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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Numéro 20 de la revue Culture technique, “Les jeunes et la culture scientifique et technique”, 1989.
Daniel Boy et Anne Muxel,
“Études sur les attitudes des jeunes de 11 à 17 ans
à l'égard des sciences et des techniques.”


Une édition électronique réalisée à partir du Numéro 20 de la revue Culture technique, “Les jeunes et la culture scientifique et technique”, 1989, 149 pp. [Autorisation accordée par le directeur général, Jocelyn De Noblet, de diffuser cette revue en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. M. à Thierry Gaudin pour toutes ses démarches auprès du directeur général de la revue afin que nous puissions reprendre la diffusion de tous les numéros de cette revue.]

[29]

Daniel Boy et Anne Muxel

Chargés de recherche
Centre d'études de la vie politique française
Fondation nationale des sciences politiques, CNRS

“Les jeunes et la science.

Étude sur les attitudes des 11-17 ans
à l’égard de la science.


Un article publié dans la revue CULTURE TECHNIQUE, no 20, 1989, pp. 29-45. Numéro intitulé : “Les jeunes et la culture scientifique”. Neuilly-sur-Seine, France : Centre de recherche sur la culture technique.


Depuis une quinzaine d'années, les gestionnaires de la recherche et les responsables culturels se sont fréquemment posé la question des relations qu'entretient le public avec l'univers de la science et de la technique. Le coût croissant des grands programmes de recherche scientifique, l'émergence dès les années soixante-dix de mouvements de défense de l'environnement ont fait craindre, à tort ou à raison, la naissance d'une crise de confiance ou d'une désaffection du public à l'égard de l'institution scientifique.

Pour répondre à cette inquiétude, plusieurs études portant sur les attitudes du public à l'égard de la science ont été menées [1] ; leurs résultats dans l'ensemble ont été convergents : en règle générale la science bénéficie d'un solide capital de confiance mais ce bilan généralement positif dissimule des attitudes extrêmement diversifiées. Saisie sous ses aspects les plus prestigieux ou les plus spectaculaires (la recherche médicale par exemple), la science inspire l'admiration et le respect ; mais dans le même temps certaines conséquences du développement scientifique et technique suscitent des sentiments de crainte ou de défiance : l'accroissement du chômage paraît lié au remplacement de l'homme par la machine, de récentes catastrophes industrielles renforcent la crainte du risque technologique, le développement des bio-technologies fait naître des inquiétudes d'ordre moral etc.

[30]

Ces études ont aussi clairement démontré que la confiance ou la méfiance ne sont pas également distribuées selon les catégories sociales et culturelles. La possession de diplômes, l'exercice d'une profession à dominante scientifique ou technique, l'intérêt pour l'information scientifique engendrent une meilleure appréhension du fait scientifique et technique et sont généralement liés à des attitudes plus favorables à la science.

Pourtant si l'on constate régulièrement ces différences au sein d'échantillons d'adultes on en ignore jusqu'ici la genèse : pourquoi certains individus développent-ils des dispositions qui les conduiront soit à entreprendre des études menant à des professions scientifiques ou techniques soit au moins à développer et à entretenir un type de culture intégrant la dimension scientifique ?

La réponse à ces questions se trouve dans des recherches qui intégreraient une dimension diachronique en analysant les mécanismes de "socialisation à la science et à la technique". L'étude que nous présentons ici [2] constitue un premier essai dans cette direction de recherche ; elle porte sur un échantillon d'enfants âgés de 11 à 17 ans et se propose de rechercher si les attitudes observées chez les adultes et les différences mesurées existent, au moins à l'état latent, parmi les enfants et les préadolescents : comment les enfants perçoivent-ils l'univers de la science et des techniques, où se situent pour eux les frontières qui délimitent la science et la distinguent des domaines voisins du rêve et de l'imagination ; quelle valeur accordent-ils à la défense de l'environnement ? quelles relations établissent-ils entre leur vie quotidienne et l'activité scientifique, entre la science à l'école et le spectacle scientifique offert par les mass-médias ?

Afin de baliser aussi complètement que possible le champ des attitudes des enfants à l'égard de la science, le questionnaire de l'enquête a exploré de multiples dimensions. Pour rendre compte des résultats on a choisi de regrouper cet ensemble en cinq parties :

- Images et définitions : comment les enfants et les jeunes perçoivent-ils l'univers scientifique, comment se représentent-ils les chercheurs, quels sont pour eux les limites de la science ?

- Attitudes à l'égard de la science : quels jugements portent les jeunes et les enfants sur l'activité scientifique en général ou dans un domaine particulier ?

- La science et l'école : comment la science est-elle appréhendée dans le cadre scolaire ? quel est le degré d'intérêt pour les différentes matières enseignées ? Comment les enfants et les jeunes situent-ils le rôle d'autres moyens de diffusion de la culture scientifique, notamment celui de la télévision par rapport à l'école ?

- La science et l'enfant : quel type de relations les jeunes et les enfants entretiennent-ils avec la science dans leur vie quotidienne (comportements culturels, intérêts, activités etc.) ?

- La science et la famille traitera de l'appréciation que portent les enfants et les jeunes sur le rôle de la famille dans l'acquisition des connaissances ou dans la formation d'attitudes et de comportements particuliers à l'égard de la science.

IMAGES ET DÉFINITIONS

Pour recueillir des informations sur la manière dont les enfants se représentent l'univers scientifique nous avons choisi trois approches. Tout d'abord un essai de définition de la science par ses agents, les chercheurs scientifiques : comment les enfants et les jeunes se représentent-ils le métier de chercheur. En second lieu une approche plus directe à partir des disciplines scientifiques : parmi celles que nous proposions, lesquelles sont considérées comme "scientifiques" par l'enfant. Enfin une série de questions destinées à cerner le domaine d'action possible et souhaitable de la science du point de vue des enfants et des jeunes.

Le métier de chercheur. Le métier de chercheur et a fortiori l'image du "savant" sont généralement perçus à partir de deux sources partiellement contradictoires : d'une part l'apprentissage scolaire ou plus largement l'information disponible sur la profession de chercheur scientifique, de l'autre les images de fiction mettant en scène de façon plus ou moins fantaisiste le personnage du "savant" muni d'attributs le plus souvent stéréotypés.

Pour faire la part entre ces deux représentations nous avons construit une question mêlant les différents aspects de l'image scolaire du chercheur :

Voici une liste de personnes. Pour chacune dis-moi si pour toi, elle ressemble ou pas à un chercheur scientifique, par exemple, est-ce qu'un professeur ressemble ou ne ressemble pas à un chercheur scientifique...



En observant les résultats de cette question on constate que les images désignant une compétence professionnelle établie telle que les métiers de médecin, ingénieur (mais non de professeur, sans doute parce que cette profession est trop directement liée à l'univers scolaire) coexistent largement avec des aspects plus imaginaires et plus vagues (explorateur par exemple). L'inventeur, qui participe en fait des deux principes organisant cette question, représente pour les enfants et les jeunes ce qui décrit le mieux le personnage du chercheur, c'est-à-dire un homme fabriquant avant tout concrètement (ou techniquement) de la science.

L'analyse des ventilations par les principales variables utilisées dans cette recherche [3] montre que ces images sont extrêmement stables dans la population interrogée. Une seule différence va dans le sens d'un affermissement des images professionnelles à mesure que croissent l'âge et les connaissances : parmi les élèves des plus grandes classes, dans les sections d'enseignement général, la parenté du chercheur avec un ingénieur est un peu plus marquée (72% contre 62% dans l'ensemble).

Pour compléter cette image nous avons demandé aux enfants quelle question ils aimeraient poser à des scientifiques en utilisant cette fois une question "ouverte" c'est-à-dire une question dont les modalités de réponse ne sont pas prévues d'avance. L'examen des réponses et leur regroupement a posteriori montrent que les enfants sont avant tout curieux de connaître le contenu de la profession scientifique : 24% des enfants et des jeunes aimeraient simplement savoir en quoi consiste la profession de chercheur, c'est-à-dire ce qu'on y fait réellement. L'autre catégorie de réponses importantes (22%) concerne l'avenir (que va-t-on découvrir dans les années à venir ?).

