- Table des matières de l’extrait
- I. La certitude sensible ou le ceci et le point de vue intime
- II. La perception ou la chose et l'illusion.
- III. Force et entendement. Phénomène et monde suprasensible.
I. LA CERTITUDE SENSIBLE
OU LE CECI ET
LE POINT DE VUE INTIME [1]
Le savoir qui est d'abord, ou qui est immédiatement notre objet ne peut être autre que celui qui est lui-même savoir immédiat, savoir de l’immédiat ou de ce qui est. Et nous devons nous comporter de façon tout aussi immédiate et réceptive, ne rien changer donc à ce savoir, tel qu'il se présente à nous, et maintenir le concevoir [2] à l'écart de l'appréhension [3] des choses.
Le contenu concret de la certitude sensible la fait immédiatement apparaître comme la connaissance la plus riche, voire comme une connaissance d'une richesse infinie à laquelle nous ne saurions trouver de limite, aussi bien lorsque nous partons à sa découverte à l'extérieur, dans l'espace et dans le temps, comme ce en quoi cette richesse se déploie, que lorsque nous nous emparons d'un morceau de cette plénitude et pénétrons à l'intérieur de lui en le divisant. Elle apparaît en outre comme la plus véritable, car elle n'a encore rien abandonné de l'objet, elle l'a devant elle dans son intégralité. Or cette certitude, en fait, se donne elle-même |23| [4] pour la vérité la plus abstraite et la plus pauvre. Elle ne dit de ce qu'elle sait que ceci : c'est ; et sa vérité contient uniquement l'être de la chose [5] ; la conscience, de son côté, n'est dans cette certitude que comme pur Je, ou encore, Je n'y suis que pur celui-ci, et l'objet, pareillement, n'y est que comme pur ceci. Je, ce Je-ci, ne suis pas certain de cette chose parce que Je me suis développé en la circonstance comme conscience et y ai agité multiplement la pensée. Ni non plus parce que la chose dont je suis certain serait, en fonction d'une grande quantité de caractéristiques diverses, un riche ensemble de relations chez elle-même, ou un rapport multiple à d'autres. Ces deux raisons ne concernent en rien la certitude sensible ; ni Je ni la chose n'y ont la signification d'une médiation [6] multiple et variée ; Je n'y ai pas la signification d'une activité multiple de représentation et de pensée, et la chose n'y a pas celle d'une multiplicité de caractéristiques ; mais, simplement, la chose est ; et elle est uniquement parce qu'elle est ; elle est, c'est là l'essentiel pour le savoir sensible, et c'est ce pur être ou cette immédiateté simple qui constitue sa vérité. Et c'est précisément aussi de cette façon que la certitude, en tant que relation [7], est une relation pure immédiate ; la conscience est Je, rien d'autre, un pur celui-ci ; l'individualité singulière [8] sait un pur ceci, ou encore : elle sait l'entité singulière [9].
Toutefois, si nous y regardons de plus près, il se joue conjointement [10] dans l'être pur qui constitue l'essence de cette certitude, et qu'elle énonce comme sa vérité à elle, |24| un grand nombre d'autres choses encore. Une certitude sensible effective n'est pas seulement cette immédiateté pure, mais aussi un exemple de celle-ci. Parmi les innombrables différences qui se présentent là, nous retrouvons partout cette différenciation principale [11] qui veut que de l'être pur ces deux démonstratifs, ces deux ce... se disjoignent et retombent tout aussitôt chacun de leur côté, un celui-ci comme Je, et un ceci comme objet. Si nous réfléchissons sur cette différence, il appert que ni l'un ni l'autre ce... n'est uniquement immédiatement, dans la certitude sensible, mais qu'ils y sont en même temps intermédiés ; j'ai la certitude par l'intermédiaire d'un autre, la chose; et celle-ci est pareillement dans cette certitude par l'intermédiaire d'un autre, savoir, de Je [12].
Ce n'est pas seulement nous qui faisons cette différence entre l'essence et l'exemple, entre l'immédiateté et la médiation : nous la trouvons dans la certitude sensible elle-même. Et c'est dans la forme qu'elle y a, non dans celle que nous venons de déterminer, qu'il faut la prendre. Il y a, d'une part, ce qui est posé en elle comme ce qui tout simplement est immédiatement, ou comme l'essence, l’objet ; mais aussi cette autre chose qui est posée comme l'inessentiel et l'intermédié, qui n'y est pas en soi, mais par un autre, Je, un savoir qui ne sait l'objet que parce qu'il est, et qui peut être, ou tout aussi bien ne pas être. Tandis que l'objet est, le vrai, et l'essence ; il est, indifférent au fait d'être quelque chose qu'on sait ou qu'on ne sait pas ; il demeure quand bien même il n'est pas su; tandis que le savoir |25| n'est pas si l'objet n'est pas.
Il faut donc considérer l'objet en se demandant si il est bien en réalité [13], dans la certitude sensible elle-même, comme l'essence pour laquelle celle-ci le donne ; si ce concept qui est le sien et le définit comme essence, correspond à sa façon d'être en elle. Nous n'avons pas, à cette fin, à réfléchir sur lui, ni à songer à ce qu'il pourrait être en vérité, mais à le considérer simplement tel que la certitude sensible l'a chez elle.
C'est donc à elle-même qu'il faut demander : qu'est-ce que le ceci? Si nous le prenons dans la double figure [14] de son être, comme le Maintenant et comme l’Ici, la dialectique qu'il porte prendra une forme aussi intelligible [15] qu'il l'est lui-même. À la question: qu'est-ce que le Maintenant? répondons donc, par exemple : le Maintenant, c'est la nuit. Un seul et simple essai suffira pour mettre à l'épreuve la vérité de cette certitude sensible. Nous inscrivons cette vérité quelque part ; une vérité ne peut pas perdre quoi que ce soit à être écrite ; et tout aussi peu à être conservée par nous. Et si nous revoyons maintenant, ce midi, la vérité inscrite, nous serons bien obligés de dire qu'elle est devenue vide et sans saveur.
Le Maintenant qui est nuit est conservé [16], c'est-à-dire qu'il est traité comme ce pour quoi il est donné, comme quelque chose qui est ; or il s'avère au contraire comme quelque chose qui n'est pas. Le Maintenant |26| proprement dit se garde certes, mais comme un Maintenant qui n'est pas la nuit ; et pareillement il se maintient [17] face au jour qu'il est maintenant, mais comme un Maintenant qui n'est pas non plus le jour ; ou tout simplement comme un Maintenant négatif. C'est pourquoi ce Maintenant qui se garde n'est pas un Maintenant immédiat, mais un Maintenant intermédié, car en tant que Maintenant qui demeure et se conserve, il est déterminé par le fait qu'autre chose, savoir, le jour et la nuit, n'est pas. Et cependant, il est encore tout aussi simple qu'auparavant: Maintenant [18], et indifférent dans cette simplicité à tout ce qui joue encore conjointement à lui [19] ; de même que la nuit et le jour ne sont pas son être, de même et tout aussi bien, c'est le jour et c'est la nuit[20] ; il n'est pas du tout affecté par ce changement d'être qui est le sien. Ce genre de chose simple qui est par négation, qui n'est ni ceci ni cela, ce genre de pas ça auquel il est tout aussi indifférent d'être ceci, aussi bien que cela, nous la disons universelle [21] ; l'universel est donc, en fait, le vrai de la certitude sensible.
Mais nous énonçons aussi le sensible comme quelque chose d'universel ; ce que nous disons est : ceci, c'est-à-dire le ceci universel ; ou encore : c'est ; c'est-à-dire l'être tout simplement. Évidemment, nous ne nous représentons pas, ce disant, le ceci universel, ou l'être en général, mais nous énonçons l'universel ; ou encore, tout bonnement, nous ne parlons pas selon l'opinion intime [22] qui est la nôtre dans cette certitude sensible. Mais c'est le langage, nous le voyons, qui est le plus vrai ; en lui, nous réfutons même immédiatement ce qui est notre opinion intime, et comme l'universel est le vrai de la certitude sensible, et que seul |27| le langage exprime ce vrai, il est tout à fait impossible que nous puissions jamais dire un être sensible que nous avons en tête. [23]
Ce sera aussi le cas avec l'autre forme du ceci, l’ci. L’ici, par exemple, est l'arbre. Si je me retourne, cette vérité a disparu, s'est renversée en la vérité opposée : l’ici n'est pas un arbre, mais au contraire une maison. L’ici proprement dit ne disparaît pas ; il perdure au contraire dans la disparition de la maison, de l'arbre, etc., et il est indifférent au fait d'être maison, arbre. Le ceci s'avère de nouveau être une simplicité intermédiée, ou encore : une universalité.
Dès lors, donc, que cette certitude sensible avère chez elle-même l'universel comme la vérité de son objet, l’être pur demeure comme son essence, non point cependant comme être immédiat : mais comme un être auquel la médiation et la négation sont essentielles; et, du coup, non pas comme ce que nous avons en tête par l’être, mais l'être avec la détermination d'être l'abstraction ou le purement universel, et tout ce qui reste encore, face à cet Ici et Maintenant vide ou indifférent, c'est notre opinion, pour qui le vrai de la certitude sensible n'est pas l'universel.
Si nous comparons le rapport dans lequel le savoir et l’objet se sont d'abord présentés, et le rapport auquel ces mêmes savoir et objet ont abouti dans |28| ce résultat, nous voyons qu'il s'est renversé. L'objet, qui était censé être l'essentiel, est désormais l'inessentiel de la certitude sensible, puisque l'universel qu'il est devenu n'est plus le genre de chose universelle que l'objet était censé être essentiellement pour elle : elle se retrouve au contraire dans l'opposé, c'est-à-dire dans le savoir qui antérieurement était le savoir inessentiel. Sa vérité est dans l'objet en tant qu'il est mon objet, ou dans l’opinion intime que j'ai pour ma part [24] ; l'objet est parce que y « en sais quelque chose ». La certitude sensible a donc, certes, bien été chassée de l'objet, mais n'est pas encore abolie pour autant: elle est simplement refoulée dans le Je ; voyons ce que l'expérience nous montre quant à cette réalité qui est la sienne.
La force de sa vérité réside donc maintenant dans le Je, dans l'immédiateté de mon : Je vois, J'entends, etc. ; la disparition du Maintenant singulier, de l'Ici singulier auquel nous pensons [25], est empêchée par le fait que Je les retiens. Le Maintenant est jour parce que je vois le jour ; l’Ici est un arbre pour la même raison. Mais la certitude sensible éprouve chez elle-même dans ce rapport la même dialectique que dans le rapport précédent. Je, ce Je-ci, vois l'arbre et affirme que l'Ici, c'est l'arbre ; mais un autre, un autre Je [26], voit la maison et affirme que l'Ici n'est pas un arbre, mais au contraire une maison. L'une et l'autre vérités sont accréditées de la même manière, savoir, l'immédiateté de la vue et le fait que l'un et l'autre Je sont sûrs |29| de ce qu'ils savent et l'assurent ; mais l'une des deux vérités disparaît dans l'autre.
Ce qui ne disparaît pas là, c'est moi, Je, en tant qu'universel dont la vue n'est ni une vue de l'arbre, ni une vue de telle maison, mais un simple fait de voir, qui est intermédié par la négation de cette maison-là, etc., et y est tout aussi simple et indifférent à ce qui se joue encore conjointement à cela, à la maison, à l'arbre. Le Je n'est qu'une chose universelle de même que Maintenant, Ici ou Ceci e général ; certes, j'ai en tête un Je individuel, singulier, quand je dis Je, et pourtant, je ne parviens pas plus à le dire qu'à dire ce que j'ai en tête et veux dire par Maintenant, Ici. En disant cet Ici-là, ce Maintenant, ou en désignant une réalité singulière, je dis tous les Ceci, tous les Maintenant, tous les Ici, toutes les réalités singulières; et pareillement, en disant Je, tel Je singulier, je dis d'une manière générale tous les Je ; chacun est ce que Je dis : Je, ce Je singulier-ci. Lorsque certains exigent de la science, comme la pierre de touche dont elle ne pourrait absolument pas supporter l'épreuve, qu'elle déduise, construise, trouve à priori, que sais-je encore, une cette chose-ci ou un cet homme-ci, il est légitime de réclamer que cette exigence dise quelle chose-ci, ou quel Je - ou individu-ci elle a en tête [27] ; or dire cela est une chose impossible.
La certitude sensible fait donc l'expérience de ce que son essence n'est ni dans l'objet, ni dans le Je, et que l'immédiateté n'est ni l'immédiateté de l'un, ni celle de l'autre, car chez l'un et l'autre, ce que j'ai en tête est au contraire quelque chose |30| d'inessentiel, et l'objet et le Je sont des choses universelles dans lesquelles le Maintenant, l'Ici et le Je que j'ai en tête n'ont pas de perdurée, ou encore, ne sont pas. Ce qui nous amène à poser le tout de la certitude sensible comme son essence, et non plus un seul moment de celle-ci, ainsi qu'il est advenu dans les deux cas, où c'était d'abord l'objet opposé au Je, puis le Je qui étaient censés être sa réalité. C'est donc seulement la certitude toute entière elle-même qui s'accroche à elle en tant qu'immédiateté, et exclut de soi par là même toute opposition telle qu'elle se produisait antérieurement.
Cette immédiateté pure ne concerne donc plus en rien l'être-autre de l'Ici en tant qu'arbre, qui passe dans un Ici qui est non-arbre, ni l'être-autre du Maintenant, en tant que jour, qui passe dans un Maintenant qui est nuit, ni un autre Je, pour qui l'objet est quelque chose d'autre. Sa vérité se conserve comme relation qui demeure identique à soi-même, et ne fait aucune différence d'essentialité ou d'inessentialité entre le Je et l'objet, et dans laquelle donc absolument aucune différence ne peut pénétrer.
Je, ce Je-ci, j'affirme donc l'Ici comme arbre, et ne me retourne pas de telle manière que l'Ici pour moi deviendrait un non-arbre ; je n'ai cure non plus de ce qu'un autre Je voit l'Ici comme non-arbre, ou de ce que moi-même, une autre fois, je prenne l'Ici comme non-arbre, le Maintenant comme non-jour, mais je suis pur regard | 3 1| regardant ; pour moi, j'en reste là, le Maintenant est jour, ou encore, j'en reste là : l'Ici est arbre ; je ne compare pas non plus eux-mêmes l'un avec l'autre l'Ici et le Maintenant, mais m'accroche à une relation immédiate unique : le Maintenant est jour.
Puisque, par conséquent, cette certitude ne veut plus venir à nous quand nous attirons son attention sur un Maintenant qui est nuit, ou sur un Je pour qui c'est la nuit, approchons-nous donc nous-mêmes d'elle et faisons-nous montrer le Maintenant en question qu'elle prétend. Il faut que nous nous le fassions montrer, car la vérité de cette relation immédiate est la vérité de tel Je, de ce Je-ci, qui se limite à un Ici ou à un Maintenant. Si nous nous emparions après coup de cette vérité, ou si nous nous tenions éloignés d'elle, elle n'aurait pas du tout de signification, car nous abolirions alors l'immédiateté qui lui est essentielle. C'est pourquoi nous devons venir nous mettre dans le même point du temps ou de l'espace, nous la faire montrer, c'est-à-dire faire faire de nous le même Je-ci qui sait avec certitude. Voyons donc comment est fait cet immédiat qu'on nous désigne.
On nous montre le Maintenant ; ce Maintenant-ci. Maintenant ; dès lors qu'il nous est montré, il a déjà cessé d'être ; le Maintenant qui est, est un autre Maintenant que celui qui est montré, et nous voyons que le Maintenant est précisément ceci, qui, en étant, n'est déjà plus. Le Maintenant, tel qu'il nous est montré, est un Maintenant qui a été ; et c'est cela sa vérité ; il n'a pas la vérité de l'être. Donc, il est certes bien vrai qu'il |32| a été. Mais ce qui a été [28] n'est pas en réalité une essence. Ce qui a été n'est pas, et c'est de l'être qu'il s'agissait.
