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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc ANGENOT, « Proudhon et l’art social. Sur l’essai de Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale », dans Pierre Popovic et Éric Vigneault (dir.), Les dérèglements de l’art. Formes et procédures de l’illégitimité culturelle en France: 1715-1914, pp. 169-180. Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 2001, 266 pp. [Texte diffusé en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 25 juin 2018.]

[169]

Marc ANGENOT

Proudhon et l’art social”.

Sur l’essai de P.-J. Proudhon, Du principe de l’art
et de sa destination sociale. Paris : Lacroix, 1875
[1]


In ouvrage sous la direction de Pierre Popovic et Éric Vigneault, Les dérèglements de l’art. Formes et procédures de l’illégitimité culturelle en France, 1715-1914, pp. 169-180. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2001, 266 pp.

[170]
[171]

Quand paraît, de façon posthume, l'essai de Proudhon, Du Principe de l'art et de sa destination sociale, Flaubert exprime son exaspération à un de ses correspondants : « Je viens de lire Proudhon sur l'art, écrit-il,.... [c'est] le maximum de la pignoufferie socialiste. » [2] On n'attendait pas autre chose du maître de Croisset qui vient de dépouiller les écrits, parmi d'autres quarante-huitards, de Louis Blanc pour préparer Bouvard & Pécuchet et prétend y avoir découvert et prospecté, réjoui et effaré, des « Californies de bêtise ». Les discussions esthétiques à Chavignolles et les débats sur l'art et les lois de l'esthétique entre Bouvard et Pécuchet au chapitre V vont profiter de cet effarement exaspéré.

Le mot de « socialisme » n'apparaît pourtant pas une seule fois dans cet essai composé sous les censures de l'Empire et l'adjectif « social », qui a pris tant de sens depuis la Monarchie de Juillet, n'est guère attesté que dans le titre de cette argumentation en faveur de l'« École critique » - qualifiée aussi de « démocratique et progressiste » - représentée, en un temps de décadence universelle et de fausseté et perversités artistiques, par le seul Gustave Courbet.

L'essai de Proudhon n'envisage que la peinture ; aucunement les lettres. [3] Le prétexte du livre est une toile blasphématoire de Courbet refusée au Salon de 1863 et gratifiée de l'intervention de la police impériale, Le retour de la conférence [4], toile fameuse représentant une bande déjeunes et vieux prêtres, ivres, retournant en titubant, au milieu d'un paysage grandiose, d'une conférence ecclésiastique.

La déchéance esthétique et les théories faussées étant, dans le malheur du temps, omniprésentes, Proudhon se propose de reprendre à la base tout le problème du beau, de détruire les sophismes dominants, de montrer le vide des prétentions byzantines des « purs » dilettantes, [172] et de construire avec le bon sens paysan dont il se réclame, les « fondements d'une critique d'art rationnelle et sérieuse » [5], une théorie esthétique validée par la Raison et confirmée par l'Histoire - des anciens Egyptiens aux Français du XIXème siècle.

Le point de départ de Proudhon, ce Proudhon, adversaire de Marx, qui au début de ce siècle sera tant admiré à la fois des anarchistes, des syndicalistes-révolutionnaires... et des maurrassiens [6], ce n'est pas cependant un axiome, c'est un scandale : c'est le sentiment de vivre dans l'imposture omniprésente, une vision crépusculaire d'une conjoncture conçue comme monde à l'envers, mundus inversus, l'image d'un mal et d'une fausseté triomphants. [7] Si on veut comprendre Proudhon et le succès "ni droite ni gauche", récurrent pendant un siècle et demi, de sa pensée, c'est de ce sentiment d'à vau-l'eau social et de dissolution des valeurs "morales" qu'il faut partir. L'expression de ce sentiment crépusculaire est l'amorce d'une figure épistémologique, celle d'une logique discursive propre aux pensées militantes et il me plaît de le voir opérer dans un écrit que tous les gens de gauche ont lu au siècle passé, mais dont le caractère « progressiste » paraît peut-être bien équivoque et suspect avec un siècle et quart de recul.