Qu'est-ce qu'une science ? ou plus précisément ici comment reconnaître ce qui est science et ce qui ne l'est pas ? Nous avons choisi un moyen indirect de déterminer le contenu donné par les enfants au mot science en leur proposant une liste de disciplines auxquelles pouvaient être attribuées ou non le caractère de science :

[31]

Je vais te lire une liste de choses, pour chacune dis-moi si à ton avis elle est scientifique ou pas scientifique :



Si l'on met à part le cas de la politique, clairement exclue du champ scientifique par les enfants, les disciplines citées se répartissent en trois grandes catégories :

- Les sciences majeures, reconnues comme telles par la grande majorité des enfants : la physique, la médecine, la biologie, les mathématiques. La réponse positive augmente généralement avec l'âge et avec l'avancement dans le cycle scolaire ; toutefois le statut scientifique des mathématiques s'affirme plus tardivement que les autres disciplines sans doute parce que l'existence à l'école de cours de mathématiques distincts des cours de sciences maintient pour les plus jeunes une certaine ambiguïté.

- Dans la seconde catégorie se rangent deux disciplines dont la perception semble répondre à des motifs divers. L'informatique, d'une part, bien que généralement considérée comme une science, ne voit pas son statut s'affirmer avec l'âge ou la situation scolaire. Seuls les élèves des cycles techniques tendent à classer davantage cette discipline comme scientifique.

La météo enfin offre une image incertaine même pour les plus âgés ou pour ceux qui appartiennent aux milieux cultivés. Dans ce cas l'incertitude renvoie sans doute à la relative imperfection des prévisions météorologiques. Elle est peut-être aussi liée au fait que la prévision du temps est encore trop proche de nous, c'est-à-dire trop ancrée dans le sens commun pour apparaître clairement en tant que science.

- La troisième catégorie regroupe deux cas particuliers, l'histoire et les horoscopes, l'un et l'autre exclus le plus souvent du groupe des disciplines scientifiques. L'exclusion de l'histoire est probablement calquée sur l'organisation scolaire ; mais il faut noter qu'elle tend à se renforcer avec l'âge.

Quant au statut des horoscopes on sait par les études réalisées sur des populations d'adultes [4] que les croyances dans l'astrologie sont habituellement plus fréquentes parmi les classes populaires et moyennes. Les résultats observés ici indiquent que l'origine de cette différence est précoce puisque la réponse positive (les horoscopes sont scientifiques) s'élève à 41% parmi les enfants dont le père n'a pas dépassé le niveau d'études primaire contre 31% pour ceux dont le père a suivi des études secondaires ou supérieures ; cette même réponse différencie également les élèves selon le niveau scolaire : 46% parmi les 6e et 5e contre 25% parmi ceux qui sont en 2de et au-delà (mais 44% pour le technique).

Que peut (et que doit) faire la science ? La définition du champ d'action possible et souhaitable de l'activité scientifique constitue une dernière méthode d'appréhension de ce que représente la science.

Trois questions ont permis d'approcher les représentations concernant les possibles de la science :

Est-ce que tu crois qu'un jour la science permettra de faire une machine pour voyager dans le temps ?



Est-ce que tu crois qu'un jour la science permettra de faire des machines qui seront aussi intelligentes que les hommes ?



Est-ce que tu penses qu'un jour grâce à la science on pourra tout savoir ou bien qu'il restera toujours des choses qu'on ne pourra pas savoir ?



La distribution des réponses sur les deux items qui touchent en fait à la dimension imaginaire de la science (le voyage dans le temps et le robot universel) montre que les enfants vivent dans un univers fortement marqué par les thèmes majeurs de la science-fiction. Cette observation paraissait prévisible a priori, mais il faut y ajouter que le choix du "réalisme" par les enfants est assez tardif : à 11-12 ans 65% des enfants croient au voyage dans le temps, à 15 17 ans ils sont encore 58%.

Il est vrai que dans le même temps les enfants font preuve très précocement d'un certain sens du réalisme en refusant massivement l'idée d'une science omnisciente. Ce thème du reste n'appartient pas au même titre que les précédents à l'imaginaire de la science-fiction, ce qui peut expliquer en partie son rejet.

Les trois questions suivantes portent sur une dimension proche de celle que l'on vient d'étudier : celui des souhaits qui concernent l'avenir de la science.

Dans l'avenir la science va rendre certaines choses possibles ; pour chacune des choses suivantes dis-moi si ça serait une bonne chose ou une mauvaise chose qu’elle soit possible.



Avant d'analyser ces réponses il convient d'en rappeler la signification et de les replacer dans un contexte plus général. C'est moins la réponse même prise littéralement qui doit être examinée ici que le principe général impliqué par ces trois questions : l'idée qu'il existe un domaine d'action légitime de la science.

[32]

Il est vrai que les frontières du souhaitable ne sont intangibles ni dans le temps ni dans l'espace social ; tel domaine d'action considéré comme illégitime il y a quelques années peut, du simple fait des progrès de la science, se trouver soudainement dans le champ des possibles et par là-même à l'origine d'une nouvelle définition sociale du souhaitable et du non-souhaitable. Tous les débats récents sur le thème de la procréation artificielle donnent un exemple de la recomposition, à un moment donné de l'histoire, de ce qui est considéré comme socialement souhaitable.

Nous avons voulu rechercher si ces clivages, visibles chez les adultes, existaient au moins à l'état latent parmi les enfants et les jeunes. Les trois questions proposées exemplifient le principe du souhaitable à partir de cas imaginaires mais suffisamment proches de l'univers des enfants.

Les résultats indiquent une assez forte résistance à l'idée d'une action de la science dans des domaines sensibles. Sans doute faut-il attribuer le refus massif de la pilule-repas à l'hédonisme ordinaire des enfants plus qu'à une réaction morale. Par ailleurs l'idée d'une manipulation des caractères génétiques d'êtres vivants, ici d'animaux, est assez largement rejetée, signe de l'attachement et de la sensibilité particulière des enfants au monde animal.

Dans l'hypothèse de l'être humain (choisir la couleur des yeux des enfants), ce refus est plus accusé parmi les plus âgés et surtout parmi ceux qui terminent une scolarité dans une section générale (dans ce dernier cas la réponse négative s'élève à 74% contre 49% pour les petites classes).

Sur cet exemple la structure des réponses observée ressemble à ce que nous savons des populations d'adultes : habituellement on observe en effet que le rejet d'une action de la science sur l'être humain est plus affirmé au sein des couches sociales privilégiées.

Notons enfin que contrairement à ce qui se passe parmi l'ensemble de la population, les réponses des enfants ne sont pas affectées ici par leur convictions ou pratiques religieuses, signe peut-être que l'enjeu moral n'est pas réellement perçu par les enfants.

Dans l'ensemble l'organisation des perceptions de la science chez les enfants ne diffère pas beaucoup, sur ces premières mesures, de ce que l'on observe chez les adultes. Sans doute l'image professionnelle du chercheur est-elle floue mais après tout, la visibilité sociale de ce métier est faible et son image souvent brouillée par la prédominance du personnage de fiction. Les enfants d'autre part situent assez précisément les frontières des disciplines scientifiques, ils y incluent les sciences majeures et rejettent pour la plupart d'entre eux l'astrologie du côté des pseudo-sciences. L'élimination de l'histoire si elle peut être discutée d'un point de vue épistémologique est en tout cas conforme aussi à ce que pensent les adultes. Enfin, tout en rêvant au voyage dans le temps, les enfants semblent penser que l'activité scientifique ne peut pas se développer sans limites ni précautions.

ATTITUDES
À L'ÉGARD DE LA SCIENCE


Les jugements portés par les enfants et les jeunes sur l'activité scientifique peuvent être regroupés en trois catégories : d'abord les indicateurs généraux (confiance, jugement sur l'activité scientifique), puis les opinions centrées sur des domaines spécifiques (le nucléaire, la pollution etc.), enfin les attitudes à l'égard des chercheurs scientifiques.

Indicateurs généraux

Quand tu penses à la science, en général éprouves-tu beaucoup, un peu, très peu, pas du tout...