Nous ne voyons donc dans ce désignement [29] qu'un mouvement, qui se déroule comme suit : 1. Je désigne le Maintenant, il est asséré comme étant le vrai ; mais je le montre comme quelque chose qui a été, ou comme quelque chose qui est aboli, j'abolis la première vérité, puis : 2. J'affirme maintenant comme la seconde vérité que ce quelque chose a été, qu'il est aboli.3. Mais ce qui a été n'est pas ; j'abolis l'avoir-été ou l'être-aboli, c'est-à-dire la deuxième vérité, nie, ce faisant, la négation du Maintenant, et reviens ainsi à la première assertion : que Maintenant est. Le Maintenant et le désignement du Maintenant sont donc faits de telle manière que ni le Maintenant ni le désignement du Maintenant ne sont une chose simple immédiate, mais un mouvement qui comporte divers moments ; ceci est posé, mais en même temps, c'est au contraire un autre qui est posé, ou encore, le ceci est aboli : et cet être-autre, ou cette abolition, du premier est aboli à son tour, et donc est revenu au premier moment. Mais ce premier moment réfléchi en lui-même n'est plus exactement le même que ce qu'il était primitivement, savoir, un moment immédiat ; il est au contraire justement quelque chose de réfléchi en soi, un moment simple qui demeure dans l'être-autre ce qu'il est; un Maintenant qui est absolument un grand nombre de Maintenant, et c'est là le Maintenant véritable. Le Maintenant comme simple jour qui a en lui-même de nombreux Maintenant, des heures. Et de même une heure est aussi ce genre de Maintenant, c'est-à-dire tout autant de minutes, et celles-ci sont pareillement |33| de nombreux maintenant, et ainsi de suite. Le désignement est donc lui-même le mouvement qui énonce ce que le Maintenant est en vérité ; savoir, un résultat, ou encore, le résumé d'une pluralité de Maintenant ; et désigner, c'est découvrir [30] que Maintenant est quelque chose d'universel.
L’Ici désigné, que je fixe fermement, est aussi bien un cet Ici-là qui en réalité n'est pas cet Ici-là, mais un devant et un derrière, un en haut et un en bas, un à droite et un à gauche. L'en haut est lui-même tout aussi bien ce multiple être-autre, en haut, en bas et ainsi de suite. L'Ici qui était censé être désigné disparaît dans d'autres Ici, mais ceux-ci disparaissent tout aussi bien ; ce qui est désigné, fixé fermement, et qui perdure est un ceci négatif, qui n'est ainsi qu'en ce que les Ici sont pris comme ils sont censés l'être, mais ce faisant s'abolissent. C'est un complexe simple [31] de nombreux Ici. L'Ici qu'on a en tête serait le point ; mais ce point n'est pas : c'est au contraire dès lors qu'il est désigné comme étant, que le désignement montre qu'il n'est pas un savoir immédiat, mais un mouvement qui va de l'Ici qu'on a en tête à l'Ici universel en passant par de nombreux Ici, et cet Ici universel, de même que le jour est une pluralité simple de Maintenant, est une pluralité simple d'Ici.
Il apparaît clairement que la dialectique de la certitude sensible n'est rien d'autre que la simple histoire de son mouvement ou de son expérience, et que la certitude sensible elle-même n'est rien d'autre que simplement cette histoire. C'est pourquoi aussi |34| la conscience naturelle ne cesse jamais de progresser elle-même vers ce résultat que le vrai est chez elle, et son expérience se fait dans cet itinéraire ; mais c'est aussi pourquoi elle l'oublie toujours tout aussitôt, et recommence le mouvement au départ. Il y a donc lieu de s'étonner quand, à l'encontre de cette expérience, on instaure comme expérience universelle, mais aussi comme affirmation philosophique, et même comme un résultat du scepticisme, que la réalité ou l'être de choses extérieures en tant qu'elles sont ces choses-ci, ou choses sensibles, aurait une vérité absolue pour la conscience ; ce genre d'affirmation, dans le même temps qu'elle est posée, ignore ce qu'elle proclame, ignore qu'elle dit le contraire de ce qu'elle veut dire [32]. La vérité du ceci sensible pour la conscience est censée être une expérience universelle ; mais c'est bien plutôt le contraire qui est expérience universelle ; chaque conscience réabolit à son tour les vérités du genre : l'Ici est un arbre, ou, le Maintenant est midi, et énonce le contraire : l'Ici n'est pas un arbre, mais une maison ; et ce qui, dans cette affirmation qui abolit la première, est à son tour affirmation, de même espèce, d'un ceci sensible, elle le réabolit pareillement tout aussitôt ; et dans toute cette certitude sensible, elle n'apprendra en vérité que ce que nous avons vu, savoir, le ceci comme quelque chose d'universel, le contraire de ce que cette affirmation assure être expérience universelle. - Face à cette invocation de l'expérience universelle, il peut être permis d'anticiper |35| sur la recommandation de tenir compte du pratique. Eu égard à celle-ci, on peut dire à ceux qui affirment cette vérité et certitude de la réalité des objets sensibles qu'ils feraient bien de retourner à l'école la plus élémentaire de la sagesse, aux Mystères d'Eleusis de l'Antiquité, où l'on célébrait Cérès et Bacchus, et qu'ils doivent d'abord apprendre le secret de la consommation du pain et du vin ; car le myste initié à ces secrets n'en vient pas seulement, en effet, à douter de l'être des choses sensibles, il finit par en désespérer ; d'une part il accomplit lui-même en eux leur nullité, et par ailleurs il la voit accomplir. Les animaux eux-mêmes ne sont pas exclus de cette sagesse-là, mais font la preuve, au contraire, qu'ils sont très profondément initiés en cette matière, puisqu'ils ne restent pas en arrêt devant les choses sensibles comme devant autant de choses qui seraient en soi, mais, désespérant de cette réalité et pleinement certains de sa nullité [33], se servent sans autres manières, et les dévorent ; et la nature toute entière célèbre comme eux ces mystères on ne peut plus transparents qui nous enseignent ce qu'est la vérité des choses sensibles.
Mais ceux qui posent ce genre d'affirmation, pour nous en tenir à nos remarques précédentes, disent aussi eux-mêmes immédiatement le contraire de ce qu'ils ont en tête ; et ce phénomène est peut-être le plus susceptible de nous amener à réfléchir sur la nature de la certitude sensible. Ils parlent de l'existence d'objets extérieurs qui peuvent être définis de manière plus précise encore comme des choses [34] effectives, absolument singulières, tout à fait personnelles, |36| individuelles, dont aucune n'a plus absolument son identique ; cette existence aurait une certitude et une vérité absolues. Ils ont en tête [35] : ce morceau de papier-ci sur lequel j'écris ceci, ou plus exactement, l'ai écrit ; mais ce qu'ils ont en tête, ils ne le disent pas. S'ils voulaient effectivement dire [36] ce morceau de papier-ci qu'ils ont en tête, et si c'est dire qu'ils voulaient, cela est impossible parce que le ceci sensible qu'ils ont en tête est inaccessible au langage, qui ressortit à la conscience, à l'universel en soi. C'est pourquoi, sous la tentative effective de le dire, ce ceci finirait par moisir et se décomposer [37] ; ceux qui auraient commencé à le décrire ne pourraient pas aller jusqu'au bout de la description, mais devraient la confier à d'autres, qui finiraient eux-mêmes par avouer parler d'une chose qui n'est pas. Ils ont donc bien en tête ce morceau de papier-a, qui est ici un tout autre morceau de papier que celui dont on parlait ci-dessus ; mais ils énoncent des choses effectives, des objets extérieurs ou sensibles, des essences absolument singulières [38], et ainsi de suite, c'est-à-dire qu'ils ne disent d'eux que l'universel ; c'est pourquoi ce que l'on appelle l'ineffable n'est rien d'autre que le non-vrai, le non-raisonnable, l'opinion qui n'est que cela, ce qu'on avait simplement en tête. - Quand on ne dit de quelque chose rien de plus que : « c'est une chose effective, un objet extérieur », cette chose n'est alors énoncée que comme la plus universelle d'entre toutes, et en disant cela c'est bien plutôt son identité avec tout le reste, que la différence [39], qu'on énonce. Quand je dis une chose singulière, je la dis au contraire, tout aussi bien, comme chose tout à fait universelle, |37| car toutes les choses sont chose singulière ; et pareillement, cette chose-a est tout ce qu'on voudra. Si nous la décrivons plus précisément, comme ce morceau de papier-ci, toute espèce et tout bout de papier est un ce morceau de papier-ci, et je n'ai toujours rien fait que dire l'universel. Mais si je veux aider [40] la parole, qui a la nature divine de renverser immédiatement l'opinion, d'en faire quelque chose d'autre, et ce faisant de ne pas la laisser s'exprimer verbalement [41], en désignant ce morceau de papier-ci, je fais alors l'expérience de ce que !a vérité de la certitude sensible est en fait ; je le désigne comme un Ici, qui est un Ici d'autres Ici, ou encore, qui est en lui-même [42] un ensemble, une concomitance simple d'un grand nombre d'Ici, c'est-à-dire un universel. Je le prends et reçois [43] tel qu'il est en vérité, et au lieu de savoir quelque chose d'immédiat, je prends pour vrai, je perçois [44].
II
LA PERCEPTION
OU LA CHOSE ET L'ILLUSION.
|38|
La certitude immédiate ne se saisit [45] pas du vrai, car sa vérité est l'universel; alors qu'elle veut prendre [46] le Ceci. La perception, à l'inverse, prend comme quelque chose d'universel ce qu'elle considère comme ce qui est. De même que l'universalité est son principe en général, les moments d'elle qui se différencient immédiatement en elle sont également universels, le Je est un Je universel, l'objet, un objet universel. Ce principe nous est advenu, et c'est pourquoi notre réception de la perception [47] n'est plus une réception qui apparaît de manière phénoménale, comme celle de la certitude sensible, mais une réception nécessaire. En même temps, dans la naissance du principe, les deux moments qui dans leur apparition phénoménale ne font que se détacher l'un de l'autre, ont surgi dans un devenir [48]. L'un est devenu, en effet, le mouvement du désignement, l'autre est devenu ce même mouvement, mais comme quelque chose de simple ; le premier : l’activité de perception, le second : l’objet. L'objet, quant à l'essence, est la même chose que ce qu'est le mouvement ; le mouvement est le déploiement et la différenciation des moments, l'objet est leur somme et résumé. Pour nous, ou en soi, |39| l'universel comme principe est l’essence de la perception ; et face à cette abstraction, les deux moments différenciés, le percevant et le perçu, sont l’inessentiel. Mais en fait, comme l'un et l'autre sont eux-mêmes l'universel ou l'essence, ils sont tous deux essentiels ; dès lors toutefois qu'ils se réfèrent l'un à l'autre comme des termes opposés, il n'y en a qu'un dans cette relation qui peut être l'essentiel ; et la différence de l'essentiel et de l'inessentiel doit se répartir entre eux. L'un, déterminé comme le simple, l'objet, est l'essence, indifférent au fait qu'on le perçoive ou non ; tandis que la perception, en tant qu'elle est le mouvement, est l'inconstant - qui peut être, ou bien ne pas être - et l'inessentiel.
Il faut maintenant déterminer plus précisément cet objet et développer brièvement cette détermination à partir du résultat ressorti de tout cela ; le développement plus complet des choses n'a pas sa place ici. Comme son principe est l'universel, et qu'il est dans sa simplicité le résultat d'une médiation, il faut qu'il exprime cela chez lui-même comme étant sa propre nature ; il se montre par là comme la chose aux nombreuses propriétés [49]. La richesse du savoir sensible appartient à la perception, et non à la certitude immédiate, où cette richesse n'était que ce qui joue accessoirement, car seule la perception comporte en son essence la négation, la différence, ou encore, la diversité.
Le ceci est donc posé, comme non-ceci, ou comme ayant été aboli ; et du coup, il n'est pas rien, un néant, |40| mais un néant déterminé, ou encore, un néant d'un certain contenu, savoir, du ceci. Le sensible est ainsi encore lui-même présent, mais pas tel qu'il était censé être dans la certitude immédiate, savoir, comme la singularité présumée dans un point de vue [50], mais comme universel, ou encore, comme ce qui se déterminera comme propriété [51]. L'abolir expose ici sa signification véritable et double, que nous avons observée chez le négatif : il est à la fois une négation et une conservation ; le néant, en tant que néant du ceci, conserve l'immédiateté et est lui-même sensible, mais c'est une immédiateté universelle. - Mais l'être est un universel par le fait qu'il a la médiation, ou encore, le négatif, chez lui-même ; dès lors qu'il exprime ceci à même son immédiateté, il est une propriété différenciée, déterminée. Ainsi se trouve posée dans le même temps une pluralité de propriétés de ce genre, chacune étant la propriété négative de l'autre. Dès lors qu'elles sont exprimées dans la simplicité de l'universel, ces déterminités, qui ne sont à vrai dire des propriétés qu'à partir du moment où vient s'ajouter une détermination ultérieure, se réfèrent à elles-mêmes, sont indifférentes les unes aux autres, chacune étant pour soi, libre de l'autre. Mais l'universalité simple identique à elle-même est à son tour elle-même distincte de ces siennes déterminités, et libre : elle est la pure relation à soi, ou encore le médium [52] au sein duquel ces déterminités sont toutes et donc s'interpénètrent en elle comme en une unité simple, sans cependant se toucher ; car précisément, |41| par le fait de la participation à cette universalité, elles sont indifférentes pour soi. - Ce médium universel abstrait, qu'on peut appeler la chosité [53] en général, ou encore l’essence pure, n'est autre que l’Ici et Maintenant tel qu'il s'est avéré [54], savoir, comme un ensemble simple réunissant un grand nombre de termes ; mais ces nombreux termes sont dans leur déterminité eux-mêmes de simples universels. Ce sel est un Ici simple, et en même temps multiple ; il est blanc, il est aussi piquant, et aussi de forme cubique, et aussi d'un poids déterminé, et cetera. Toutes ces nombreuses propriétés sont situées en un seul et simple Ici, où elles s'interpénètrent donc ; aucune d'entre elles n'a un autre Ici que l'autre, mais chacune est partout dans le même Ici que celui où l'autre se trouve ; et en même temps, sans être séparées par des Ici distincts, elles ne s'affectent pas mutuellement dans cette interpénétration ; le blanc n'affecte ni ne modifie le cubique, pas plus que l'un et l'autre n'affectent le piquant, etc., mais comme chaque propriété est elle-même pure référence à soi-même, elle laisse les autres tranquilles et ne se réfère à elles que par l'indifférent et aussi. Cet Aussi est donc le pur universel proprement dit, ou le médium, la chosité qui les rassemble toutes ainsi.
Dans le rapport qui a ainsi résulté [55], c'est seulement encore le caractère de l'universalité positive qui est observé et développé; mais il se présente encore un autre côté qu'il faut aussi introduire et prendre en compte ici. Savoir, que si les nombreuses propriétés déterminées étaient tout à fait indifférentes [56], |42| et ne se référaient absolument qu'à elles-mêmes, elles ne seraient pas des propriétés déterminées. Elles ne le sont, en effet, que dans la mesure où elles se différencient et se réfèrent à d'autres comme à leurs opposées. Mais, en raison de cette opposition, elles ne peuvent être ensemble dans l'unité simple de leur médium, laquelle leur est tout aussi essentielle que la négation. La différenciation de celle-ci, dans la mesure où elle n'est pas indifférente, mais exclusive, négatrice de l'autre, tombe donc hors de ce médium simple ; et du coup celui-ci n'est pas seulement un aussi, unité indifférente, mais aussi un Un, une unité exclusive. - L'Un est le moment de la négation, tel qu'il se réfère à lui-même d'une manière simple et exclut autre chose, et par lequel la chosité est déterminée comme chose. Chez la propriété, la négation est comme déterminité qui fait immédiatement un avec l'immédiateté de l'être, laquelle, par cette unité avec la négation, est universalité ; mais en tant qu'Un, elle est telle qu'elle est libérée de cette unité avec le contraire, telle qu'elle est en soi et pour soi-même.
Dans ces moments pris tous ensemble, et pour autant, en tous cas, qu'il y a lieu ici de la développer, la chose est achevée comme le vrai de la perception. Elle est α) l'universalité passive indifférente, l’aussi des nombreuses propriétés, ou plus précisément des nombreuses matières, β) la négation, tout aussi bien, dans sa simplicité ; ou encore, l'Un, l'exclusion des propriétés opposées, et γ) les nombreuses propriétés elles-mêmes, |43| la relation des deux premiers moments ; la négation, telle qu'elle se réfère à l'élément indifférent et s'y déploie comme foule de différences : le point de la singularité rayonnant dans toutes les directions de la pluralité au sein du médium de la pérexistence [57]. Si l'on prend la chose par le côté où ces différences appartiennent au médium indifférent, elles sont elles-mêmes universelles, ne sont en relation qu'avec soi, et ne s'affectent pas les unes les autres ; cependant, du côté où elles appartiennent à l'unité négative, elles sont en même temps exclusives; mais elles ont nécessairement cette relation opposée en des propriétés qui sont éloignées de leur aussi. L'universalité sensible, ou l'unité immédiate de l'être et du négatif, est seulement alors ainsi propriété, dans la mesure où l'Un et l'universalité pure sont développés à partir d'elle et sont distingués l'un de l'autre, et où elle les réunit conjointement ; c'est seulement cette relation de l'universalité sensible aux purs moments essentiels qui achève la chose.
