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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Rudiments. 4. Morale et usages (1905)
Extrait. Les trois préceptes


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Léon WIEGER S.J. (1856-1933), Rudiments. Morale et usages. Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai. Deuxième édition, 1905, 548 pages. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extrait

LES TROIS PRÉCEPTES

Les anciens disaient, ne pas détruire une seule lettre, c’est le chemin de la considération ; ne pas gâter un grain de riz, c’est la racine de la richesse ; sauver une vie, si petite soit-elle, c’est un brevet de longue vie. Si vous enseignez cette doctrine aux enfants, et faites en sorte qu’ils en conservent soigneusement la mémoire et ne l’oublient pas de toute leur vie, ce sera pour eux un grand bonheur. Je vais donc vous entretenir de ces trois sujets si importants.

Le premier est, comme nous venons de le dire, le respect que l’on doit avoir pour le papier couvert d’écriture. N’importe où vous en aurez vu un morceau, il faut le ramasser, le brûler aussitôt, ou le conserver dans un panier. Chaque école à un meuble à cet usage ; sur les murs des villes sont fixés des tonnelets appelés king-tcheu-teou. Quiconque a ramassé un millier de caractères, a allongé sa vie d’un an. Un vieux proverbe dit : Ramasser une feuille de lettres, c’est mieux que de brûler un paquet d’encens.

Si vous voulez arriver à connaître les lettres, il faut commencer par leur porter respect.

Après avoir amassé une quantité notable de papier couvert d’écriture, et l’avoir réduit en cendres, il faut porter ces cendres à la rivière, ou bien creuser une fosse et les y enterrer.

Si on aperçoit quelque écrit dans la fosse d’aisances, il ne faut pas, parce qu’il est souillé, omettre de le ramasser, mais il faut le laver proprement, puis le sécher et le brûler.

Si vous traitez l’écriture avec irrévérence, vous aurez beau aller à l’école et étudier, vous ne serez jamais qu’un sot.

Il ne faut pas non plus permettre aux femmes de se servir d’un livre comme étui de leurs patrons de couture ; c’est là chose qui porte malheur. Continuellement on voit des accouchements laborieux ; cela vient d’avoir abusé des livres pour y serrer des patrons ; remplacez vite le livre par un autre objet sans lettres, et la femme sera sauvée. Chacun a des filles et des brus. Il faut leur apprendre cela.

Il ne faut pas non plus se servir d’écrits pour essuyer ceci et frotter cela ; ou bien pour coller les fenêtres, pour faire du carton ; car tout cela est mal.

En résumé, il ne faut pas feuilleter un livre avec des mains malpropres. Il ne faut pas jeter un écrit dans un endroit malpropre. Il ne faut pas, de dépit, déchirer un feuillet couvert d’écriture. Il ne faut pas se servir d’écrits pour faire une couverture à un livre. Il ne faut pas éparpiller des bouts de papier couverts de caractères. Il ne faut pas laisser gisant un feuillet de lettres. Il ne faut pas couper le papier couvert de lettres, avec des ciseaux ou avec un couteau ; si on le fait, on renaîtra muet. Il n’est pas licite de se servir d’écrits pour tapisser les huches à grain. Il ne faut pas les mâcher puis les cracher par terre. Il ne faut pas écrire sur du papier fait de paille. Il ne faut pas mettre près d’un livre des objets malpropres. Il ne faut pas, quand on a brûlé des écritures, en jeter les cendres à terre, il ne faut pas écrire de mauvaises paroles. Il ne faut pas frotter des écrits sur le mur pour en faire une boule. Il ne faut pas essuyer la table avec du papier écrit, ni jeter un cahier à terre, ni se faire un oreiller avec des livres, ni envelopper des objets dans du papier écrit, ni s’en servir pour allumer sa pipe. Il ne faut pas écrire des lettres sur la terre ou sur les murs. Quand on marque la ponctuation dans un livre, il ne faut pas le barbouiller à tort et à travers. Voilà la première chose importante.

La deuxième c’est de ne pas abuser du grain. Songez que les céréales sont le trésor qui entretient la vie des hommes ; que le ciel leur a donné naissance pour que les hommes s’en nourrissent, et non pas pour qu’ils en abusent. Il faut en considérer les grains comme autant de perles, et, quand on en aperçoit un par terre, le ramasser aussitôt. Il faut aussi faire, en présence du génie de l’âtre, le vœu de ne jamais abuser du grain. Je vais vous expliquer la matière de ce vœu. Il faut battre jusqu’à ce qu’il ne reste absolument plus de grains dans l’épi. Quand la moisson est encore dans le champ, il faut la botteler avec des liens en paille de sorgho, pour éviter qu’on ne la foule aux pieds. Il faut balayer avec soin les grains épars autour de l’étable des bêtes de trait et du parc aux cochons. Si, parmi les grains écorcés, il y en a qui ne le soient pas, il faut les trier à la main. Si, dans la balle, il reste des grains, il faut les retirer en vannant. Chaque année, après la moisson, il faut balayer les grains épars dans le champ. Si, dans l’eau qui a servi à laver le riz, il reste des grains, il faut les retirer. Il faut ramasser chaque grain tombé par terre. Il ne faut pas se servir de bouillie pour coller, mais bien de salep. Il ne faut pas se servir d’empois de farine pour empeser les habits, mais encore de salep.

