont ils auront dû se séparer.

Avant de terminer ce chapitre, je veux dire quelques mots d’une coutume digne d’être notée et décrite. Je veux parler de luttes comme aux pardons de chez nous. Ces luttes n’existent, à ma connaissance, que dans deux tribus, celles des Gni et des Ashi, toutes deux actuellement ouvertes à l’Évangile.

Dès que dans un pays la récolte a manqué, la mortalité est plus grande, les chefs du village se rassemblent et font vœu de se battre un, deux, ou trois jours de suite ; le temps est fixé et l’on envoie des hérauts revêtus d’une écharpe l’annoncer, soit dans les villages, soit dans les marchés, en toute langue parlée et comprise dans le pays. Au jour fixé, on aplanit le terrain de la lutte, terrain uniquement consacré à cet usage et que l’on ne peut changer ; sur une hauteur dominante on forme un pavillon où se tiendront les juges qui ne sont autres que les anciens du village. Derrière le pavillon flottent au vent deux écharpes, une rouge et une verte, fixées au haut d’un mât.

A la lutte vient qui veut, autant qu’il veut et comme il veut ; pendant tout le temps on sera hébergé pour rien, et par la première famille où il vous plaira d’entrer. La lutte s’ouvre par des prières, que le pimo récite en faisant le tour du cirque ; des enfants, munis d’un bambou, sont placés en garde pour écarter les importuns. Un héraut s’avance portant en sa main une poignée de palmes attachées deux à deux par un bout, lequel est caché dans les deux mains enveloppées d’une étoffe rouge. Tous ceux qui veulent lutter s’avancent et d’une main prennent une palme par le bout resté libre. Quand tous les bouts sont pris, le héraut ouvre ses deux mains et les adversaires sont indiqués par les palmes nouées à un bout et que retiennent à l’autre extrémité deux des lutteurs.

Pour lutter il faut se dépouiller de tout, excepté de son pantalon. Les deux lutteurs commencent par s’embrasser ; puis ils frottent leurs mains sur le sable et se mettent en garde. On est vaincu quand les deux épaules ont touché terre. Quand tous les lutteurs ont donné, la moitié est éliminée, et le héraut recommence la première cérémonie. Une moitié est encore éliminée, et bientôt il ne reste plus que deux hommes en présence ; c’est le moment le plus solennel. Enfin le vainqueur est proclamé ; ensemble on va remercier Dieu (Kedze) ; l’écharpe rouge est passée en sautoir au premier vainqueur et l’écharpe verte au second. La lutte est fermée par une dernière prière.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 juillet 2007 8:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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