C'est ainsi donc, maintenant, que la chose de la perception est constituée [58] ; et la conscience est déterminée comme percevante dans la mesure où cette chose est son objet ; elle n'a qu'à le prendre et à se comporter comme pure appréhension ; et le produit pour elle de cela est le vrai [59]. Si elle faisait elle-même quelque chose dans cette prise, elle modifierait la vérité, en ajoutant, ou en laissant de côté par là même quelque chose. Dès lors que l'objet est le vrai et l'universel, l'identique à soi, mais que la conscience est à ses propres yeux [60] le changeant |44| et l'inessentiel, il peut lui arriver d'appréhender incorrectement l'objet et de s'illusionner. Ce qui perçoit a la conscience de la possibilité de l'illusion ; dans l'universalité, en effet, qui est le principe, l’être-autre lui-même est immédiatement pour elle, mais comme le nul, l'aboli. C'est pourquoi son critère de vérité est l’identité à soi-même, et sa démarche consiste à appréhender comme identique à soi-même. Dès lors, en effet, que le différent est pour elle, elle [61] est une interréférence des différents moments de son appréhension ; cependant, si dans cette comparaison surgit une non-identité, ce n'est pas là une non-vérité de l'objet, car celui-ci est l'identique à soi, mais une non-vérité de la perception.
Regardons maintenant quelle expérience fait la conscience dans sa perception effective. Cette expérience, pour nous, est déjà contenue dans le développement qui vient d'être donné de l'objet et du comportement de la conscience à son égard : et elle ne sera que le développement des contradictions qui s'y trouvent. - L'objet que je reçois [62] se présente comme un objet purement Un ; je remarque en outre chez lui la propriété, qui est universelle, mais qui, par là même, va au-delà de la singularité. Le premier être de l'essence objectale, en ce qu'elle est Une, n'était donc pas son être vrai ; comme c'est l’objet qui est le vrai, c'est en moi qu'échoit la non-vérité, et c'est l'appréhension qui n'était pas correcte. Il faut, en vertu de l’universalité |45| de la propriété, que je prenne au contraire l'essence objectale [63] comme étant tout simplement une communauté [64]. Or, je perçois par ailleurs la propriété comme propriété déterminée, opposée à autre chose et l'excluant. Je n'appréhendais donc pas correctement, en fait, l'essence objectale, quand je la déterminais comme une communauté avec d'autres, ou comme la continuité, et il faut au contraire, en vertu de [65] la déterminité de la propriété, que j'interrompe la continuité, et que je pose l'essence objectale comme un Un exclusif. Chez cet Un disjoint, je trouve de nombreuses propriétés de ce genre, qui ne s'affectent pas mutuellement, mais s'indiffèrent mutuellement ; je ne percevais donc pas correctement l'objet quand je l'appréhendais comme quelque chose d'exclusif. Celui-ci, au contraire, de même qu'antérieurement il était uniquement continuité en général, est désormais un médium collectif universel où l'on trouve de nombreuses propriétés comme autant d'universalités sensibles, où chacune est pour soi et exclut, en tant que propriété déterminée, les autres propriétés. Toutefois, le simple et vrai que je perçois n'en est pas non plus pour autant un médium universel, mais la propriété singulière pour soi qui cependant n'est ni propriété, ni un être déterminé; car, désormais, elle n'est ni chez un Un, ni en relation à d'autres. Or elle n'est propriété que chez l'Un, et n'est déterminée qu'en relation à d'autres. Elle demeure simplement, en tant que cette pure référence à soi-même, un être sensible en général, car elle n'a plus chez elle le caractère de négativité ; et la conscience |46| pour laquelle il y a maintenant un être sensible, n'est qu'un point de vue intime [66], c'est-à-dire qu'elle est complètement sortie de la perception et est retournée en soi. Simplement, l'être sensible et le « point de vue sur» passent eux-mêmes dans la perception : je suis rejeté au début et de nouveau emporté dans le même circuit qui s'abolit, à la fois, dans chacun des moments, et en tant que tout.
La conscience parcourt donc de nouveau nécessairement ce circuit, mais, en même temps, elle ne le fait pas de la même manière que la première fois. Elle a fait l'expérience, en effet, quant à la perception, que le résultat et le vrai de celle-ci étaient sa dissolution, ou encore, la réflexion en soi-même à partir du vrai et hors de lui. S'est ainsi déterminé pour la conscience comment sa perception est essentiellement constituée, savoir, qu'elle n'est pas une pure et simple appréhension, mais qu'en même temps, dans son appréhension, elle est sortie du vrai et est réfléchie en soi. Ce retour de la conscience en soi-même, qui s'immisce immédiatement dans l'appréhension pure - car il s'est avéré essentiel à la perception modifie le vrai. La conscience reconnaît en même temps ce côté pour le sien et le prend sur soi, grâce à quoi elle conservera donc l'objet vrai dans sa pureté. On observe ainsi maintenant, comme il était advenu avec la certitude sensible, que la perception comporte ce côté qui veut que la conscience soit refoulée en soi, mais non pas d'abord |47| dans le sens où c'était le cas pour la certitude sensible, comme si c'était la vérité de la perception qui tombait en elle: elle reconnaît bien au contraire que c'est la non-vérité qu'on y trouve qui tombait en elle. Mais en même temps, cette connaissance la rend capable d'abolir cette non-vérité ; elle distingue son appréhension du vrai de la non-vérité de sa perception, corrige cette non-vérité, et dans la mesure où elle entreprend cette correction elle-même, il est vrai que c'est la vérité, comme vérité de la perception, qui tombe dans celle-ci. Le comportement de la conscience qu'il faut désormais examiner est donc ainsi fait qu'elle ne se contente plus de percevoir, mais est aussi consciente de sa réflexion en soi et disjoint celle-ci de la simple appréhension proprement dite.
Je remarque donc d'abord la chose [67] en tant qu'elle est Une, et dois la maintenir dans cette détermination vraie ; s'il survient dans le mouvement de la perception quelque chose qui contredit celle-ci, il faut reconnaître là ma réflexion. Or, on voit survenir dans la perception diverses propriétés encore, qui semblent être des propriétés de la chose ; simplement, la chose est une, et cette diversité par laquelle elle cesserait d'être une, nous sommes conscients qu'elle nous échoit. Cette chose, donc, n'est effectivement blanche que transportée à notre œil, piquante que portée à notre langue, et cubique que portée à notre toucher, et ainsi de suite. Toute la diversité |48| de ces aspects, nous ne la prenons pas à la chose, mais la tirons de nous ; c'est à nous qu'ils échoient en se décomposant successivement sur chacun de nos sens, sur notre œil, qui est tout à fait distinct de la langue, et ainsi de suite. C'est nous qui sommes ainsi le médium universel au sein duquel ces moments se particularisent et sont pour soi [68]. Et c'est donc en ce que nous considérons comme le fait de notre réflexion que nous soyons déterminés à être médium universel, que nous conservons l'identité à soi et la vérité de la chose : qu'elle est une.
Ces différents aspects que la conscience assume sont cependant, chacun considéré pour lui-même, en ce qu'ils se trouvent dans le médium universel, déterminés ; le blanc n'est que par opposition au noir, et ainsi de suite, et la chose n'est Une, précisément, que parce qu'elle s'oppose à d'autres. Mais ce n'est pas dans la mesure où elle est une, qu'elle exclut d'autres de soi ; car être Une c'est l'universelle référence à soi-même, et au contraire, par le fait qu'elle est une, elle est identique à toutes ; si elle les exclut, c'est par la déterminité. Les choses elles-mêmes sont donc des choses déterminées en soi et pour soi ; elles ont des propriétés par lesquelles elles se distinguent d'autres choses. Dès lors que la propriété est la propriété propre de la chose, ou qu'il y a chez elle-même une déterminité, elle a plusieurs propriétés. Premièrement, en effet, la chose [69] est le vrai, elle est en soi-même ; et ce qui ainsi est chez elle [70], est chez elle comme son essence propre, et non en vertu d'autres choses ; et deuxièmement, donc, les propriétés déterminées ne sont pas seulement au nom d'autres choses, |49| et pour d'autres choses, mais en elle-même. Mais elles ne sont chez elle des propriétés déterminées que dès lors qu'elles sont plusieurs, qui se distinguent les unes des autres ; enfin, troisièmement, en étant ainsi dans la chosité, elles sont en soi et pour soi, et indifférentes les unes aux autres. C'est donc en vérité la chose elle-même qui est blanche, et aussi, cubique, et aussi piquante, etc., ou encore, la chose est l’Aussi, ou le médium universel dans lequel les nombreuses propriétés subsistent les unes en dehors des autres, sans se toucher et sans s'abolir ; et c'est prise ainsi qu'elle est prise comme la chose vraie.
Or, dans cette perception, la conscience est en même temps conscience qu'elle se réfléchit aussi en elle-même, et que dans la perception survient le moment opposé à l’aussi. Mais ce moment est unité de la chose avec elle-même, qui exclut de soi la différence. C'est cette unité, en conséquence, que la conscience doit prendre sur soi ; car la chose proprement dite est la pérexistence [71] des nombreuses propriétés diverses et indépendantes. On dit donc de la chose : elle est blanche, elle est aussi cubique, et aussi piquante, etc. Mais dans la mesure où elle est blanche, elle n'est pas cubique, et dans la mesure où elle est cubique et aussi blanche, elle n'est pas piquante, etc. l’Unification de ces propriétés échoit seulement à la conscience, qui du coup n'a pas à les faire coïncider [72] au niveau de la chose. À cette fin [73], elle amène le dans la mesure où par lequel elle les maintient disjointes |50| et maintient la chose comme l'Aussi. À proprement parler, l'être-un n'est assumé par la conscience qu'en ceci que ce qui était nommé propriété est maintenant représenté comme matière libre. La chose, de cette façon, est élevée au véritable Aussi, en devenant une collection de matières, en devenant, au lieu d'être Une, simple superficie enveloppante.
Si nous regardons en arrière ce que la conscience avait pris sur elle antérieurement et ce qu'elle prend maintenant; ce qu'elle attribuait auparavant à la chose, et ce qu'elle lui attribue maintenant, il ressort qu'elle fait alternativement, à la fois d'elle-même et de la chose, l'un et l'autre, savoir, aussi bien le pur Un dépourvu de pluralité, qu'un Aussi dissous en matières autonomes. La conscience découvre donc par cette comparaison que ce n'est pas seulement sa captation du vrai [74] qui a en soi la diversité de l'appréhension et du retour en soi, mais bien plutôt que c'est le vrai lui-même, la chose, qui se montre de cette manière double. Il est fait ici l'expérience que la chose se présente d'une certaine manière déterminée pour la conscience qui appréhende, mais qu'en même temps elle sort de la façon dont elle se présente et est réfléchie en soi, ou encore, a chez elle-même une vérité opposée.
La conscience est donc elle-même sortie aussi de cette deuxième manière de se comporter dans la perception, qui consiste à prendre la chose pour le vrai identique à soi, |51| et à se prendre soi pour le non-identique, pour ce qui sort de l'identité et retourne en soi, et l'objet est désormais pour elle l'ensemble de ce mouvement qui, précédemment, était réparti sur l'objet et sur la conscience. La chose est Une, réfléchie en soi ; elle est pour soi ; mais elle est aussi pour un autre ; je veux dire qu'elle est pour soi un autre que ce qu'elle est pour un autre. Si bien que la chose est pour soi, et est aussi pour un autre, elle est un être divers double ; mais elle est aussi Une ; or, l'être-une contredit cette sienne diversité ; la conscience devrait donc reprendre sur soi cette unification et la tenir à distance de la chose. Elle devrait donc dire que la chose, dans la mesure où elle est pour soi, n'est pas pour autre chose. Simplement, l'être-Un échoit aussi à la chose elle-même, ainsi que la conscience en a fait l'expérience ; la chose est essentiellement réfléchie en soi. L’aussi, ou la différence indifférente [75], échoit donc certes tout aussi bien dans la chose que l’être-un ; mais comme les deux sont distincts, il n'échoit pas dans la même chose, mais dans différentes choses distinctes-, la contradiction qu'il y a chez l'essence objectale en général, se répartit sur deux objets. La chose est donc bien en soi et pour soi, identique à soi, mais cette unité avec elle-même est perturbée par d'autres choses ; ainsi, l'unité de la chose est-elle préservée, en même temps que l'être-autre est, à la fois, hors d'elle, et hors de la conscience. |52|
Or, bien que la contradiction de l'essence objectale soit ainsi répartie sur des choses différentes, cela n'empêchera pas pour autant que la différence parvienne à la chose singulière mise à part [76]. Les différentes choses sont donc posées pour soi; et le conflit intérieur y échoit de telle manière réciproque que chacune est différente non de soi, mais uniquement de l'autre. Mais chacune, par là même, est déterminée elle-même comme une chose différenciée et a chez elle la différence essentielle par rapport aux autres ; mais, en même temps, cela ne se produit pas de telle manière qu'il en résulterait une opposition chez elle-même ; elle est au contraire pour soi une déterminité simple qui constitue son caractère essentiel, celui qui la différencie des autres. Certes, comme elle porte la diversité, celle-ci, de fait, est nécessairement chez elle comme différence effective de constitutions [77] variées. Simplement, comme c'est la déterminité qui fait l’essence de la chose, ce par quoi elle se distingue des autres et est pour soi, toute cette constitution multiple et variée qui existe par ailleurs est l’inessentiel. La chose a certes bien par là, chez elle, dans son unité, le double dans la mesure où ; mais avec des valeurs qui ne sont pas les mêmes [78] ; ce qui a pour effet que cet état d'opposition ne devient pas l'opposition effective de la chose proprement dite, mais que, dans la mesure où celle-ci ne parvient à l'opposition que par sa différence absolue, elle l'a face à une autre chose hors d'elle. Mais, par ailleurs, toute la variété doit bien nécessairement être dans la chose, en sorte qu'elle ne peut rester éloignée |53| d'elle, mais elle lui est inessentielle.
Or, cette déterminité, qui constitue le caractère essentiel de la chose et la différencie de toutes les autres, est elle-même déterminée de telle manière que la chose par là est en opposition à d'autres, mais qu'elle est censée en cela se conserver pour soi. Toutefois, elle n'est chose, ou un Un qui est pour soi, que dans la mesure où elle ne se trouve pas dans cette relation à d'autres ; car ce qui au contraire est posé dans cette relation, c'est la connexion [79] avec autre chose ; et connexion avec autre chose signifie la cessation de l'être pour soi. Par le caractère absolu précisément, et par le fait qu'elle s'oppose, elle se met en rapport à d'autres et n'est essentiellement que ce comportement et ce rapport ; mais le rapport est la négation de son autonomie, et la chose périt bien plutôt de cette propriété essentielle qui est la sienne.
La nécessité pour la conscience de découvrir par l'expérience que la chose périt précisément du fait de la déterminité qui constitue son essence et son être pour soi, peut être un bref instant considérée comme suit, selon le concept simple : la chose est posée comme être pour soi, ou encore, comme négation absolue de tout être-autre ; elle est donc négation absolue, ne se référant qu'à soi-même ; mais la négation qui se réfère à elle-même est abolition de soi-même, ou revient à avoir son essence dans un autre.
Et, de fait, la détermination de l'objet, tel qu'il a résulté, ne contient rien d'autre ; il est censé |54| avoir une propriété essentielle qui constitue son être pour soi simple, mais aussi avoir à même cette simplicité la diversité chez lui-même, laquelle est censée certes être nécessaire, mais non pas constituer la déterminité essentielle. Toutefois, c'est là une distinction qui n'est encore que dans les mots ; l'inessentiel, qui cependant est en même temps censé être nécessaire, s'abolit lui-même, ou encore, est ce qui vient précisément d'être appelé négation de soi-même.
En sorte que disparaît maintenant le dernier dans la mesure où qui séparait l'être pour soi et l'être pour autre chose ; l'objet est bien plutôt, dans une seule et même perspective, le contraire de soi-même, est pour soi dans la mesure où il est pour autre chose, et pour autre chose dans la mesure où il est pour soi. Il est pour soi, réfléchi en soi, Un ; mais cet être pour soi, réfléchi en soi, Un, se trouve en unité avec son contraire, l'être pour autre chose, et donc n'est posé que comme quelque chose d'aboli ; ou encore, cet être pour soi est tout aussi inessentiel que ce qui était seul censé être l'inessentiel, savoir, le rapport à autre chose.
Par là même, l'objet est tout aussi aboli dans ses déterminités pures, ou dans les déterminités censées constituer son essentialité, qu'il était devenu quelque chose d'aboli dans son être sensible. D'être sensible qu'il était, il devient un être universel ; mais étant donné que cet être universel provient de l'être sensible, il est essentiellement conditionné |55| par ce dernier, et donc n'est pas une universalité véritablement identique à soi-même, mais une universalité affectée d'un opposé, et qui se sépare pour cette raison en les extrêmes de la singularité et de l'universalité, de l'Un des propriétés et de l'Aussi des matières libres. Ces déterminités pures semblent exprimer l’essentialité elle-même, mais elles ne sont qu'un être pour soi auquel est accolé l’être pour autre chose ; cependant, dès lors que l'un et l'autre sont essentiellement dans une unité, on a désormais affaire à l'universalité absolue et inconditionnée, et c'est seulement maintenant que la conscience entre véritablement dans le royaume de l'entendement [80].
