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D'Haïti aux trois Amériques. Hommage à Maximilien Laroche.
Préface
Dany Laferrière
de l’Académie française
J’ai appris la triste nouvelle de la mort de mon ami Maxi.
J’ai connu Maxi il y a bien longtemps, avant même de le rencontrer. J’étais jeune journaliste à Port-au-Prince au tout début des années 1970, à l’hebdomadaire Le Petit Samedi Soir. On faisait comme on pouvait pour trouver des textes pour sortir le journal. Vous ne pouvez imaginer notre joie quand on recevait une analyse fouillée, profonde, du professeur Maximilien Laroche. On s’alignait alors sur son thème. Si c’était le conte haïtien ou la littérature orale ou la musique dite commerciale, comme le Compas, on cherchait à broder autour du sujet tout en gardant la cadence chaloupée de ses longues phrases. Ce n’était pas facile, car Maximilien Laroche avait souvent longuement réfléchi à la question. L’article était à la fois savant et élégamment écrit. Cela m’a pris du temps avant de déceler derrière ces réflexions originales et profondes un goût de jouer.
Maximilien Laroche était un enfant dont l’esprit semblait toujours en mouvement, comme celui de mon petit-fils. Est-ce pourquoi il était difficile de suivre sa pensée si l’on était trop grave. Il est tout à fait sérieux sans être constipé. Ce sourire fin qui fleurit sur un visage toujours accueillant, même dans les moments difficiles, dit bien sa vision des choses. Une légère distance face à la vie. Cette distance est doublement salutaire, car elle calme le jeu et aussi permet de trouver des solutions qui n’impliquent pas toujours l’idéologie. Il n’est pas péremptoire (on connaît son petit mouvement de tête avant de prendre la parole qui dit qu’il ne cherche pas à contester l’analyse précédente, mais à signaler un point laissé de côté.) Cela ne veut aucunement dire [6] que Maxi n’avait pas de convictions ni qu’il ne les défendait pas. Combien de fois je l’ai vu faire valoir du bec et des ongles ce qu’il croit être juste ! La justice, à ses yeux, pouvait être sociale, économique ou littéraire. Du point de vue social et économique, c’est parfois pareil, sa défense du créole, de la culture orale, des contes chantés, de la musique populaire est une défense des démunis, de ceux que Fanon, que je lis ces jours-ci, appelle Les Damnés de la terre.
Après m’avoir nourri de loin, de l’Université Laval où il avait fait flotter le drapeau haïtien, je l’ai rencontré enfin en arrivant à Montréal. Et j’ai compris qu’il n’était pas différent de ses écrits. Son courage, car il ne se plaint jamais, même s’il a eu sa part de tragédies dans la vie, vient peut-être de Manuel, le héros de Gouverneurs de la rosée, l’un de ses romans favoris. Hilarion Hilarius n’est pas loin non plus dans sa mythologie personnelle. Il a continué jusqu’à la fin, jusqu’à la dernière sieste (on l’a trouvé dans son fauteuil), à porter la culture, l’art et le quotidien haïtien qui nourrit cette culture et cet art sur toutes les tribunes possibles. Maxi est de ceux qui croient que la culture ne tombe pas du ciel, et qui cherchent à remonter le courant jusqu’à la source. Et la paysannerie est la source principale, c’est elle qui gonfle ce fleuve ou tant d’artistes se baignent en oubliant parfois d’où vient l’eau. Maxi n’accorde pas la première importance aux résultats littéraires, mêmes exceptionnels, il laisse ce travail aux médias, il cherche plutôt les zones discrètes, parfois invisibles, afin de les révéler au lecteur. Et c’est ainsi qu’on apprend des choses sur des textes que leurs auteurs eux-mêmes ignoraient. Combien de fois j’ai dû relire des romans, des contes ou des poèmes haïtiens après lecture des analyses de Maxi. Beaucoup de choses minuscules m’avaient échappé auparavant. C’est la masse de ces points minuscules qui finit par changer le regard. C’est un travail de bénédictin. J’en suis encore impressionné. Il l’a fait pour tous ceux, comme moi, qui n’ont pas eu le courage de le faire.
Une dernière chose : il ne faut pas croire que la jouissance littéraire, musicale et lexicale ne l’habitait pas. Il aimait danser. Il aimait la danse des mots. Il aimait la danse des couleurs. Il aimait par-dessus tout la musique. Il n’y a de dieu que dansant, et l’enfant en est spontanément un. Et Maxi aussi qui rejoint, au paradis des Arawaks et des Caraïbes, Les Abricots, ses vieux amis Jean-Claude Fignolé, Claude Pierre et Serge Legagneur qui l’attendaient près de la mer turquoise, pour une interminable discussion littéraire, sociale, [7] économique, mais encore toute imprégnée de l’humaine condition qui les caractérisait il n’y a pas si longtemps. On se ferait bien poisson, d’autant qu’on l’a déjà été, pour pouvoir les écouter.
Voici quelques images hâtivement évoquées de notre Maxi national. On y reviendra à coup sûr, car le temps joue pour les honnêtes travailleurs comme le professeur Maximilien Laroche de l’Université Laval.
Lettre à Xin Du
1er août 2017
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