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Collection « Les auteur(e)s classiques »
De la nature de la richesse et de l'origine de la valeur (1831)
AVANT-PROPOS DE L'AUTEUR
Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Auguste Walras, De la nature de la richesse et de l'origine de la valeur (1831), augmenté de notes inédites de Jean-Baptiste Say. Paris: Librairie Félix Alcan, 1938. (pp. 53 à 65 de l'ouvrage original).
AVANT-PROPOS
par Auguste Walras, 1831.
C'est en me livrant à des recherches philosophiques sur la nature et l'origine de la propriété, que j'ai été conduit sur le terrain de l'économie politique. Les principes de cette dernière science ne m'étaient que très imparfaitement connus, lorsque j'essayai, pour la première fois, de résoudre une des questions les plus importantes du droit naturel, et d'arriver à une bonne théorie du domaine personnel de l'homme sur les choses. Mais malgré mon ignorance primitive, au sujet des matières économiques, je me croyais en droit de penser qu'il y avait des rapports intimes entre la théorie de la propriété et la théorie de la richesse, et j'étais loin de me dissimuler que, quels que fussent les résultats moraux auxquels pourraient me conduire mes réflexions sur la nature du domaine et sur les formes de la possession, il me serait impossible de légitimer mes principes aux yeux des autres et à mes propres yeux, tant que je n'aurais pas trouvé la contre-épreuve de mes opinions dans les doctrines de l'Économie politique, et dans les vérités qu'il n'appartient qu'à elle de nous enseigner. Ce dernier point me paraissait, au reste, assez facile à obtenir ; car je m'étais imaginé, je ne sais sur quel fondement, que la science de la richesse était une science fort avancée, presque parfaite, et qu'il ne fallait à un homme d'un esprit ordinaire et d'un sens droit, qu'un peu de soin et de travail, pour s'édifier assez promptement sur le mécanisme industriel de la société. La réputation des économistes était si bien établie dans mon esprit, et ce que je savais, par ouï-dire, de leurs ouvrages, m'avait tellement prévenu en leur faveur, que je me flattais de trouver sans peine, dans leurs écrits, tout ce qu'il me serait nécessaire d'emprunter à l'économie politique, pour étayer mes idées sur la propriété, et pour vérifier les résultats que j'aurais obtenus de mes recherches. Aussi dès que je fus parvenu à une espèce de système sur la nature et l'origine de la propriété, et que je crus avoir rencontré des principes assez nouveaux pour être regardés comme des paradoxes, et assez hardis, à mes propres yeux, pour ne pouvoir être avancés qu'avec beaucoup de précaution, je me hâtai de chercher chez les économistes quelques maximes, ou, pour mieux dire, quelques axiomes qui pussent me fortifier dans ma doctrine, ou m'y faire renoncer entièrement : persuadé, comme je l'étais, que ma méthode était aussi facile que régulière, et qu'il me suffirait d'ouvrir quelques livres d'économie politique, un peu avantageusement connus, pour y voir toutes mes idées sur la propriété se convertir en principes incontestables, ou en bizarres rêveries qui ne mériteraient plus de trouver le moindre accès d'ans mon esprit.