La singularité sensible disparaît donc, certes, dans le mouvement dialectique de la certitude immédiate et devient universalité, mais seulement une universalité sensible. Le point de vue intime [81] a disparu, et la perception prend l'objet tel qu'il est en soi ; ou encore, le prend comme universel tout simplement ; en sorte que la singularité surgit chez lui comme singularité vraie, comme être en soi de l'Un, ou comme être réfléchi dans soi-même. Mais c'est encore un être pour soi conditionné, à côté duquel se présente un autre être pour soi, savoir, l'Universalité opposée à la singularité et conditionnée par elle ; toutefois, ces deux extrêmes contradictoires ne sont pas seulement à côté l'un de l'autre, mais aussi dans une Unique Unité, ou, ce qui est la même chose, ce qu'il y a de commun aux deux, l’être pour soi, est tout simplement flanqué de l'opposé, c'est-à-dire qu'en même temps, il n'est pas un être pour soi. La sophistique de la perception [82] |56| tente de sauver ces moments de leur contradiction, et de les maintenir en l'état par la différenciation des perspectives, par l’Aussi et le Dans la mesure où, de même que finalement, par la différenciation de l’inessentiel et d'une essence qui lui est opposée, elle tâche de saisir le vrai. Simplement, ces échappatoires, plutôt que tenir à l'écart l'illusion dans l'appréhension, s'avèrent elles-mêmes, au contraire, plutôt nulles, et le vrai qu'on était censé conquérir par cette logique de la perception, s'avère, dans une seule et même perspective, être le contraire, et avoir donc pour essence l'universalité sans différenciation ni détermination.
Ces abstractions vides que sont la singularité et l'universalité qui lui est opposée, de même que celle de l'essence, qui est liée à un inessentiel, et d'un inessentiel, qui cependant demeure en même temps nécessaire, sont les puissances dont l'entendement percevant - qu'on appelle souvent le bon sens - est le jeu. Lui qui se prend pour la conscience réelle, massive et consistante [83], n'est dans la perception que le jeu de ces abstractions ; d'une manière générale, c'est toujours là où il estime [84] être le plus riche, qu'il est le plus pauvre. En étant ainsi balloté de droite et de gauche par ces essences nulles, jeté des bras de l'une dans ceux de l'autre [85] et en s'employant à grand renforts de sophistique à maintenir et affirmer en alternance tantôt ceci, tantôt son contraire direct, en résistant à la |57| vérité, il estime que la philosophie n'a affaire qu'avec des choses de pensée [86]. Et, de fait, elle a aussi affaire avec elles, et les reconnaît pour les essences pures, pour les éléments et les puissances absolues ; mais en même temps elle les reconnaît dans leur déterminité, et donc en est maître, tandis que cet entendement perceptif [87] les prend pour le vrai [88], et qu'elles le renvoient d'un égarement dans l'autre. Lui-même ne parvient pas à la conscience de ce que c'est ce genre d'essentialités simples qui le gouvernent, mais estime toujours avoir affaire à des matières et des contenus tout à fait massifs et consistants, de la même façon que la certitude sensible ne sait pas que c'est l'abstraction vide de l'être pur qui est son essence; mais, de fait, c'est en s'appuyant sur elles qu'il parcourt ainsi en tous sens et de part en part toute espèce de matière et de contenu ; elles sont la jonction interne et la maîtrise de ceux-ci, et sont seules ce qui pour la conscience est le sensible en tant qu'essence, ce qui détermine ses rapports à celui-ci, et ce sur quoi se guide et se déroule le mouvement du percevoir et de son vrai. C'est ce déroulement, qui est en continuelle alternance une détermination du vrai et une abolition de cette détermination, qui constitue à proprement parler la vie, l'ensemble des faits et gestes [89] quotidiens et constants de la conscience qui perçoit et estime se mouvoir dans la vérité. Elle y progresse irrésistiblement vers le résultat d'un identique processus d'abolition de toutes ces déterminations ou essentialités essentielles, |58| mais n'a conscience comme du vrai, dans chacun des ces moments singuliers, que de cette Unique déterminité, puis de nouveau, de la déterminité opposée. Elle subodore sans doute son inessentialité ; et pour la sauver du péril qui menace, elle passe à la sophistique, qui lui fait affirmer maintenant comme le vrai ce qu'elle-même, l'instant d'avant, affirmait comme n'étant pas vrai. Face à ce que la nature de ces essences non vraies veut, à proprement parler, le pousser à faire, c'est-à-dire à rassembler les pensées de cette universalité et de cette singularité, de l’Aussi et de l’Un, de cette essentialité nécessairement liée à une inessentialité, et d'un inessentiel qui cependant est nécessaire - à rassembler toutes ensemble les pensées de ces monstrueuses inessences [90] et ce faisant à les abolir - cet entendement résiste en s'appuyant sur le dans la mesure où et sur les diverses perspectives, ou encore, en prenant sur lui telle pensée, pour conserver l'autre à part, comme la pensée vraie. Mais la nature de ces abstractions les rassemble en soi et pour soi [91], le bon sens de l'entendement c'est le rapt qu'elles font de lui en l'emportant dans leur course tourbillonnante. Tout en voulant leur donner la vérité, tantôt, en prenant sur lui leur non-vérité, tantôt en appelant l'illusion une apparence des choses incertaines [92], et en séparant l'essentiel de quelque chose qui est censé leur être nécessaire, mais cependant être inessentiel, et en établissant cet inessentiel comme leur vérité contre l'essentiel, il ne leur conserve pas leur vérité, mais se rend lui-même non vrai. |59|
III.
FORCE ET ENTENDEMENT.
PHÉNOMÈNE [93] ET MONDE SUPRASENSIBLE.
|59| Dans la dialectique de la certitude sensible, la conscience étourdie a complètement perdu l'usage des sens [94], puis, en tant que perception, elle est parvenue à des pensées, mais qu'elle ne rassemblera que dans l'inconditionnément universel [95]. Or, cet inconditionné, si on le prenait comme une essence simple au repos, ne serait à son tour pas autre chose que l’extrême de l’être pour soi qui vient se placer d'un côté, car c'est alors l'inessence [96] qui viendrait lui faire face ; mais référé à celle-ci, cet universel serait lui-même inessentiel, et la conscience ne serait pas sortie de l'illusion de la perception ; simplement, il s'est révélé être un universel qui a quitté un être pour soi conditionné de cette espèce et qui est rentré en lui-même. - Cet universel inconditionné, qui est désormais l'objet vrai de la conscience, a encore le statut d'objet de celle-ci ; elle n'a pas encore saisi son concept comme concept [97]. L'une et l'autre doivent être distingués essentiellement ; pour la conscience, l'objet est revenu du rapport |60| à autre chose pour rentrer en soi, et ainsi est devenu en soi concept ; mais la conscience n'est pas encore pour elle-même le concept, et c'est pourquoi ce n'est pas elle-même qu'elle reconnaît dans cet objet réfléchi. Pour nous, le mouvement de la conscience a affecté le devenir de cet objet de telle manière qu'elle est elle-même intriquée dans son devenir, et que la réflexion est la même des deux côtés, ou encore, qu'il n'y en a qu'une. Mais comme dans ce mouvement, la conscience n'avait encore pour contenu que l'essence objectale [98], et non la conscience en tant que telle, le résultat pour elle doit être posé dans une signification objectale, et la conscience comme étant encore en train de se retirer de ce qui est devenu, de sorte qu'à ses yeux, c'est comme quelque chose d'objectal que ce qui est devenu est l'essence.
L'entendement certes a aboli ainsi sa propre non-vérité et la non-vérité de l'objet ; et ce qui lui est devenu, c'est le concept du vrai ; comme vrai qui est en soi, qui n'est pas encore concept, ou qui est privé de l'être pour soi de la conscience, et que l'entendement laisse prévaloir, sans savoir qu'il y est. Ce vrai mène joyeuse vie [99] et pour lui-même ; en sorte que la conscience n'a aucune part à sa libre réalisation, mais se contente de la regarder et de l'appréhender purement et simplement. Nous devons donc encore, avant toute chose, nous mettre à sa place et être le concept qui forme et développe ce qui est contenu dans le résultat ; c'est en cet objet développé jusqu'au terme de sa formation, qui |61| se présente à la conscience comme quelque chose qui est, qu'elle devient, et seulement alors, conscience concevante.
Le résultat, c'était l'inconditionnément universel, en ce sens d'abord négatif et abstrait, que la conscience niait ses concepts unilatéraux, les abstractisait [100], c'est-à-dire les abandonnait. Mais le résultat a en soi cette signification positive qu'en lui est posée l'unité de l'être pour soi et de l'être pour un autre, ou encore, l'opposition absolue est immédiatement posée comme une seule et même essence. Ceci ne semble d'abord concerner que la forme des moments les uns par rapport aux autres ; mais l'être pour soi et l'être pour un autre sont tout aussi bien le contenu lui-même, puisque l'opposition ne peut avoir en sa vérité d'autre nature que celle qui s'est révélée dans le résultat, savoir, que le contenu tenu pour vrai dans la perception n'appartient en fait qu'à la forme et se dissout dans son unité. Ce contenu, en même temps, est universel ; il ne peut y avoir d'autre contenu que sa complexion particulière [101] autoriserait à se soustraire au retour dans cette universalité inconditionnée. Ce genre de contenu serait une certaine manière déterminée d'être pour soi et de se rapporter à autre chose. Simplement, être pour soi et se rapporter à autre chose en général constituent son essence et sa nature, dont la vérité est d'être un universel inconditionné ; et le résultat est tout simplement universel. |62|
Mais comme cet inconditionnément universel est objet pour la conscience, on voit surgir chez lui la différence de la forme et du contenu, et dans la figure du contenu, les moments ont l'aspect extérieur dans lequel ils se sont d'abord présentés, c'est-à-dire que, d'un côté ils sont le médium [102] universel d'un grand nombre de matières existantes, et d'autre part un Un réfléchi en lui-même au sein duquel leur autonomie [103] est anéantie. Le premier est la dissolution de l'autonomie de la chose, ou encore, la passivité qu'est un être pour autre chose ; tandis que le second est l'être pour soi. Il faut voir maintenant comment ces moments se présentent dans l'universalité inconditionnée qui est leur essence. Il est évident, pour commencer, que par le fait même qu'ils ne sont qu'en celle-ci, ils ne sont absolument plus désarticulés les uns des autres, mais sont essentiellement chez eux-mêmes des côtés qui s'abolissent, et que la seule chose qui soit posée, c'est le passage des uns dans les autres.
L'un des moments apparaît donc comme l'essence passée sur le côté, comme médium universel, ou encore comme la pérexistence de matières autonomes. Cependant, l’autonomie de ces matières n'est rien d'autre que ce médium ; ou encore, cet universel est de bout en bout la pluralité de ces différents universels. L'universel est chez lui-même en unité indissociée avec cette pluralité, mais ceci veut dire : ces matières sont chacune là où est l'autre, elles s'interpénètrent mutuellement, mais sans se toucher, parce qu'à l'inverse, le multiple différencié est tout aussi autonome. Est posée par là en même temps leur pure porosité [104] |63|, ou encore, leur statut de chose abolie. Cette abolescence à son tour, ou encore, la réduction de cette diversité au pur être pour soi, n'est pas autre chose que le médium lui-même, et celui-ci est l’autonomie des différences. Ou encore, celles qui sont posées dans leur autonomie passent immédiatement dans leur unité, et cette unité passe immédiatement dans le déploiement, lequel repasse de nouveau dans la réduction. Or, ce mouvement est ce qu'on appelle la force ; l'un des moments de celle-ci, savoir, cette même force comme expansion des matières autonomes dans leur être, est sa manifestation extérieure [105] ; mais en tant qu'elle est leur disparition, elle est la force qui fait retour de sa manifestation et est refoulée en soi, ou encore, la force proprement dite. Cela dit, premièrement, la force refoulée en soi doit se manifester ; et deuxièmement, dans cette manifestation, elle est tout autant une force qui est en soi, qu'elle est, dans cet être en soi-même, manifestation extérieure. - Dès lors que nous conservons ainsi les deux moments dans leur unité immédiate, l'entendement, auquel ressortit le concept de force, est à proprement parler le concept, qui porte les moments différenciés en tant qu'ils sont différenciés ; chez elle-même, en effet, ils ne sont pas censés être différenciés ; et donc la différence n'est que dans la pensée. - Ou encore, ce qu'on a posé ci-dessus n'est encore que le concept de force, et non la réalité de celle-ci. Mais la force est, en fait, l’inconditionnément universel qui est tout aussi bien chez lui-même ce qu'il est pour autre chose ; ou encore, qui a la différence chez lui-même |64| - laquelle, en effet, n'est rien d'autre que cet être pour autre chose. Pour que la force, donc, soit dans sa vérité, il faut qu'on la laisse complètement libre de la pensée et qu'elle soit posée comme la substance de ces différences, ce qui signifie premièrement la poser, elle, comme demeurant essentiellement en soi et pour soi cette force toute entière, et ensuite, poser ses différences, comme substantielles, ou comme des moments pérexistants pour soi. La force en tant que telle, ou en tant qu'elle est refoulée en elle-même, est ainsi pour soi en tant qu'Un exclusif, pour qui le déploiement des matières est une autre essence pèrexistante, en sorte que ce sont ainsi deux côtés autonomes différents qui sont posés. Mais la force est aussi le tout, ou encore, elle demeure ce qu'elle est selon son concept, c'est-à-dire que ces différences demeurent de pures formes, des moments évanescents superficiels. En même temps, il n'y aurait pas de différences de la force proprement dite refoulée en soi et du déploiement des matières autonomes, si elles n'avaient pas de pérexistence, ou encore, la force ne serait pas du tout, si elle n'existait [106] pas de cette manière antagonique ; mais dire qu'elle existe de cette manière antagonique n'est pas autre chose que dire que les deux moments sont eux-mêmes, en même temps, autonomes. C'est donc ce mouvement par lequel les deux moments s'autonomisent en permanence et s'abolissent de nouveau que nous devons examiner maintenant. - Il est clair, d'une manière générale, que ce mouvement n'est rien d'autre que le mouvement du percevoir, au sein duquel, d'une part, les deux côtés, à la fois ce qui perçoit, et ce qui est perçu, |65| sont, d'un côté, en tant qu'appréhension du vrai, unis et non distincts, mais où, en même temps, et tout aussi bien, chaque côté est réfléchi en soi, ou encore, est pour soi. Ces deux côtés sont ici des moments de la force ; ils sont tout autant dans une unité que cette unité, à son tour, qui apparaît face aux extrêmes pour soi comme le milieu, se décompose toujours précisément en ces extrêmes, lesquels ne sont qu'à partir de et par ce fait même. - Le mouvement qui se présentait antérieurement comme l'auto-anéantissement de concepts contradictoires, a donc ici la forme objectale, et est mouvement de la force, mouvement dont résulte et procède l'inconditionnément universel comme n'étant pas objectai, ou encore comme intérieur des choses.
La force, telle qu'elle a été déterminée en étant représentée comme telle ou comme réfléchie en soi, est l'un des côtés de son concept ; mais en tant que l'un des extrêmes substantiés, savoir, celui qui est placé sous la déterminité de l'Un. Par là même est exclue d'elle la pérexistence des matériaux déployés : celle-ci est autre chose qu'elle. Dès lors qu'il est nécessaire qu'elle soit elle-même cette pérexistence, ou qu'elle se manifeste extérieurement, cette manifestation se présente de telle sorte que cet autre vient s'adjoindre à elle, et la sollicite. Mais en fait, dès lors que nécessairement elle se manifeste, elle a chez elle cela même qui était posé comme une autre essence. Et il faut reprendre ce que nous avons dit sur [107] le fait qu'on l'avait posée comme un Un, et qu'on avait posé son essence, qui est de se manifester, comme quelque chose d'autre qui venait s'adjoindre à elle de l'extérieur ; elle est au contraire elle-même ce médium |66| universel de la pérexistence des moments en tant que matières ; ou encore, c'est elle qui s'est manifestée, et ce qui était censé être l'autre qui la sollicitait, c'est au contraire elle qui l'est. Elle existe donc maintenant comme le médium des matières déployées. Mais elle a tout aussi essentiellement la forme de chose abolie [108] qui est celle des matières pérexistantes, ou encore, elle est essentiellement Une ; cet être-un, par là même, maintenant qu'elle est posée comme le médium de matières, est un autre qu'elle, et elle a ainsi hors d'elle cette essence qui est la sienne. Mais dès lors qu'elle doit nécessairement être cela même en tant que quoi elle n'est pas encore posée, cet autre vient s'adjoindre et la sollicite à la réflexion en soi-même, ou encore, abolit sa manifestation extérieure. Mais, en fait, elle est elle-même cet être-réfléchi en soi, ou cette abolescence de la manifestation ; l'être-un disparaît comme il était apparu, savoir, en tant qu'autre ; elle l'est elle-même, elle est force refoulée en soi-même.