Le développement de la science rend les hommes meilleurs. Es-tu...



Penses-tu que la science apporte à l'homme plutôt du bien ou plutôt du mal, ou à peu près autant de bien que de mal ?



Les sentiments éprouvés pour la science sont tout à fait positifs : la confiance l'emporte largement, l'intérêt est élevé, la peur n'est pas prédominante, l'indifférence est rare. Ces mesures confirment les résultats obtenus dans une enquête antérieure qui portait sur un échantillon important de lecteurs d'un journal d'enfants [5].

Le second indicateur (la science rend-elle les hommes meilleurs) donne des résultats moins nets : les réponses positives l'emportent, mais les enfants et les jeunes donnent une préférence à la réponse moyenne (plutôt d'accord) peut-être parce que la question, plus difficile à comprendre, les a laissés hésitants. À la même question posée dans des échantillons d'adultes, 29% des personnes interrogées donnent leur accord, c'est-à-dire beaucoup moins qu'ici (56% en cumulant les deux modalités d'accord).

La dernière question enfin traduit une certaine ambiguïté des sentiments qu'éprouvent les enfants à propos des effets du développement scientifique. Le bilan général de la science penche très clairement du côté positif, la réponse négative est rarement choisie (8%) mais la réponse moyenne (autant de bien que de mal) est souvent préférée à la réponse strictement positive (respectivement 62% et 30%). Ces chiffres sont un peu moins positifs que ceux observés dans le cas des adultes (plus de mal 6%, autant 44%, plus de bien 47%).

L'étude de ces résultats en fonction des caractéristiques socio-démographiques de l'échantillon fait apparaître une série de différences au sein de notre population.

- Un écart faible mais extrêmement constant entre garçons et filles ; par exemple 45% des garçons éprouvent "beaucoup d'intérêt pour la science" contre 38% des filles. Ce premier phénomène, qui constitue une régularité dans cette enquête, doit être interprété comme une intériorisation précoce par les enfants des rôles masculins et féminins tels qu'ils sont culturellement définis. Dans nos sociétés la science et la technique sont d'abord associées aux valeurs masculines.

- Des différences liées au niveau socio-culturel de la famille [33] de l'enfant, c'est-à-dire soit au niveau d'études du père, soit à son appartenance sociale ; ainsi l'intérêt pour la science (réponse "beaucoup") passe de 36% lorsque le père n'a pas dépassé le stade de l'enseignement primaire à 50% lorsqu'il a fait des études secondaires ou supérieures. Cet écart, à mettre au compte de la socialisation familiale, est important car il met l'accent sur la reproduction sociale des attitudes à l'égard de la science.

- Une augmentation des attitudes positives en fonction de la situation scolaire. Cette variable doit être utilisée avec précaution car elle mêle deux critères différents : des différences d'âge (début et fin du cycle scolaire) et des écarts de niveau culturel et de milieu social (séparation à partir de la 4e entre les classes générales et les classes techniques). La même question d'intérêt pour la science observée suivant ce dernier critère donne ces résultats : en 6e-5e 38% d'intérêt (beaucoup), en 4e-3e 43%, en 2de générale et au-delà 59%, dans le cycle technique 31%.

- On remarque enfin une variation selon la réponse des enfants à la question "toi personnellement par rapport à la politique es-tu plutôt de gauche, ou plutôt de droite ?" : Très régulièrement, les enfants qui se décrivent comme "de droite" ont des attitudes plus positives, voire systématiquement conformistes à l'égard de la science. Cette observation n'est pas contradictoire avec ce que l'on sait des attitudes à l'égard de la science dans les échantillons d'adultes : habituellement le conformisme social qui accompagne l'orientation politique de droite bénéficie à l'institution scientifique.

Notons enfin que toutes les variations qui ont été commentées ici s'observent bien davantage pour la première de ces trois questions (confiance, intérêt etc.) probablement parce qu'elle est la plus directe et la plus concrète pour notre échantillon d'enfants.

Domaines spécifiques.

Quatre domaines particuliers de l'activité scientifique ont été évoqués : effets quotidiens de la science (vie de tous les jours et travail), problème de la pollution, énergie nucléaire, chômage.

À ton avis est-ce que la science a amélioré la vie de tous les jours à la maison ?



À ton avis est-ce que la science a rendu le travail des gens plus facile ?



Ces deux questions donnent des structures de réponse extrêmement proches et tout à fait positives ; pour chacune d'elles on observe des variations selon les différents groupes sociaux et culturels tout à fait analogues à ce qui est décrit plus haut : réponses plus positives des garçons, des sections générales après la 3e, des enfants de milieu social aisé, de ceux qui se définissent comme "de droite".

À ton avis en France, est-ce que la pollution est un problème...



Et là où tu habites est-ce que la pollution est un problème...



Les enfants sont-ils sensibles aux problèmes posés par la sauvegarde de l'environnement ? À lire les résultats des deux questions portant sur la gravité de la pollution on constate qu'il faut distinguer entre un sentiment général et une attitude pratique : 89% des enfants estiment qu'en France la pollution est un problème très ou assez grave, mais seulement 35% remarquent l'existence d'un problème de pollution (très ou assez grave) dans leur propre environnement.

L'attitude générale à l'égard de la pollution ne varie guère en fonction des différentes caractéristiques socio-démographiques. De plus on note que l'appréhension des dangers de la pollution n'est pas liée aux attitudes à l'égard de la science ; par exemple les enfants qui estiment que la pollution en France est grave ne jugent pas plus mal que les autres le bilan général de la science (la science apporte-t-elle plus de bien que de mal etc.) Chez les adultes au contraire on observe une nette corrélation entre les deux attitudes. Cette différence montre que, chez les enfants, les attitudes ne sont pas encore fortement structurées. Dans cet exemple, l'idée d'un problème d'environnement lié aux conséquences du développement scientifique et technique demeure très probablement incertaine.

À propos de la seconde question (la pollution là où tu habites...), on pouvait évidemment se demander si les réponses étaient fonction de la région où habite l'enfant et en particulier si les enfants seraient plus enclins à estimer "grave" la pollution locale là où des problèmes d'environnement se sont effectivement posés dans les dernières années (pollution marine en Bretagne, pluies acides en Alsace...). En réalité on n'observe pas, là non plus, de différences significatives et ce résultat est cette fois conforme à ce que l'on observe chez les adultes : même si l'on peut imaginer des sensibilités très localisées à l'environnement (au voisinage d'un site nucléaire par exemple), ces phénomènes ne sont pas suffisamment massifs pour générer une sensibilité particulière au niveau d'une région. L'attitude à l'égard de la pollution demeure largement gouvernée par des phénomènes culturels plutôt que par des déterminismes de fait.

Qu'est-ce que tu penses des centrales nucléaires qui font de l'électricité ? Est-ce que tu es...


Les enfants interrogés ont une attitude très positive à l'égard de l'énergie nucléaire puisque 68% d'entre eux sont tout à fait pour ou plutôt pour les centrales nucléaires. Chez les adultes on observe régulièrement trois différences importantes : les femmes y sont plus hostiles (très probablement à cause des craintes liées à la gestation) ; les jeunes également, en particulier les 18-35 ans (sans doute parce que les valeurs de défense de l'environnement sont plus ancrées dans ces classes d'âge) ; enfin le combat anti-nucléaire a davantage mobilisé les gens se situant politiquement à gauche.

Dans notre enquête ces différences ne se reproduisent pas à l'exception de la dernière. On ne constate pas d'évolution selon [34] l'âge ni de différences selon le sexe. Par contre, les enfants et les jeunes qui se disent de droite sont davantage pour le nucléaire.

À ton avis, est-ce que les nouvelles machines dans les usines font augmenter le chômage ?



La crainte du chômage produit par la généralisation de la mécanisation touche les enfants au même degré que les adultes : en 1982, 65% des Français étaient d'accord avec la proposition "le progrès technique accroît le chômage" ; ici 60% des enfants pensent que les machines feront beaucoup augmenter le chômage.

