Patrice Levang, Nicolas Buyse, Soaduon Sitorus et Edmond Dounias, Impact de la décentralisation sur la gestion des ressources forestières en Indonésie. Études de cas à Kalimantan-Est. Forêts tropicales.


 

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Collection « Sciences du développement »
Impact de la décentralisation sur la gestion des ressources forestières en Indonésie.
Études de cas à Kalimantan-Est
” (2005)
Introduction

Une édition électronique sera réalisée à partir du texte de Patrice Levang, Nicolas Buyse, Soaduon Sitorus et Edmond DouniasImpact de la décentralisation sur la gestion des ressources forestières en Indonésie. Études de cas à Kalimantan-Est”. Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 29, no 1, 2005, pp. 81-102. Québec: Département d’anthropologie, Université Laval, 2005, 258 pp.

Introduction

Les résultats mitigés des politiques de développement dans les pays du Sud ont alimenté un foisonnement de littérature cherchant à comprendre et à expliquer les mésaventures dudit « développement ». Au palmarès de ce diagnostic figurent la trop grande centralisation des décisions, la corruption ou mauvaise gestion, la marginalisation des groupes sociaux concernés par ces politiques, et le peu d’intérêt accordé aux institutions locales de représentation et de pouvoir. Des remèdes préconisés, on retient pêle-mêle le désengagement de l’État, la promotion de la « société civile », la priorité à la régulation par le marché et la décentralisation des pouvoirs, tout cela en accord avec le nouveau dogme des institutions de Bretton-Woods : la « bonne gouvernance » (Banque mondiale 1997). 

Acceptant comme postulat qu’une participation accrue dans la prise de décisions est un bien en soi, et qu’elle améliore l’efficacité, l’équité, la gestion des secteurs et ressources concernés, la décentralisation et la délégation de pouvoirs deviennent des idées séduisantes notamment pour les politiques liées à l’environnement et à la gestion des ressources (Banque mondiale 1998). 

Si l’Indonésie n’a succombé aux sirènes de la décentralisation que depuis 1999, l’idée d’une dévolution de l’autorité au niveau régional n’est cependant pas une nouveauté. Dès 1974, la loi sur la gouvernance régionale (loi no 5) voulait donner une plus grande autonomie aux provinces. En réalité, elle renforça le contrôle du gouvernement central sur les villages, instaurant un vaste empire administratif centralisé. En 1995, suivant en cela un mouvement plus général, le président Suharto décida la mise en place de projets pilotes introduisant l’autonomie régionale dans 26 districts. Il s’agit là du premier effort réel du gouvernement pour l’application des lois de 1974. 

Après l’écroulement de l’économie nationale en 1997 et le départ forcé du président Suharto l’année suivante, l’otonomi daerah (autonomie régionale) ressurgit comme un moyen potentiel pour calmer les tensions séparatistes et les rancoeurs accumulées contre le centre depuis plus de cinquante ans. C’est aussi et surtout une condition à l’obtention d’aides internationales en pleine crise monétaire et pour s’offrir une légitimité politique sur le plan intérieur. Suivant en cela les recommandations d’experts et de bailleurs internationaux, le Président Habibie propose une série de lois soumises au parlement en avril 1999. 

Depuis lors, l’otonomi daerah est devenu un terme imprécis, employé dans la presse indonésienne pour décrire le transfert de l’autorité et des fonctions du gouvernement central aux gouvernements régionaux. La confusion est fréquente entre dévolution de l’autorité (le gouvernement par les régions) et la délégation de l’autorité (le gouvernement dans les régions). De plus, le débat public étant longtemps resté étouffé, la notion d’autonomie régionale est indissociable des questions relatives aux réformes politiques, à la démocratisation et surtout à la crise économique. 

La loi d’autonomie régionale (loi n° 22, 1999) transfère la responsabilité et l’autorité de décision relative à la gestion des ressources naturelles du gouvernement central aux gouvernements des provinces, districts et municipalités. La structure hiérarchique et pyramidale de gouvernement est remplacée par une structure d’organisation parallèle entre les gouvernements de districts et de provinces et le gouvernement central. La nouvelle législation stipule que l’autorité des structures autonomes que sont les provinces, districts et municipalités, couvre « tous les domaines de gouvernement » à l’exception de la politique internationale, de la défense et de la sécurité, du judiciaire, du monétaire, de la fiscalité et de la religion. Dorénavant, les chefs des assemblées provinciales et régionales sont élus par les assemblées locales et responsables devant elles. Le chef de l’exécutif du district (bupati), n’est plus le représentant de l’État et le rôle des assemblées et instances de ce niveau de gouvernement s’accroît considérablement, notamment avec la responsabilité de construire leur propre budget et fiscalité selon leurs nécessités locales et électorales. 

