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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Léon WIEGER S.J. (1856-1933), Textes historiques, Histoire politique de la Chine, tome I, pages 480-1068. Imprimerie de Hien-hien, troisième édition, 1929. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. Extraits [Les dénombrements] Citons, à cette occasion, les dénombrements antérieurs sérieux. An 684 avant J.-C... 11.841.923 âmes, les fonctionnaires, officiers, employés, vieillards, valétudinaires, n’étant pas comptés. Premier recensement bien fait. An 2 après J.-C... 59.594.978 âmes. Recensement détaillé et soigné, par principautés et préfectures. An 57, après les guerres préparatoires aux Heóu‑Han... 21.007.820 âmes. La moitié de la population a donc disparu. An 75... 34.125.021 âmes. An 88... 43.356.367 âmes. An 105... 53.256.229 âmes. An 125... 48.690.789 âmes. An 140... 49.150.000 âmes. An 144... 49.730.550 âmes. An 145… 49.524.183 âmes. An 146… 47.566.772 âmes. An 156... 50.060.000 âmes. An 280, après les guerres des Trois Royaumes... 13.863.863, enfants et vieillards non comptés. Les trois cinquièmes de la population ont donc péri.
[Les dix mille femmes. Le jour du nouvel an] An 281. L’empereur ayant détruit Oû et unifié l’empire, se plongea dans la débauche, et négligea le soin du gouvernement. Il en vint à avoir près de dix mille femmes dans son harem. Il se promenait dans ses parcs, dans une voiture trainée par des moutons, laissant aller cet attelage à l’aventure, s’arrêtant où il lui plaisait. Les dames du sérail se construisaient des cabanes en feuillage, et cherchaient à attirer les moutons, et avec eux l’empereur, au moyen du sel, dont les moutons sont friands... Cependant le gouvernement était aux mains de Yâng-tsounn père de l’impératrice, et de ses deux frères Yâng-yao et Yâng-tsi. Ces trois Yâng, comme le peuple les appelait, se permettaient toutes les insolences. Les officiers qui avaient fait la fortune de Sēu-ma yen, se retiraient, ou étaient écartés. Souvent repris de ses désordres, l’empereur n’eut jamais l’énergie d’y renoncer. En 282, le jour du nouvel an, il fit, dans la banlieue du sud, le grand sacrifice au Ciel. Après la cérémonie, tandis qu’il se reposait, il demanda à Liôu-i : Quel est le souverain de la dynastie Hán, auquel je ressemble le plus ?.. Vous ressemblez, dit Liôu-i, aux empereurs Hoân et Lîng (de mauvaise mémoire)... Bah ! fit l’empereur... Sans doute, dit Liôu-i. Vous vendez les charges comme eux ; voilà la ressemblance. Eux en versaient le prix dans le trésor, vous le mettez en poche, voilà la dissemblance... L’empereur éclata de rire. Il y a encore une autre dissemblance, dit-il ; ils n’avaient personne qui leur parlât comme vous venez de faire ; le fait que je vous possède, me met au-dessus d’eux.
[La bête féroce, les pommes, le son et l’araignée] Les biographies conservées dans les livres 43 et 49 de l’histoire des Tsínn fourmillent d’anecdotes. Tout enfant, Wâng-joung devint célèbre par son sang-froid imperturbable et sa sagacité, Étant un jour allé voir une bête féroce qu’on exhibait dans une cage, celle-ci se précipita avec furie contre les barreaux. Tout le monde s’enfuit, craignant de les voir céder à son effort. Seul Wâng-joung, qui avait alors six ans, ne bougea pas… Un autre jour, les enfants qui jouaient avec lui, s’étant mis en campagne pour dévaliser un prunier chargé de fruits qui se dressait au bord d’un chemin, il ne les aida pas. Eux lui ayant demandé pourquoi.. Pour qu’un prunier, planté au bord d’un chemin, ait conservé ses fruits, dit-il, il faut que ces fruits soient immangeables, alors pourquoi me dérangerais-je ?.. Son fils, à peine adolescent, devint très gras. Wâng-joung imagina de le guérir de cette obésité précoce, en le nourrissant exclusivement avec du son. Le jeune homme maigrit, tant et si bien, qu’il mourut à l’âge de 19 ans. Yáo-koang, le préfet de la capitale, recevait régulièrement chez lui une bande de buveurs de sa nuance. Un jour l’un d’eux manqua à l’appel. Yáo-koang prit des informations, et apprit que, la fois précédente, notre homme avait aperçu une araignée dans sa coupe ; que, n’osant jeter le vin, il l’avait avalée, et qu’il en était tombé malade. Quand il fut guéri, Yáo-koang fit si bien, qu’il le contraignit de revenir. Même phénomène, il vit encore une araignée dans sa coupe. Yáo-koang lui démontra, que c’était un sujet peint au plafond, qui se mirait dans son vin, et que sa maladie était un cas d’auto-suggestion, comme on dit de nos jours.