« Nous vivons une époque de décadence, où le courage civique est anéanti, la vertu privée en souffrance, la race déprimée, tous les sentiments faussés et dépravés. » [8]


De ce sombre constat, suit par conséquence directe, un diagnostic aussi sombre et négatif sur l'art qui, en tout temps, refléta les caractères prédominants de son époque : « Nos consciences sont gangrenées, nos mœurs sont épouvantables, comment y aurait-il de vrais artistes ? » [9] Proudhon fait un sort aux élucubrations d'un peintre néo-classique [173] très oublié, M. Chénavart, qui vient d'exposer une théorie de l'affaiblissement progressif de l'art de laquelle il déduit celle de la fin prochaine de l'humanité. [10] Mais Proudhon d'accord avec le diagnostic, diffère quant à la déduction : il annonce, sur les ruines de l'art faussé, consacré par l'erreur dominante, la naissance d'un art « social » auquel est promis l'avenir mais dont Courbet est, somme toute, le seul précurseur.

Courbet, exclu du Salon, a crié au « réalisme » persécuté. Proudhon n'aime pas ce mot et les théories fumeuse qui l'accompagnent : tout art est réaliste par la matière brute, par le concret de l'expression et « idéaliste » parce que captant et représentant une idée.

Proudhon, c'est une des figures de la pensée « critique » du siècle passé, cette sorte de pensée qui mesure sa justesse à l'écart qu'elle creuse entre elle et les idées dominantes. Or, qu'est ce que l'imposture qui domine ? L'art pour l'art, n'existant que pour lui-même, n'ayant sa fin qu'en lui-même, et n'ayant pas compte à rendre à la société, sans règle, sans utilité, indifférent à l'égard de la morale, du civisme, de la justice et des conflits qui agitent la société. Ces conceptions sont, pour Proudhon, d'insoutenables sophismes. L'art est une « faculté de l'esprit humain » et à toute faculté humaine, il est permis de demander : quelle est ta fonction et quelle est ta destination ? La philosophie critique selon Proudhon consiste à mettre les pieds dans le plat, à se refuser de jouer à l'esprit distingué, à poser des questions que les artistes jugeront béotiennes, lourdes et indiscrètes - faute de pouvoir y répondre. Nous qui « ne sommes point initiés aux mystères de l'art », nous pouvons, même si cela exaspère et fait pousser les hauts cris aux tenants de l'art pour l'art, demander à toute œuvre une question en effet utilitaire : « qu'est-ce que cela ajoute à notre bien être, à notre perfectionnement ? »

Certes, le béotien que Proudhon prétend être, admet ne savoir rien de l'art « quant à l'exécution », soit, mais ce n'est pas le seul domaine où on peut se prononcer, ni le principal angle de la question esthétique. La technique est affaire aux seuls artistes, le « goût naturel à l'homme pour les belles choses » est au contraire généralement répandu. Ce goût des belles choses est transhistorique, anthropologique, constant et « naturel » en effet, non appris. C'est pourquoi on peut concevoir [174] une histoire philosophique de l'art remontant aux anciens Égyptiens : « la littérature et l'art ne forment dans l'humanité qu'une grande et unique évolution ». [11] Il est permis certes de débattre et juger du rendu, de la forme, mais l'art n'est pas question d'abord de procédés et de techniques, il est d'abord l'expression d'une idée dont tout penseur social peut discuter la valeur, « la question du fond prime celle de la forme... avant déjuger [le] goût, il faut vider le débat sur l'idée. » [12]

Primauté du contenu, tel est le premier axiome - et c'est le premier axiome de tout « art social ». Axiome dont Proudhon tire qu'à cette étape première et décisive, le jugement esthétique relève toujours de la raison, et que, quelque autonomie qu'on prête ensuite à la forme, « il n'y a pas de goût contre la raison. » [13]

Rejet donc de l'opposition-clé qui de son temps semblait mettre les camps adverses d'accord, i.e. les peintres académiques comme Courbet, leur ennemi, l'opposition entre réalisme et idéalisme. L'opposition de ces deux termes n'a pas de sens : impossibilité en art de séparer le réel de l'idéal, la matérialité de l'idée. L'art « est essentiellement concret, particulariste » [14], mais il ne vaut que parce qu'il est cependant par ce médium l'expression d'une idée et non la représentation du concret-particulier à l'état brut. C'est pourquoi Courbet est admiré comme rare artiste authentique au milieu de la déchéance générale de l'art officiel, alors que ses fumeuses théories sur le « réalisme » sont rejetées par Proudhon.

