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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Numéro 10 de la revue Culture technique, “U.S.A.”, 1983.
Présentation de la revue «Technology and Culture»


Une édition électronique réalisée à partir du Numéro 10 de la revue Culture technique, “U.S.A.”, 1983, 336 pp. [Autorisation accordée par le directeur général, Jocelyn De Noblet, de diffuser cette revue en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. M. à Thierry Gaudin pour toutes ses démarches auprès du directeur général de la revue afin que nous puissions reprendre la diffusion de tous les numéros de cette revue.]

[14]

Présentation de la revue
«Technology and Culture»


N.L.D.R.

In revue Culture technique, no 10 “U.S.A.”, 1982, page 14-15. Neuilly-sur-Seine : Centre de recherche sur la culture technique.


Peu de revues peuvent prétendre au titre de « journal de référence d'un domaine ou d'une discipline ». Tel est pourtant le cas de Technology and Culture qui, depuis ses débuts en 1959, s'est placé au premier rang des revues d'histoire spécialisée des technologies. T&C fut la première revue d'un domaine quasi inexistant à la fin des années cinquante. Ce fut aussi une revue qui suscita la création de spécialités nouvelles. En vingt ans, l'histoire des technologies est devenue une discipline reconnue au sein des universités américaines. Le succès de T&C est dû à plusieurs facteurs, dont deux doivent être particulièrement soulignés.

Tout d'abord, l'équipe de la revue avait parfaitement conscience de créer un domaine de recherche. Pour doter l'histoire des technologies du statut de discipline à part entière, il fallut lui faire respecter les règles de la professionnalisation en milieu universitaire : ne publier que des articles lus, commentés et sélectionnés par des « référées », faire fonctionner une communauté de personnes qui devait garantir l'accès au domaine. Plus encore, T&C réussit à maintenir un niveau de qualité élevé, sans pour autant restreindre le domaine. Elle fut en effet l'une des premières revues à publier des études sur l'histoire des travaux publics, l'archéologie industrielle, les rapports entre science et société, entre technologie et valeurs, ou encore sur la morale et les valeurs de la technologie. De plus, T&C publia systématiquement des comptes rendus bibliographiques de la plupart des livres qui pouvaient être utiles aux chercheurs du domaine. Elle fut donc non pas un simple produit de consommation, mais un véritable outil de travail.

Le deuxième facteur de succès de T&C vint du type d'approche qu'elle proposa pour la technologie. Melvin Kranzberg, son rédacteur en chef, rappelait dans le premier numéro qu'« une analyse systématique et continue de l'histoire des technologies en tant que telle est nécessaire, et c'est de cette nécessité que naquirent la Society for the History of Technology et la revue ». Il ne suffit pas de se demander « comment les choses sont faites », il faut aussi se demander pourquoi elles sont ainsi faites et quels sont leurs effets sur d'autres domaines de l'activité humaine. En un mot, Kranzberg et l'équipe de T&C proposaient de replacer la technologie dans l'ensemble de la culture, d'où le titre de la revue.

Kranzberg avait tout à fait conscience de la difficulté de la tâche. D'abord parce que c'était une entreprise pluridisciplinaire à une époque où ni le mot ni la chose n'étaient à la mode. La revue fit ainsi appel aux efforts d'« anthropologues, de sociologues, d'économistes, d'historiens, d'humanistes et de scientifiques ». Pour tous ceux-là, l'une des difficultés majeures du domaine fut le manque de connaissances sur les techniques elles-mêmes. T&C remédia à cette lacune et, durant vingt ans, se montra à la hauteur de sa tâche en publiant des articles dont l'intérêt principal fut d'entrer dans le contenu même des techniques. Ainsi, pour prendre un exemple célèbre, le système Edison fut étudié dans ses composantes non seulement sociales ou politiques, mais aussi techniques. Et rares furent les articles qui n'apportèrent [15] pas une information soignée et précise, en un mot érudite. Jusque-là peu de travaux —mis à part peut-être l'importante histoire des technologies de Singer, Holmy, Hall et Williams — avaient cherché à présenter le phénomène technologique sous toutes ses facettes, à traiter la technologie comme un ensemble culturel. Les quelques écrits historiques sur la technologie existant dans les années cinquante étaient en effet des exposés d'ingénieurs, parfois attrayants et méritoires, mais qui manquaient d'une vision globale. Kranzberg notait bien ce fait en disant de façon lapidaire : « Les ingénieurs sont plus à l'aise pour s'exprimer avec l'acier et le béton qu'avec les mots. »