Il est intéressant de constater que ces craintes sont en relation avec les situations scolaires des enfants, c'est-à-dire, pour partie, avec leurs probabilités objectives d'être eux-mêmes victimes du chômage. À mesure que se confirme leur maintien dans le cycle long, les élèves prennent moins au sérieux le risque du chômage : 61% en 6e-5e, 58% en 4e-3e, 48% en 2de et au-delà, en revanche dans le cycle technique les craintes sont nettement plus accusées : 71% d'opinions positives.

Attitudes à l'égard des chercheurs scientifiques

Dans un précédent paragraphe (voir plus haut "Le métier de chercheur"), nous avons analysé la manière dont les enfants se représentent la profession scientifique ; ici il s'agit de rechercher comment ils jugent le chercheur dans son activité sociale.

Deux dimensions structurent les attitudes à l'égard des chercheurs : les chercheurs apparaissent d'une part en tant qu'acteurs historiques du développement de la science ; dans ce rôle ils sont peints sous les traits du savant génial et désintéressé, dévoué au bien de l'humanité. Les figures de Pasteur ou de Pierre et Marie Curie constituent les archétypes de cette imagerie véhiculée, entre autres, par les manuels scolaires. Vus à travers ce filtre les chercheurs, ou les "savants", ne peuvent susciter qu'admiration et déférence.

Parallèlement la fiction sous toutes ses formes (littérature, cinéma, bande-dessinée) modèle des personnages de savants qui ne répondent pas toujours à la version positive (ou positiviste) de l'histoire de la science : l'image de fiction du savant est pour le moins ambiguë, elle mêle souvent des qualités telles que l'intelligence ou le désir de servir l'humanité, des aspects équivoques comme la marginalité sociale voire l'excentricité qui le condamnent à la solitude des incompris et parfois des traits franchement négatifs tels l'orgueil démesuré ou le désir de puissance. Sous ce second aspect l'image du savant inspire autant la sympathie que la dérision et la crainte.

Les enfants construisent leur propre représentation du chercheur à partir de ce puzzle ; quels sont les éléments qui dominent ces représentations et comment celles-ci s'organisent-elles ?

Les cinq questions que nous avons utilisées sous ce chapitre sont orientées tantôt vers l'une tantôt vers l'autre face de l'image du chercheur. La première évoque clairement le stéréotype du savant tel que le veut le mythe scientifique :

Les chercheurs scientifiques sont des gens dévoués qui travaillent pour le bien de l'humanité. Es-tu...



L'accord des enfants avec cette proposition est du même niveau que celui des adultes : 85% (82% parmi ces derniers). Le stéréotype repose sur des bases solides et constitue l'un des modes d'appréhension du personnage social du chercheur et par là même l'un des modes de représentation de la science. Cette opinion est largement répandue dans les différents sous-groupes qui constituent notre échantillon, un peu plus fréquente encore parmi les enfants originaires de milieux cultivés (père ayant un niveau d'études secondaire ou supérieur) et parmi les enfants qui se positionnent à droite.

Quand un chercheur travaille, il ne s'occupe pas de savoir si ses découvertes seront utiles. Est-ce que tu crois que c'est...



Cette seconde proposition constitue d'une certaine façon le symétrique de la précédente ou son image inversée puisque la réponse "positive" se compte maintenant par le pourcentage de ceux qui l'estiment fausse, soit 52%. Ce pourcentage de réponse ne varie pratiquement pas (sauf pour les enfants "de droite", là aussi plus optimistes). Par ailleurs il n'y a pas de liaison statistique entre cette question et la précédente ; ceux qui estiment que les chercheurs sont dévoués n'ont pas davantage tendance à refuser l'image du chercheur indifférent à l'utilité sociale de ses découvertes ; signe peut-être que cette dernière question était trop ambitieuse pour notre échantillon ou qu'à travers cette question les enfants ne perçoivent pas clairement le problème des retombées sociales de la science.

Les trois questions suivantes développent un thème très présent dans la littérature enfantine : celui du scientifique mis en scène dans ses rapports avec le pouvoir.

Nous avons abordé ce thème soit directement (à propos de la bombe atomique et de la recherche militaire) soit incidemment en évoquant les chercheurs dans leur activité sociale d'experts.

Tu sais que la bombe atomique a été utilisée pendant la guerre. À ton avis est-ce que les chercheurs scientifiques qui l'ont inventée sont responsables de cette utilisation ?



Imagine que tu fasses de la recherche scientifique. Tu as besoin d'argent pour faire tes recherches, les militaires t'en proposent pour travailler pour eux, que fais-tu ?



La plupart des enfants interrogés affirment la responsabilité des scientifiques dans l'utilisation de la bombe atomique (37% tout à fait, 32% un peu). Sentiment proche de celui des adultes puisqu'à une question analogue 55% répondaient positivement [6].

Les études portant sur des échantillons nationaux montrent que les classes cultivées tendent à décharger les scientifiques de leurs responsabilités, alors que l'on note l'inverse parmi les classes populaires. La distance culturelle avec l'univers de la science fait sans doute craindre davantage les relations qu'entretiennent [35] le savoir et le pouvoir et suscitent méfiance et distance.

L'origine de cette différence s'observe dans notre échantillon d'enfants puisqu'ici aussi la réponse varie en fonction de l'indicateur scolaire : ainsi le refus d'imputer une responsabilité aux scientifiques passe de 28% parmi les petites classes et 30% parmi les sections techniques à 40% parmi les dernières classes du cycle général. Cette même opinion s'élève à 38% parmi les enfants dont le père a atteint au moins le niveau d'études secondaire.

Le second indicateur utilisé propose aux enfants une situation imaginaire pour évoquer de façon concrète un problème moral : dans une situation de nécessité, les scientifiques doivent-ils accepter de travailler pour l'institution militaire ? Ici nous ne savons pas ce que serait la réponse des adultes ; celle des enfants est en tout cas très partagée puisque le même nombre à peu près (43% et 47%) accepte ou refuse la proposition 7% restant hésitants. Ici on ne note pas de grosses différences culturelles dans le taux de réponses, mais seulement un écart entre garçons et filles (les premiers sont un peu mieux disposés à assumer l'association avec les militaires) et, comme nous l'avons souvent observé, un conformisme plus marqué des enfants "de droite" (49% d'acceptation contre 41% à gauche).

La dernière question de cette série propose à nouveau une situation imaginaire qui met en scène les scientifiques dans leur rôle d'experts, en l'occurence à propos de la construction d'une centrale nucléaire.

Est-ce que tu ferais tout à fait confiance, un peu confiance, pas très confiance ou pas du tout confiance à des chercheurs qui disent qu'une centrale nucléaire ne présente aucun danger.



Les mesures comparables dont nous disposons pour les adultes indiquent un degré de confiance nettement plus élevé : 58% contre 28% ici, mais la mesure effectuée nationalement étant antérieure à l'accident de Tchernobyl il est difficile d'effectuer une vraie comparaison.

Les réponses à cette question comme à celle qui porte sur la responsabilité des savants dans l'utilisation de la bombe atomique sont influencées par le niveau d'études : la confiance s'établie à 34% parmi les élèves de seconde générale et au-delà mais seulement à 21% parmi les élèves du cycle technique.

D'autre part il y a une forte relation entre l'attitude à l'égard des centrales nucléaires et le degré de confiance accordé aux chercheurs : les enfants qui se déclarent "tout à fait pour" les centrales nucléaires font davantage confiance aux chercheurs (41%) que ceux qui y sont opposés (seulement 10%). Cette relation confirme que l'attitude à l'égard des chercheurs est un symptôme parmi d'autres d'une disposition plus générale à l'égard de la science.

L'analyse des dispositions des enfants à l'égard de la science montre clairement que les modèles culturels propres aux adultes sont inculqués très précocement aux enfants : sur bien des points les représentations enfantines de la science et de la technique sont en fait extrêmement proches de ce qui peut être observé chez les adultes ; en général on a vu peu de différences selon l'âge, ce qui signifie que ces structures se mettent probablement en place à un âge antérieur à la limite choisie pour cet échantillon, 11 ans.