Ce qui entre en scène en tant qu'autre, et qui la sollicite aussi bien de s'exprimer que de rentrer en soi-même, est soi-même, ainsi qu'il appert immédiatement, force ; car l'autre, en effet, se montre aussi bien comme médium universel que comme Un ; et de telle manière que chacune de ces figures n'entre en scène en même temps que comme moment évanescent. Si bien que la force ne se trouve pas encore sortie de son concept par le fait qu'un autre est pour elle et qu'elle est pour un autre. Mais il y a en même temps deux forces ; le concept des deux est certes le même, mais il est sorti de son unité pour passer à la dualité. Au lieu de rester |67| de manière tout à fait essentielle un simple moment, l'opposition semble par le dédoublement en forces entièrement autonomes s'être soustraite à la domination de l'unité. Il faut regarder de plus près ce qu'il en est de cette autonomie. Dans un premier temps, la deuxième force, en tant que ce qui sollicite [109], et ce, comme médium universel, par son contenu, entre en scène face à celle qui est déterminée comme sollicitée ; mais dès lors que celle-là est essentiellement alternance de ces deux moments et est elle-même une force, elle n'est en fait pareillement médium universel qu'à partir du moment et dans la mesure où elle y est sollicitée, et, de la même manière, elle n'est aussi unité négative, ou sollicitant au retour de la force, que parce qu'elle est sollicitée.
Et ainsi aussi, cette différence qui existait entre les deux, et selon laquelle l'un était censé être celui qui sollicitait, et l'autre celui qui était sollicité, se transforme en ce même échange réciproque des déterminités.
Le jeu des deux forces consiste donc en cet état de détermination opposé de l'une et de l'autre, en leur être l'une pour l'autre dans cette détermination, et dans l'interversion [110] immédiate et absolue des déterminations : en un passage qui permet d'être à ces déterminations, dans lesquelles les forces semblent entrer en scène de manière autonome. Le moment sollicitant, par exemple, est posé comme médium universel, le sollicité l'étant à l'inverse comme force refoulée ; mais le premier n'est lui-même médium universel que par le fait que l'autre est force refoulée ; |68| ou encore, cette dernière est au contraire le moment sollicitant pour l'autre, et c'est elle, et d'abord elle, qui fait de lui le médium. Le premier n'a sa déterminité que par l'autre, et n'est sollicitant que dans la mesure où il est sollicité de l'être par l'autre ; et il perd tout aussi immédiatement cette déterminité qui lui est donnée ; car celle-ci passe à l'autre moment ou plus exactement, est déjà passée à celui-ci ; le moment étranger qui sollicite la force apparaît comme médium universel, mais uniquement par le fait qu'il y a été sollicité par elle ; mais ceci revient à dire que c'est elle qui le pose ainsi et qu'elle est au contraire elle-même essentiellement médium universel ; elle pose le moment sollicitant ainsi pour la raison que cette autre détermination lui est essentielle, c'est-à-dire parce qu'elle est, au contraire, elle-même celle-ci.
Pour compléter la compréhension du concept de ce mouvement, on peut encore attirer l'attention sur le fait que les différences se montrent elles-mêmes dans une différenciation redoublée, savoir, d'abord en tant que différences de contenu, en ce que l'un des extrêmes est force réfléchie en soi, tandis que l'autre est médium des matières ; et, deuxièmement, en tant que différences de forme, dès lors que l'un est sollicitant, l'autre sollicité, le premier actif, le second passif. Selon la différence de contenu, ils sont tout simplement, ou sont différents pour nous ; mais selon la différence de forme, ils sont autonomes, ou sont, au sein même de leur relation, en cours de séparation l'un de l'autre et opposés. Et qu'ainsi les extrêmes |69| ne soient, selon ces deux côtés, rien en soi, et qu'au contraire ces côtés, en lesquels était censée consister leur essence distincte, ne soient que des moments évanescents, passage immédiat de chaque côté dans le côté opposé, cela devient et advient pour la conscience dans la perception du mouvement de la force. Mais pour nous, comme nous l'avons rappelé ci-dessus, il y avait encore ceci qu'en soi les différences, en tant que différences de contenu et de forme, disparaissaient, et que du côté de la forme, selon l'essence, l'actif, le sollicitant, ou encore, ce qui est pour soi était la même chose que ce qui, du côté du contenu, se présentait comme force refoulée ; que le passif, le sollicité, ou encore ce qui était pour un autre, était, du côté de la forme, la même chose que ce qui, du côté du contenu, se présentait comme médium universel des multiples matières.
Il résulte de cela, à la fois que le concept de force devient effectif par le doublement en deux forces, et la façon même dont il le devient. Ces deux forces existent comme essences qui sont pour soi ; mais leur existence [111] est un tel mouvement de l'une contre l'autre, que leur être est bien plutôt un pur être posé par autre chose, c'est-à-dire que leur être a bien plutôt la pure signification de la disparition. Elles ne sont pas comme des extrêmes qui conserveraient pour soi quelque chose de solide et se contenteraient de s'envoyer l'un à l'autre une propriété extérieure en leur milieu et à l'endroit de leur contact ; mais ce qu'elles sont, elles ne le sont que dans ce milieu et ce contact. S'y trouve immédiatement aussi bien l'être refoulé en soi, ou l’être pour soi de la force, |70| que sa manifestation extérieure, l'acte de la sollicitation aussi bien que le fait d'être sollicité; et, par là même, ces moments ne sont pas répartis sur deux extrêmes autonomes qui ne se présenteraient qu'une pointe opposée, mais leur essence consiste tout bonnement à être chacun uniquement par l'autre, consiste en ceci que, ce que chacune est ainsi par l'autre, tout en l'étant, et immédiatement, elle ne l'est plus. Elles n'ont donc en fait aucunes substances propres qu'elles porteraient et conserveraient. Le concept de force se conserve, au contraire, en tant qu'essence dans son effectivité elle-même ; la force en tant que force effective n'est tout simplement que dans la manifestation extérieure, laquelle en même temps n'est rien d'autre qu'une auto-abolition de soi-même. Cette force effective, quand elle est représentée comme libre de sa manifestation extérieure et comme étant pour soi, est la force refoulée en soi, mais cette déterminité, comme il est apparu, n'est elle-même en fait qu'un moment de la manifestation. La vérité de la force demeure donc seulement la notion [112] de celle-ci; et les moments de son effectivité, ses substances et son mouvement s'effondrent sans plus se contenir [113] en une unité indifférenciée qui n'est pas la force refoulée en elle-même, car celle-ci n'est elle-même que l'un de ces moments : cette unité est au contraire son concept, en tant que concept. La réalisation [114] de la force est donc en même temps perte de la réalité ; la force y est devenue au contraire quelque chose de tout à fait autre, savoir, cette universalité que l'entendement connaît d'abord, ou connaît immédiatement, comme son essence et qui s'avère aussi comme son essence |71| en la réalité censée être la sienne chez les substances effectives.
Dans la mesure où nous considérons le premier universel comme le concept de l'entendement, où la force n'est pas encore pour soi, le second universel maintenant sera son essence, telle qu'elle s'expose en soi et pour soi. Ou, à l'inverse, si nous considérons le premier universel comme l'universel immédiat qui devrait être un objet effectif pour la conscience, ce deuxième universel est déterminé comme le négatif de la force sensible-objectale ; il s'agit de celle-ci telle qu'elle est en son essence vraie uniquement comme objet de l’entendement ; ce premier universel serait la force refoulée en elle-même, ou encore la force en tant que substance ; tandis que le second est l’intérieur des choses en tant qu'intérieur, qui est la même chose que le concept en tant que concept [115].
Cette essence véritable des choses s'est maintenant déterminée de telle manière qu'elle n'est pas immédiatement pour la conscience, mais que celle-ci au contraire a un rapport médiat à l'intérieur, et regarde en tant qu'entendement par ce milieu du jeu des forces dans l’arrière-fond véritable des choses. Le milieu qui appareille les deux extrêmes, l'entendement et l'intérieur, est l’être développé de la force, lequel est lui-même désormais pour l'entendement lui-même un disparaître. C'est pourquoi on l'appelle apparition [ou phénomène] [116] ; nous appelons en effet apparence l’être qui est immédiatement en lui-même un non-être. Mais ce n'est pas seulement une apparence, c'est aussi une apparition, un tout de l'apparence. C'est ce tout en tant que tout, cet universel, qui |72| constitue l’intérieur, le jeu des forces, comme réflexion de celui-ci en lui-même. En lui les essences de la perception sont posées de manière objective pour la conscience telles qu'elles sont en soi, savoir, comme des moments qui se transforment immédiatement, sans repos ni être, en leur contraire, l'Un se transformant immédiatement en l'universel, et l'essentiel immédiatement en l'inessentiel, et inversement. C'est pourquoi ce jeu des forces est le négatif développé, mais sa vérité est le positif, savoir, l’universel, l'objet qui est en soi. - l’être de cet objet pour la conscience est intermédié par le mouvement de l’apparition phénoménale, dans lequel l’être de la perception et le sensible-objectal tout court n'ont qu'une signification négative, et où donc, de ce fait, la conscience se réfléchit en elle-même comme dans le vrai, mais où, en tant que conscience, elle fait de nouveau de ce vrai un intérieur objectai, et distingue cette réflexion des choses de sa réflexion en elle-même ; de même que pour elle le mouvement intermédiant est encore tout autant un mouvement objectai. C'est pourquoi cet intérieur est pour elle un extrême qui lui fait face ; mais il est pour elle le vrai parce qu'en lui, en tant que l’en soi, elle a en même temps la certitude de soi, ou le moment de son être pour soi ; mais de cette raison elle n'est pas encore consciente, car l’être pour soi, que l'intérieur devrait avoir chez lui-même, ne serait rien d'autre que le mouvement négatif, alors que celui-ci est encore pour la conscience le phénomène objectai |73| évanescent, n'est pas encore son propre être pour soi à elle ; c'est pourquoi l'intérieur est bien pour elle concept, mais elle ne connaît pas encore la nature du concept.
C'est seulement dans ce Vrai intérieur, en tant qu'absolument universel nettoyé de l’opposition de l'universel et du singulier, et devenu pour l’entendement, que s'ouvre alors comme monde vrai, par-dessus le monde sensible en tant que monde qui apparaît, un monde suprasensible ; que s'ouvre désormais par-dessus l’ici-bas [117] évanescent l’au-delà durable ; un en soi qui est la première apparition, et pour cela elle-même imparfaite encore, de la raison, ou qui n'est que le pur élément dans lequel la vérité a son essence.
En sorte que c'est désormais notre objet qui est le syllogisme qui a pour extrêmes l'intérieur des choses et l'entendement, et pour moyen terme le phénomène ; mais c'est le mouvement de ce syllogisme qui fournit la détermination ultérieure de ce que l'entendement aperçoit dans l'intérieur à travers le milieu, et l'expérience qu'il fait sur ce rapport de co-inclusion [118].
L'intérieur est encore un pur au-delà pour la conscience, car elle ne se trouve pas elle-même encore en lui ; il est vide, car il n'est que le rien du phénomène, et parce que, positivement, il est l'universel simple. Cette façon d'être de l'intérieur conforte immédiatement ceux qui disent que l'on ne peut pas connaître l'intérieur des choses ; mais il faudrait en concevoir [119] autrement le fondement. Certes, il n'y a pas de connaissance de cet intérieur, |74| tel qu'il est ici immédiatement, mais ce n'est pas à cause d'un excès de myopie, ou de limites, de la raison, ou de tout ce qu'on peut encore dire, et au sujet de quoi rien ne nous est encore connu, car nous n'avons pas encore progressé si profondément que cela ; c'est, au contraire, en raison de la simple nature de la chose elle-même, étant donné en effet que dans le vide rien n'est connu, ou, si l'on veut dire les choses par l'autre bout, parce qu'il est précisément déterminé comme l’au-delà de la conscience. - Le résultat, assurément, sera le même, qu'on mette un aveugle dans la richesse du monde suprasensible - pour autant que ce monde ait une richesse et qu'elle soit alors le contenu propre de celui-ci, ou que la conscience elle-même soit ce contenu - ou qu'on mette un voyant dans les pures ténèbres, ou si l'on veut, dans la pure lumière, pour autant que ce monde surnaturel soit cette lumière ; le voyant voit aussi peu dans sa pure lumière que dans ses pures ténèbres, et exactement autant que l'aveugle dans l'abondance de richesses qu'il aurait face à lui. S'il n'y avait rien d'autre à tirer de l'intérieur et de la co-inclusion avec lui par l'intermédiaire du phénomène, il ne resterait plus qu'à s'en tenir à ce qui apparaît, au phénomène, c'est-à-dire à percevoir, à prendre pour vraie une chose dont nous savons qu'elle n'est pas vraie ; ou encore, pour que dans ce vide, qui est d'abord advenu comme vacuité de choses objectives, mais qui doit être pris aussi, en tant que vacuité en soi, pour la vidité de tous les rapports spirituels et des différences de la conscience |75| en tant que conscience - pour que, donc, dans ce vide intégral qu'on appelle aussi le sacré, il y ait quand même quelque chose, il ne resterait plus qu'à le remplir avec des rêveries, c'est-à-dire avec des phénomènes [120] que la conscience se produit à elle-même ; il faudrait qu'il se satisfasse qu'on le traite si mal, car il ne mériterait pas d'être mieux traité que cela, dans la mesure où les rêveries elles-mêmes sont encore mieux, pour lui que sa vacuité.
Mais l'intérieur, ou l'au-delà suprasensible, est né, il vient du phénomène, et celui-ci est sa médiation ; ou encore, l’apparition phénoménale est son essence, et ce qui, en réalité, le remplit [121]. Le suprasensible est le sensible perçu, posé tel qu'il est en vérité ; or la vérité du sensible et perçu est d'être phénomène. Le suprasensible est donc le phénomène en tant que phénomène. - Si l'on pense, en l'occurrence, que le suprasensible est donc le monde sensible, ou encore le monde comme il est pour la certitude et la perception sensibles immédiates, on comprend les choses à l'envers ; car le phénomène, bien au contraire, n'est pas le monde du savoir et du percevoir sensible en tant qu'il est, mais ce même monde en tant qu'il a été aboli, ou posé en vérité comme monde intérieur. On a coutume de dire que le suprasensible n'est pas le phénomène ; mais ce disant, on n'entend pas, sous phénomène, l'apparition phénoménale, mais au contraire le monde sensible, comme effectivité elle-même réelle. |76|
L'entendement, qui est notre objet, se trouve précisément à cet endroit où, pour lui, l'intérieur n'est d'abord advenu que comme l’en soi universel, non encore rempli ; le jeu des forces n'a précisément que cette seule signification négative de ne pas être en soi, et cette seule signification positive d'être l’intermédiant, mais hors de l'entendement. Mais sa relation à l'intérieur par la médiation est son mouvement, mouvement par lequel l'intérieur va se remplir pour lui. - Ce qui est immédiat pour lui, c'est le jeu des forces ; mais ce qui est vrai pour lui, c'est l'intérieur simple ; c'est pourquoi le mouvement de la force n'est, lui aussi, tout autant le vrai que comme simple en général. Or nous avons vu, à propos de ce jeu des forces, qu'il est fait de telle manière que la force sollicitée par une autre force est tout aussi bien l'élément sollicitant pour cette autre force, laquelle ne devient qu'alors et de ce fait une force sollicitante. Il est donc ici, tout aussi bien, uniquement le changement immédiat, ou l'échange absolu de la déterminité qui constitue Tunique contenu de ce qui intervient ; savoir, d'être, soit, médium universel, soit, unité négative. Il cesse immédiatement, dans son intervention déterminée elle-même, d'être ce en tant que quoi il intervient ; sollicite par son intervention déterminée l'autre côté, lequel par là même se manifeste ; c'est-à-dire que ce côté est maintenant immédiatement ce que l'autre était censé être. Ces deux côtés, le rapport de sollicitation, et le rapport de contenu déterminé opposé, sont chacun pour soi l'inversion et la confusion |77| absolue [122]. Mais ces deux rapports sont eux-mêmes à leur tour une seule et même chose, et la différence de forme, savoir, celle qu'il y a à être le sollicité et à être le sollicitant, est la même chose que ce qu'est la différence de contenu, le sollicité étant en tant que tel le médium passif ; tandis que le sollicitant est le médium actif, l'unité négative, ou encore l'Un. Par là même disparaît toute différence de forces particulières, qui seraient censées être présentes dans ce mouvement, et opposées les une aux autres en général ; car ces forces reposaient uniquement sur ces différences ; et la différence des forces coïncide et aboutit tout aussi bien, en même temps que ces deux différences, en une seule et unique différence. Ce qu'il y a, dans cet échange absolu, ce ne sont donc ni la force, ni le fait de solliciter ou d'être sollicité, ni la déterminité de médium pérexistant et d'unité réfléchie en soi, ni le fait d'être individuellement pour soi quelque chose, ni diverses oppositions ; mais simplement la différence en tant que différence universelle, ou que différence en laquelle s'est réduite la pluralité des oppositions. C'est pourquoi cette différence, en tant qu'universelle, est ce que le jeu de la force comporte lui-même de simple, et le vrai de ce jeu ; elle est la loi de la force.