Qu'on juge, si on le peut en ce moment, du désappointement que j'éprouvai, lorsque, ayant entrepris de consulter les principaux ouvrages qui traitent de l'économie politique, je trouvai, chez les divers auteurs auxquels nous les devons, autant ou plus d'obscurité, sur la nature de la richesse et sur son origine, que j'en avais déjà trouvé, chez les publicistes, sur la nature et l'origine de la propriété.; lorsque je découvris, au fond de leurs doctrines, des erreurs tout aussi déplorables que celles qui ont fait du droit naturel un véritable champ de bataille, où toutes les opinions viennent se combattre et s'entre-choquer ; lorsque je crus apercevoir, entre les différentes écoles d'économistes, des divergences si remarquables, et, dans les ouvrages même d'un seul auteur, des contradictions si palpables, qu'elles me firent soupçonner, avec juste raison, qu'elles tenaient à une ignorance générale sur les premiers principes de la science et sur la nature même de l'objet qui sort de base aux théories économiques ! Ceux qui sont un peu versés dans l'étude de l'économie politique, et qui n'ignorent pas les querelles qui divisent les écrivains des différentes écoles, ne trouveront peut-être pas mon langage exagéré, et ne voudront pas croire, je l'espère, qu'il y ait dans mes expressions le Moindre sentiment d'aigreur ou de dépit. Ils n'auront pas besoin que je déroule à leurs yeux le tableau des erreurs, des omissions et des contradictions qui fourmillent dans les écrits des divers économistes. Il suffit d'avoir parcouru les ouvrages, d'ailleurs si remarquables, de MM. Say, de Tracy, Ganilh, Massias et de Sismondi, sans parler des économistes étrangers pour se convaincre qu'il n'y a que peu de points, dans la science de la richesse, sur lesquels tous ces auteurs se trouvent d'accord, et pour en conclure que l'économie politique, loin d'être arrivée à son dernier progrès, en est encore à ses premiers essais, et que si l'on peut trouver, dans les divers ouvrages qui lui ont été. consacrés, un grand nombre d'opinions saines et beaucoup de détails ingénieux et exacts, il serait au moins très difficile à qui que ce soit d'en extraire quelque chose qui ressemblât à un corps de doctrine bien solide et bien déterminé, ou, en un mot, à une véritable science.
La chose étant, ou me paraissant être telle que je viens de le dire, il me fut par conséquent impossible à moi-même de trouver dans l'économie politique, telle qu'elle est enseignée de nos jours, une confirmation ou une réfutation quelconque de mes idées sur la propriété. Force me fut de m'arrêter dans mes recherches morales, et de suspendre toute espèce de jugement, sur la nature du domaine et sur son origine, sur son application et sur les formes dont elle est susceptible, jusqu'à ce que mes propres réflexions m'eussent appris comment les idées que j'avais conçues, à ce sujet, pouvaient s'accorder avec une bonne théorie de la richesse, et comment les principes du droit naturel, tels que je me les figurais, pouvaient s'autoriser et se défendre par des considérations empruntées à un autre, ordre d'idées qu'à celui de la justice. Je laissai donc de côté pour un moment, le système que je m'étais fait sur la propriété, et je m'enfonçai plus sérieusement dans l'étude de l'économie politique, avec la ferme résolution de ne renoncer à ce nouveau travail, qu'après avoir découvert et réparé, autant qu'il serait en mon pouvoir, le vide des systèmes d'économie politique connus et publiés jusqu'à ce jour. Le découragement que j'avais éprouvé, à la première lecture des ouvrages qui traitent de cette science, fit bientôt place à une nouvelle ardeur, et, à moins que je ne me trompe grossièrement, il me semble que je fus assez tôt et assez bien récompensé de mon zèle, par les premiers résultats que j'en obtins.
Et d'abord, ce fut avec la plus vive satisfaction que je reconnus la vérité et la rectitude du sentiment qui m'avait conduit à penser que le droit naturel et l'économie politique avaient un point de contact très réel et très remarquable. La divergence et l'imperfection des principales doctrines économiques n'avaient nullement affaibli dans mon esprit la confiance que j'avais mise dans cette opinion que la théorie de la propriété était étroitement liée à celle de la richesse. Mes études subséquentes me fortifièrent, de plus en plus, dans cette idée, qui, d'une espèce de préjugé qu'elle avait été pour moi, dans le principe, devint, pour ainsi dire et en très peu de temps, un article de foi fondé sur une mûre réflexion. Et, en effet, après avoir examiné quelque temps la nature de la richesse, l'idée de la valeur qui la caractérise, et la source de cette valeur, je restai convaincu, et je le suis encore, que le rapport que j'avais entrevu, dès l'origine de mes investigations entre la théorie de la richesse et celle de la propriété, était fondé sur l'identité même de leur objet. Telle fut la découverte, assez précieuse, ce me semble, qui confirma mes premiers pressentiments, et qui ne me permit plus de séparer l'étude de la propriété de celle de la richesse, mais qui m'obligea, au contraire, à mener de front la question du domaine personnel et les principes de l'économie politique.
