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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La douleur morale. Son expression dans la musique romantique.
Essai affectivo-musical
. (2014-15)
Préambule


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Hanania Alain AMAR, La douleur morale. Son expression dans la musique romantique. Essai affectivo-musical. HAA Éditeur, 2014-2015, 277 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 21 février 2020 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

Préambule

Je ne suis pas musicologue, et tant mieux, car mon intention n’est pas de discourir ─ sur un ton universitaire ─ à propos de la question que je souhaite explorer, à savoir l’expression de la souffrance, voire de la douleur morale chez les musiciens romantiques, qu’ils soient Allemands, Autrichiens, Français, Italiens ou Russes… Il s’agit ici, encore une fois d’un essai affectivo-littéraire, axé cette fois-ci sur la musique. Quelques amis m’ont conseillé d’être prudent avec un tel sujet. Mais pourquoi être prudent quand il est question d’affect et de vécu… Non, je ne serai ni prudent ni « universitaire », mais seulement affectif, oh combien ! et cela seul me convient et j’espère partager mon émotion avec le lecteur.

En ce qui me concerne, ce qui compte essentiellement pour toutes formes d’art, mais encore plus dans le domaine musical, c’est l’émotion. Si l’on doit se « torturer les méninges » pour apprécier une œuvre, tout l’aspect émotionnel disparaît. En effet, expliquer implique une distanciation. Or, la musique est pour moi au moins, émotion et toute tentative ─ le plus souvent prétentieuse et conforme à la mode du moment ─ d’explication ou de pseudo-explication surtout si elle prend l’allure d’une illusoire connotation psychanalytique ne m’intéresse aucunement. Sans émotion, la musique n’est qu’un assemblage de notes. Un interprète scrupuleux et trop technique ne fera pas passer d’émotion, tant il est préoccupé par l’obsession d’une absence de fautes. Je prends un exemple précis : j’ai toujours préféré écouter Georges (György) Cziffra (ses trois années en tant que prisonnier politique

du régime communiste hongrois et sa condamnation aux travaux forcés avaient notablement mis à mal ses mains littéralement brisées par le transport de pierres) interpréter du Chopin (ou du Liszt) plutôt qu’Alexis Weissenberg, excellent interprète assez froid le plus souvent ─ mais cela n’engage que moi et je n’ai aucunement le projet de me livrer à un quelconque prosélytisme.

Ecouter Pierre Boulez dans ses « créations » a toujours été pour moi un calvaire dont je me passe volontiers. J’ai en particulier le souvenir d’une vague cousine de la famille de mon épouse, une des fondatrices de la FNAC qui nous invita un soir à l’Ecole de musique de Lyon pour entendre et écouter Boulez qui nous a noyé sous une masse d’explications (? mais étaient-ce des explications ou un verbiage insipide ? je penche pour la seconde proposition) suivies d’une brève page « musicale » que je qualifie de « bruitage sonore » cacophonique, non harmonieux et dans lequel il n’y avait rien à comprendre en dépit des affirmations de l’auteur et des quelques inévitables snobs que l’on retrouve aux vernissages et autres manifestations dites culturelles. On aurait pu chercher longtemps pour trouver la moindre trace d’émotion… Il n’y en avait pas !

J’ai pour ma part la chance d’avoir ce que l’on nomme « l’oreille absolue » et j’aime de temps à autre me divertir en reproduisant à l’oreille certaines mélodies que j’affectionne. Il n’y a ni technique ni virtuosité bien sûr, mais uniquement du plaisir et de l’émotion ; sans solfège, sans contrainte !

Le « mouvement romantique »

« On » en situe généralement l’origine au XVIIe siècle en Allemagne et en Angleterre, avant une large diffusion dans toute l’Europe au XIXe siècle, le mouvement prenant plus ou moins d’ampleur aux environs de 1860-70. Cette approximation est vague car il y a eu des préromantiques et des postromantiques ! En fait, il est stupide et totalement artificiel de situer avec trop de précision une tendance qui, pour s’affirmer, a été contrainte de faire ses preuves en se fondant sur la réception des œuvres par le public. Quant à sa fin, il n’est pas sérieusement possible d’en établir la date. Ce ne sont ni un acte de naissance ni un acte de décès qui définissent ce formidable mouvement qui a concerné toutes les formes d’arts, littérature, théâtre, musique, architecture, sculpture, peinture, dessin… Certains ont même ajouté à juste titre la mode vestimentaire, une façon de se comporter, l’art culinaire, l’art décoratif, un langage, l’essentiel étant de vivre selon les affects et non en fonction de la réalité et de la raison. Il y a eu une exacerbation des sentiments, tout au moins dans leur expression, avec de grandes envolées lyriques, souvent larmoyantes, une atmosphère dramatique, une attirance pour le morbide, la mélancolie, le fantastique, l’irrationnel, l’exaltation d’un passé affirmé comme ayant été idéal, le suicide, les passions dévorantes et mortifères… Ce sont des notions qu’il ne faut pas oublier au IIIe millénaire lorsque l’on relit ou lit des œuvres littéraires ou lorsque l’on écoute la musique de cette époque, afin de ne pas juger hâtivement et risquer de jeter aux oubliettes un fabuleux patrimoine culturel.