Globalement le bilan de la science est plutôt positif avec pourtant des nuances selon les domaines : l'effet du développement scientifique et technique dans le domaine de la vie quotidienne et dans la sphère du travail est toujours perçu plus positivement, malgré une certaine appréhension des effets de la mécanisation sur l'emploi. En revanche, lorsque l'activité scientifique est jugée en fonction de ses implications morales, les jugements sont plus partagés.

Les principaux acteurs du développement scientifique demeurent dans l'imagination enfantine (mais aussi dans les représentations sociales des adultes) des personnages dotés de multiples facettes : inquiétants dans leurs rapports avec le pouvoir, ils suscitent la déférence lorsqu'ils évoquent l'idée d'une science vouée à la recherche du bien commun.

Dans les échantillons nationaux, ces représentations se différencient conformément aux clivages sociaux et culturels : au sein des couches populaires la science inspire toujours davantage de méfiance, en particulier lorsque sont évoqués ses rapports avec le pouvoir. Parmi les enfants et les jeunes, ces clivages n'apparaissent pas aussi marqués mais les premières traces existent déjà.

LA SCIENCE ET L'ÉCOLE

Les matières scolaires : intérêt et réussite Nous avons analysé les attitudes des enfants vis-à-vis des matières scolaires de deux points de vue : d'une part en leur demandant quel degré d'intérêt ils éprouvaient pour les différentes matières enseignées à l'école, d'autre part, dans quelle mesure ils y obtenaient habituellement de "bonnes notes"

Pour chacune de ces matières, dis-moi si elle t'intéresse beaucoup, un peu, très peu ou pas du tout



Pour chacune des matières suivantes, je voudrais que tu me dises si en général à l'école, tu as des notes au-dessus de la moyenne, à peu près à la moyenne, en dessous de la moyenne



Les intérêts des enfants se distribuent assez régulièrement selon les différentes disciplines ; les matières scientifiques se rangent à peu près au même niveau que les autres à l'exception de la physique qui suscite peu d'attrait (33%).

À travers ces choix se dessine une carte reflétant une intériorisation précoce du sentiment de compétence en fonction du sexe. On l'a vu, les filles dans leur ensemble adoptent des attitudes moins favorables vis-à-vis du champ scientifique. De même, à l'école, elles manifestent un moindre intérêt pour les matières appartenant à ce domaine. Elles choisissent plus volontiers les [36] disciplines littéraires : 49% d'entre elles disent s'intéresser beaucoup aux langues vivantes contre seulement 39% des garçons, 53 0-o au français contre 35% des garçons, par ailleurs elles cultivent davantage la musique ou le dessin. En revanche, les garçons sélectionnent plus souvent les matières scientifiques : 52% d'entre eux disent s'intéresser beaucoup aux maths contre seulement 37% des filles, 43% à la physique contre 25% des filles, et davantage aux activités proposées dans les ateliers techniques. Sur les sciences de la vie en revanche, on n'observe pas de différences en fonction du sexe.

L'analyse des distributions concernant les notes obtenues donne des résultats analogues. Pourtant les statistiques scolaires montrent qu'en moyenne les garçons ne surpassent nullement les filles dans les matières scientifiques. La discrimination culturelle fonctionne donc de façon si efficace qu'elle conduit les tilles non seulement à dénier leur intérêt pour les matières "masculines" mais en plus à se déprécier et à nier leur propre compétence.

Comme pour les attitudes observées plus haut, on note un écart important dans les réponses selon le niveau socio-culturel de la famille. Les enfants et les jeunes issus des classes supérieures déclarent plus souvent avoir de bonnes notes et s'intéresser aux enseignements dispensés que les enfants et les jeunes appartenant aux milieux populaires ; par exemple, concernant la physique, 39% des premiers déclarent s'y intéresser beaucoup contre 32% des seconds.

Louis Pasteur (1X22-1X95).
Extrait de la
Science Illustrée, IXXX.

Marie Curie (I867-I934).
Cl. Palais de la Découverte.


Enfin il faut retenir une troisième variation importante en fonction de l'âge : d'une façon générale au fur et à mesure que l'âge augmente l'intérêt pour les matières scolaires et en particulier pour les matières scientifiques diminue. Si 40% des 11-12 ans déclarent s'intéresser beaucoup à la physique, à 15-17 ans, ils ne sont plus que 27%.

Si l'on peut déceler à cet endroit une érosion du conformisme scolaire avec l'âge, s'accompagnant d'une ouverture vers d'autres centres d'intérêts propres à l'adolescence, on peut aussi mettre en question la responsabilité du système scolaire lui-même dans cet amenuisement progressif de la curiosité et du désir d'apprendre.

L'école et la télé

Bien que les enseignants cherchent à utiliser de plus en plus la télévision comme un outil pédagogique permettant de compléter, ne serait-ce que par la visualisation, les contenus qu'ils enseignent, l'école et la télévision restent généralement opposées l'une à l'autre. À l'école revient le rôle de la transmission des savoirs fondamentaux sur la longue durée que couvrent les années de scolarisation de l'enfant. À la télévision revient un rôle plus ponctuel d'illustration, permettant l'accès au savoir vivant que fournit l'image ainsi qu'une emprise directe sur l'actualité. Bref, elles font l'objet d'un débat où sont opposés le statique au mouvement, d'une part, et le passé à la séduction du présent, d'autre part.

Comment les enfants se situent-ils dans ce débat ? Pour le savoir nous avons utilisé deux questions mettant en concurrence télévision et école et formulées l'une en termes d'apprentissage l'autre en termes d'intérêt.

[37]

Où est-ce que tu apprends le plus de choses sur la science, à la télé ou à l'école ?



Et qu'est-ce qui t'intéresse le plus, entendre parler de la science à la télé ou à l'école ?



Les réponses des enfants reflètent la présence d'une tension : s'ils reconnaissent majoritairement à l'école un rôle prépondérant en ce qui concerne l'acquisition des savoirs scientifiques (54%), la place accordée à la télévision s'avère importante dans le premier cas (39%) et devient première dès lors qu'il s'agit de l'intérêt que l'on peut éprouver à entendre parler de la science (51% pour la télé contre 43% pour l'école).

Albert Einstein (1879-1955). Cl. Palais de la Découverte.

Ces chiffres posent problème : si l'école reste bien le lieu par excellence de formation des savoirs et des compétences, les jeunes moins que les autres ne peuvent le nier, l'intérêt, l'éveil de la curiosité, le plaisir tout simplement, sont placés du côté de la télévision. De fait la question est double : comment et par quoi l'école peut-elle se dégager de la connotation statique ou passéiste qu'on lui prête parfois ? Par ailleurs, quel pourrait être le rôle éducatif de la télévision si les programmations accordaient aux émissions scientifiques une véritable place (en 1984, TF1 a consacré seulement 3,2% de sa programmation à des émissions scientifiques) ?

L'importance accordée à la télévision s'accroît avec l'âge et au fur et à mesure que le niveau scolaire augmente, tant du point de vue de l'apprentissage que de l'intérêt. À 11-12 ans, 30% des enfants disent que c'est à la télévision que l'on apprend le plus de choses sur la science, à 13-14 ans ils sont 41% à faire ce choix et à 15-17 ans 47%. Une rupture se marque dès la fin de la 5e, car en 6e-5e ils sont 34% à choisir la télévision, en 4e-3e 44% soit un écart de dix points.

S'agissant de l'intérêt, on note la même progression : à 11-12 ans, ils sont 43% à donner leur préférence à la télévision, à 13-14 ans 52%, à 15-17 ans, 61%.

Cette évolution se faisant à l'encontre de l'école peut sembler paradoxale car la maîtrise acquise avec l'âge et l'avancement dans les études devrait au contraire donner du poids au savoir scolaire. Tout se passe en fin de compte comme si l'apprentissage dispensé à l'école éloignait peu à peu l'enfant de la culture scientifique.

L'écart entre les réponses des élèves de l'enseignement technique et des élèves du second cycle secondaire est un autre signe révélateur de ce constat. L'importance de la télévision est nettement plus marquée parmi les élèves suivant une filière technique, ayant connu dans la plupart des cas, on le sait, un relatif échec scolaire dans les filières de l'enseignement général ; en effet ils sont 64% à dire que c'est à la télé que l'on apprend le plus de choses sur la science, contre seulement 33 °/o des élèves scolarisés dans le second cycle du secondaire, un écart qui traduit leur rejet [38] du système scolaire.