Le rapport qui existe entre ces deux espèces de recherches, consiste, comme je le crois, et comme je le dis, dans l'identité même de leur objet, ou dans la similitude absolue des choses sur lesquelles portent l'une et l'autre théorie. Non que je prétende, ce qu'à Dieu ne plaise, que le droit naturel et l'économie politique soient une seule et même science. Je sais que chacune d'elles se fonde sur des considérations diverses, et qu'elles se forment et se développent dans deux sphères excentriques, dans deux ordres d'idées bien distincts et bien délimités, dont l'un a pour objet l'utile, et l'autre le juste. Jamais je ne confondrai l'intérêt avec le devoir, ou le sensible avec le rationnel. Mais ce que je veux dire ici, et ce que j'ai tâché de démontrer, dans le courant de cet ouvrage, c'est que la richesse et la propriété ont leur origine commune dans un même fait qui n'est pas autre, à mon avis, que la limitation de certains biens ou la rareté de certains objets utiles ; c'est que les choses qui ont de la valeur et qui constituent la richesse proprement dite, ou la richesse sociale, comme on l'appelle quelquefois, sont exactement les mêmes choses qui tombent dans la sphère du domaine personnel, et qui deviennent l'objet de la propriété. Or, ce principe étant une fois admis et reconnu, on ne peut plus s'empêcher de déduire, par une conséquence irrésistible, que l'étude de la propriété et celle de la richesse doivent s'éclairer mutuellement, et qu'elles ne peuvent rester isolées l'une de l'autre, sans se condamner à une profonde et éternelle obscurité.
Mais il ne suffit pas de dire que le droit naturel et l'économie politique doivent se prêter un mutuel appui. Il faut encore savoir quelle est, de ces deux sciences, celle qui doit servir de fondement à l'autre, celle qui est antérieure à l'autre, logiquement parlant. Après avoir signalé l'alliance qui existe entre la théorie de la richesse et celle de la propriété, il reste à déterminer dans quel ordre il convient de présenter les principes de ces deux sciences. Les raisons qui doivent nous guider dans ce choix ne peuvent se puiser ailleurs que dans la parfaite connaissance du rapport qui unit les deux théories. Or, je l'ai dit et je le répète, ce qui rapproche la théorie de la richesse de celle de la propriété, c'est précisément la similitude absolue, l'identité essentielle des choses qui leur servent d'objet. Parmi les biens dont l'homme jouit ici-bas, il y en a qui se distinguent des autres par un caractère spécial et particulier qui est celui de la limitation ou de la rareté. Cette limitation dont certains bien se trouvent affectés, produit chez eux un double phénomène : c'est elle qui leur donne de la valeur, et c'est elle aussi qui les rend appropriables. C'est donc à la limitation de certains biens qu'il faut rapporter et l'origine de la richesse et celle de la propriété. Maintenant il reste à savoir quel est, de ces deux caractères, celui qu'on doit décrire le premier. Or il me paraît évident que si nous voulons procéder logiquement, et nous ménager une lumière plus abondante, il faut commencer par décrire le phénomène de la valeur ; car c'est lui qui peut être considéré comme la cause de l'appropriation. Et, en effet, la propriété se fonde, ce me semble, sur l'idée de la richesse. Je m'explique. La valeur seule rend la possession avantageuse, et une possession avantageuse est la seule qui puisse ou qui veuille se légitimer. Qui voudrait être propriétaire, n'était la valeur dont jouit sa propriété, et l'avantage que lui procure cette valeur ? A quoi pourraient servir des lois sur la propriété, si ce n'est à garantir aux propriétaires l'avantage qui résulte pour eux de la valeur des choses qu'ils possèdent ? C'est donc à la valeur à rendre compte de la propriété, à l'expliquer et à la motiver. C'est à l'économie politique qu'il appartient d'éclairer le droit naturel, plutôt qu'il n'appartient au droit naturel d'éclairer l'économie politique. Le phénomène de la valeur est la conséquence la plus immédiate et la plus importante qui ressorte du fait de la limitation. Sans doute l'appropriabilité en ressort tout aussi promptement et d'une manière tout aussi nécessaire ; mais, encore une fois, ce n'est pas dans l'appropriabilité des choses, c'est dans leur valeur que gît, pour chacun de nous, le véritable avantage qui se rencontre dans la possession des biens limités. Telle est la première considération qui me porte à accorder à l'économie politique une priorité logique sur l'étude du droit naturel, ou, pour mieux dire, sur celle de la propriété, qui ne forme qu'une partie du droit naturel.
