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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Numéro 13 de la revue Culture technique, “Le sport”, 1985.
Jocelyn de Noblet,
“Sport et dérégulation”


Une édition électronique réalisée à partir du Numéro 13 de la revue Culture technique, “Le sport”, 1985, 327 pp. [Autorisation accordée par le directeur général, Jocelyn De Noblet, de diffuser cette revue en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. M. à Thierry Gaudin pour toutes ses démarches auprès du directeur général de la revue afin que nous puissions reprendre la diffusion de tous les numéros de cette revue.]

[9]

Jocelyn de NOBLET *

Docteur ès lettres
Fondateur & Directeur du Centre de Recherche sur la Culture Technique (CRCT)

Sport et dérégulation.”

Un article publié dans la revue CULTURE TECHNIQUE, no 13, 1985, pp. 9-16. Numéro intitulé : “Le sport”. Neuilly-sur-Seine, France : Centre de recherche sur la culture technique.

Le concours des archers de Paris
en 1948 à la fêle des Chevaliers de l'arc.

Le skate board.


Les activités physiques et sportives (de loisir, de compétition et de haute compétition) se développent de façon spectaculaire. Spectaculaire est bien le mot qui convient si l'on se réfère à la place toujours croissante qui leur est concédée par le petit écran, au développement des sports d'hiver, du tennis, de la planche à voile, de la gymnastique aérobic, à la participation exponentielle au semi-marathon des grandes villes (plus de 35 000 participants aux 20 km de Paris en septembre dernier).

Cette émergence est beaucoup plus qu'un phénomène de mode. Elle s'inscrit dans l'évolution culturelle de toutes les sociétés développées, et constitue un fait sociologique nouveau et important.

Ce développement des activités sportives s'inscrit aussi dans la durée, ce qui est confirmé par toutes les études statistiques faites à ce jour.

Parmi les multiples interactions entre les activités sportives et les différentes composantes de notre système culturel, nous remarquons que les relations entre sport et technique sont privilégiées. Ainsi, dès qu'apparaît une nouvelle technologie, le sport cherche immédiatement à en tirer parti et, très vite, celle-ci devient indispensable.

C'est pourquoi le C.R.C.T. s'est intéressé au sujet, et a organisé un séminaire de réflexion dont l'aboutissement est ce numéro spécial.

Mais avant d'examiner ces interactions, il est nécessaire de donner quelques indications générales sur le développement des sports durant ces dix dernières années, afin d'informer les lecteurs qui ne seraient pas avertis.

Traiter des activités sportives avec le parti pris déclaré de les resituer dans un contexte culturel hors duquel elles n'ont pas de sens n'est pas une mince affaire. En effet, les activités sportives ne forment pas un tout homogène, et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, on ne dispose que de peu d'études sociologiques sérieuses. Il ne semble pas que les chercheurs en sciences « molles » se soient saisis du sujet, et encore moins qu'ils lui aient concédé la place qui lui revient.

[10]

Saut en parachute.

Cet état précaire de la réflexion nous a conduits à parler en termes mesurés d'activités qui soulèvent le plus souvent passions et enthousiasme.

Le domaine sportif est divisé en de nombreuses disciplines, dont les dénominateurs ne sont pas assez communs pour qu'il soit possible de faire des généralisations. Nous avons choisi de circonscrire les intérêts de ce numéro spécial aux pratiques sportives et aux problématiques plus particulièrement liées au développement technologique et industriel des vingt-cinq dernières années.

I. LA PRATIQUE SPORTIVE.

La pratique des différentes disciplines sportives nécessite, dans des proportions très variables, la mise en œuvre de nombreuses qualités et capacités :

- le potentiel énergétique,
- l'habileté motrice et l'adresse,
- la faculté de se concentrer,
- la motivation,
- le développement d'une stratégie,
- l'intelligence du jeu,
- etc.