C'est cette différence simple que le phénomène absolument changeant devient par sa relation à la simplicité de l'intérieur ou de l'entendement. L'intérieur n'est d'abord que l'universel en soi ; mais cet universel simple en soi est essentiellement, de manière tout aussi absolue, la différence universelle ; car il est |78| le résultat du changement lui-même, ou encore, le changement est son essence ; mais le changement en tant qu'il est posé dans l'intérieur, tel qu'il est en vérité, et donc accueilli en lui comme différence tout aussi absolument universelle, apaisée, et demeurant identique à soi. Ou encore, la négation est un moment essentiel de l'universel, et elle est, ou encore, donc, la médiation en général est différence universelle. Laquelle est exprimée dans la loi, en tant qu'image constante de l'instable phénomène. En sorte que le monde suprasensible est un tranquille royaume de lois, qui certes sont situées au-delà du monde qu'on perçoit, car celui-ci ne présente la loi que par un changement constant, mais qui sont tout aussi présentes en lui et sont son immédiate et paisible copie [123].
Ce royaume des lois est certes la vérité de l’entendement, laquelle a son contenu en la différence qui est dans la loi ; mais il n'est en même temps que sa première vérité, et il ne remplit pas tout le phénomène. La loi est présente en celui-ci, mais elle n'est pas son présent [124] tout entier ; elle a, dans des circonstances toujours différentes, une effectivité toujours différente. Ce qui fait qu'il reste toujours au phénomène pour soi un côté qui n'est pas dans l'intérieur ; ou encore, il n'est pas encore posé en vérité comme phénomène, comme être pour soi aboli. Ce défaut de la loi doit tout autant se mettre en évidence chez la loi elle-même. Ce qui semble lui faire défaut, c'est qu'elle a certes en elle la différence, mais comme différence universelle, indéterminée. |79| Toutefois, dans la mesure où elle n'est pas la loi en général, mais une loi, c'est chez cette différence qu'elle a sa déterminité ; d'où une pluralité indéterminée de lois. Simplement, cette pluralité est elle-même bien plutôt un manque ; elle contredit en effet le principe de l'entendement, pour qui, en tant que conscience de l'intérieur simple, c'est l’unité universelle en soi qui est le vrai. C'est pourquoi l'entendement doit bien plutôt faire coïncider la multiplicité des lois en une loi unique. De la même façon que, par exemple, la loi selon laquelle la pierre chute, et celle selon laquelle les sphères célestes se meuvent, ont été conçues comme loi unique. Mais en coïncidant ainsi les unes dans les autres, les lois perdent leur déterminité ; la loi est de plus en plus superficielle, si bien que ce qu'on trouve en fait n'est pas l'unité de ces lois déterminées, mais une loi qui se débarrasse de leur déterminité ; de la même façon que la loi unique qui réunit en elle la loi de la chute des corps sur la terre et celle du mouvement céleste, n'exprime pas, en réalité, ces deux lois. La réunion de toutes les lois dans l’attraction universelle n'exprime pas d'autre contenu que précisément le simple concept de la loi elle-même qui est posé là comme étant. L'attraction universelle dit simplement ceci que tout a une différence constante par rapport à autre chose. L'entendement estime en l'occurrence avoir découvert une loi universelle qui exprimerait l'effectivité universelle en tant que telle ; mais il n'a trouvé en réalité que le concept de la loi |80| elle-même ; toutefois, il le fait de telle manière qu'il énonce en même temps par là que toute effectivité est en elle-même conforme à une loi [125]. C'est pourquoi l'expression d'attraction universelle a une grande importance en ce qu'elle est dirigée contre la représentation sans pensée, pour qui tout se présente sous la figure de la contingence, et pour qui la déterminité a la forme de l'autonomie sensible.
Fait donc face aux lois déterminées l'attraction universelle, ou encore, le pur concept de la loi. Dès lors que ce pur concept est considéré comme l'essence, ou comme l'intérieur véritable, la déterminité de la loi déterminée appartient elle-même encore au phénomène, ou plus exactement à l'être sensible. Simplement, le pur concept de la loi ne va pas seulement au-delà de la loi qui, elle-même loi déterminée, fait face à d'autres lois déterminées, mais il va également au-delà de la loi en tant que telle. La déterminité dont il était question n'est à vrai dire elle-même qu'un moment évanescent, qui ne peut plus survenir ici comme essentialité ; il n'y a en effet que la loi qui soit présente comme le vrai ; mais le concept de la loi est tourné contre la loi elle-même. Car en la loi la différence elle-même est immédiatement appréhendée et enregistrée dans l'universel, mais en même temps qu'une pérexistence des moments dont elle exprime la relation comme essentialités indifférentes et en soi. Mais ces parties |81| de la différence chez la loi sont en même temps elles-mêmes des côtés déterminés ; le pur concept de la loi, en tant qu'attraction universelle, doit être appréhendé dans sa vraie signification de telle sorte qu'en lui, en tant qu'absolument simple, les différences présentes chez la loi en tant que telle, reviennent elles-mêmes dans l’intérieur en tant qu'unité simple ; celle-ci est la nécessité interne de la loi.
La loi, par là même, se trouve présente d'une manière double, d'abord en tant que loi où les différences sont exprimées comme des moments autonomes ; et ensuite sous la forme du simple retour effectué en soi, forme qui peut à son tour être appelée force, mais sous une espèce où elle n'est pas la force refoulée, mais la force tout court, ou comme concept de la force, abstraction qui tire elle-même en soi les différences de ce qui attire et de ce qui est attiré. C'est ainsi, par exemple, que l'électricité simple est la force ; en revanche l'expression de la différence échoit à la loi ; cette différence c'est : électricité positive et électricité négative. Dans le mouvement de la chute, h force, c'est le simple, la pesanteur, laquelle a pour loi que les grandeurs des moments distincts du mouvement, savoir, du temps écoulé et de l'espace parcouru, soient dans un rapport de racine à carré [126]. L'électricité proprement dite n'est pas la différence en soi, ou encore, elle n'est pas dans son essence l'essence hybride [127] de l'électricité positive et de l'électricité |82| négative ; c'est pourquoi on a coutume de dire qu'elle a pour loi d'être de telle manière, voire qu'elle aurait la propriété caractéristique de se manifester ainsi. Cette propriété est certes une propriété essentielle et unique de cette force, ou encore, elle lui est nécessaire. Mais nécessité ici est un mot creux ; la force doit précisément, parce qu'elle le doit, se redoubler de la sorte. Si l'on pose bien, de fait, une électricité positive, une électricité négative est aussi nécessaire en soi ; parce que le positif n'existe que comme relation à un négatif, ou encore, parce que le positif est chez lui-même la différence de soi-même, tout de même que le négatif. Mais il n'est pas en soi nécessaire que l'électricité en tant que telle se partage ainsi ; en tant que force simple, elle est indifférente à l'égard de sa loi, qui est d'être comme électricité positive et comme électricité négative ; et si nous appelons la première son concept, mais la seconde son être, son concept est indifférent à l'égard de son être ; elle ne fait qu'avoir cette propriété-ci ; c'est-à-dire précisément que cela ne lui est pas en soi nécessaire. - Cette indifférence prend une autre figure lorsqu'on dit qu'il ressort de la définition de l'électricité d'être comme positive et négative, ou que ceci est tout simplement son concept et son essence. Son être serait [128] dès lors son existence [129] tout court ; or, dans la première définition, on ne trouve pas la nécessité de son existence ; ou bien elle est parce qu'on la trouve, c'est-à-dire qu'elle n'est pas du tout nécessaire ; ou alors son existence est par l'effet d'autres forces, c'est-à-dire que sa nécessité est une nécessité extérieure. Mais le fait que |83| la nécessité soit posée dans la déterminité de l'être par autre chose nous fait retomber dans la pluralité des lois déterminées, que nous venions précisément de quitter pour considérer la loi en tant que loi ; c'est seulement à celle-ci qu'il faut comparer son concept en tant que concept, ou sa nécessité, laquelle cependant ne s'est encore montrée dans toutes ces formes que comme un mot vide.
L'indifférence [130] de la loi et de la force, ou du concept et de l'être, est présente encore sous une autre manière que celle que nous avons indiquée. Dans la loi du mouvement, par exemple, il est nécessaire que le mouvement se divise en espace et temps, ou alors, en distance et vitesse. Dès lors que le mouvement n'est que le rapport de ces moments, il est bien ici, lui l'Universel, divisé en lui-même ; or ces parties, temps et espace, ou encore distance et vitesse, n'expriment pas chez elles-mêmes cette origine à partir d'une entité unique ; elles sont indifférentes l'une à l'autre, l'espace est représenté sans le temps, le temps sans l'espace, et la distance, à tout le moins, sans qu'elle puisse être la vitesse - de la même façon que leurs grandeurs sont indifférentes les unes aux autres; en ceci qu'elles ne se rapportent pas les unes aux autres comme du positif et du négatif, ne se réfèrent pas les unes aux autres par leur essence. En sorte que, si la nécessité de la partition est bien donnée, celle des parties en tant que telles les unes pour les autres ne l'est pas. Or c'est précisément pourquoi cette première nécessité n'est elle-même qu'une fausse nécessité, une nécessité simulée [131] |84|; le mouvement, en effet, n'est pas représenté lui-même comme quelque chose de simple, ou comme essence pure ; mais déjà comme étant divisé ; le temps et l'espace sont ses parties autonomes, ou des essences en elles-mêmes, ou encore, la distance et la vitesse sont des modalités, de l'être ou de la représentation, dont chacune peut très bien être sans l'autre, le mouvement n'étant plus que leur relation superficielle et non leur essence. Certes, représenté comme essence simple, ou comme force, il est bien la pesanteur, mais celle-ci ne contient pas du tout ces différences en elle.
Dans les deux cas, la différence n'est donc pas une différence en soi-même ; ou bien l'universel, la force, est indifférente à l'égard de la division qui est dans la loi, ou bien les différences, les parties de la loi, le sont les unes à l'égard des autres. Or l'entendement a à même soi le concept de cette différence, précisément en ce que la loi est, d'un côté, l'intérieur, ce qui est en soi, mais est en même temps à même cet intérieur, le différencié ; le fait, donc, que cette différence soit différence intérieure est donné en ceci que la loi est force simple, ou est comme concept de la différence, et donc est une différence du concept. Mais cette différence interne n'échoit encore pour l'instant qu'à l'entendement ; et elle n'est pas encore posée à même la chose même. Ce que l'entendement énonce, c'est donc simplement la nécessité propre ; savoir, une différence qu'il ne fait donc qu'en exprimant dans le même temps que la différence n'est pas une différence de la chose même. Cette nécessité |85| qui réside uniquement dans le mot, est par conséquent le récit qu'on débite [132] des moments qui en constituent le cercle ; certes, on différencie ces moments, mais en même temps on exprime leur différence, comme n'étant pas différence de la chose même, ce qui revient à l'abolir de nouveau tout aussitôt ; c'est ce mouvement qu'on appelle expliquer [133]. Ainsi donc, on énonce une loi, et de cette loi on distingue son universel en soi, ou le fond, comme étant la force ; mais de cette différence on dit qu'elle n'en est pas une, et qu'au contraire le fondement est exactement fait [134] comme la loi. L'événement singulier que constitue l'éclair par exemple est appréhendé comme universel, et cet universel est énoncé comme la loi de l'électricité : après quoi l'explication ramasse et résume la loi dans la force, en tant qu'essence de la loi. Cette force est alors ainsi faite que, lorsqu’elle s'exprime, il surgit des électricités opposées, qui redisparaissent l'une dans l'autre, c'est-à-dire que la force est exactement faite comme la loi ; on dit que l'une et l'autre ne diffèrent absolument pas. Les différences sont d'une part la pure manifestation universelle, la loi, et d'autre part la force pure ; mais l'une et l'autre ont le même contenu, sont faites de la même façon ; en sorte qu'on revient aussi sur [135] la différence comme différence du contenu, c'est-à-dire de la chose.
Dans ce mouvement tautologique, l'entendement, comme on le constate, reste figé dans la tranquille unité de son objet, et le mouvement échoit non dans l'objet, |86| mais uniquement dans l'entendement : il est une explication qui non seulement n'explique rien du tout, mais qui même est si claire que, dès lors qu'elle se dispose à dire quelque chose de différent de ce qui a déjà été dit, elle ne dit au contraire rien, mais se contente de répéter creusement [136] la même chose. Ce mouvement ne fait rien naître de nouveau chez la chose même, mais n'entre en ligne de compte que comme mouvement de l'entendement. C'est simplement lui qui, en tant que mouvement de l'entendement, est pris en considération. Or ce que nous reconnaissons en lui, précisément, c'est ce dont on déplorait l'absence dans la loi, savoir, l'alternance [137] absolue elle-même, étant donné que ce mouvement, si nous l'examinons de plus près, est immédiatement le contraire de lui-même. Il présuppose en effet une différence, qui non seulement pour nous n'est pas une différence, mais qu'il abolit lui-même en tant que différence. C'est là la même alternance que celle qui s'était présentée comme jeu des forces ; il y avait en elle la différence du sollicitant et du sollicité, de la force qui se manifeste extérieurement, et de la force refoulée en elle-même ; mais c'étaient des différences qui, en vérité, n'en étaient pas, et qui donc se réabolissaient tout aussi bien immédiatement. On n'est donc pas seulement en présence de la pure et simple unité, où aucune différence ne serait posée, mais de ce mouvement où certes une différence est faite, mais où, parce qu'elle n'en est pas une, elle est réabolie. - Avec l'explication, toute la mouvance et le changement qui antérieurement n'étaient, hors de l'intérieur, qu'au niveau phénoménal, ont donc pénétré dans le suprasensible lui-même; mais notre conscience est passée de l'intérieur, en tant qu'objet, sur l'autre côté, |87| dans l'entendement, et c'est en lui qu'elle a le changement.
Ce changement n'est ainsi pas encore un changement de la chose même, et se présente même au contraire précisément comme changement pur, par le fait que le contenu des moments du changement reste le même. Mais dès lors que le concept comme concept de l'entendement est la même chose que ce qu'est l’intérieur des choses, cette alternance devient pour lui comme loi de l’intérieur. Il apprend donc par l’expérience que c'est une loi du phénomène lui-même qu'adviennent des différences qui ne sont pas des différences, ou que ce qui est de même nom se repousse [138] de soi-même ; et, pareillement, que les différences ne sont que des différences qui en vérité n'en sont pas et qui s'abolissent ; ou encore que ce qui n'est pas de même nom s'attire. - Seconde loi, dont le contenu est opposé à ce qui antérieurement avait été nommé loi, savoir, à la différence qui perdure dans l'identité constante à soi-même ; cette nouvelle loi exprime en effet au contraire le devenir non identique de l'identique, et inversement, le devenir identique du non-identique [139]. Le concept impute [140] à l'absence de pensée qu'elle rassemble les deux lois et qu'elle prenne conscience de leur opposition. - La seconde est certes bien aussi une loi, ou un être intérieur identique à soi-même, mais c'est plutôt une identité à soi de la non-identité, une constance de l'inconstance. - Le jeu des forces a montré cette loi comme étant précisément ce passage absolu, et comme pure alternance [141] ; ce qui est de même nom, la force, se |88| décompose en un opposé, qui apparaît d'abord comme une différence autonome, mais qui s'avère en fait n'en être aucune ; car c'est ce qui est de même nom qui se repousse de soi-même, en sorte que ce repoussé, essentiellement, s'attire, puisqu'aussi bien il s'agit de la même chose ; la différence faite, comme elle n'en est pas une, se réabolit donc. Elle s'expose ce faisant comme différence de la chose même, ou encore comme différence absolue, et cette différence de la chose n'est donc rien d'autre que ce qui est de même nom et s'est repoussé de soi, ne posant donc qu'un opposé qui n'en est pas un.
