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“Électricité, électronique, civilisation”
Présentation
par Jocelyn de Noblet
In revue Culture technique, no 17 “Électricité, électronique, civilisation”, 1987, pp. 4-5. Neuilly-sur-Seine : Centre de recherche sur la culture technique.
Ce numéro a pu être réalisé grâce à la participation financière d'Électricité de France et de la Fédération des industries électriques et électroniques.
À l'occasion de son centenaire, en 1983, la Société des électriciens, des électroniciens et des radioélectriciens (SEE) a demandé au Centre de Recherche sur la Culture Technique d'organiser un grand colloque international sur le thème « Electricité, Electronique et Civilisation » [1].
Ce colloque, qui s'est déroulé les 6 et 7 décembre 1983 au Palais des Congrès, a rassemblé près de mille participants représentant tout à la fois les spécialistes des techniques électriques et électroniques, et les chercheurs de sciences humaines.
Plus de cent vingt-quatre communications ont été présentées, auxquelles viennent s'ajouter plus d'une centaine d'heures de débats enregistrés sur bandes magnétiques. L'ensemble de ces éléments, ainsi que les comptes rendus des différents rapporteurs, sont déposés au siège de la SEE, et peuvent être consultés par toute personne intéressée [2].
Pour resituer ce numéro spécial de Culture Technique dans son contexte, nous rappelons maintenant les objectifs précis du colloque, tels qu'ils étaient définis dans le prospectus invitant les spécialistes à participer :
« Les techniques électriques et électroniques ont été au cœur des changements intervenus dans la vie sociale depuis un siècle, contribuant ainsi à remodeler l'environnement et le foyer domestique, les façons de travailler et les pratiques de la vie quotidienne, à influencer les relations entre organisations et les relations humaines. Le centenaire de la Société des électriciens, des électroniciens et des radioélectriciens (SEE) est l'occasion d'illustrer par une réflexion sur ce grand mouvement technique et social les questions qui se posent aujourd'hui à notre société.
L'électricité s'est imposée comme vecteur d'énergie et d'informations, ouvrant sur un développement sans précédent des échanges et des usages de l'énergie et de l'information. Elle a donné l'ubiquité à la force motrice et l'a placée à la portée de tous. Elle a libéré la machine et l'outil des servitudes de l'encombrement et de la localisation près des sources primaires d'énergie. Elle a affranchi la communication entre personnes éloignées des lenteurs du déplacement physique du messager, ou des limites de l'observation visuelle des signaux du télégraphe optique.
L'histoire de cette évolution est un exemple de collaboration scientifique et technique, marquée par une infinité de petites améliorations, d'activités créatrices chez les entrepreneurs et de conséquences imprévues. Au début du XIXe siècle, l'électricité n'est encore qu'un domaine scientifique nouveau étudié par les savants. Après les premières avancées d'inventeurs audacieux, des entreprises se développent, mobilisant les connaissances scientifiques grâce à des laboratoires de recherche industrielle qui sont la grande invention de la fin du XIXe : elle font de l'électricité une forme d'énergie commercialement utile tour à tour dans les communications, la chimie légère et la métallurgie, puis dans l'éclairage et comme source généralisée de puissance motrice. Elles forgent peu à peu, à partir de la transmission de signaux électriques, des réseaux puissants et étendus de communication et de diffusion.
Le colloque marquant le centenaire de la SEE organise un large débat entre les spécialistes des techniques électriques et électroniques et les chercheurs en sciences humaines (historiens, sociologues, économistes, ethnologues, psychologues...). Cette rencontre paraît aujourd'hui nécessaire. La crise économique oblige à modifier profondément les orientations techniques et industrielles, à rechercher l'innovation, instaurant de nouvelles façons de produire et de consommer. Les choix techniques ne sont pas neutres. Ils constituent un moment stratégique où des acteurs, à travers une série d'alliances et de déplacements locaux, transforment le travail industriel, le bureau, le foyer domestique et l'espace. Face à ces évolutions, le débat doit s'instaurer.
Les techniques électriques et électroniques sont au centre de ces transformations. Après le système technique de la première moitié du XIXe siècle, centré sur la machine à vapeur, le fer et le charbon, après celui du XXe siècle, centré sur l'électricité, l'acier et le pétrole, nous allons vers un nouveau système technique. Beaucoup de spécialistes s'accordent à penser que la prolifération des microprocesseurs, l'invention de la télématique [5] et les utilisations fines de l'électricité en constitueront les piliers, avec les biotechnologies et le raffinement des matériaux.