Chacune des capacités que nous avons citées est nécessaire ; aucune n'est suffisante. Ce sont les proportions qui varient et déterminent les différences. La pratique de l'athlétisme nécessite, d'une façon générale, une grande dépense énergétique. Mais cette dépense ne se traduit pas de la même façon selon qu'il s'agit de sprint, de course de fond ou de demi-fond, de lancer ou de saut. Le saut à la perche nécessite la médiation d'un propulseur et met en œuvre, non seulement les muscles des jambes et des bras, mais requiert également une habileté motrice certaine (voir l'article de Jacques Defrance).

Un jeu comme le tennis accorde une importance égale à l'habileté motrice, à la dépense énergétique et à l'intelligence du jeu, avec une très forte interaction entre ces trois facteurs. Il paraît évident que des joueurs naturellement doués, comme Nastase ou l'Indien Amritraj, d'une très grande adresse, dépensent moins d'énergie qu'un tâcheron comme Vilas par exemple. Par contre, Nastase a de grandes difficultés de concentration, et n'a pu de ce fait réaliser toutes les performances qui étaient à portée de sa main.

Un sportif peut pratiquer telle ou telle discipline d'autant plus longtemps que celle-ci sera économe en dépense énergétique. Ainsi, l'athlétisme se pratique très jeune, et guère après 26 ans, alors que la voile peut permettre à des champions comme Eric Tabarly de rester au plus haut niveau international après 50 ans. Le golf, qui ne nécessite pas de dépense énergétique violente, peut se pratiquer tant que l'on n'est pas devenu paralytique, [11] et il existe encore aujourd'hui des joueurs bien classés ayant plus de 70 ans.

Une moto de trial française (J.C.M. 373) créée par Joël Corny,
escalade la Tour Eiffel, le 26 octobre 1983.

On commence à se pencher sur une classification des activités sportives, en fonction d'une pondération des différentes capacités que nous avons citées. La première conséquence de ces recherches a été d'accorder une plus grande importance à des capacités comme l'habileté motrice et la concentration, alors qu'auparavant l'accent était surtout mis sur un entraînement qui privilégiait l'accroissement de la capacité énergétique. Aujourd'hui, pour gagner, les athlètes s'adjoignent des bataillons de scientifiques. On s'était habitué aux médecins, aux diététiciens et aux psychologues, voici venir aux côtés du gourou, l'informaticien, le programmateur, etc.

II. HAUTE COMPÉTITION,
SPORT DE LOISIRS, COMPÉTITION
.

La distinction ancienne entre sport amateur et sport professionnel ne nous paraît plus, aujourd'hui, rendre compte de la réalité sociologique du fait sportif. Il semble plus pertinent de dire que la distinction réelle se fait entre trois types de pratique : haute compétition, compétition, sport de loisirs.

Ce qui nous intéresse ici, c'est de bien saisir ce qui est commun à ces trois approches, et ce qui les sépare.

Le développement des pratiques sportives est d'abord un phénomène général étroitement lié au développement de la société de consommation depuis le début des années cinquante, avec toutes ses conséquences :

- Accroissement des vacances et apparition des clubs. À ce propos, l'interview d'un responsable du Club Méditerranée explique la place privilégiée qui a été accordée dès le début aux activités sportives et, plus particulièrement, aux sports liés à un développement technologique et industriel, tels que la plongée sous-marine, le ski, la voile, le windsurf ou le fun-board.

- Développement des médias et, plus particulièrement, de la télévision, qui a établi de nouvelles hiérarchies entre les sports, en privilégiant la notion de spectacle. Ainsi, le football, le cyclisme et le rugby ne sont plus les seuls sports à soulever un intérêt de masse. Le petit écran a imposé le tennis, le ski, l'équitation, les reportages sur les courses transatlantiques, et, plus récemment aux États-Unis, de nouvelles techniques de prise d'images permettent de rendre passionnante une partie de golf.

Cette théâtralisation du sport par les médias, et l'intérêt toujours plus grand du public pour l'exploit, ont transformé les champions de haute compétition en véritables vedettes et, par voie de conséquence, ont permis au sponsoring d'apparaître dans le domaine du sport.

- Le grand public prenant de plus en plus soin de sa santé, a remis à la mode toutes les pratiques susceptibles de permettre un développement harmonieux du corps, ce qui est une autre raison pour laquelle des pratiques sportives liées à la danse, comme la gymnastique aérobic de Jane Fonda, connaissent actuellement un tel [12] succès.