Il faut constater enfin le poids des variables socio-culturelles sur cette question. Plus le statut socio-culturel et le niveau d'études du père sont élevés, plus l'importance accordée à l'école dans l'apprentissage des savoirs scientifiques se fait nette, et plus le rôle de la télévision diminue ; les enfants des classes populaires sont 43% à choisir la télévision contre 38% des enfants appartenant aux classes supérieures ; de même 46% des enfants dont le père a un niveau d'études primaire contre 39% de ceux dont le père a un niveau secondaire ou supérieur.

Bien que modérées ces variations révèlent la disparité des rapports au savoir scolaire, et au-delà à la compétence scientifique selon les milieux sociaux. Toutefois, s'agissant de l'intérêt suscité par l'école ou par la télévision et non plus de la question concernant l'apprentissage, elles disparaissent au profit d'un consensus général en faveur de la télévision.

Ces résultats illustrent la situation de crise dans laquelle risque de se trouver l'institution scolaire, concurrencée dans tous les milieux par les capacités d'attraction de la télévision. La diffusion de la culture scientifique et technique, on le mesure bien là, en dépend et l'un et l'autre, partenaires cette fois, ont à affronter des réformes à la mesure de cet enjeu.

Des mots

Nous n'avions pas l'intention ni véritablement les moyens dans cette enquête de tester les connaissances scientifiques des enfants. Néanmoins il a paru intéressant de mettre au point un petit test de reconnaissance d'un certain nombre de mots ayant une connotation scientifique ou technique.

Voici une liste de mots, dis-moi pour chacun si tu es sûr de le connaître ou pas très sûr de le connaître



Trois mots se détachent de l'ensemble : laser, Ariane et Pasteur. Ils sont ceux que les enfants et les jeunes identifient le plus tôt et le plus fréquemment. À 11-12 ans, 79% des enfants connaissent Pasteur, 85% la fusée Ariane, ou le laser.

La popularité de Pasteur est sans doute due au rôle particulier de l'école dans la diffusion de certains symboles de l'histoire de la science ; il incarne pour les Français le modèle du savant bienfaiteur de l'humanité et ce schéma est diffusé dès l'enseignement primaire.

La connaissance du mot laser doit très probablement être attribuée à la généralisation de son emploi (supposé ou réel) dans les jeux destinés aux enfants ainsi que dans la fiction : cinéma, télévision et bandes dessinées.

Le mot Ariane quant à lui renvoie au champ de l'information scientifique quotidienne et, à cet égard, il est intéressant d'observer la perception sélective des enfants dans ce domaine : 87% d'entre eux connaissent le mot Ariane, 77% le mot Challenger et seulement 21% le mot Soyouz.

Parmi les personnages de l'histoire scientifique, (après Pasteur), Einstein et Archimède sont les plus célèbres : 71% et 69% de reconnaissance, beaucoup plus que Newton 47%.

Certains mots sont très peu connus des plus jeunes ; c'est le cas par exemple du mot contraception qui ne prend sens qu'à mesure que les jeunes se sentent eux-mêmes concernés : 24% des 11-12 ans connaissent ce mot contre 83% des 15-17 ans.

On note assez peu de variations selon les milieux socioculturels ; seuls les mots atome, Tchernobyl et Newton sont plus connus dans les milieux culturellement et socialement favorisés.

Enfin, il faut encore une fois constater les différences selon le sexe : les garçons sont généralement plus nombreux à connaître les mots appartenant au domaine de la conquête spatiale ainsi qu'à celui de l'atome : 92% d'entre eux sont sûrs de connaître le mot Ariane contre 84% des filles, 83% Challenger contre 72% des filles, 28% le mot Soyouz contre 15% parmi les filles ; de même 75% des garçons connaissent Hiroshima et 74% Tchernobyl alors que parmi les filles seulement 61% et 60% donnent une réponse positive. En revanche, ces dernières ont un indice de connaissance supérieur aux garçons pour tout ce qui concerne le vocabulaire faisant allusion au corps : 78% des filles identifient le mot bébé-éprouvette (69% des garçons), 60% le mot contraception (50% des garçons).

On pouvait le supposer en commençant cette enquête : la science à l'école et hors de l'école sont pour les enfants des choses différentes. La science enseignée dans le cadre scolaire n'a évidemment pas les mêmes attraits que le spectacle scientifique offert par les médias. Mais nous savons aussi que les apprentissages essentiels se font dans le cadre scolaire, même si l'on peut imaginer une télévision prenant le relais pour illustrer, développer ou commenter par l'image ce qui a été appris à l'école.

De ce point de vue deux observations faites à partir de cette enquête doivent être retenues.

L'intérêt pour les disciplines scientifiques tend à décroître à mesure que l'âge augmente ; peut-être s'agit-il d'une ouverture de l'enfant s'approchant de l'adolescence vers d'autres centres de préoccupation ; en tous cas la disponibilité et la curiosité des plus jeunes fait place à une relative indifférence.

Dans cette enquête les filles paraissent toujours moins intéressées et moins enthousiastes que les garçons ; de plus elles tendent à se dévaloriser comme si elles refusaient de reconnaître leurs compétences dans les matières scientifiques. Sans doute ne faut-il pas exagérer ce phénomène qui reste tendanciel. Mais cette tendance confirme trop d'autres données pour ne pas avoir une signification réelle : la science demeure un univers à dominance masculine non pas, nous le savons, pour des raisons de compétence, mais à cause de l'intériorisation précoce d'une norme culturelle.

LA SCIENCE ET L'ENFANT

Dispositions personnelles

Nous avons demandé aux enfants de se définir en choisissant des attributs parmi la liste suivante :

Je voudrais que tu me dises comment tu te vois. Tu peux choisir trois mots dans ceux que je vais te dire.



[39]

Les enfants et les jeunes se définissent avant tout comme "sportifs". Le choix de ce qualificatif concerne plus du tiers de l'échantillon, (36%), loin devant "manuel" (17%) ou "littéraire" (16%) ; l'attribut "scientifique" n'arrive qu'en quatrième position (13%). Le sport fait le meilleur score, aussi bien parmi les garçons où il' atteint 40% des réponses que chez les filles parmi lesquelles il s'élève à 32%. Le regain d'hédonisme et le développement des valeurs liées à l'esthétique du corps, caractéristiques de nos sociétés actuelles, motivent sans aucun doute les jeunes pour ce premier choix.

Pour le reste, les différences entre filles et garçons sont franches et rappellent la configuration des choix opérés parmi les matières scolaires. Les filles se présentent plus volontiers comme "littéraires" (23% contre seulement 9% des garçons) et "artistes" (13% contre 6%) ; de leur côté les garçons se dépeignent plus souvent comme "scientifiques" (16% contre 10% des filles), "techniques" (10% contre 4%) ou "manuels".

Avec l'âge, et avec l'accroissement du niveau scolaire, on peut noter un léger regain des attributs "littéraires" et "scientifiques", mais ceux-ci restent toujours minoritaires.

Selon les milieux socio-culturels, on enregistre quelques variations significatives : les enfants des classes supérieures se classent plus souvent comme "scientifiques" ou "littéraires", un peu moins fréquemment comme "sportifs", contrairement aux enfants des classes populaires chez qui le sport apparaît plus prépondérant et qui se définissent plus volontiers comme "manuels".

L'analyse du second et a fortiori du troisième choix opéré par les enfants n'ajoute pas beaucoup à ces observations.

Pour préciser l'attirance pour les professions scientifiques nous avons ensuite proposé la question suivante :

Est-ce que plus tard tu aimerais avoir un métier scientifique ?



Le niveau de la réponse confirme l'attitude globalement positive qu'ont les enfants et les jeunes à l'égard de la science puisque environ un sur deux peut imaginer en faire son métier. Cet intérêt se maintient avec l'âge, mais il est d'abord le fait des garçons (ils sont 62% à répondre positivement contre 43% des filles) et des enfants et des jeunes appartenant aux classes supérieures (57% contre 48% dans les classes populaires).