Je ne vais certainement pas me lancer dans une querelle byzantine à propos de la délimitation chronologique de l’art romantique.

Pour la musique, on peut approximativement situer le début de cette période à Beethoven et la fin avec Rachmaninov, Mahler… Peu importe, l’essentiel encore une fois est l’émotion musicale et le plaisir ressenti sans élucubrations pseudo-intellectuelles sur ce qu’il « convient » d’éprouver… Non mais quel culot de la part de ces arrogants personnages qui prétendent guider nos goûts ! Un peu de spontanéité et de liberté, que diable !

Le décor étant planté, place à la musique romantique et aux tourments de leurs créateurs que je souhaite explorer davantage sur le plan humain et très peu sur le plan clinique, psychiatrique.

Cependant avant d’aborder la question centrale de ce livre, je voudrais citer un extrait d’un de mes livres (paru en e-book sur www.amazon.com) intitulé L’intolérable pesanteur de la douleur morale (clin d’œil à Milan Kundera) :

«  Et la douleur morale ?

S’il semble relativement aisé de définir la douleur physique et même de l’évaluer ─ de nombreuses échelles analogiques visuelles sont proposées aux patients qui donnent un chiffre supposé correspondre à une intensité des manifestations douloureuses en cotant celles-ci de 1 à 10 par exemple. Ces évaluations demeurent toutefois totalement subjectives, mais semblent apaiser la « conscience » des soignants pour mettre en place des pompes à morphine par exemple ou des stratégies diverses selon les plaintes douloureuses ─ en revanche, reconnaître la douleur morale, lui attribuer une importance aussi grande que la douleur physique et prévoir des stratégies thérapeutiques est beaucoup moins facile et/ou admis… Bien évidemment, de nombreux cliniciens et/ou chercheurs ont établi, expérimenté et diffusé une multitude d’échelles (scalomanie, quand tu nous tiens !) pour tenter d’approcher, d’évaluer et de traiter la douleur morale. Comment quantifier l’inquantifiable ?

En singeant les somaticiens, bon nombre de psychiatres ont voulu donner un vernis scientifique à une spécialité où l’humain a davantage sa place que les danses frénétiques de médiateurs cérébraux, de molécules, cytochromes et autres « bidules », alors qu’il faudrait reconnaître nos limites, notre ignorance, nos balbutiements et tâtonnements…

Aujourd’hui, dans bien des institutions, on ne « soigne » plus le patient sans entretiens dits semi-structurés, échelles d’évaluation remplies par les soignants, auto-évaluations des patients, même en pratique courante, alors qu’il y a quelques années, ces modalités étaient réservées aux essais cliniques de médicaments.

La douleur morale existe pourtant bien, je l’atteste, je l’ai si souvent rencontrée. Mais pour la débusquer, point n’est besoin d’échelles, de protocoles. L’empathie, l’humanisme sont amplement suffisants, pourvu qu’on se donne le temps d’écouter les patients et d’attendre qu’ils puissent exprimer une plainte… Cela est d’autant plus vrai dans la plus grave des dépressions que l’on appelle mélancolie. Le patient en général n’exprime rien, il est prostré, mais un observateur attentif et aguerri verra nettement sur le front de ce malade le fameux ‘oméga mélancolique’ formé par les plis de son front et qui nous parlent plus qu’un long discours. Le mélancolique est une véritable bombe à retardement, une apparente eau dormante. Au-dedans de lui bouillonnent une fureur contre lui-même tant il se juge cruellement à l’origine de la « ruine » ou des déboires de ses proches, une culpabilité lourde et injustifiée, une force autodestructrice insondable qui peut le conduire dans le secret, le mutisme et la dissimulation à la pire extrémité. La plupart des mélancoliques qui réussissent souvent leur suicide le font dans le silence. Car ce qu’ils vivent est souvent indicible, bien au-delà ou en-deçà des mots. J’aurai toujours dans ma mémoire ─ alors que j’étais un jeune faisant fonction d’interne (avant les concours) à l’hôpital psychiatrique interdépartemental de Clermont de l’Oise ─ la fin tragique d’un patient mélancolique pourtant bien surveillé par les équipes soignantes. On l’a retrouvé un matin, sous son lit, son drap en partie entortillé et enfoncé dans sa gorge… Cette fin nous bouleversa tous, et principalement les jeunes internes en formation que nous étions…