N'oublions pas le rôle important joué par les mouvements d'émancipation de la femme dans le développement du sport féminin sous tous ses aspects.

Le développement du secteur tertiaire, et donc des activités sédentaires dans la société, nécessitaient un contrepoint permettant de conserver une condition physique minimum. C'est une autre raison ayant conduit de nombreuses personnes vers des activités physiques et sportives de loisirs.

Ce développement du phénomène sportif a eu aussi pour conséquence une profonde dérégulation, qui a entraîné des différences considérables entre les trois types de pratique cités ci-dessus :


a. Haute compétition.

La professionnalisation de plus en plus prononcée de certaines pratiques sportives de haute compétition est un fait de société qui découle des raisons que nous venons d'évoquer.

L'athlète de haut niveau (tout au moins pour certaines disciplines) se trouve pris dans un faisceau de contraintes qui le conduisent à tenter l'impossible pour réussir la performance qui fera de lui un grand champion (on devrait dire un héros).

Dans la plupart des cas, les records et performances de haut niveau d'aujourd'hui ne sont plus comparables à ceux d'il y a vingt-cinq ans. Tout d'abord, la préparation physique des athlètes n'est plus la même et, dans certains cas, on va jusqu'à « mettre au point » le moteur humain, comme s'il s'agissait d'un moteur de Formule 1 ; des performances nécessitant un grand développement musculaire, comme les sports de lancer ou l'haltérophilie, produisent des types d'athlètes tellement particuliers et tellement spécialisés qu'ils n'ont plus grand-chose à voir avec le fameux développement harmonieux du corps tel qu'il est encensé par ailleurs.

Dans d'autres domaines, l'athlète subit un entraînement tellement minutieux qu'il est dans une situation de contrôle plus proche de celle d'un grand malade dans une salle de réanimation que de celle d'un homme libre.

En dernier recours, quelques-uns n'hésiteront pas à se doper, courant dans certains cas des risques graves.

Loin de nous l'idée de jeter l'anathème sur qui que ce soit, et de condamner le sport de haut niveau, mais la plus élémentaire honnêteté nous oblige à dire que ce type de pratique est profondément dérégulé, et qu'il ne correspond plus en rien aux grandes déclarations des promoteurs des jeux Olympiques (voir ci-contre un extrait du discours prononcé par le baron Pierre de Coubertin en 1914, en présence du Président de la République Raymond Poincaré) *.

Le développement d'innovations techniques et leur application au sport n'ont fait qu'accentuer cette dérégulation. Les performances réalisées aujourd'hui par un sauteur avec une perche en fibre de verre ne sont en aucune façon comparables à celles d'un perchiste qui, en 1900 avec une perche en bois, sautait 3,70 m. Un Marc Pajot, battant le record de la traversée de l'Atlantique, se trouve (grâce à l'informatique, aux progrès de l'architecture navale, au développement des matériaux composites, à l'élaboration très précise de cartes météo qui lui parviennent chaque heure) dans une situation différente de celle de Charlie Barr en 1905. Le coureur automobile, dans sa Formule 1 à « effet de sol », est lui aussi dans un autre univers que le champion d'avant guerre.

Course de draisiennes à la fin du XIXe siècle.

Le parachutisme, tel qu'il était pratiqué il y a encore quinze ans, est complètement démodé du fait d'innovations technologiques qui ont profondément modifié la structure du parachute, à tel point que l'on parle aujourd'hui de « vol relatif ».

Il est inutile d'insister, et nous pourrions continuer à accumuler les exemples. Il est évident que ces pratiques au plus haut niveau sont professionnelles dans tous les sens du terme, même si pour des commodités de réglementation, on conserve parfois le terme d'amateur.

b. Sport de loisirs.

Le développement des activités sportives en tant que phénomène de masse recouvre ce que nous appellerons « les pratiques de sports de loisirs ».

Il s'agit là d'un phénomène nouveau qui pose un problème de fond, et qui fait apparaître une nouvelle catégorie de personnes pour lesquelles la compétition n'est pas la seule conclusion logique d'une activité sportive.

