Postface
“MAXIMILIEN LAROCHE :
Un ambassadeur des Amériques.”
Zilá BERND
Bernard ANDRÈS
Vinesh Y. HOOKOOMSING
- « Quand on est migrant, on est de corps, d’esprit et de cœur jusqu`à en devenir mythologue. »
Cette phrase a été écrite par Maximilien Laroche comme dédicace à son livre Mythologie haïtienne, publié en 2002. Il s’agit d’un bel exemple de l’esprit, de l’humour et de l’indéfectible savoir-vivre qui ont caractérisé Maximilien Laroche, « Maxi » pour sa famille, ses amis, ses collègues et même les étudiants du Brésil qui l’appelaient « monsieur Maxi »…
Nous avons bien voulu rassembler dans ce livre des témoignages et des études en hommage à ce professeur inoubliable, à cet ami fidèle et à ce remarquable essayiste. Il nous a donné des leçons indéniables sur l’importance de prêter l’oreille à l’oralité qu’il aimait appeler « l’oraliture », c’est-à-dire à la voix de ceux qui n’ont pas laissé de traces écrites, mais dont la sagesse subsiste et a influencé l’écriture des écrivains et poètes d’Haïti et de la Caraïbe francophone en général. Maximilien a aussi attiré notre attention sur les figures de la mythologie haïtienne, comme le Bizango, le caméléon volant, qui serait une des figures dont le peuple haïtien se sert pour éclairer son histoire.
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Prêter l’oreille à l’oralité, à l’oraliture : Maxi, lui, nous a laissé de nombreuses traces écrites de sa pensée. En témoigne amplement, ici même, la bibliographie finale de ce volume. Mais il nous lègue aussi sa propre oralité : cette voix inoubliable qu’il modulait en souriant, du grave à l’aigu, ce timbre de voix vibrant qui se résolvait souvent par un rire étouffé, mi-moqueur, mi-facétieux, toujours spirituel ! Vous en retrouverez la trace silencieuse sur son sourire dans les photos-souvenirs à la fin de ce livre. Mais pourquoi ne pas en redécouvrir aussi l’écho sonore au hasard d’une entrevue qu’il accorda naguère ? Nous vous proposons par exemple le riche échange qu’il eut le 17 mai 1997 avec Danièle Magloire, à Radio Haïti [1]. La voix merveilleuse de Maxi, son phrasé, son sérieux et sa légèreté, son goût des nuances et la façon dont il rebondissait agilement sur les questions qu’on lui adressait. Cinquante minutes de bonheur sonore et intellectuel sur la périodisation des lettres haïtiennes, les liens intimes entre littérature, musique et peinture, les courants indigénistes, spiralistes, la façon dont la vie paysanne a été relayée par les écrivains urbains d’Haïti, dont Jacques Roumain. Aussi sur l’influence d’Haïti sur les autres espaces littéraires des Caraïbes (Césaire, Walcott). Mais ce qui nous ravit plus que tout au terme de cette entrevue, après qu’il eut parlé de la symbolique du Bizango, c’est l’envolée lyrico-comique dans laquelle il se lance en riant de lui-même. Bel exemple de cette lodyans dont il est souvent question dans ce même volume. Maxi raconte alors avec humour et autodérision que, plus jeune, il se prenait un peu pour l’Homère haïtien. N’avait-il pas rêvé d’écrire sa propre Odyssée du pays natal ? Mais, hélas ! S’étant rendu compte qu’elle avait déjà été produite, il avait alors renoncé à rédiger cette œuvre magistrale ! [Rires !] Heureusement pour nous, Maxi nous livra tous ses autres écrits largement analysés et inventoriés dans le présent volume : son Grand Œuvre [2].
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Avant les années 1980, dans les universités brésiliennes, on n’enseignait que la littérature française à partir de l’œuvre des écrivains canoniques qui avaient mérité de faire partie de la collection La Pléiade. Entendre parler des littératures francophones dans les Amériques fut pour les professeurs brésiliens de notre génération, une découverte : on pouvait lire en français des écrivains d’Haïti et du Québec, donc des écrivains des Amériques qui présentaient des convergences avec la culture brésilienne tel le passé colonial et esclavagiste. Les cours que Maximilien Laroche a donnés dans les universités brésiliennes entre les années 1980 et 2000 ont déclenché chez ses étudiants quelque chose comme une redécouverte de l’Amérique par les Américains, comme a écrit Eduardo Galeano.
Si l’impact des propos de Maximilien Laroche a été si important au Brésil et en Amérique hispanique, le nombre de participants à ce collectif en est la preuve que partout - en Haïti, au Québec, au Canada, dans les Amériques, en Chine, en Europe, à l’île Maurice et ailleurs - il a imprimé sa vision inclusive du monde. Nous nous sentons tous, qui signons dans cet ouvrage des témoignages ou des études approfondies, comme ses héritiers ; ce livre est une manifestation de notre désir en tant qu’héritiers de Maximilien Laroche de transmettre ses leçons, préservant ainsi la mémoire de son point de vue sur la littérature, sur la diversité et les relations avec l’Autre dans le Divers, comme nous l’a également appris Édouard Glissant.
Un aspect important des préoccupations de Maximilien Laroche en tant que chercheur était le créole haïtien, la langue sur laquelle est basée l’oraliture haïtienne. Il était membre de longue date du CIEC, le Comité international des études créoles, et il participait activement aux rencontres et aux colloques internationaux sur la langue créole. Après sa retraite, il tenait à écrire, à publier et à donner des conférences en créole haïtien, sa langue maternelle. Cet ouvrage signale l’importante collaboration que nous avons reçue en créole haïtien et qui ferait certainement grand plaisir à celui à qui nous voulons rendre hommage.
Nous remercions vivement la générosité et les efforts remarquables de tous les collaborateurs et collaboratrices qui ont accepté avec enthousiasme de faire partie de ce projet afin de rendre hommage à Maximilien Laroche. Nous soulignons le dévouement avec lequel Xin Du, l’épouse de feu Maximilien Laroche, s’est consacrée à [270] rassembler les documents laissés par son mari ainsi qu’à préparer le manuscrit de cet ouvrage. Nous l’en remercions sincèrement.
Notre remerciement très spécial va à monsieur Dany Laferrière de l’Académie française, qui a généreusement accepté de préfacer cet ouvrage collectif avec son vif et touchant témoignage écrit dès les premières heures au décès de son ami Maxi.
Dans ce volume collectif, les lecteurs découvrent principalement l’aspect intellectuel de Maximilien Laroche. Étant ses collègues et ses amis de longue date, nous voulons souligner aussi sa chaleur humaine et son sourire contagieux. Pour lui, l’amitié n’avait pas de barrières ni de frontières. Il était enchanté, enrichi et heureux à chaque rencontre. Cette qualité a contribué grandement à son bonheur, et au bonheur de ses amis, de ses collègues et de tous ceux qui l’ont rencontré.
Ce bel esprit ne sera jamais oublié. Il est dans nos cœurs.
[2] On lira à la fin de ce livre le texte autobiographique de Maximilien Laroche, « Une enfance capoise » (2001) : il y évoque notamment l’épisode où, à quatorze ans, il se rêvait en Homère haïtien !