Par ce principe, le premier univers suprasensible, le paisible royaume des lois, la copie immédiate du monde perçu se trouve renversée [142] en son contraire ; la loi était de manière générale ce qui, tout comme ses différences, reste identique à soi; or, ce qui est maintenant posé, c'est que ce sont l'un et l'autre, à l'inverse, qui sont chacun le contraire de soi-même ; l’identique à soi se repousse bien plutôt de soi-même, tandis que le non-identique à soi se pose à l'inverse comme l'identique à soi. Et c'est, de fait, seulement avec cette détermination, dès lors que l'identique est non identique à soi, et le non-identique, identique à soi, que la différence est la différence interne, ou la différence en soi-même. - Ce second monde suprasensible est, de cette manière, le monde à l’envers [143] ; et, dès lors que l'un des côtés est déjà présent dans le premier monde suprasensible, il est l'aspect [144] inversé de ce premier monde. L'intérieur par là même est achevé en tant que phénomène. Le premier monde suprasensible n'était en effet que l'élévation |89| immédiate dans l'élément universel du monde perçu ; il avait en lui sa contre-image nécessaire, et celui-ci conservait encore pour soi le principe du changement [145] et de la modification ; le premier règne des lois en était privé, mais il l'obtient en tant que monde à l'envers.
Selon la loi de ce monde inversé, ce qui est de nom identique dans le premier monde, est donc le non-identique de soi-même, et pareillement, le non-identique de ce monde est non identique à celui-là même, ou encore, il devient identique à soi. À certains moments déterminés, la chose se produira de telle manière que ce qui, dans la loi du premier monde, est doux ou sucré, se trouvera être aigre dans cet en soi inversé ; ce qui là était noir, est ici blanc. Ce qui dans la loi du premier monde est le pôle Nord selon l'aimant, est pôle Sud dans son autre en soi suprasensible (savoir, dans la terre) ; mais ce qui là est pôle Sud, est ici pôle Nord. De même, ce qui dans la première loi de l'électricité est le pôle de l'oxygène, devient dans son autre essence suprasensible, pôle de l'hydrogène ; et inversement, ce qui là est le pôle de l'hydrogène devient ici le pôle de l'oxygène. Dans une autre sphère, si l'on s'en tient à la loi immédiate, la vengeance sur l'ennemi est la suprême satisfaction de l'individualité offensée. Mais cette loi qui veut que face à celui qui ne me traite pas comme une essence propre [146], je me montre moi-même comme l'essence, et qu'au contraire je l'abolisse lui en tant qu'essence, s'inverse par le principe de l'autre monde en la loi opposée, la restauration de moi-même comme étant l'essence par l'abolition de l'essence d'autrui s'inverse |90| en autodestruction. Or, si cet invertissement, qui est représenté [147] dans la punition du crime, est fait loi, il n'en demeure pas moins, à son tour, la loi de l'un des mondes qui a face à lui un monde suprasensible à l’envers, dans lequel ce qui est méprisé dans ce monde-là, est en honneur, tandis que ce qui y est à l'honneur tombe dans le mépris. La punition qui, selon la loi du premier monde, frappe l'homme d'opprobre et l'élimine, se transforme dans son monde inversé en la grâce qui conserve son essence et qui le comble d'honneur.
D'un point de vue superficiel, ce monde à l'envers est donc le contraire du premier en ce qu'il a celui-ci hors de lui et qu'il repousse de lui-même ce premier monde comme une effectivité inversée, en ce que l’un est le phénomène, tandis que l’autre est l’en soi, que l’un l'est tel qu'il est pour un autre, tandis que l’autre l'est tel qu'il est pour soi ; en sorte que, pour employer les exemples précédents, ce qui est sucré au goût serait à proprement parler, ou internement, à même la chose, aigre, ou que ce qui est le pôle Nord sur la boussole réelle du phénomène, serait pôle Sud en l'être interne ou essentiel ; ce qui se présente comme pôle oxygène dans l'électricité qui apparaît, serait pôle hydrogène en celle qui n'apparaît pas. Ou encore, une action qui au niveau phénoménal de ce qui apparaît, est un crime, serait censée pouvoir être à proprement parler bonne au niveau interne (une action mauvaise pourrait avoir une bonne intention), la punition pourrait n'être punition qu'au niveau phénoménal, mais être en soi ou dans |91| un autre monde, un bienfait pour le criminel. Simplement, nous n'avons plus ici ce genre d'oppositions de l'interne et de l'externe, du phénoménal et du suprasensible, comme si c'étaient deux sortes d'effectivités. Les différences repoussées ne se répartissent plus une nouvelle fois sur deux genres de substances qui les porteraient et leur conféreraient une pérexistence séparée ; ce qui ferait retomber l'entendement depuis l'intérieur à sa place antérieure. L'un des côtés, ou la substance, serait de nouveau le monde de la perception, dans lequel l'une des deux lois donnerait libre cours à son essence [148] et on aurait, lui faisant face, un monde intérieur, un monde rigoureusement sensible comme le premier, mais dans la représentation; il ne pourrait pas être désigné comme monde sensible, ne pourrait être vu, ni entendu, ni goûté, et pourtant il serait représenté, comme un monde sensible de ce genre. Mais en fait, si l’une des choses posées est quelque chose de perçu, et que son en soi, en tant que l'inverse de celui-ci, est tout aussi bien quelque chose qu'on se représente sensiblement, l'aigre est donc ce que serait l'en soi de la chose sucrée, une chose aussi effective qu'elle, une chose aigre ; le noir qui serait l'en soi du blanc est le noir effectif ; le pôle Nord, qui est l'en soi du pôle Sud, est le pôle Nord présent sur la même boussole ; le pôle oxygène, qui est l'en soi du pôle hydrogène, est le pôle oxygène présent de la même pile. Tandis que le crime effectif, lui, a son inversement et son en soi comme une possibilité dans l'intention en tant que |92| telle, mais non dans une bonne intention ; car seul l'acte proprement dit est la vérité de l'intention. Mais, pour ce qui est de son contenu, le crime a sa réflexion en soi, ou son inversement, dans la peine effective ; c'est celle-ci qui est la réconciliation de la loi avec l'effectivité qui s'est opposée à elle dans le crime. Enfin, la peine effective possède à tel point chez elle son effectivité inversée, qu'elle est une effectivation [149] de la loi qui fait que l'activité que la loi déploie en tant que peine s'abolit elle-même, que de loi active elle redevient loi en vigueur et au repos, et que les mouvements de l'individualité contre elle, et d'elle-même contre l'individualité, se sont éteints.
Il faut donc éloigner de la représentation de l'invertissement, qui constitue l'essence de l'un des côtés du monde suprasensible, la représentation sensible de la consolidation des différences dans un élément de pérexistence distinct ; et ce concept absolu de la différence, en tant que différence intérieure, repoussement de lui-même de ce qui est de même nom en tant qu'étant de même nom, et qu'identité du non-identique en tant que non-identique, il faut l'exposer et l'appréhender dans sa pureté. Il faut penser le changement pur, ou si l'on veut, l'opposition [150] en soi-même, la contradiction. Dans la différence, en effet, qui est une différence intérieure, l'opposé n'est pas seulement l'un des termes dans un ensemble de deux - sinon il s'agirait de quelque chose qui est, et non de quelque chose d'opposé - mais il est l'opposé d'un opposé, |93| ou encore, l'autre y est immédiatement lui-même présent. Certes, je place bien par ici le contraire, et par là-bas l'autre dont ce contraire est le contraire ; donc, je place le contraire d'un côté, en soi et pour soi, sans l'autre. Mais c'est précisément pour cette raison, en ce que j'ai ici le contraire en soi et pour soi, qu'il est le contraire de lui-même, ou qu'il a de fait immédiatement l'autre chez lui-même. - Ainsi le monde suprasensible, qui est le monde inversé, a en même temps gagné [151] sur l'autre, et l'a chez lui-même ; il est pour soi le monde inversé, c'est-à-dire le monde inverse de soi-même ; il est à la fois lui-même et son contraire au sein d'une seule Unité. C'est ainsi seulement qu'il est la différence en tant que différence intérieure, différence en soi-même, ou encore, qu'il est en tant qu'infinité.
Par l'infinité [152] nous voyons la loi achevée chez elle-même en une nécessité, et tous les moments du phénomène recueillis dans l'intérieur. Dire que le simple de la loi est l'infinité, signifie, d'après les résultats obtenus : α) Elle est un identique à soi-même qui cependant est la différence en soi ; ou encore, elle est quelque chose de même nom qui se repousse de lui-même, ou qui se scinde en deux [153]. Ce qui a été appelé la force simple se redouble soi-même, et est la loi par son infinité. β) Le scindé en deux, qui constitue les parties représentées dans la loi, se présente comme quelque chose qui pérexiste ; et, ces parties, considérées sans le concept de la différence intérieure, sont l'espace et le temps |9 4 |, ou encore, la distance et la vitesse, qui entrent en scène comme moments de la pesanteur, sont tout aussi indifférentes et sans nécessité l'une pour l'autre que pour la pesanteur proprement dite, tout de même que cette pesanteur simple l'est à leur égard, ou que l'électricité simple l'est à l'égard du positif et du négatif. γ) Mais le concept de la différence intérieure fait de ce différent et indifférent [154], de l'espace et du temps, etc., une différence qui n'est pas une différence, ou encore, qui n'est qu'une différence de ce qui a même nom, et de son essence l'unité ; l'un et l'autre sont en tant que positif et que négatif animés l'un contre l'autre, et leur être consiste au contraire à se poser comme non-être, et à s'abolir dans l'unité. Les deux choses différenciées subsistent, elles sont en soi, elles sont en soi en tant qu'opposées, c'est-à-dire, en tant qu'elles sont l'opposé d'elles-mêmes, elles ont leur autre en elles-mêmes et ne sont qu'une seule unité.
C'est cette infinité simple, ou le concept absolu, qu'il faut appeler l'essence simple de la vie, l'âme du monde, le sang universel présent en tous lieux, qui n'est interrompu ni troublé par aucune différence, qui est lui-même au contraire toutes les différences, en même temps que leur abolescence, qui bat donc en lui-même, sans se mouvoir, de ses propres pulsations, tressaille en soi-même sans être frappé d'inquiétude. Elle est identique à soi-même, car les différences sont tautologiques, car ce sont des différences qui n'en sont pas. Mais c'est ce qui fait que cette essence identique à soi-même ne se réfère qu'à elle-même ; à elle-même : c'est donc à un autre que s'adresse la relation, et la relation |95| à soi-même est bien plutôt la scission, ou encore, cette identité à soi-même est précisément différence intérieure. Ces termes dédoublés sont ainsi en soi et pour soi-même chacun un contraire : celui d'un autre, en sorte qu'en chacun l'autre se trouve déjà simultanément exprimé ; ou encore, il ne s'agit pas du contraire d'un autre, mais simplement du contraire pur, en sorte qu'il est chez lui-même le contraire de soi; ou encore, il n'est absolument pas un contraire, mais est purement pour soi, pure essence identique à soi-même qui n'a pas chez elle de différence, et nous n'avons donc pas besoin de nous poser la question - ni à considérer comme philosophie le tourment de pareille question, ni même à la tenir comme ne pouvant trouver pour elle de réponse - la question, donc, de savoir comment, à partir de cette pure essence, comment en sortant de celle-ci, peut provenir la différence ou l'être-autre ; car la scission s'est déjà produite, la différence est exclue de l'identique à soi-même et a été mise à son côté ; ce qui était censé être l’identique à soi est donc déjà, bien plutôt que l'essence absolue, l'un des deux termes de la scission. Dire que l'identique à soi se scinde en deux, signifie donc tout aussi bien : il s'abolit en tant que déjà scindé, s'abolit en tant qu'être autre. L'unité dont on a coutume de dire que la différence ne peut pas sortir d'elle, n'est en fait elle-même que l'un des moments de la scission ; elle est l'abstraction de la simplicité [155] qui fait face à la différence. Mais dès lors qu'elle est l'abstraction, |96| qu'elle n'est que l'un des deux opposés, nous disons déjà qu'elle est scission ; car si l'unité est quelque chose de négatif, un opposé, elle est précisément posée comme ce qui a l'opposition chez soi. C'est pourquoi les différences entre scission et devenir identique à soi ne sont précisément que ce mouvement d'abolition de soi ; dès lors en effet que l'identique à soi qui doit d'abord se scinder en deux ou devenir son contraire, est une abstraction ou est déjà lui-même quelque chose de scindé en deux, sa scission est ainsi une abolition de ce qu'il est, et donc l'abolition de son état de scission [156]. Le devenir identique à soi est tout autant une scission ; ce qui devient identique à soi vient ainsi faire face à la scission ; ce qui signifie qu'il se met lui-même par là sur le côté, ou plutôt, qu'il devient quelque chose de scindé.
L'infinité, ou cette inquiétude absolue du pur « se mouvoir » autonome, qui veut que ce qui est déterminé d'une quelconque manière, par exemple, comme être, soit bien plutôt le contraire de cette déterminité, a certes déjà été l'âme de tout ce que nous avons rencontré jusqu'ici, mais c'est seulement dans l’intérieur qu'elle s'est elle-même librement avancée et produite. Le phénomène, ou le jeu des forces, la présente déjà elle-même, mais c'est en tant qu'explication qu'elle s'avance et se produit, d'abord librement ; en ce qu'elle est enfin objet pour la conscience, en tant que ce qu'elle est, la conscience est conscience de soi. L'explication donnée par l'entendement ne fait d'abord que la description de |97| ce que la conscience de soi est. Il abolit les différences présentes dans la loi et déjà devenues pures, mais encore indifférentes, et les pose au sein d'une unique unité, celle de la force. Mais ce devenir identique est tout aussi immédiatement une scission, car il n'abolit les différences et ne pose l'Unicité de la force qu'en faisant une nouvelle différence, celle de la loi et de la force, laquelle, cependant, dans le même temps, n'est pas une différence ; et afin d'obtenir que cette différence n'en soit tout aussi bien aucune, il persévère lui-même à réabolir cette différence en faisant que la force soit tout à fait constituée [157] comme la loi. - Or, ce mouvement, ou cette nécessité, sont encore ainsi nécessité et mouvement de l'entendement, ou encore, en tant que tel, le mouvement n'est pas l'objet de l'entendement, mais celui-ci, à l'inverse, a en lui pour objets électricité positive et négative, distance, vitesse, force d'attraction, et mille autres choses, objets qui constituent le contenu des moments du mouvement. Et si dans la pratique de l'explication on éprouve tant d'autosatisfaction, c'est parce que la conscience qu'on y a, pour dire les choses ainsi, dans un monologue immédiat avec soi-même, ne jouit que de soi, semble certes, ce faisant, mener une autre visée, mais ne fait, en réalité, que baguenauder ici et là en la seule compagnie de soi-même.
Dans la loi opposée, en tant qu'invertissement de la première loi, ou encore, dans la différence intérieure, l'infinité devient certes elle-même objet de l'entendement, mais celui-ci la manque à son tour en tant que telle |9 8 | en redistribuant sur deux mondes, sur deux éléments substantiels, la différence en soi, le repoussement de soi de ce qui est de même nom, et les non-identiques qui s'attirent ; le mouvement, tel qu'il est dans l'expérience, est ici pour lui un avènement [158], ce qui est de même nom et le non-identique sont pour lui des prédicats, dont l'essence est un substrat qui est. La même chose qui pour lui est objet dans une enveloppe sensible, l'est pour nous dans sa figure essentielle, comme concept pur. Cette appréhension de la différence telle qu'elle est en vérité, ou encore, l'appréhension de l'infinité en tant que telle, est pour nous, ou est en soi. L'exposition de son concept ressortit à la science ; mais la conscience, telle qu'elle a immédiatement ce concept, apparaît de nouveau comme forme propre ou comme figure nouvelle de la conscience, qui ne reconnaissent pas leur essence dans ce qui précède, mais la considèrent au contraire comme quelque chose de tout autre. - Dès lors que ce concept de l'infinité est objet pour elle, elle est donc conscience de la différence comme de quelque chose qui tout aussi bien est immédiatement aboli ; elle est pour soi-même, elle est différenciation du non-différencié, ou encore, conscience de soi. Je me différencie de moi-même, et en cela il est immédiatement pour moi que ce différencié n'est pas différencié. Je, ce qui est de même nom, me repousse de moi-même ; mais, immédiatement, cette instance différenciée, posée comme non identique, en étant différenciée, n'est pas une différence [159] pour moi. La conscience d'un autre, d'un objet |99| tout simplement qui me fait face, est certes elle-même nécessairement conscience de soi, état de réflexion en soi même, conscience de soi, dans son être-autre. La nécessaire progression des figures de la conscience vues jusqu'à présent, qui avaient pour leur vrai une chose, un autre qu'elles-mêmes, exprime précisément ceci que non seulement la conscience de la chose n'est possible que pour une conscience de soi, mais aussi que seule cette dernière est la vérité de ces figures. Or, c'est seulement pour nous que cette vérité est présente, elle ne l'est pas encore pour la conscience. La conscience de soi, pour l'instant, est seulement devenue pour soi, n'est pas encore comme unité avec la conscience en général.