[Le sage roi et le sot prince] Quand Liôu-yao fut devenu roi de Tcháo, il fit reine la dame Yâng, jadis femme de l’empereur Hoâi des Tsínn, qu’il avait enlevée au sac de Láo-yang en 311, et épousée. Il lui demanda un jour : Comment me trouvez-vous, en comparaison de votre ancien époux ? Quelle comparaison pourrais-je faire, dit-elle, entre le sage roi d’un État prospère, et le sot prince d’un empire décadent ? Quand vous m’avez prise, je désirais mourir, car je croyais alors que tous les hommes ressemblaient à mon mari. C’est seulement depuis que vous m’avez épousée, que je sais ce que c’est qu’un héros... Flatté de cette réponse habile, Liôu-yao donna à la reine toute sa confiance, et la consulta, depuis lors, sur toutes les affaires de l’État.
[Le rebelle et le devin] En 324, le rebelle Wâng-tounn marcha de Où-tch’ang sur Kién-k’ang. Avant de partir, il consulta le devin Koūo-p’ou, sur l’issue de son expédition... Elle ne réussira pas, dit le devin... Le soupçonnant d’être pour les Tsínn, Wâng-tounn lui demanda encore : Combien de temps me reste-t-il à vivre ?.. Peu de jours, si vous avancez ; beaucoup de jours, si vous reculez, dit le devin... Confirmé dans ses soupçons : Et vous, combien de temps vous reste-t-il à vivre ? demanda Wâng-tounn... Moi, dit le devin, je mourrai aujourd’hui avant midi !.. En cela, du moins, tu as deviné juste, dit Wâng-tounn ; et il le fit décapiter.
[Le parangon des mandarins] Ici l’histoire nous fait faire connaissance avec T’âo-k’an, personnage qui jouera un rôle important durant le règne suivant. Il était gouverneur du Kīng-tcheou (du Hôu-nan actuel, approximativement). Le peuple l’aimait beaucoup, car il était intelligent et bon, diligent et exact, expédiant les affaires au fur et à mesure qu’elles se présentaient. Il disait à qui voulait l’entendre : C’est en ménageant son temps, que Ù le Grand parvint à faire tout ce qu’il fit. Le temps est une chose précieuse. Il ne faut pas le perdre à flâner ou à boire. Quand on n’a rien fait durant sa vie, on est voué à l’oubli après la mort ; ne rien faire, c’est donc se détruire soi-même (en se privant d’offrandes après la mort)... Il faisait rafler et jeter à la rivière, les gobelets à vin des oisifs et leurs instruments de jeu. Si les délinquants étaient d’un rang inférieur, il les faisait de plus fustiger... Il était très hostile au taoïsme ; car, disait-il, tout principe ou procédé qui ne vient pas des anciens Sages, doit être rejeté. Le genre débraillé et vagabond des taoïstes lui déplaisait ; le Sage, disait-il, doit être grave et compassé. Quand on lui offrait des cadeaux, il s’informait de leur provenance. Si le donateur les avait produits par son travail, quelque insignifiant que fût l’objet, il l’acceptait avec plaisir et le compensait avec usure ; sinon, il le refusait avec mépris... Dans les manuels scolaires modernes, T’âo-k’an est souvent cité comme le parangon des mandarins.
[L’empereur Tch’êng] L’enfant était précoce. Son oncle Ù-leang, se croyant tout permis, fit mettre à mort Sēu-ma tsoung, un prince du sang, sans en avertir l’empereur. A la cour plénière suivante, le petit empereur demanda : Où est le Duc aux cheveux blancs !... Je l’ai fait mettre à mort, dit Ù-leang, parce qu’il voulait se révolter... L’empereur pleura, puis dit : Je vous en ferai autant, le jour où l’on me dira que vous tramez quelque chose... Ù-leang pâlit et devint plus circonspect.