Si tout art exprime une idée, cette idée comme toute idée peut et doit être jugée à la lumière morale, sociale, historique : une « idée » doit se juger à sa valeur pour la civilisation, le progrès, la pureté des mœurs sans qu'on puisse évoquer des privilèges de la forme pour interdire cette évaluation... La valeur primordiale de l'art est extérieure à la « forme » et sa fin est transcendante au contenu même qu'on y voit représenté : il s'agit de dire en quoi ce contenu présente une valeur pour la société. Le jugement dit artistique se résorbe donc en un jugement que Proudhon n'hésite pas à définir comme moral : « l'art n'a pas... [175] sa fin en lui-même..., la faculté dominatrice étant la justice et la vérité. » [15] « Libre », sans doute, dans sa création, aucun artiste ne peut s'affranchir de la justice et de la vérité. [16] On revient à la réfutation du […/…] selon Proudhon : la théorie de l'art pour l'art, de l'art trouvant sa légitimité en soi et immunisé contre toute responsabilité sociale, n'est que galimatias et sophisme.

Le goût et la raison, le goût et la morale sociale, l'idée et l'exécution doivent marcher de pair et le jugement sur l'art doit prendre ces données ensemble et évaluer tout d'un tenant. L'invention, l'émotion, l'imagination, c'est fort bien, il faut les admirer dans une œuvre - si ces qualités sont au service de l'idée juste et de l'exactitude de la représentation ; mais ce que Proudhon nomme « la raison » prime : « dès lors qu'en moi la raison n'est pas satisfaite,...je deviens complètement insensible à ce qui d'abord avait entraîné mon imagination. » [17]

Passant de la philosophie de l'art à l'évaluation concrète des peintres de son époque et analysant successivement des toiles de David, Delacroix, Ingres, Vernet, Léopold Robert et Gustave Courbet, Proudhon met ces principes en pratique. Ne parlons pas du peu de bien qu'il pense des néo-classiques, o^ il n'y a pas « ombre de vérité... au point de vue de nos mœurs, de nos croyances, de notre tradition révolutionnaire » [18], mais même chez un peintre de la nature comme Léopold Robert avec ses Moissonneurs, Proudhon relève des « inexactitudes », une certaine « irrationalité » de la composition, des personnages « flattés », ce n'est pas la vraie campagne ni les vrais agriculteurs. [19]

Certains esprits chagrins dénoncent une « dépravation du goût » au XIXème siècle ; la philosophie de Proudhon l'amène à conclure en une condamnation aussi globale, mais toute autre et conforme à ses axiomes : « Ce n'est point à une dépravation du goût que nous avons affaire : c'est à une erreur de jugement. » [20] Or cette erreur dominante a des causes historiques et sociales : il y a depuis la Révolution, « décadence » continue de l'art en France. L'art, « encore en partie chrétien-grec-médiéval, est en retard sur l'évolution » de la société. [21] [176] Remède évident : que l'art rattrape l'évolution historique, « que l'art apprenne à exprimer les aspirations de l'époque actuelle ... qu'il se mette à l'unisson du mouvement universel ». [22]

Or, ceci, « exprimer » son époque, c'est ce que fait le seul Courbet - et c'est ce qui en fait un artiste authentique dans une décadence générale. Chez lui, du point de vue de la vérité d'observation, nulle pose, nulle flatterie, le détail exact tel qu'on peut le vérifier. Mais il faut aussi et d'abord juger Courbet du point de vue de l'Idée. Et l'idée juste est, logiquement et conformément aux « aspirations » du siècle, la dénonciation même d'une période de mensonges sociaux, d'injustices, de perversités et de décadence. Face à une société mauvaise, l'art critique dénonce. Dans L'Enterrement à Ornans, « c'est [la] plaie hideuse de l'immoralité moderne que Courbet a osé montrer à nu. » [23] Artiste, moraliste, c'est tout un, c'est indissociable dans l'esthétique proudhonienne. [24] (Voyez ce que Sorel et Péguy tireront de ce moralisme !) Les philistins disent que Courbet se complaît à peindre des choses laides ! Il les peint parce qu'il les voit, mais non parce qu'il s'y complaît. Il montre des laideurs morales, mais c'est pour les corriger. Pingendo corrigere mores... Artiste certes, mais pas au service de l'art pour l'art, ni au service du seul « plaisir » des privilégiés : « la science et la morale sont ses chefs de file ....il n'en est même qu'un auxiliaire. » [25]

*
*     *

Synthétisons. Les axiomes de la « pignoufferie socialiste » imputée par Flaubert à Proudhon sont les suivants :

  • À société mauvaise et décadente, peinture et littérature fausses et malsaines qui nécessairement reflètent cette déchéance et qui se condamnent ainsi d'elles-mêmes.