Ce qui intéresse les enfants

Pour comprendre les préférences des enfants en matière de culture scientifique et technique, deux questions ont été imaginées, l'une en termes d'intérêt pour des "sujets scientifiques" relativement généraux, l'autre en termes de choix parmi une liste d'activités et d'animations scientifiques qui pourraient être proposées :

Voici différents sujets scientifiques ; pour chacun dis-moi s'il t'intéresse beaucoup, un peu, ou pas du tout...



Les choix des enfants et des jeunes se caractérisent avant tout par une forte volonté de compréhension des principes de la vie, de l'histoire des hommes et des espèces vivantes. Plus qu'à toute autre chose, ils s'intéressent (beaucoup) à la vie des animaux (67% de réponses) au corps humain et aux découvertes médicales (60%). Viennent ensuite les domaines touchant à l'univers et à la genèse de l'histoire de l'humanité : l'exploration de l'espace (52%), l'histoire de l'homme (52%) le ciel, les étoiles et l'univers (50%), les animaux et les hommes préhistoriques (49%). La nature suscite une certaine curiosité, 48% des réponses se portent sur la connaissance des rivières et des forêts et 42% sur les volcans, l'histoire de la terre et les roches.

Ce sont les domaines les plus techniques qui suscitent le moins d'intérêt ; si les enfants et les jeunes restent dans l'ensemble assez ouverts sur l'informatique (45% des choix), en revanche les expériences de physique et de chimie, l'électronique et la mécanique ne font guère recette ; respectivement 27%, 29% et 46% déclarent ne pas s'intéresser du tout à ces domaines.

La structure des réponses fait apparaître des écarts importants principalement selon le sexe et l'âge : les filles se montrent encore plus intéressées par la vie des animaux (70% d'entre elles choisissent la réponse beaucoup contre 63% des garçons) et par le corps humain et les découvertes médicales (66% contre 54%). En revanche les garçons manifestent une plus grande curiosité pour l'exploration de l'espace (61% d'entre eux disent s'y intéresser contre 44% des filles), et montrent plus d'attirance pour les domaines techniques.

Avec l'âge, l'intensité des intérêts diminue dans tous les champs d'activité ou de connaissance, excepté pour "le corps humain et les découvertes médicales" qui enregistrent au contraire un score qui va croissant. Il s'agit sans doute d'une curiosité grandissante liée au développement de la sexualité et à la découverte du corps que font les adolescents au moment de la puberté : à 11-12 ans, 54% des enfants disent s'intéresser beaucoup à ce domaine, à 13-14 ans ils sont 59% et à 15-17 ans 65%.

D'une façon générale, ce sont les plus jeunes, scolarisés dans le premier cycle du secondaire (6e-5e surtout et 4e-3e) qui se montrent les plus curieux, et sans doute les plus preneurs d'activités et d'animations scientifiques. Les plus âgés, les 15-17 ans, on le vérifie tout au long de cette étude, que ce soit dans l'univers scolaire ou dans leur temps de loisir, semblent se tourner vers d'autres types d'intérêts, peut-être plus informels, en tous cas hors du champ scientifique.

Si tu pouvais faire les choses suivantes, lesquelles choisirais-tu en premier et en second et en troisième



[40]

Interrogés non plus sur des domaines, mais sur des activités structurées qui pourraient être proposées dans des animations scolaires ou extra-scolaires, ou dans des clubs scientifiques, les choix des enfants et des jeunes recoupent les mêmes intérêts que ceux que l'on vient d'évoquer.

C'est la nature qui retient d'abord l'attention ; 23% d'entre eux sélectionnent une sortie de découverte dans la nature, un choix qui se renforce d'autant plus qu'il s'agit des filles, des plus jeunes, et des enfants de milieux populaires. Vient ensuite la curiosité pour l'univers : rencontrer un astronaute retient les choix de 17% de l'échantillon, autant les filles que les garçons et ce quel que soit l'âge.

Outre la nature, les filles ont une préférence plus marquée pour la visite d'une exposition sur le corps humain et pour aller voir une pièce de théâtre sur l'univers. En revanche les garçons retiennent plus volontiers la visite d'un laboratoire de recherches nucléaires ou d'une usine de construction automobile, et se montrent plus attirés par la fabrication d'une micro-fusée.

Les activités de l'enfant

Télévision, lecture, musées, clubs

Est-ce que tu regardes des émissions scientifiques à la télé ?



Est-ce que tu lis des livres des magazines ou des articles scientifique ?



Est-ce que tu lis des livres ou des bandes dessinées de science-fiction ?



On l'a vu, l'école est nettement concurrencée par la télévision dans son rôle de diffusion des connaissances scientifiques. Il en est de même des livres, des magazines et des bandes dessinées auxquelles la télévision est toujours préférée. 12% des enfants et des jeunes déclarent regarder "souvent" des émissions scientifiques à la télévision, 62% "quelquefois", 26% "jamais". S'agissant des livres et des magazines scientifiques ou de science-fiction, ils sont 43% à reconnaître ne jamais en lire. Bien que ces résultats mesurent davantage la bonne disposition des enfants et des jeunes à l'égard des émissions scientifiques à la télévision, qu'un taux d'écoute réel, étant donnée la diffusion extrêmement réduite de celles-ci actuellement, ils donnent à voir l'importance de leur attente dans ce domaine. Il y a de la place pour la science dans les programmations.

On retrouve les mêmes écarts constatés précédemment entre les garçons et les filles ; les premiers sont de plus grands consommateurs d'émissions scientifiques (18% déclarent les regarder "souvent" contre seulement 7% des filles), ainsi que de livres et de magazines scientifiques (près d'une fille sur deux, 47% dit ne jamais en lire contre seulement 37% des garçons).

Avec l'âge, l'intérêt pour les émissions scientifiques à la télévision s'accentue légèrement ; par ailleurs, la lecture des livres et des bandes dessinées de science-fiction est plus répandue parmi les 13-14 ans. Enfin il faut constater les signes du conformisme culturel propre aux milieux favorisés dans lesquels l'intérêt pour les émissions scientifiques ainsi que la fréquence de lecture de livres ou de magazines sur la science sont toujours plus élevés.

Est-ce que tu vas dans des expositions ou dans des musées scientifiques (par exemple muséum d'histoire naturelle, musée des techniques, expositions archéologiques) ?


Connais-tu un club scientifique ?



(SI CONNAÎT UN CLUB) Fréquentes-tu un club scientifique ?



(SI NE CONNAÎT PAS DE CLUB) Aimerais-tu fréquenter un club scientifique ?



Aller au musée ou se rendre dans une exposition scientifique sont des activités qui ne rebutent pas a priori les enfants et les jeunes. On constate là encore leur bonne disposition générale et la demande qu'ils manifestent dans ce domaine. Les résultats enregistrés ne mesurent pas un taux de fréquentation réel des musées scientifiques ou des expositions, car il paraît peu vraisemblable que près de la moitié de l'échantillon interrogé s'y soit effectivement rendu (6% disent s'y rendre souvent et 44% quelquefois). En revanche ils révèlent une véritable disponibilité des enfants et des jeunes à de telles visites si elles leur étaient proposées. Celle-ci est encore plus accentuée parmi les couches sociales favorisées ou lorsque le père a un niveau d'études élevé. Parmi les couches populaires 46% disent ne jamais aller au musée contre seulement 38% des enfants appartenant aux couches supérieures. De même 60% des enfants dont le père a un niveau d'études primaire ne se rendent jamais dans un musée scientifique contre 34% lorsque le père a un niveau d'études secondaire ou supérieur.

Bien que l'appartenance à un club scientifique soit insignifiante par rapport à l'ensemble de l'échantillon (1%), une proportion importante d'enfants (38%) souhaiterait fréquenter une structure de ce type. Pour mieux comprendre les réponses, nous avons recomposé les trois questions précédentes de façon à distinguer d'une part les enfants qui fréquentent ou aimeraient fréquenter un club, d'autre part ceux qui ne souhaitent pas fréquenter un club.