L’approche de la douleur morale a connu bien des « avatars » depuis qu’est née la psychiatrie. Pourtant cette douleur morale a le même âge que l’espèce humaine. Les prêtres s’en chargeaient à coups de pénitences, d’ave et de pater, puis la psychiatrie a porté un regard humaniste avec les aliénistes franco-allemands. On a même parlé de « traitement moral ». Notre époque trop technicisée regarde le malade comme un insecte ou pire un objet biologique fait de molécules dont les trajectoires sont bonnes ou déviées, en excès ou en défaut qu’il faut corriger avec d’autres molécules supposées remplacer celles qui sont défaillantes ou aberrantes… Mais « on » n’a plus le temps de s’attarder sur les « états d’âme » des malades ou des gens en souffrance.

La douleur morale qui est portant retrouvée dans la presque totalité de la nosographie psychiatrique est mal vue. Pire, elle peut être « interdite de séjour ». Par qui ? Par tous, la famille, les amis, les proches, les collègues de travail, la hiérarchie, la société. Je propose de détailler cette notion de regard par le tiers.

Commençons par ceux dont on attendrait un soutien naturel, la famille, les proches. La vérité m’oblige à dire que bien souvent il n’en est rien et que les proches peuvent devenir les plus cruels ou les moins tolérants des interlocuteurs. Pourquoi ? Parce que la douleur morale d’un des leurs provoque un sentiment de culpabilité insupportable qui conduit au déni ou au rejet, ou dans les meilleurs des cas à une minimisation de cette douleur qui est vécue comme un lourd reproche muet, une accusation silencieuse et de ce fait encore plus pesante.

Les amis ou supposés tels fonctionnent sur un mode analogue, même s’ils ne côtoient pas aussi régulièrement la personne souffrante. On assiste alors à une tentative de rationalisation, de mise à distance par des propos lénifiants, par peur d’une « contamination », d’une contagion. Je dois dire que la douleur morale du mélancolique revêt souvent ou presque toujours cet aspect. Ce fut même pour moi un signe pathognomonique (évident et fulgurant) qui signait et confirmait mes approches diagnostiques en présence d’un sujet suspecté d’être mélancolique. L’attitude morne, prostrée, butée, silencieuse, voire hostile mais où perce le désarroi, la tristesse, le caractère apparemment irrémédiable de son état que vit le mélancolique, tout cela peut envahir l’interlocuteur et l’engluer dans une impuissance où le soin n’existe plus.

Les collègues de travail éprouvent des sensations voisines et peu à peu, le vide risque de se faire autour de la personne souffrante qui est capable de déployer une énergie cachée pour s’isoler, décourageant toute tentative d’aide.

Quant aux patrons vis-à-vis de leurs employés, la plupart du temps, ce sont des considérations pratiques qui les occupent et, en dehors de quelques manifestations apparemment solidaires et fort transitoires, très rapidement, les intérêts de l’entreprise et de l’employeur reprennent leurs droits.

La douleur morale toujours présente dans les états dépressifs quelle que soit leur intensité (dépression simple, sévère ou mélancolique) est mal vécue par les tiers en apparente bonne santé. Les discours les plus affligeants sont tenus : « Secoue-toi (ce que j’ai toujours appelé avec dérision la ‘thérapie du prunier’, sors, change-toi les idées, relativise, il y a plus malade que toi, prends la vie comme elle vient ». Mais lorsque ce ne sont que des idées de mort qui hantent la personne, à quoi bon débiter de telles âneries, sinon pour tenter de solder une éventuelle culpabilité ?... ».

La douleur morale évoquée dans l’actuel travail va concerner à la fois ce qu’ont ressenti et exprimé les compositeurs, mais aussi l’expression de cette douleur sans lien direct ou certain avec leur propre histoire. Nous le verrons, la douleur et le désespoir « mis en musique » par Schubert ou Schumann n’ont strictement aucun rapport avec les « accents douloureux wagnériens », par exemple…



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 3 mai 2021 11:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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