Depuis que les gouvernements provincial et fédéral ont annoncé qu'ils allaient entériner le protocole de l'Approche commune, une clameur populaire inhabituelle et bien tardive ébranle la proverbiale quiétude du Saguenay. Les gens demandent un roi, un sauveur, qui viendra changer le cours de l'histoire qui s'écrit dans le plus grand mépris de la volonté populaire de cette région, notre «pays». Malgré tous les efforts qui ont été déployés, depuis le 14 juillet 2000, par quelques-uns d'entre-nous pour éveiller les consciences endormies et faire enrayer cette négociation qui signe l'acte de décès de notre collectivité, rien n'a pu faire dévier de sa trajectoire le rouleau compresseur stalinien chargé de nous casser les reins avant de nous faire prendre notre trou.
Le fait est que, pour une raison et pour une autre qu'on se garde bien de nous révéler, nos deux Parlements se sont entendus comme jamais auparavant, malgré les refus exprimés, pour transférer les titres de propriété du territoire à trois ou quatre chefs de bandes qui, malgré toutes les maladresses dont ils ont fait preuve dans leurs sorties en publie, ont réussi à avoir gain de cause d'un bout à l'autre du processus de cette mascarade.
[Photo : ENTENTE - «Le fait est que, pour une raison et pour une autre qu'on se garde bien de nu révéler, nos deux parlements se sont entendus comme jamais auparavant.»]
Tous sur la même longueur d'ondes
Même les oppositions officielles et les tiers-partis, sur cette question de droits fondamentaux, ont parlé à l'unisson et se sont appliqués à ravir au peuple sa voix. Et ceux qui ont exprimé un avis contraire, comme M. Lebel et Mme Venne, ont dû quitter les rangs de leur Parti, le Bloc québécois, pour ne pas avoir voulu participer à cette trahison nationale.
Jamais, dans toute l'histoire de ce pays, aura-t-on vu une telleunanimité parlementaire pour dépouiller une collectivité de ses derniers attributs et de son territoire, après lui avoir ravi ses ressources naturelles et ses enfants, jamais n'aura-t-on vu une telle médiocrité, une telle duplicité de la presse écrite et de la télévision nationales et régionales, eu égard aux tenants des pouvoirs tant politiques qu'économiques. De sorte que si le Canada et le Québec ont déjà été des modèles de démocratie, ce qui reste à prouver dans les faits, ils en sont aujourd'hui, l'un et l'autre, le tombeau et le fossoyeur.
Aidés par notre propre députation, sans exception aucune, ils sont en train de réaliser ce que la Conquête anglaise n'avait su accomplir en deux siècles et démi. Les Wolfe, les Craig, les Colborne, les Durham, ont fait des petits dans nos propres rangs, et ils les ont placés à la tête de nos institutions pour accomplir ce qu'ils savaient ne pouvoir accomplir, seuls; en nommer dix, vingt, trente, serait en épargner cent autres qui ne méritent pas le linceul de l'oubli.
Étranger dans son pays
Cela dit et cela étant, les médias, les politiques et les hauts fonctionnaires de ce pays ne sont pas seuls à porter ce blâme. J'ai beau creuser, fouiller, questionner l'histoire, je n'ai pu trouver aucune situation où il est question d'un peuple qui accepte aussi bonassement de se faire qualifier d'étrangers («allochtones») dans le «pays» où il est né, où il a grandi et fait famille, et où il entend mourir.
Sauf chez les peuples nés dans l'esclavage, je ne connais aucune expérience d'un peuple qui a permis à son gouvernement, à ses propres représentants territoriaux élus, de le dépouiller de son territoire; de l'asservir envers une collectivité privilégiée parce qu'on la range à un niveau supérieur pour la qualité de son sang; de l'assujettir envers un troisième palier de gouvernement en transgressant les règles établies dans sa propre Constitution (voir l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982).
La signature de ce document, qui est devenu un fait accompli le 31 mars, est le moment le plus sombre de l'histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le plus triste de ma vie. Être nié d'existence par l'autorité suprême et à l'encontre de la Loi dont elle est la gardienne, m'est plus atroce à souffrir que le fait d'avoir été conquis, soumis, bafoué, humilié, dépouillé par des forces étrangères.
On me demande d'un ton pressant: est-il possible d'arrêter le cours des événements auxquels nous sommes radicalement soumis par des Parlements totalitaires? À cela je ne puis répondre que par d'autres questions: quelle est notre capacité à nous réunir pour contrer une menace commune qui est le fait de la trahison d'un État confédéral, d'un État provincial et de nos députés? Quelle est notre capacité à faire naître une liberté de presse, qui n'existe pas chez nous? Quelle est notre capacité à réveiller les intellectuels, les politiciens, les chefs syndicaux, et les leaders de toutes qualités, et à les amener à mettre de côté leurs intérêts individuels ou corporatistes pour refouler un ennemi commun aux portes de la Cité? Quelle est notre capacité à quitter le confort de l'ignorance et de l'indifférence pour ressusciter le corps social que nous avons laissé Mourir au point où une collectivité reconstituée de quelque 8 000 individus éparpillés à travers notre «pays», a pu s'assurer l'adhésion de tous les gouvernements supérieurs et de toutes les factions politiques qui y grouillent, de faire rentrer dans le rang toutes les institutions, pour ravir, à quelque 380 000 citoyens, leur territoire, la base même de leur existence?
La réponse à ces questions qui nous hantent ne relève que de, Nous; que de notre volonté à refuser l'injustice élevée. au rang de vertu d'État; que de notre détermination à remettre en vie cette société tétanisée par une succession de gouvernements qui, depuis 1970, l'ont acculée au rôle de colonie intérieure. Et si nous n'avons plus cette capacité collective, il reste à chacun de nous, avec tout ce que cela implique comme conséquences, à ne pas être complices de ce crime de haute trahison, à assumer individuellement nos propres refus.
Il nous reste à protéger chacun de nos acquis, chacun de nos biens, à l'encontre d'un système qui ne fonctionne pas en notre faveur. Il nous reste à refouler hors les murs de nos propriétés privées, celui à qui on a donné le droit de l'envahir, de nous voler, de nous mépriser. Car sans reconnaissance collective devant celle de l'autre, nous n'avons plus aucun droit collectif devant ceux de l'autre ; et sans droits collectifs, nous sommes à la merci de la collectivité à qui ont les a reconnus, à la merci de ceux et celles qui la couvent, la protègent, la gavent pour leur seul profit et à notre détriment...
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi samedi 26 avril 200817:47 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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