L'activité physique et sportive de loisir met en avant un système de valeurs non compétitif, qui revendique un développement harmonieux du corps, le choix d'un mode de vie dans lequel la santé est privilégiée, une jouissance certaine à consentir un effort physique permettant au corps de rester à un certain niveau d'activité. On a dit bien souvent que cette attitude était importée [13] de la côte Ouest des États-Unis, et que le mythe californien, véhiculé dans la vieille Europe, tendait à développer le narcissisme. Je crois, pour ma part, que cette influence a certainement existé, mais qu'elle ne suffit pas à expliquer le phénomène.

L'accroissement des loisirs a progressivement conduit des couches de plus en plus nombreuses de la société vers des activités qu'il n'était pas possible de pratiquer faute de temps. Ainsi, la pratique des sports de neige a permis à de nombreuses personnes de découvrir la montagne dans sa sauvagerie, et d'y revenir l'été pour y marcher, alliant ainsi une activité physique au plaisir de la découverte de nouveaux paysages. Le développement de la planche à voile a également permis aux sédentaires de la plage de s'éloigner du rivage, et de trouver au large une liberté, ainsi que la satisfaction d'un bon fonctionnement de leurs automatismes corporels.

La femme d'aujourd'hui à la conquête de nouveaux pouvoirs

On trouve donc à travers un certain nombre d'activités la place pour les trois pratiques. Pour prendre l'exemple de la planche à voile, il y a bien :

  • les professionnels de la haute compétition qui sont devenus les idoles d'une nouvelle génération de jeunes, et qui viennent s'installer dans un Parnasse où les vedettes du Rock doivent leur faire une place,

  • des représentants de l'ancienne catégorie des sportifs amateurs, qui sont des compétiteurs et qui participent à des régates de vacances,

  • les sportifs de loisirs qui, tout en maîtrisant leur corps et leur planche, utilisent également cette dernière comme un véhicule de transport, leur permettant de s'exprimer physiquement tout en admirant le paysage marin.

Cette pratique des sports de loisirs est certainement la plus nombreuse, et celle qui, par ses achats d'équipements, constitue un phénomène économique (voir à ce sujet l'article de F. Victor).

c. La compétition.

Dans cette troisième catégorie, nous trouvons tous ceux pour qui la finalité suprême du sport réside dans un système de valeurs, constitué par « l'esprit de compétition », sans pour autant qu'ils aient le désir ou la possibilité de pratiquer la haute compétition.

On retrouve ces compétiteurs dans pratiquement toutes les disciplines sportives, et il est certain qu'ils se sentent plus à l'aise dans celles où les compétitions open sont admises (tennis, golf, régates, triathlon, etc.)

Ces trois catégories regroupent la quasi-totalité des pratiques sportives actuelles, mais, pour être complet, il faut cependant évoquer une autre dimension, constituée par les spectateurs du sport, qui ne pratiquent jamais.

Leur poids économique est important à deux niveaux : il leur arrive, par mimétisme, d'acheter des équipements liés indirectement au sport (survêtements, chaussures,...), et le marché en tient compte. Mais, ce qui est plus important, c'est qu'ils constituent une grande partie du public de la télévision.

Il faut ici insister sur l'influence de la télévision sur les pratiques sportives, et sur la dérégulation qui en résulte :

1. elle draine incontestablement de grandes quantités d'argent vers des événements sportifs comme les jeux Olympiques, la Coupe du monde de football, les grands tournois de tennis, la course transatlantique, les grands prix automobile, etc.

2. du fait de ces fantastiques apports d'argent, qui permettent à certaines compétitions d'exister là où elles n'auraient pu exister avant, elle manifeste des exigences et pose des problèmes souvent difficilement solubles.