[La veuve de Pién-hou] Chargé de supporter le premier choc, Pién-hou fut battu, se replia, et chercha à défendre les abords de la place, Sōu-tsounn incendia son camp. Dans la bagarre qui s’ensuivit, quoique souffrant d’un anthrax, Pién-hou combattit et se fit bravement tuer. Alors ses deux fils, qui servaient sous ses ordres, se jetèrent sur les rangs ennemis, et se firent tuer comme leur père. On rapporta les trois cadavres à la veuve de Pién-hou. Elle les caressa, et dit en pleurant : Le père est mort en officier fidèle, et les enfants en fils pieux ; pourquoi me plaindrais-je ?
[La pyramide en bois] En 336, Chêu-hou fit ajouter à son palais de Íe, des dépendances magnifiques. Murs revêtus de pierre sculptée, tuiles saturées de vernis pour les rendre imperméables, clochettes d’or en guirlande le long des toits, colonnes recouvertes de lames d’argent, perles et jade partout ; le dernier mot de l’art et de la profusion. Chêu-hou enferma dans ces bâtiments, pour son service, plus de dix mille filles choisies, auxquelles on enseigna l’art de la divination par les étoiles et les émanations, le tir à pied et à cheval, etc. L’élite de ces amazones, au nombre de mille, formaient la garde personnelle du roi hun. Coiffées de bonnets violets, habillées d’un uniforme de soie et brocart, elles l’accompagnaient à cheval, en armes, dans ses sorties ; tenaient l’éventail, durant les séances de la cour ; faisaient de la musique, durant les banquets... Le Ciel s’irrita de ces inconvenances. Une grande sécheresse désola le pays. Le grain finit par coûter une livre de métal, les deux boisseaux. Le peuple murmura. Chêu-hou n’en continua pas moins ses folles dépenses, pour son armée et pour sa cour. Il fit transporter à Íe les cloches du Premier Empereur des Ts’înn, les monstres de l’empereur Où des Hán, et les géants de Wéi, bronzes gigantesques, qui ornaient et gardaient (idée superstitieuse) le palais de Láo-yang... Droit au sud de Íe, il fit construire sur les rives et dans le lit du Fleuve Jaune, des culées en pierre, qui devaient servir d’appuis à un pont suspendu. Les frais de cette dernière p.943 entreprise seule, s’élevèrent à plusieurs milliers de milliards de pièces de monnaie, lesquelles furent jetées à l’eau, car le travail resta inachevé. En 337, le goût de Chêu-hou pour les fêtes, fut cause d’une catastrophe. Un certain Toán avait imaginé une sorte de pyramide en bois à étages superposés, haute d’une centaine de pieds, terminée par une vasque, pleine d’huile, gigantesque fanal. Les princes et personnages de la cour, juchés sur les plateaux des étages, formaient une pyramide humaine qui semblait porter le fanal. Ce spectacle ravissait Chêu-hou. Un jour, la pyramide qui portait plus de cinq cents personnes, oscilla, et l’huile brûlante de la vasque se répandit sur elles. Plus de vingt périrent. Chêu-hou fit couper en deux, par le milieu du corps, l’auteur de la branlante merveille. Chêu-hou était ivrogne et débauché. Son héritier présomptif Chêu-soei était anthropophage. De temps en temps, il faisait couper la tête à quelqu’une des filles de son harem, la faisait rôtir et la servait à ses convives, tandis que la tête crue passait à la ronde dans un plat, pour prouver qu’on n’avait pas immolé la moins jolie.
Or ce sont ces Huns, ivrognes, débauchés, quelque peu anthropophages, Chêu-lei, Chêu-hou et compagnie, qui donnèrent au buddhisme une situation officielle en Chine, et créèrent le buddhisme chinois. Jusqu’ici, depuis l’empereur Mîng, c’est-à-dire depuis 270 ans, c’est à peine si nous avons eu à citer, en fait de buddhisme, quelques maigres épisodes. C’est que, durant toute cette période, le buddhisme prêché uniquement et exclusivement par des moines indiens, n’avait guère pénétré dans le peuple. C’était une curiosité réservée à certains dilettanti, plutôt qu’une secte ayant ses adeptes. Les choses vont changer de face. Les moines indiens vont former des bonzes chinois, et ces bonzes chinois vont faire des buddhistes chinois…
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