  • Réciproquement, l'art, pervers et faussé, contribue à la décadence sociale (et morale) et l'accélère.

[177]

  • À littérature décadente, conceptions esthétiques dominantes, elles aussi faussées : 1. tournant le dos au réel et 2. niant la mission et l'utilité sociales de l'art pour se replier sur ce qu'à la fin du siècle on désignera (et tout sera dit) comme le « nombrilisme » de la forme.

  • Primauté en art du contenu, de l'Idée sur les « moyens » formels ; d'où la définition proudhonienne de l'esthétique : c'est « la faculté de saisir une idée, un sentiment dans une forme ». [26] En d'autres termes : les valeurs premières qui permettent de juger l'art ne sont pas "esthétiques" au sens formel.

Cependant, pour ce qui est de ladite « forme », primat du réalisme (même si Proudhon rejette le mot) : les idées de l'« École critique » passent par le médium d'une représentation exacte, vraie et juste de la société. Une représentation dont le non-artiste doit pouvoir apprécier l'exactitude. L'axiome ici est que l'erreur quant à l'idée qui mérite d'être exprimée, l'incapacité de saisir les "aspirations" de son époque se traduit et se prolonge toujours, automatiquement, par la fausseté et l'irréalisme des moyens d'expression.

L'art doit « exprimer » son époque, non les valeurs d'autrefois ni ce qui y subsiste d'archaïque et de récessif, mais en re-présentant ses « aspirations ». Impossibilité pour l'art de se cantonner dans l'indifférence sociale, dans ce que Bernard Lazare et tant d'autres qualifieront de "Tour d'ivoire" des artistes bourgeois.

Mission et utilité morale de l'art : rendre l'homme meilleur ; servir la Justice et la Vérité, la science et la morale. Dès lors, contribuer à l'avènement du bien, montrer le remède aux maux sociaux et critiquer les tares sociales en aidant au « progrès ».

Enfin, ultime axiome ou certitude : après la décadence artistique présente, certitude que naîtra un art social dont on discerne les prodromes, et qui va renouer avec la vérité et la santé esthétiques, en redevenant, selon la définition la plus globale qu'en propose Proudhon, la « représentation idéaliste de la nature et de nous mêmes en vue du perfectionnement physique et moral de notre espèce. » [27]

[178]

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*     *

Tel est chez Proudhon l'avatar en esthétique du paradigme des Grands récits, paradigme dont la genèse religieuse et sa dénégation sont une évidente composante. Proudhon annonce en fin de parcours, des lendemains esthétiques qui chantent en rejoignant du reste les prévisions d'Auguste Comte en son temps :

« C'est ainsi que la faculté esthétique, se dépravant par l'idolâtrie, était devenue pour l'homme le principe du péché, et pour la société un ferment de dissolution. Maintenant [avec Courbet et « L'Ecole critique, démocratique, progressiste » [28]], cette corruption spontanée de l'art, et, par l'art, de la morale publique et privée, n'est plus possible. L'art devenu rationnel et raisonneur, critique et justicier, marchant de pair avec la philosophie positive, la politique positive, la métaphysique positive, ne faisant plus profession d'indifférence, ni en matière de foi, ni en matière de gouvernement, ni en matière de morale, subordonnant l'idéalisme à la raison, ne peut plus être un fauteur de tyrannie, de prostitution et de paupérisme. » [29]

C'est donc - logique, trop logique ! - la plus explicitement militante (anticléricale) et la plus idéologico-caricaturale des toiles de Courbet, avec les détails précis, « observés » (mais transcendés par l'Idée critique et dénonciatrice), montrant sur le visage vicieux de prêtres bacchiques, l'abjection du clergé et l'imposture de la religion, que Proudhon loue le plus et dont il fait le modèle de l'art qui vient.