Mais l'histoire des technologies devait surmonter un obstacle autrement plus important que le manque de connaissances techniques, et plus difficile à percevoir car plus idéologique. Cet obstacle, signalé par Kranzberg, était le prestige dont jouissaient les créations de l'esprit par rapport aux créations manuelles, surtout dans le milieu universitaire où devait s'implanter la nouvelle discipline. Kranzberg, dans son premier éditorial de 1959, minimise à souhait cet obstacle, comme pour le rendre plus facile à surmonter. Il va même jusqu'à dire qu'aux États-Unis, pays où prospère et domine la technologie, il sera plus facile que n'importe où ailleurs de chercher à la comprendre.

Pourtant, dans cette nation où le progrès technique était célébré par tous, le « technologist », l'homme qui quotidiennement construisait ce progrès, avait le plus grand mal à se faire l'égal du scientifique et de l'humaniste. « Ce paradoxe n'est pas difficile à comprendre : l'histoire de la réussite américaine glorifiait les hommes qui avaient commencé leur carrière en travaillant de leurs mains ; ils devaient leur succès à leur capacité d'accéder à un statut où ils n'auraient plus à accomplir aucune tâche demandant force musculaire et habileté technique. Cela est tellement vrai que l'ingénieur, celui qui toute sa vie conçoit et développe des instruments techniques, ne voyait pas son statut gratifié de l'estime de ses compatriotes au même titre que les produits de son travail. » On peut remarquer à ce propos que le terme « engineer » aux États-Unis désigne aussi bien le conducteur de locomotive que l'ingénieur nucléaire. L'obstacle venait surtout de ces « humanistes de l'ère victorienne » qui avaient la révolution industrielle en horreur. Cela nous donne à réfléchir, à nous Européens, et à nous Français qui vivons dans un pays où l'histoire des technologies est encore quasiment inexistante. Peut-être la situation américaine constituait-elle un terrain plus favorable pour l'éclosion de la discipline. Peut-être aussi le paradoxe signalé par Kranzberg joua-t-il non pas comme obstacle mais comme condition de son développement. Le fait est que, malgré son retard par rapport à l'histoire des sciences, l'histoire des technologies est devenue aux États-Unis un champ de recherche et de réflexion d'une extrême fécondité.

Mais cette fécondité tient aussi aux hommes. Des historiens comme Robert Post, l'actuel rédacteur en chef de la revue, Merritt Roe Smith, Paul Uselding et bien d'autres contribuèrent à faire de ce domaine une véritable mine. Néanmoins, le rôle de Melvin Kranzberg resta déterminant. Tout d'abord parce qu'il incita les chercheurs à poser les bonnes questions. Ses collègues eurent sans cesse à cœur de souligner son influence, comme en témoigne l'appellation officieuse de T&C : les « Kranzberg papers ». Kranzberg a d'ailleurs montré une fois de plus cette qualité dans son dernier éditorial « Passing the bâton » de 1981 en mettant le doigt sur certains « mots de passe » (buzz words) de la pensée américaine contemporaine tels que la réindustrialisation, la productivité, les modes de vie différents, l'évaluation technologique, l'analyse du risque, etc. Tous ces termes signalent une réalité et un passé que l'histoire des technologies se doit de mettre au jour.

Mais Kranzberg, ainsi qu'en témoignent ses amis et ses collègues, fut aussi par ses qualités humaines « un excellent chef d'orchestre qui, d'un geste, arrive à aiguiser une intuition, à renforcer une thèse, à clarifier une démonstration, et qui possède ce flair qui permet de sentir ce qui est "bon" dans le ton et le contenu » (Robert Post, éditorial « Taking the baton » de 1982). La vitalité dont T&C fit preuve pendant vingt-deux ans est en effet là pour le démontrer.

N.D.L.R.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 juillet 2024 7:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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