Pour rester dans l'actualité, parlons de l'organisation des jeux Olympiques de Séoul : pour que les chaînes de télévision américaines achètent au prix fort les droits de retransmission vers les États-Unis, de fortes pressions sont exercées sur les organisateurs de ces Jeux, afin que certaines épreuves choisies parmi les plus spectaculaires soient organisées le matin plutôt que l'après-midi pour permettre au téléspectateur américain, en dépit du décalage horaire, de recevoir l'événement aune heure de grande écoute. Cette exigence se heurte à un fait bien connu : le réveil physiologique permettant à l'athlète d'être en pleine possession de ses moyens n'intervient que plusieurs heures après le réveil « traditionnel ». On sait que certaines performances réalisées le matin par les athlètes sont souvent inférieures aux performances réalisées l'après-midi.

[14]

Mesure du « V02 max » d'une nageuse à UN SEP.


III. LA TECHNIQUE, DEUX FOIS.

L'activité physique appliquée à une pratique sportive relève d'une technicité très complexe, une technicité qui a pour objet d'améliorer les performances du corps « machiniste ».

D'autre part, de nombreuses disciplines sportives se pratiquent par l'intermédiaire d'objets qui peuvent être des outils, des instruments, des propulseurs ou des véhicules. Plusieurs de ces objets sont nés, ou se sont transformés, avec les progrès scientifiques et techniques et la révolution industrielle.

Le phénomène sportif est donc doublement immergé et irrigué dans et par la technique.

De nombreux sports existants ont été modifiés par l'apport de technologies nouvelles, et chaque discipline sportive constitue un cas particulier. Nous avons déjà parlé du saut à la perche, on pourrait aussi considérer l'extraordinaire développement des sports de glisse, dû à l'utilisation des matériaux composites.

Nous avons donc une première catégorie de transformations touchant aux sports déjà existants, et le lecteur trouvera de nombreux articles relatifs à ce sujet dans les différentes parties du numéro.

Un autre cas de figure est celui des sports nouveaux qu'il n'aurait pas été possible de mettre en pratique, et parfois même de concevoir, sans l'innovation technologique majeure. Le parachutisme, par exemple, nécessite tout à la fois l'existence d'un avion et d'un parachute.

Cela est vrai pour la plupart des sports liés à un moyen de locomotion (bateau à voile mis à part).

Cet aspect très instrumental de la technique n'est peut-être pas, tout compte fait, le plus important. Ce qui a été profondément bouleversé, sous la pression du développement du sport en haute compétition, ce sont les techniques d'entraînement prises au sens large du terme, c'est-à-dire considérées non seulement du point de vue de l'amélioration des performances individuelles, mais également dans le sens d'un perfectionnement dans la mise au point des stratégies de jeu.

À ce niveau d'organisation, plusieurs disciplines sont mises à contribution : développement des connaissances en physiologie et en médecine, progrès en diététique, utilisation de l'ordinateur à chaque fois qu'il est possible et nécessaire de capter des informations, de les mémoriser et de les traiter. L'ordinateur personnel de Martina Navratilova n'est qu'un exemple spectaculaire qui cache le fait que l'ordinateur pénètre dans les salles d'entraînement, et même jusque sur les pelouses des stades.

Aux États-Unis, des stratégies de jeu sont mises au point à partir de programmes particulièrement élaborés dans des sports collectifs comme le base-ball, le football américain, le basket et le volley-ball. L'alliance de l'informatique et de la vidéo permet de décomposer et d'analyser le geste sportif dans ses moindres détails. Elle permet également à l'athlète et à son staff de corriger les défauts et d'améliorer les performances.

[15]

Photo 8.

Légende de la photo 8 :

Une tenue de ski aérodynamique. Dessinée par un ingénieur en aéronautique anglais, Mr. Edward Roeanick, cette tenue originale pour les skieurs, formée d'éléments en caoutchouc mousse, permet de réduire la résistance à l'air et, par voie de conséquence, d'atteindre des vitesses plus grandes qu'avec les vêtements conventionnels, particulièrement dans la position « schuss ». Dessinée pour participer à une compétition organisée par Dunlop, cette tenue prototype qui remporta le premier prix de 2000 £ va être fabriquée et commercialisée.