Si l'essai du vieux Proudhon, essai que Flaubert jugeait « socialiste », peut faire voir aussi pourquoi, - avec sa vision crépusculaire du monde et son moralisme, - Proudhon passe pour un fourrier du fascisme "de gauche", les axiomes qu'il formule seront les axiomes immuables de l'art social tel que je l'ai étudié dans divers travaux et à différentes époques ultérieures, la fin du siècle et les années 1930. [30]

[179]

Ce qui  m'importait,  c'était de dégager une « logique » constituée dans les polarisations de la pensée moderne, logique ou manière de penser militante qui se caractérise par son invariance et son évidence, par son caractère indépassable pour une « famille d'esprits ». On a pu indéfiniment manipuler/raffiner cette logique, cognititivement ou seulement phraséologiquement, mais elle est ce qui fait toujours retour que ce soit chez Jdanov ou chez Lukàcs, chez Barbusse, chez Aragon ou chez Nizan.

© Marc Angenot

Remarque sur l'emploi par Proudhon
du mot « nationalisme »


Un néologisme bien curieux apparaît dans l'écrit de Proudhon à la page 104 : « nationalisme ». Le mot, avec son sens politique moderne, n'est attesté et récurrent que dans les années 1890 - entre l'agonie du boulangisme et les débuts de l'Affaire Dreyfus. Je l'ai rencontré une fois dans mes dépouillements sur l'année 1889 : le Commandant Marck, éditorialiste du bonapartiste Le Petit Caporal, journal qui vient de faire un bout de chemin avec le Brav’ Général, écrit à peu près ceci : nous ne sommes pas socialistes, nous ne sommes pas boulangistes (autrement dit, la personne même du Général ne nous importe pas, mais bien le patriotique rejet du « parlementarisme »), « nous sommes nationalistes ». Le mot comme catégorie politique naît ainsi d'une double dénégation.

Cependant, près de vingt cinq ans plus tôt, Proudhon le crée, ce mot, et il l'emploie dans un contexte littéraire : il parle en effet de « nationalisme artistique et littéraire » et le définit comme tournant autour de cette question nouvelle adressée aux lettres au XIXème siècle : est-ce qu'elles pouvaient dire et faire voir « en quoi nous [Français] étions originaux, s'il y avait une littérature française » qui fût par sa nature et son essence, distincte, reflet d'une sensibilité nationale spécifique dont on puisse s'enorgueillir collectivement ?

Il est certainement important et significatif de noter que ce mot-clé des catégories politiques du XXème siècle avant de se fixer pour caractériser cette coalition autour de Boulanger, qu'un Zeev Sternhell analysera comme le premier [180] mouvement proto-fasciste en Europe, est apparu d'abord pour signaler l'usage nouveau, quasi-politique en effet, que le siècle passé va faire du corpus des gloires et œuvres littéraires dites « nationales ».



[1] Du principe de l'art et de sa destination sociale parut à Paris, chez Lacroix, en 1875. Nous le considérons ici dans l'édition des Oeuvres complètes dirigée par Célestin Bougie et Henri Moysset, Paris/Genève, Slatkine, 1982,18 vol. (Oeuvres complètes dans les notes subséquentes).

[2] Correspondance [Conard], V, 176.

[3] Très accessoirement la sculpture et l'architecture.

[4] Titrée parfois Les Curés.

[5] 50.

[6] Jusqu'au jour vers 1910, où ils feront leur liaison en la personne de Georges Valois et en celle de Sorel.

[7] À l'origine de toute pensée il y a un scandale, c'est-à-dire quelque chose d'impensable. Quelque chose d'intolérable, quelque chose qui donne le vertige et qui - comme le soleil et la mort - ne se peut regarder en face. La pensée et spécialement la pensée du « social » et de l'histoire ne partent qu'en apparence d'axiomes (sur la nature humaine, sur des droits naturels...) et d'analyses, ces pensées partent en fait d'un scandale intolérable, non seulement d'une douleur insurmontable éprouvée dans ce monde terraqué, mais d'une douleur intellectuelle qui la redouble, de quelque chose qui fait mal à la pensée, qu'il va falloir douloureusement re-penser pour en rendre le scandale moins vertigineux et l'énigme moins opaque.

[8] 246.

[9] 150.

[10] 148.

[11] 107.

[12] 50.

[13] 50.

[14] 66.

[15] 69.

[16] Cf. p. 70

[17] 135.

[18] 136.

[19] 137-138.

[20] 151.

[21] 152.

[22] 159.

[23] 176.

[24] Cf. 177.

[25] 182.

[26] 53.

[27] 167.

[28] Voir chapitre 19, rédigé par les exécuteurs testamentaires.

[29] 191.

[30] La Critique au service de la Révolution, « L'Impossible portrait du prolétaire », « Champ - contre-champ ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 26 août 2018 18:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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