Que si vous ne cessez de faire peu de cas et d’abuser du grain, le ciel vous aura en haine, et vous serez tué par la foudre.

Le troisième point capital, comme nous avons dit plus haut, c’est de ne pas tuer d’êtres vivants. Les anciens ont dit : si tu veux vivre longtemps, il faut donner la liberté à des animaux vivants. Aimer les êtres vivants, c’est s’aimer soi-même. Si tu les sauves de la mort, le ciel te sauvera dans le malheur. Méditez avec soin ce quatrain.

Et cependant on voit tous les jours les enfants dénicher les moineaux, prendre les abeilles, attraper les mantes, piquer les grenouilles, prendre des sauterelles ou des papillons ; tout cela ce sont des tueries, que les parents doivent empêcher, de peur que les enfants en ayant pris l’habitude, n’aient pas, devenus grands, le respect voulu pour les êtres vivants. Il est dit dans les livres : En marchant, prends garde aux fourmis !... Voyez, les fourmis sont des êtres extrêmement petits, et cependant il n’est pas permis de leur nuire ; a fortiori n’est-il pas permis de nuire à ceux qui sont plus grands... Je vous le dis, tâchez que vos enfants gardent quelque chose de leur bonté native ; quand ils verront des moules hors de l’eau, qu’ils les y rejettent ; quand ils verront des marchands de poisson vivant, qu’ils les leur achètent et les remettent dans la rivière ; tout cela ne coûte guère d’argent, et chacun peut le faire. A Sou-tcheou il y avait un certain Han qui aimait à donner la liberté à des êtres vivants ; chaque jour il prenait un balai et allait se promener sur le bord de la rivière ; voyait-il des animaux aquatiques sortis de l’eau, vite il les y rejetait ; aussi ses descendants obtinrent-ils tous des grades. Un autre, nommé P’eng, qui sauvait aussi tous les êtres qu’il voyait en danger de périr, passa premier à la licence. Vous voyez, par ces exemples, combien grande est la récompense de ceux qui délivrent des vivants. Alors pourquoi, pour manger une bouchée, n’avez-vous pas égard à la vie de tant d’êtres ?!

J’ai encore d’autres bonnes choses à vous dire. Tous les hommes ont été engendrés pat leurs parents. Il faut enseigner aux enfants, qu’il ne leur est pas permis de les maudire. C’est là une des pires coutumes des villageois. Si l’enfant prend l’habitude de maudire étant petit, quand il aura grandi, il ne pourra plus s’en défaire. Le nombre de ceux que cet abus a rendu malheureux n’est pas petit. Il faut donc s’y prendre à temps pour leur apprendre qu’il ne faut parler que proprement, et ne pas semer ses discours de paroles ordurières.

Il faut aussi leur apprendre à vénérer le ciel et la terre, les koèi et les chênn. Que, pour leurs grands ou leurs petits besoins, ils se détournent du soleil et de la lune ; il ne faut pas non plus qu’ils les fassent en pleine route, car si quelque chênn ou quelque génie passait, cela l’offenserait et il y aurait péché. Et puis, quand on bâtit des lieux d’aisances, il faut les couvrir d’un toit et ne pas les laisser à ciel ouvert, de peur que le chênn du ciel ne s’en offense. Les anciens ont dit : Avoir brûlé pendant mille jours des parfums de première qualité, est moins méritoire qu’avoir pendant un seul jour couvert une fosse d’aisances... Alors pourquoi les hommes lésinent-ils sur ce point ?

Et puis encore. Qu’à la chaude saison, les gens dorment tout nus dans leur cour ou dans la rue, cela n’est pas seulement vilain, c’est encore offenser les chênn, et il y a certainement péché. Sous les rayons du soleil ou de la lune, à la lueur de la lampe, en présence du Génie de l’âtre, il faut éviter de se mettre à nu. La nuit si, pour une nécessité, on est contraint de se lever, il faut jeter sur soi quelque vêtement, et passer son pantalon, avant de descendre du k’ang. Tout cela, pour marquer son respect au ciel, à la terre, aux koèi et aux chênn.

Souiller l’eau, faire ses besoins grands ou petits dans la rivière, est mal aussi ; ne tombez pas dans ce défaut.

Le premier et le quinze de chaque mois, le jour anniversaire de la mort de vos parents, brûlez des parfums. Sinon, vous serez puni dans votre vieillesse.

Retour au livre de l'auteur: Léon Wieger (1856-1933) Dernière mise à jour de cette page le mercredi 25 avril 2007 16:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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