Pour contrer les velléités séparatistes récurrentes depuis l’Indé­pendance, le pouvoir central a choisi délibérément d’investir les districts et non les provinces de l’essentiel de l’autorité administrative et financière. La loi intergouvernementale de fiscalité (loi n° 25, 1999) qui détermine les revenus et allocations des ressources locales renforce ce choix. Ainsi, sur les 80% des revenus de la pêche, de la forêt et des mines perçus par le gouvernement provincial, 32% sont alloués aux districts et aux municipalités concernés par l’activité d’extraction, 32% aux autres districts de la province et 16% au gouvernement provincial. 

La crise économique et l’« ère des réformes » ont bouleversé les structures et politiques de l’État indonésien. Pour ses observateurs, la décentralisation promeut et assure aux régions riches en ressources naturelles une gestion autonome et un retour de ses bénéfices [1]. C’est en matière de gestion des ressources forestières que les bouleversements seront les plus flagrants. En effet, la rupture est totale avec le système d’exploitation mis en place par le président Suharto, deux ans à peine après son accession au pouvoir en 1965. Ce système confiait l’exclusivité de l’exploitation forestière aux grandes concessions privées HPH (Hak Pengusahaan Hutan, droit d’exploiter la forêt) et ultérieurement, par voie de décret, « gelait » les droits des communautés locales au nom de l’« intérêt général » [2]. Les choix stratégiques de l’État indonésien en matière forestière peuvent se résumer en trois grandes idées : séparation de la forêt et de l’agriculture ; ségrégation des domaines forestiers et des espaces de production, de protection et de conversion ; et délégation de la gestion forestière à des concessionnaires (Michon et al. 2000). L’exploitation forestière a été particulièrement intense à Kalimantan, la partie indonésienne de l’île de Bornéo. Dans la province de Kalimantan-Est, dès 1979, la surface totale concédée aux concessionnaires dépasse la superficie des forêts officiellement exploitables, estimée à 10 millions d’hectares. C’est sur cette province en pleine recomposition territoriale et économique que se concentre la présente étude. 

À l’heure des réformes, alors que la législation initie le pays à la décentralisation, ce sont des lois vagues, imprécises et principalement basées sur le rejet du système précédent qui sont mises en oeuvre. L’incertitude quant aux objectifs et à la permanence de la décentralisation, son contenu, sa mise en oeuvre et le partage des rôles et responsabilités ne fait pas l’objet d’un consensus au sein du ministère des Forêts. Il en va de même entre les représentants du gouvernement central et des instances régionales. Non seulement les interprétations des deux lois fondatrices de l’autonomie régionale divergent, mais en plus certains articles se contredisent. Ainsi, l’article 7 de la Loi 22 (1999) inclut l’utilisation des ressources naturelles et la conservation dans les prérogatives du centre, alors que l’article 10 confie aux régions l’autorité de gérer les ressources naturelles sous leur juridiction et la responsabilité du maintien de l’environnement (Resosudarmo 2003). 

Dans la province de Kalimantan-Est, certains acteurs locaux, avantagés par le contexte politique, ont développé des pratiques autonomes basées sur leur propre interprétation des textes. Les représentants des gouvernements locaux, les élites villageoises et les entrepreneurs locaux se précipitent pour saisir ces opportunités inédites, exacerbant ainsi les conflits entre groupes ethniques, entre villages et entre groupes sociaux. L’ouverture aurait-elle connu une réussite excessive ? Les opportunités auraient-elles été mal utilisées ? 

Cette étude a pour objectif d’analyser l’impact réel de l’autonomie régionale sur la gestion des ressources forestières dans deux districts de Kalimantan-Est. Nous montrerons que, dans ce cas précis, la décentralisation et la gestion locale des ressources ne sont pas la panacée des politiques de développement rural et forestier. La description de la réorganisation du secteur forestier en Indonésie est suivie par une analyse des nouvelles pratiques autonomisées des districts, véritables tenants du pouvoir délégué par l’État. À partir de données de terrain [3], l’analyse des répercussions économiques, sociales et écologiques de ces nouvelles dynamiques sur les populations forestières en Indonésie se démarque d’une analyse prédictive ou idéalisée des politiques de décentralisation.


[1] Voir par exemple Dormeier-Freire et Maurer 2002.

[2] L’unique droit à revendiquer restait celui de la « mise en valeur » non forestière, incitant ainsi les populations à convertir la forêt en terres agricoles (Durand 1994, 1999).

[3] Sept études de cas réalisées entre 2000 et 2004 dans les districts de Berau et Malinau (Kalimantan-Est) en collaboration avec l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et le Centre International de Recherche Forestière (CIFOR) forment la base documentaire du présent article.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 avril 2007 8:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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