Une autre observation me confirme dans cette idée : c'est la comparaison du juste et de l'utile. Évidemment l'idée de l'utilité a quelque chose de plus étendu que celle de la justice ; car tout ce qui est utile n'est pas juste, et il n'y a qu'un certain nombre de faits qui soient justes et utiles en même temps. La justice est une exception à l'utilité et., en toutes choses, l'étude de la règle doit précéder celle de l'exception. Ainsi les notions du droit naturel sont subordonnées aux principes de l'économie politique, sinon dans leur essence et dans leur origine, au moins dans leur application et dans leur développement.
On voit, par ce qui précède, combien je m'étais d'abord abusé, et combien on s'abuserait, à mon exemple, en entreprenant de résoudre la question de la propriété, sans avoir la moindre connaissance sur la valeur, sur sa nature et sur son origine, et comment on se condamnerait à une obscurité perpétuelle, tant qu'on voudrait raisonner sur le droit naturel, sans avoir acquis au préalable des idées nettes et précises sur les matières qui font l'objet de l'économie politique. Plus on méditera sur la nature de l'homme et sur sa position ici-bas, plus on aura lieu de se convaincre que la théorie de la justice est la dernière conquête de l'intelligence, la plus belle et la plus haute manifestation de la pensée humaine, et que toute législation, pour être bonne et salutaire, présuppose une multitude de connaissances physiques et mathématiques qui -peuvent bien paraître d'abord complètement étrangères aux idées du droit et du devoir, mais qui n'en sont pas moins indispensables pour nous conduire sûrement à une bonne théorie de la justice. Qu'on se résigne donc à une nécessité contre laquelle il serait inutile et dangereux de se raidir : qu'on ne se lasse point de comparer l'idée d'utilité avec celle de la justice, et de perfectionner les unes par les autres, les notions que l'on peut acquérir sur les divers objets qui intéressent l'humanité.
Si les considérations que je viens d'exposer ne paraissaient pas suffisantes pour établir la rectitude de ce procédé, il serait, je crois, très facile d'en achever la démonstration, en jetant un coup dil sur l'histoire du droit naturel. Je ne crains pas d'être contredit par beaucoup d'hommes réfléchis, en affirmant que si l'on trouve encore tant de lacunes et tant d'imperfections dans les théories du droit naturel, en général, et dans celles de la propriété, en particulier, c'est parce que les publicistes sont restés trop longtemps étrangers aux principes de l'économie politique, et que leur ignorance sur la nature de la richesse et sur son origine, a été un obstacle continuel à ce qu'ils pussent établir une bonne théorie du domaine personnel.
Mais s'il est vrai que les principes du droit naturel doivent s'appuyer sur ceux de l'économie politique, il ne faudrait pas conclure de là (et ce que j'ai déjà dit écarte suffisamment une pareille idée) que les économistes actuels puissent fournir beaucoup de lumière aux publicistes. La répugnance ou l'indifférence que ces derniers ont pu éprouver pour les doctrines économiques, trouverait au besoin sa justification dans l'incohérence de ces doctrines, et dans les nombreuses contradictions échappées à ceux qui les ont établies. En sorte qu'on ne peut admettre que la théorie de la propriété doit se fonder sur la théorie de la richesse, sans ajouter que celle-ci est à refaire, et qu'elle exige une complète réédification.
