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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Devoir, Montréal, Édition du mercredi, 8 octobre 2003.

PLQ – réingénierie.
Une différence de nature et non de modalités .
La santé et l'éducation ne sont pas des marchandises !

par Omar Aktouf,
[Autorisation accordée par l'auteur le 18 février 2006 de diffuser cet article]
Courriel:
[email protected]

Professeur titulaire à l'École des HEC de Montréal, auteur de La Stratégie de l'autruche (Écosociété, 2002) et candidat de l'Union des forces progressistes lors des élections partielles de décembre 2005 dans la circonscription d'Outremont.

Texte reproduit dans Les Classiques des sciences sociales avec l’autorisation formelle de l’auteur accordée samedi, le 18 février 2006

[Le gouvernement Charest continue le mouvement néolibéral avec des promesses de réingénierie, qui ne sont que futures coupes dans les services publics.]

http://www.vigile.net/ds-actu/docs3a/03-10-8-1.html#8ldoa 

Le néolibéralisme affecte le Québec dès le régime péquiste: coupes des années 80, déficit zéro des années 1990, 17 000 mises à la retraite qui ont désorganisé les services de santé. Le gouvernement Charest continue le mouvement avec l'augmentation du fardeau imposé aux familles - comme cette augmentation de 100 millions de dollars dans les services de garderie que les parents vont devoir assumer - et autres promesses de réingénierie et de synergie, qui ne sont que futures coupes sombres dans les services publics.  

Secondé par les milieux conservateurs tels le Fraser Institute (cofondé par le milliardaire britannique Tony Fisher, pourfendeur de l'État-providence, partisan de l'Atlas Institute qui promeut le néolibéralisme partout dans le monde) et l'Institut économique de Montréal, le gouvernement Charest, en plus de la fonction publique, menace des biens publics aussi essentiels et sensibles que l'éducation et la santé, au nom d'un nouvel État-business.  

L'éducation: un bien marchand? 

L'Institut économique approuvait les «bons d'études» de l'Action démocratique du Québec. On sait qu'aux États-Unis ces expériences (Milwaukee et Cleveland) ne sont pas concluantes; les écoles privées servant les bénéficiaires de bons ont eu des résultats inférieurs au secteur public, et celles existantes auparavant ont obtenu des résultats à peine comparables. 

Par ailleurs, les écoles privées étant, au Québec, plus dispersées, il en a coûté de 1200 $ à 1800 $ par élève pour le transport, contre seulement 500 $ au secteur public. Ajoutons que les frais administratifs sont trois fois plus élevés avec le système de bons.  

Cette logique de privatisation pousse des entités comme l'école, qui ont pour mission le service au citoyen et la sauvegarde de sa dignité (dignité qui relève de tous les besoins dits essentiels), à fonctionner selon une logique de bénéfices, propre au secteur privé. Ce sera la course aux diplômations faciles et à l'aggravation des inégalités en faveur des plus nantis. Nous sommes donc en présence d'entités dont la différence en est une de nature et non de modalités (méditons l'exemple des prisons privées du Texas, qui ont les tristes records du taux de prisonniers et d'exécutions: en tant que «business» qui vise le profit, elles ont intérêt à «encourager» les condamnations lourdes, la criminalité la plus florissante... Qu'y a t-il de plus efficace en cela?).  

Le 19 août 2003, Jean Charest déclarait, en écho à une vision patronale étriquée, que l'éducation, c'est fournir un «bon capital humain au marché». Las! La fonction éducative doit transmettre totalement et gratuitement, à tous, l'ensemble des savoirs et des valeurs d'une génération à la suivante, pas de fabriquer des êtres «employables» au service du profit. Sa vocation est d'assurer la pérennité de ce don fait à l'espèce humaine: pouvoir recevoir, enrichir et transmettre connaissances et sagesse.  

Il est question d'éduquer chaque être humain à devenir un citoyen membre à part entière de sa culture, l'ayant étudiée, apprise et comprise. Un citoyen, alors, apte à discerner, pour se forger une opinion propre, et apte aussi à poser les bonnes questions au pouvoir afin de bonifier la vie démocratique. Éduquer, c'est éveiller les générations à prendre conscience de ce qui va mal pour le corriger et le dépasser, à formuler de nouveaux problèmes que la génération qui les instruit est incapable de deviner; non pas de produire des rouages économiques passifs et (rentablement) utilisables!  

Les Américains en ont assez 

La marchandisation des activités humaines touche aussi la santé. Veiller au bon état mental et physique des citoyens, voilà la mission de cette seconde institution. Ce n'est pas d'être destinée à préserver l'argent ou à faire de l'argent. La progression des idées de gouvernance néolibérale prétend rendre plus efficaces ces services en les livrant au marché. Nos politiciens ignoreraient-ils que 8000 médecins américains (Physicians for a National Health Program, dont la prise de position a été publiée en août dans le Journal of the American Medical Association), réclament d'imiter le Canada? Savent-ils que 41 millions d'Américains n'ont strictement aucune couverture médicale, alors que des millions d'autres, assurés du privé, ne sont protégés que fort partiellement et que l'hospitalisation est la plus grande cause des faillites personnelles aux États-Unis? Plus de la moitié du personnel médical et la majorité des professeurs de médecine y appuient l'idée d'une protection gouvernementale complète; tout comme 40 % des présidents de PME.  

L'État-providence dépassé ? 

Dans les pays où on vit le mieux en tant que citoyen de la classe moyenne, comme l'Allemagne et la Scandinavie, on croit que, en matière de politiques socioéconomiques, tout est lié. On ne pense pas un système d'éducation indépendamment de celui de la santé, du logement, de l'alimentation, des transports, de la culture... Cela s'appelle un projet de société. Et non pas le marché.  

Comparant les systèmes de santé des pays de l'OCDE, aucun des critères traditionnels ne montre de caractères différenciateurs entre pays à population «en bonne santé» ou non. Surtout pas les critères d'efficacité par les «coûts» (l'Angleterre allie les soins les «moins coûteux» et les patients les plus mal traités de l'OCDE). Une différenciation apparaît seulement lorsque des critères intersectoriels sont considérés: pauvreté des familles, redistribution de la richesse, accès aux transports, mortalité infantile, éducation et culture, densité des services sociaux, etc. On aboutit alors à ce constat aveuglant de bon sens: les pays ayant un bon système de santé sont ceux où il y a aussi de bons systèmes d'éducation, de transport, de répartition des richesses, de soins aux plus démunis..., soit de services publics en général!  

Un citoyen plus instruit et plus cultivé saura mieux prévenir les maladies, mieux discerner les services à demander; un citoyen mieux transporté sera moins sujet au stress; mieux nourri, il sera moins vulnérable aux infections; mieux traité économiquement, il sera moins enclin à la violence, à la toxicomanie, à l'alcoolisme, à l'abus de médicaments, à la dépression... 



L'«employable-consommateur» du marché autorégulé ne saurait être le citoyen pensant et cultivé, apte à faire progresser son sort et celui de ses semblables. Éduquer et soigner n'est pas une question d'efficacité financière ou d'occasion de faire de l'argent. Nous avons un important devoir de résistance devant tant d'aveuglement néolibéral, alors que partout le néolibéralisme agonise, depuis la chute de Enron jusqu'au chaos argentin, et qu'un pays comme la Suède se paye le luxe de compter une des sociétés les mieux cultivées et les mieux portantes au monde avec, en prime, une insolente conjonction d'excédent budgétaire et de croissance! Qui a dit que le modèle de «l'État-providence» était mort? 


Retour au texte de l'auteure: Diane Lamoureux, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 17 mars 2006 19:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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