Partout les choix sont ouverts. Quelle informatique ? Quels usages des réseaux câblés ? Comment se feront l'informatisation et l'électronisation du foyer domestique ? L'électrification et l'électronisation des processus industriels reconstruiront-elles une identité industrielle nouvelle, à l'heure où de nombreux secteurs traditionnels sont en crise ? Sur quels principes peut se reposer la défense nationale, quand les nouvelles armes et les satellites remettent en cause les schémas anciens ? Au moment où il n’est plus possible de séparer la technique et le social, le dialogue entre les milieux de la recherche en sciences humaines et les milieux de l'industrie s'impose. Il peut aider les techniciens à discuter leurs représentations de la demande et du changement social. Inversement, leur pratique obligera bien des chercheurs à réviser des schémas théoriques trop souvent conçus loin d'eux, faute de dialogue.
L'enjeu de ces changements techniques : une nouvelle géographie sociale
Les techniques électriques et électroniques, vecteurs de la circulation d'énergie et d'information, dessinent une nouvelle géographie de nos sociétés. Enormes centrales et circuits minuscules, communications instantanées et mémoires au potentiel infini, immenses réseaux de fils et d'ondes aux mailles déplus en plus serrées, intégration des usages et éclatement des fonctions : de nombreuses études montrent comment les réseaux mis en place par l'électricité, le téléphone, l'informatique et la télévision ont très rapidement assuré de nouvelles formes de circulation entre les unités macro et microscopiques, bousculant les échelles et faisant fondre nos isolements. Le maillage qu’ils étendent élargit les capacités à la fois du centre et des périphéries. Il crée un potentiel de sommation, d'intégration et de centralisation dont personne n'avait jamais disposé, mais aussi une densité sans cesse accrue des ramifications du quotidien en multipliant les usages, les informations, les sources de puissance. Les mailles ainsi tissées autour de nous, qui nous somment et nous divisent, sont-elles celles d'un filet dont nous ne pouvons plus nous échapper, ou celles d'un réseau sanguin et nerveux qui vivifie ce qu'il irrigue ? II faut repenser globalement ce câblage du social qui se noue sous nos yeux.
Face au découpage toujours plus fin de notre espace et de notre temps, les analyses ne peuvent rester sectorielles, continuer à séparer les questions techniques et les questions sociales, continuer à choisir entre le global et le local, alors même que les réseaux concernés ont établi les interconnexions qui disqualifient ce genre de limites. »
Toute la matière rassemblée à l'issue du colloque correspondait à l'esprit de la revue Culture Technique. Mais il n'était pas possible de publier in extenso la totalité des actes. Nous avons donc procédé à un choix parmi les communications, et à leur regroupement en quatre grands thèmes qui permettaient, de notre point de vue, de rendre compte des axes majeurs des débats et des préoccupations des participants :
- 1. L'électricité : des entreprises et des réseaux.
- 2. Un siècle d'histoire scientifique et technique.
- 3. Les mutations du monde du travail.
- 4. La société française face aux nouvelles techniques électriques et électroniques.
Nous devons en grande partie le succès du colloque au travail d'organisation des tables rondes, qui a été réalisé, à la demande du C.R.C.T., par Madame Christine Chapuis.
Nous remercions vivement Madame Fabienne Cardot, secrétaire scientifique de l'Association pour l'histoire de l'électricité, qui a bien voulu participer à l'élaboration de ce numéro, et grâce à laquelle nous avons pu trouver une articulation cohérente, fidèle à l'esprit du colloque, et compatible avec les exigences des lecteurs de Culture Technique.
Jocelyn de Noblet.
[1] En 1983, la SEE était présidée par Monsieur Bernard Favez, directeur général adjoint d'Electricité de France, à qui revient l'initiative des différentes manifestations organisées à l'occasion du centenaire. Le colloque a pu être organisé grâce à la participation intellectuelle et financière d'E.D.F., de la Direction générale des télécommunications et de la Fédération des industries électriques et électroniques.
[2] SEE, 48, rue de la Procession, 75724 Paris Cedex 15. Téléphone 45 67 07 70.
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