Nous voyons donc que dans l'intérieur du phénomène l'entendement ne découvre pas autre chose, en vérité, dans cette expérience, que le phénomène lui-même. Toutefois, il ne le découvre pas tel qu'il est comme jeu de forces, mais découvre ce jeu de forces lui-même dans ses moments absolus-universels et dans le mouvement de ceux-ci. En fait, il ne fait que faire l'expérience de lui-même. La conscience, élevée au-dessus de la perception, se présente comme conjointe au suprasensible par l'élément médian du phénomène, à travers lequel elle regarde cet arrière-plan. Les deux extrêmes, le premier, celui du pur intérieur, et l'autre, celui de l'intérieur qui regarde dans ce pur intérieur, coïncident désormais, et, tout de même qu'eux, en tant qu'extrêmes, le milieu lui aussi, en tant que quelque chose d'autre qu'eux, a disparu. Ce rideau a donc été tiré de devant l'intérieur, et l'on voit l'intérieur regarder dans l'intérieur ; on voit le regard de ce qui est de même nom et non différencié, qui se |100| repousse lui même, se pose comme un intérieur différencié, mais pour lequel il y a tout aussi immédiatement non-différenciation de l'un et de l'autre, la conscience de soi. Il appert que derrière le soi-disant rideau censé cacher et couvrir l'intérieur, il n'y a rien à voir si nous n'allons pas nous-mêmes faire un tour derrière, à la fois pour qu'il y ait vision, et pour qu'il y ait là derrière quelque chose à voir. Mais il se révèle en même temps qu'on ne peut pas aller comme ça, sans s'embarrasser de toutes les circonstances [160], voir par-derrière ce qui se passe ; car ce savoir de ce qu'est [161] la vérité de la représentation du phénomène et de son intérieur, n'est lui-même que le résultat d'un mouvement circonstancié par où passent et trépassent les modalités de la conscience, opinion, perception, et entendement ; et nous verrons tout aussi bien que la connaissance de ce que la conscience sait en se sachant elle-même, requiert d'autres circonstances encore, dont nous allons, dans ce qui suit, faire l'analyse détaillée. |101|
[1] Das Meinen. Il s'agit, ici, en conformité avec les usages et les significations de ce verbe très courant dans la langue populaire, d'une forme première, quasi pré-discursive, de la conscience du monde extérieur, qui souligne la dimension subjective, individuelle, encore intérieure de l'expérience faite, avant l'identification par la perception. Ou, si l'on veut, d'une appréhension pauvre, défectueuse. Si pauvre qu'elle ne peut même pas être une illusion. On dit ich meine, quand on n'a que ça à dire. Cela signifie : « j'veux dire », « j'pense à », « je présume, je suppute que », « selon moi c'est », etc. D'où l'évolution vers le triple paradigme de l'opinion, ou de l'avis (notamment dans die Meinung), de la désignation depuis un point de vue, et de la croyance erronée (qui donne l'adverbe vermeintlich, « à tort », et vermeinen, « croire que, en se trompant »). Ce dernier registre explique sans doute les nombreux proverbes souabes qui opposent meinen à wissen (« Narren meinen, gscheide Leut wisse's g'wiss » - « Die Esel meinen und die Gscheide wisse » - « Meinen ist ein Dreck ; gewiss wisse gilt » - « Meinen und gewiss wissen ist zweierlei » - « Ich scheiβ dir auf s meinen, das Gewisswisse gilt »). Dans le sens de « penser à », subsiste un sens archaïque, synonyme d'aimer (d'où die Mime, pour désigner l'amour courtois), que l'on retrouve encore dans le français« estimer ». [Toutes les notes de bas de page sont du traducteur]
[4] Les nombres entre tirets verticaux indiquent la pagination de l’édition originale allemande de 1807 (note de la rédaction).
[6] Die Vermittlung. Nous traduisons conventionnellement ce concept par « médiation », et le verbe vermitteln par « intermédier », afin d'éviter l'équivoque « médiatiser ». Il s'agit d'un paradigme important et courant : celui des opérations intermédiaires nécessaires à toutes sortes de processus, y compris celui de la communication. Vermitteln signifie souvent communiquer ou transmettre, voire fournir, procurer un objet ou une nouvelle, etc.
[7] Beziehung. Nous distinguons conventionnellement la « relation » ou « référence » {Beziehung, beziehen) du « rapport » (Verhältnis).
[10] Beiherspielen : composite original qui prépare le Beispiel, un peu plus loin, c'est-à-dire l'exemple.
[11] Hauptverschiedenheit.
[12] Durch Ich : forme tout à fait incongrue en allemand, qui attend durchmich.
[13] In der Tat : il faudrait le plus souvent traduire cette locution courante par le constatatif : « effectivement ». Nous le traduisons cependant par en fait, ou en réalité, afin d'éviter le paradigme de l'effectivité, au senshégélien, qui n'est pas celui de l'expression.
[14] In der gedoppelten Gestalt : également « sous la forme redoublée... »
[18] Hegel joue ici avec le monosyllabisme de Jetzt, qu'il graphie « itzt »,c'est-à-dire, à la limite, sans aucune voyelle. Hier a presque le même statut de son primitif inarticulé, élémentaire.
[20] La formulation allemande signifie aussi bien : « il fait jour, et il fait nuit ».
[21] Allgemein. Le caractère banal de l'adjectif allemand, qui persiste sous le concept, le connote assez souvent de façon légèrement dépréciative : « ce n'est qu'une généralité ».
[24] Im Meynen. Jeu de mot « associatif », voire contrepèterie, avec le possessif in meinem. On pourrait même, n'était le y de meynen dans l'orthographe originale, envisager chez Hegel le néologisme verbalisant « la miennité », quelque chose comme : « mienniser », au sens de « faire mien ».
[26] Ein andrer Ich. Forme masculine inusitée.
[28] Gewesen. Hegel joue ensuite avec le substantif Wesen, l'essence.
[31] Eine einfache Complexion.
[36] Sagen wollten. Cette précision de Hegel justifie, et dans le même temps, malheureusement interdit que nous traduisions meinen par « vouloir dire », mais c'est bien cela qu'il veut dire...
[37] Würde vermodern : processus de dégradation et décomposition qui n'implique pas la pourriture...
[38] Dans les éditions posthumes, les éditeurs ont marqué cette série de compléments par des guillemets, pour l'imputer à un discours autre que celui de Hegel.
[39] Unterschiedenheit. Littéralement, le « caractère différent », par opposition à la Gleichheit qui précède, le « caractère identique ».
[40] Nachhelfen : aider au bon fonctionnement de quelque chose.
[41] Zum Worte kommen : l'opinion n'accède pas à la parole.
[43] Nehme es auf : c'est le moderne « enregistrer » qui correspondrait le mieux au sens du terme ici.
[44] Nehme ich wahr. Hegel joue ici avec les composants étymologiques du verbe wahrnehmen, qui pèsent davantage que ceux de l'équivalent français «percevoir» sur le statut « de savoir » de la perception, en en soulignant la dimension active. On serait tenté de traduire par « identifier comme vrai », dans la mesure où cette « identité » avec ce que perçoit autrui fonde le caractère universel de ce qui est perçu.
[45] Nimmt sich : littéralement : prend pour elle.
[47] Unser Aufnehmen der Wahrnehmung.
[48] Sind geworden. Littéralement «sont devenus», c'est-à-dire sont apparus là où, auparavant, ils n'existaient pas, à la façon dont la lumière fut après que le Créateur eut ordonné : « es werde Licht ».
[50] Das gemeinte Einzelne.
[51] Eigenschaft : la « caractéristique propre », souvent traduit par qualité, ce qui ouvrirait ici trop d'échos inadéquats. Les risques de confusion avec la propriété, au sens juridique du terme sont relativement limités et seront signalés par des rappels du terme allemand en note.
[52] Das Médium. C'est-à-dire l'élément médian.
[53] Dingheit : la traduction par « réité » perdrait le caractère trivial de Ding, qui fonctionne en tant que tel dans toutes ces pages. La forme Dingheit est perçue comme un néologisme, ce qui n'est pas le cas de Dinghaftigkeit.
[55] Das sich ergeben hat.
[59] Jeu de mot, de nouveau explicite, avec le verbe wahrnehmen.
[61] La conscience percevante.
[63] Das gegenständliche Wesen. La traduction conventionnelle de Wesen par essence, montre ici Tune de ses limites. En fait, Wesen désigne ici plutôt l'entité. L'expression complète est le pur redéploiement abstrait du mot objet. On dirait aujourd'hui l'entité objet. Pour ne pas confondre objektiv (peu représenté, il est vrai dans cet ouvrage) et gegenständlich, nous traduisons, conventionnellement, ce dernier adjectif par « objectai »qui implique la présence d'un sujet.
[64] Eine Gemeinschaft. Hegel fait jouer la parenté de ce terme avec Allgemeinheit.
[65] Um der Bestimmtheit willen. L'expression um einer Sache willen correspond à peu près aux locutions françaises « en vertu de », « en raison de», «au nom de», «pour l'amour de» : elle résume une relation de causalité et de finalité confondues.
[67] Werde des Dings gewahr.
[68] Fur sich : comme c'est le cas le plus souvent, fur sich insiste sur lerepli, l'aparté du pour soi.
[72] In Eins fallen lassen.
[74] Sein Nehmen des Wahren.
[75] Der gleichgultige Unterschied.
[85] Wesen désigne aussi un être humain, une créature...
[86] Gedankendinge. Le terme est légèrement péjoratif.
[87] Dieser wahrnehmende Verstand.
[88] Nimmt sir fur das Wahre. Ce dernier jeu de mot situe dans le terme lui-même la virtuelle illusion que comporte la perception : percevoir c'est toujours prendre pour.
[89] Das Leben und Treiben.
[90] Unwesen : à la fois le monstre, et dans ce contexte, ce qui n'est pas une essence, une fausse essence.
[91] L'expression an und für sich a plutôt ici un sens trivial que spéculatif, qui serait celui de la locution « de toute façon », ou « il n'empêche que »....
[92] Unzuverlässig : on dirait aujourd'hui « non fiables ».
[93] Erscheinung. Il convient ici de respecter la traduction traditionnelle dans les contextes philosophiques. Parfois la notion d'« apparition », plus proche du sens courant, et notamment religieux, peut cependant encore s'imposer. En revanche, la notion de « manifestation », outre qu'elle peut être requise pour traduire d'autres concepts, semble induire un statut du phénomène centré sur son principe « agissant », qui ne correspond pas à celui de l’Erscheinung dans la Phénoménologie.
[94] Ist das Hören und Sehen vergangen. Trivialement, l'expression signifie quelque chose comme « perdre les pédales »...
[95] Das unbedingt Allgemeine. Il arrive qu'on traduise unbedingt par «absolu», ce qui correspond effectivement aux usages courants de cet adjectif adverbial. Hegel « travaille » ici, comme souvent, la double dénomination, latine {absolut) et germanique {unbedingt) d'une même notion : celle de ce qui échappe à toute espèce de détermination extérieure. Le concept allemand souligne ici la non-interférence de la chose {Ding), ni comme cause, ni comme occasion, ni comme facteur, condition, etc.
[96] Das Unwesen. Ici, le négatif de l'essence. Mais ce terme désigne plus ordinairement la monstruosité, l'aberration. Hegel joue par ailleurs du couple unbedingt-Unwesen.
[97] Begriff a en allemand un sens actif, et même une sonorité « interventionniste » qui mime le geste de la saisie.
[98] Das gegenstàndliche Wesen. Ici encore la traduction codée efface le sens quasi trivial de l'expression, proche de celui d'objet tout court.
[99] Treibt sein Wesen : c'est-à-dire, mène une existence dissolue, laisse faire la créature, lâche la bride à son essence.
[103] Die Selbständigkeit. L'étymologie du français « autonomie » implique une notion de loi ou de norme qui n'est pas à l'œuvre dans le concept allemand. C'est donc au sens trivial du français « autonomie » qu'il faut entendre ici cette notion courante de la psychologie ou de la sociologie populaire. Est selbstàndig ce qui tient par soi-même et n'a besoin de personne d'autre, vole de ses propres ailes, etc. Nous avons réservé « indépendance » pour traduire Unabhängigkeit (comme double négation de l'autonomie...).
[104] Porosität : allusion aux pores, ou espaces interstitiels vides composant, selon J. Dalton, 99,9% des gaz, et susceptibles d'être occupés par d'autres gaz.
[105] Äuβerung. Ce terme s'applique à toute espèce de langage. On l'emploie pour tout type d'énoncé, mais aussi, par exemple pour indiquer les symptômes d'une maladie qui « se manifeste par » des signes. Ici, comme chez Schelling, il s'agit de la manifestation d'une force selon une topique intérieur-extérieur.
[107] Zurückgenommen werden. Au sens où l'on « revient sur ce qu'on a dit»
[108] Das Aufgehobensein.
[110] Die Verwechselung : c'est-à-dire aussi la confusion.
[115] Dasselbe mit dem Begriff.
[116] Hegel joue ici expressément sur le sens du radical de erscheinen.
[117] Das Diesseits par opposition zajenseits (l'au-delà), selon la distribution des démonstratifs dies et jenes (ce dernier et le premier nommé). L'« ici-bas » induit une topique « verticale » qui n'est pas celle de l'allemand, mais fait écho au « ceci », et doit être préféré à l'en deçà, en ce qu'il a en lui-même son point de repère.
[118] Zusammengeschlossensein.
[120] Hegel joue ici directement avec le sens premier de Erscheinung.
[121] Erfullt : Hegel joue ici sur le double sens de erfüllen, celui du remplissage d'un contenant, et de l'accomplissement d'une destination ou d'une tâche.
[122] Verkehrung und Verwechslung.
[123] Abbild : à la fois copie et reflet.
[124] Ihre Gegenwart : à la fois la présence et le présent.
[126] On reste ici bien sûr dans la puissance 2, dont racine et carré sont les termes symétriques inversables, selon qu'on cherche le temps ou l'espace.
[127] Das Doppelwesen : cette essence double évoque surtout les « êtres hybrides » de toutes les mythologies.
[130] Gleichgûltigkeit. Le terme français indifférence recourt à une double négation, tandis que le terme allemand exprime en même temps et directement l'équivalence, ce qui semble être aussi le sens ici, et en plusieurs autres occurrences.
[135] Zurucknimmt : on revient sur ce qu'on a dit, le reprend.
[136] Jeu de mot, sans doute, de Hegel sur wiederhohlen (wiederholer hohl, qui signifie « creux »).
[137] Der Wechsel. Traduit plus loin par changement.
[138] AbstoBen. Notion du magnétisme : le contraire d'attirer. Mais se dit aussi de l'huile qui se sépare de l'eau dans un mélange.
[139] Das Ungleichwerden des Gleichen und das Gleichwerden des Ungleichen.
[143] Verkehrt. Le sens est proche de celui de umgekehrt, mais il ajoute à la stricte inversion « topique » une extension à d'autres ordres, et notamment à l'ordre normal des choses. Bref, c'est ce qu'on dit de ce qui est le contraire de ce qu'il devrait être. Nous traduisons tantôt par « à l'envers », tantôt par « inversé », ou encore « inverti » (et verkehren : « invertir », Verkehrung : « invertissement ») quand d'autres membres du même registre sont à proximité. « Renversé » et « renversement », qui conviendraient souvent, impliquent une «activité» excessive par rapport au caractère neutre de verkehrt et Verkehrung, et correspondent davantage à Umstùrzung, Umsturz, etc.
[146] Selbstwesen. C'est aussi une « entité autonome ».
[149] Par souci de cohérence avec la traduction de wirklich par « effectif », nous traduisons Verwirklichung par « effectivation ». Le terme a un sens banal qu'il ne faut pas perdre de vue : celui de la « réalisation » (d'un projet, d'un rêve, etc.).
[150] Die Entgegensetzung : le fait d'opposer quelque chose à autre chose
[152] Il s'agit de l’Unendlichkeit, de l'infinité comme concept productif de division infinie.
[153] Sich entzweit. Nous avons traduit ce concept, selon le contexte proche où se nouent les associations, par se scinder, ou se dédoubler.
[154] Ungleiche und gleichgultige.
[155] Einfachheit : le caractère de ce qui est un.
[159] Dies Unterschiedne... ist kein Unterschied fur mich. Unterscheiden signifie à la fois « distinguer » (de manière non nécessairement déterminée) et «différencier », imputer une différence. C'est ce sens qui domine chez Hegel.
[160] Ohne alle Umstände : cette locution signifie normalement « sans plus attendre», mais la notion de «circonstance», avec laquelle elle joue, réapparaît peu après, ce qui incline à la conserver.
[161] Dies Wissen, was... ist.