Il y a donc une belle tâche à remplir pour celui qui saura vouer le même culte au droit naturel et à l'économie politique. C'est d'établir la théorie de la richesse, et d'en déduire ensuite la théorie de la propriété. Tel est aussi le but que je me suis proposé d'atteindre, et que je signale en même temps à l'ambition de ceux qui s'intéressent au succès des sciences morales et politiques. La vue de l'isolement et de la discordance qui ont existé longtemps, et qui existent encore aujourd'hui, entre les publicistes et les économistes, loin de me détourner de mes premières recherches, m'a fait sentir le besoin de les étendre et de les multiplier. La vue plus affligeante encore du peu d'accord qui existe, parmi les économistes, loin de me faire renoncer à mes idées sur la propriété, m'a inspiré, au contraire, le désir de les vérifier, à quelque prix que ce fût. Si les longueurs que j'ai éprouvées, et auxquelles je me suis soumis volontairement, m'ont retardé dans la recherche de la vérité, relativement au système de la propriété, elles ne m'ont pas fait abandonner la question à la solution de laquelle j'avais d'abord consacré tous mes efforts ; mais, par une juste compensation de ma prudence et de ma retenue, elles m'ont offert l'occasion de fortifier et de compléter ma théorie du domaine personnel, par une théorie non moins exacte de la richesse. Ainsi mon point de vue primitif a été agrandi plutôt que changé. Je suis sorti, pour un moment, du droit naturel, afin d'y revenir ensuite plus à-propos, avec plus de force et d'autorité, riche des faits que j'aurais empruntés à l'économie politique, et des lumières dont je lui serais redevable. Sans répudier, en aucune manière, les idées du droit et du devoir, et les principes de la morale et du droit naturel qui s'appliquent à la possession des choses, sans renoncer au système que je m'étais fait à ce sujet, je me suis attaché à trouver d'abord une bonne théorie de la richesse, convaincu, comme je l'étais alors, et comme je le suis encore aujourd'hui, que cette dernière étude doit précéder l'autre et lui servir de fondement. La tâche que je me suis imposée à ce sujet, a été longue et difficile. Il suffira, pour en juger, de vouloir bien penser, d'après ce que j'ai dit, que les ouvrages des économistes, j'entends ceux des plus distingués, ne m'ont, fourni que des documents erronés, des matériaux incomplets, et que j'ai été obligé de refaire complètement, ou à, peu près, la théorie de la valeur, ou la science de la richesse, pour y trouver un fondement solide à la théorie de la propriété. Le travail même dont je parle n'est pas précis& ment terminé, et quoiqu'il soit assez avancé pour m'inspirer quelque confiance dans les résultats que j'en ai obtenus, et dans ceux que je pourrai en obtenir par la suite, je ne puis pas affirmer qu'il contienne déjà toute la matière d'un traité d'économie politique.
J'entreprends aujourd'hui de mettre le publie dans la confidence des premiers pas que j'ai tenté de faire pour sortir des routes battues par les économistes qui m'ont précédé. Le premier point à établir, c'était l'objet même de l'économie politique ; les premiers faits à étudier, c'étaient la nature et l'origine de la richesse. Ces deux questions dominent toutes les autres, et tant qu'elles ne seront pas résolues d'une manière satisfaisante, il n'y aura, ni pour l'économie politique, ni pour le droit naturel, aucune chance de progrès. L'essai que je publie en ce moment doit donc être considéré comme le fondement d'un édifice qui contiendra, dans son enceinte, une théorie complète de la richesse, de la valeur qui la caractérise et des idées qui s'y rapportent, et, ce qui n'est ni moins précieux ni moins urgent, une théorie également complète, et parallèle à la première, de la propriété ou du domaine personnel. A ce titre, on ne voudra pas, je crois, en nier l'importance ; et si le sujet paraissait trop grave, et le fardeau trop pesant pour moi, je répondrais à mes lecteurs que les questions que je viens de leur signaler, et dont j'ai entrepris la solution, sont devenues l'affairé capitale de ma vie morale et intellectuelle, le but le plus ardemment poursuivi de mon ambition philosophique, et que mon âge, si par hasard on y fait attention, peut, à tout prendre, être considéré comme une garantie- de ma franchise et de ma bonne foi. Quant à la détermination que je prends aujourd'hui, en séparant cette partie de mon travail de tout ce