Dans certains cas particuliers, on arrive à une symbiose plus étroite encore. Prenons l'exemple des courses transatlantiques. On peut imaginer que dans un futur assez proche le vainqueur ne soit plus simplement le capitaine/pilote, mais une association capitaine/pilote/informaticien/météorologiste qui seront déclarés conjointement vainqueurs.

Le développement technologique, nous le voyons, pénètre le domaine sportif sous toutes ses formes. Nous avons essayé, avec ce numéro, de présenter au lecteur, sans complaisance, tant les causes que les conséquences de toutes les transformations que nous avons évoquées.

Nous avons accordé une place à part aux sujets relatifs à la médecine et à la santé parce que nous pensons qu'un être humain est autre chose qu'une machine, et qu'il n'est pas possible de parler des innovations technologiques, quand elles nous touchent aussi intimement, sans prendre de très grandes précautions. Nous avons parfois préféré ne pas traiter de certains sujets particulièrement délicats, parce que la réflexion en la matière ne nous paraissait pas suffisante. A titre d'exemple, je voudrais évoquer ici un problème particulièrement grave : celui du dépistage et de l'entraînement, avant la puberté, d'enfants supposés doués (à la suite de tests et d'examens) pour telle ou telle pratique sportive. C'est un problème qui concerne tout à la fois le médecin, les parents et l'institution, et on peut se demander quelle est la liberté de décision du principal intéressé puisqu'il est mineur.

Il s'agit d'une question qui intéresse non seulement la santé physique, mais la santé mentale et l'état culturel d'une société.

Plus le fait sportif prendra de l'importance du point de vue sociologique, plus il sera nécessaire de répéter que :

« sport sans conscience n'est que ruine du corps ».

[16]



Extraits du discours prononcé par le baron Pierre de Coubertin, en 1914, en présence du Président de la République Raymond Poincaré.

« Chers amis, méfiez-vous de l'État. Il n'est point malséant de parler ainsi devant un chef d'État qui, à chaque page du livre de sa vie, a témoigné si heureusement de son attachement à l'initiative privée. L'État jauge et inspecte utilement beaucoup de choses, inutilement plusieurs autres. En tout cas, la joie musculaire n'est pas de son domaine et, ne l'oublaiez pas, la joie musculaire est le seul pourvoyeur certain et durable des groupements sportifs. Ni les beaux raisonnements, ni les emballements de la mode ne sauraient tenir cet emploi. Etiquetée, embrigadée, commandée, l'activité sportive s'affaisserait promptement sur elle-même ou bien il lui faudrait aller chercher refuge vers les terres de la liberté, loin des règlements superflus.

Méfiez-vous, en second lieu, de la Science. Après avoir combattu, parfois avec fureur, la restauration des exercices physiques, elle apporte maintenant à les annexer un zèle encombrant. Il faut toute la cohésion des bonnes camaraderies nouées au gymnase ou sur le champ de jeu pour que la jeunesse résiste à l'action dissolvante des sectes multiples qui, se jetant l'anathème l'une à l'autre, sollicitent le mandat exclusif de régenter ses amusements. Et nous n'en sommes qu'à la physiologie ! Que sera-ce, quand les savants auront enfin aperçu l'importance bien plus grande en éducation physique des données psychologiques. Car si l'on conçoit que le dressage d'un excitable et celui d'un apathique se puissent ressembler, il en va autrement de celui d'un téméraire ou d'un peureux. Que la science installe donc aux portes du sport ses intéressants laboratoires, mais qu'elle renonce à la prétention d'en interdire l'accès à un empirisme indispensable. Méfiez-vous, en troisième lieu, de la Presse. Qui pourrait lui reprocher d'avoir cent voix, puisque tel est son destin ? Mais quand il s'agit de l'athlète, les cent voix éveillent en lui de redoutables orgueils qui corrompent son idéal et abaissent son caractère. Mon éminent ami Ferrero disait à son fils : « Tu vas apprendre tous les sports, mais tu ne m'en parleras jamais...- » Ferrero est un sage. Nous sommes bien éloignés de pratiquer suffisamment les sports et déjà nous en parlons trop ! »



* Délégué Général du C.R.C.T. - Professeur de Design Industriel.

* Voir encadré page 16.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 juillet 2024 7:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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