qui la suit et la complète, dans mon esprit, elle offrira, je l'espère, une preuve assez convaincante de ma circonspection et de ma déférence pour le publie ; car si je présente isolément les idées qui forment et constituent mon point de départ, dans la carrière que je me suis tracée, on comprendra facilement que je cède au besoin de voir ces idées fortifiées par l'approbation des savants. Quelque confiance que je puisse avoir placée dans les principes que j'ai analysés avec beaucoup de soin et de patience, je n'ignore pas que tous les hommes ont plus d'esprit qu'un seul, et que si la vérité se révèle et se manifeste nécessairement et primitivement dans une intelligence individuelle, ce n'est que par l'assentiment universel qu'elle peut prétendre à acquérir le caractère de la certitude. Je ne serai sûr de moi-même, je n'ajouterai foi pleine et entière à ma doctrine qu'autant qu'elle n'aura éprouvé aucune contradiction raisonnable de la part de ceux qui sont mes juges naturels dans ces matières ; et en attendant le résultat de ma démarche, à ce sujet, je bornerai à ce volume la publication de mes, travaux sur l'économie politique et le droit naturel ; car il ne pourrait y avoir, de ma part, qu'une témérité aussi périlleuse que déplacée à multiplier des volumes dont toute la force consisterait dans des principes incertains. C'est parce que j'ai le désir de bâtir sur un fondement inébranlable, que je soumets mes premières tentatives à l'épreuve d'une discussion publique, et d'une critique éclairée et consciencieuse. Jusqu'à ce qu'il me soit permis de juger du succès de cet ouvrage, et de pressentir, d'après ce succès même, le sort qui est destiné aux doctrines que j'en ai déduites, je regarderai comme une obligation pour moi de suspendre, sinon des recherches auxquelles je me livreavec beaucoup d'ardeur, au moins une publication qui satisferait en vain mon amour-propre, si elle n'était d'aucune utilité pour le publie. Et ne serait-elle pas évidemment dans ce dernier cas, si elle ne faisait qu'ajouter quelques rêveries de plus à toutes celles dont le monde philosophique est impitoyablement inondé ?
Telles sont les réflexions préliminaires que j'ai cru devoir présenter à ceux qui voudront bien me lire, pour leur faire comprendre le caractère et la tendance de cet ouvrage, et pour leur expliquer d'avance, autant que je le puis, l'intervention fréquente des idées relatives à la propriété dans une théorie de la richesse. Peut-être les économistes de profession ne seront-ils pas complètement rassurés, en apprenant cette espèce de confusion. Mais j'ai déjà annoncé qu'il y avait pour moi le plus étroit rapport entre la théorie de la richesse et celle de la propriété. Tant qu'on ne m'aura pas prouvé que je me fais illusion à ce sujet, on ne pourra pas me reprocher avec justice la marche que j'ai adoptée. Ceux qui seraient tentés, en ce moment, de me faire quelques objections sur la nature de la voie par laquelle j'ai été conduit à l'étude de la richesse, ne voudront peut-être pas les renouveler, lorsqu'ils auront pris connaissance de cet ouvrage. Je les conjure en conséquence de suspendre leur jugement, jusqu'à ce qu'ils en aient lu le quatrième chapitre. C'est là que j'ai essayé de prouver que la propriété et la richesse portent précisément sur les mêmes objets ; et quoique j'aie fait tous mes efforts pour distinguer le juste de l'utile, et pour ne pas confondre la morale avec les mathématiques, je crois en avoir dit assez, dans tout le cours de ce volume, pour démontrer que l'étude du droit naturel et de l'économie politique peuvent et doivent marcher ensemble, pour le plus grand avantage de l'une et de l'autre science, et que la théorie de la valeur est une introduction nécessaire à celle de la propriété. Ce qu'il y a de certain, c'est que je n'aurais pas interrompu, pendant plusieurs années, mes études morales, et mes recherches philosophiques sur le domaine personnel, et que je n'aurais pas lu et médité tous les ouvrages d'économie politique que j'ai cru pouvoir consulter avec fruit, si je n'avais acquis la conviction que ma manière de procéder, à ce sujet, était la seule bonne et avantageuse. Puisse le public en juger de même.
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 27 mars 2003 15:51 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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Jean-Marie Tremblay, fondateur des Classiques des sciences sociales