L'analyse de la réponse positive montre une meilleure disposition de la part des garçons, mais ici la différence n'est pas très marquée (44% contre 36%). Par ailleurs la bonne volonté culturelle que nous mesurons ici tend à s'effriter à mesure que l'âge augmente, comme nous l'avons vu à plusieurs reprises en particulier dans le cas de l'école : 52% des 11-12 ans ne souhai-

[41]

Club Jean Pétrin : excursion géologique. Cl. Palais de la Découverte.


[42]

tent pas fréquenter un club, à 15-17 ans cette proportion monte à 63%. Il est possible que cette baisse de curiosité tienne à la connotation "scolaire" du terme de club scientifique.

L'objet : démonter, construire, collectionner

Ici nous ne recherchons plus directement des attitudes ou des comportements à l'égard de la culture scientifique, mais, en marge de celle-ci, des manières de faire ou de se comporter avec des objets techniques ou avec des symboles matériels de cette culture : comment l'enfant et le jeune réagissent-ils vis-à-vis de l'objet technique dans la vie quotidienne ? comment se développent ou s'étiolent le goût de l'expérience, de la manipulation technique ou le choix d'une activité de collection ?

Examinons en premier lieu les attitudes à l'égard de l'objet dans une situation imaginaire où la compréhension technique entre en jeu.

Quand tu as un appareil à toi qui ne marche pas, qu'est-ce que tu fais ?



La gradation des items proposés définit trois types de rapport à l'objet dont nous faisons l'hypothèse qu'ils désignent trois logiques de comportement à l'égard de la technique : un comportement de type "expérimental", lorsque l'enfant ou le jeune démonte lui-même l'appareil, un comportement de type "cognitif", plus intellectuel, lorsqu'il consulte le mode d'emploi, enfin un comportement marqué par la négation de sa compétence lorsqu'il choisit de faire appel à quelqu'un. Les deux premiers choix traduisent, sous des modalités différentes, une tentative d'appropriation de savoirs ou de recherche d'autonomie vis-à-vis de la technique, le troisième au contraire marque une relative distance, et peut-être un rapport d'extranéité à l'égard de l'objet technique.

La distribution des réponses partage la population en deux moitiés : 46% des enfants et des jeunes demandent à quelqu'un d'intervenir, 54% disent essayer de faire face à la situation, soit en regardant le mode d'emploi (23%), soit en démontant l'appareil (31%).

Les variables explicatives de ces comportements font apparaître une sorte de carte des compétences techniques telles qu'elles sont vécues par les enfants :

Les garçons démontent (près d'un sur deux, 48% contre seulement, 17% des filles), les filles demandent plus volontiers à quelqu'un (59% contre 31% des garçons). L'écart que nous avons toujours remarqué entre garçons et filles est encore plus accentué ici comme si les différences de socialisation selon le sexe étaient encore plus fortes dans le cas de la technique que dans celui de la science.

L'âge introduit des différences liées aux processus mêmes d'acquisition et de maîtrise des savoirs, et au développement de l'autonomie. Les plus petits demandent plus fréquemment à quelqu'un de les aider (52% des 11-12 ans contre 40% des 13-14 ans, et 40% également des 15-17 ans). Inversement les plus grands répondent plus souvent qu'ils démontent (38% des 15-17 ans contre seulement 28% des 13-14 ans).

Selon les filières scolaires et selon les milieux socioculturels, les écarts révèlent des dispositions plus "manuelles" ou plus "intellectuelles". Ainsi les élèves du secteur technique manifestent plus fréquemment que les autres leur compétence à comprendre le fonctionnement défectueux de l'objet en le démontant : 46% d'entre eux donnent cette réponse contre 30% pour les élèves du second cycle général ; ces derniers par contre choisissent davantage de recourir au mode d'emploi : 26%, contre 19% parmi les élèves du technique. Cette même solution "intellectuelle" est plus fréquente parmi les enfants des classes favorisées, 28%, contre 23% dans les classes moyennes et 20% dans les classes populaires.

Quand tu trouves dans un journal des expériences à faire ou des choses à construire toi-même, est-ce que tu les fais... ?




Est-ce que tu aimes faire des collections ?



Les magazines pour enfants et adolescents proposent souvent à leurs lecteurs des expériences ou des petits bricolages de nature technique ou illustrant parfois un principe scientifique. Quelles sont les attitudes de notre échantillon à ce propos ? En fait une majorité d'enfants et déjeunes semble s'en désintéresser : 58% ne les réalisent que rarement ou jamais. Ces activités attirent un peu plus les garçons que les filles (48% contre 36%) ; mais surtout elles concernent essentiellement les plus jeunes et en particulier ceux qui sont scolarisés dans les classes de 6e et 5e (61% des 11-12ans contre seulement 33% des 15-17ans).

Les collections suscitent davantage d'intérêt ; une forte majorité d'enfants déclare aimer en faire, autant parmi les filles que les garçons. Mais là encore l'âge détermine l'intensité de l'activité. Les plus jeunes se montrent les plus enthousiastes : ils sont 71% parmi les 11-12 ans, 52% parmi les 15-17 ans.

Les genres de collections que pratiquent les enfants ont été recensés à partir d'une question "ouverte". Les résultats montrent que les collections traditionnelles demeurent dominantes : les timbres (et ce que nous avons assimilé à cette catégorie : pièces, écussons, etc.) occupent la première place : 37%. Les collections de nature scientifique (le plus souvent sciences naturelles : coquillages, papillons etc.) ne représentent que 2% du total ; enfin des activités de modélisme sont citées par 3% des enfants.

Malgré cette relative érosion des intérêts à mesure que l'âge augmente, il faut retenir le potentiel de bonne volonté que manifestent les enfants : à 15-17 ans, une tranche d'âge habituellement jugée comme plus difficile à attirer vers des activités structurées ou orientées sur des sujets scientifiques, un jeune sur deux dit aimer faire des collections et un jeune sur trois réaliser les expériences ou constructions proposées par les magazines de jeunes.

Les enfants, surtout les plus jeunes, sont ouverts et disponibles à une culture scientifique qui saurait satisfaire leur curiosité spontanée pour la nature, ou les animaux. Au-delà de cet intérêt immédiat, qui tend à disparaître avec l'âge, leurs véritables goûts sont plus difficiles à cerner : le désir de comprendre le fonctionnement du corps humain, c'est-à-dire d'eux-mêmes, apparaît central aux abords de l'adolescence ; les aspects les plus spectaculaires de l'activité scientifique, en particulier l'espace, retiennent toujours l'attention ; ce qui rappelle l'école au contraire est rejeté (les expériences de physique chimie par exemple). Encore une fois il faut noter que les intérêts tendent à se rétrécir à mesure que l'âge augmente, sauf pour la télévision qui apparaît comme un vecteur très privilégié de la culture scientifique.

Quant au rapport à l'objet technique, il diffère selon le sexe, [43] l'âge, ou le milieu socio-culturel : assez vite l'enfant manifeste le désir de s'approprier l'objet en comprenant son fonctionnement interne ; ce sont plus souvent les garçons, bien entendu, qui démontent l'objet, mais aussi les jeunes scolarisés dans le technique qui trouvent ici une certaine revanche en affirmant leur compétence.

LA SCIENCE ET LA FAMILLE

Les parents transmettent-ils des dispositions particulières à l'égard de la science à leurs enfants ? Sans doute, nous l'avons vu, à travers les inégalités culturelles se créent des différences d'attitudes : les enfants de milieux aisés valorisent davantage la science et sont mieux disposés à l'égard de la culture scientifique. Mais peut-on déceler en plus un renforcement spécifique de la famille qui accentuerait ou à l'inverse atténuerait les écarts culturels ? Certaines familles sont-elles plus propices au développement de la culture scientifique parce qu'on y parle davantage de la science ou parce que l'on y valorise davantage les résultats obtenus par l'enfant dans les matières scientifiques à l'école ?

Dans cette enquête nous ne pouvons répondre à ces questions que de façon indirecte, en demandant aux enfants eux-mêmes comment ils perçoivent ce renforcement familial.

Je vais te lire des phrases à propos de tes parents et de toi. Pour chaque phrase, je voudrais que tu me dises si c'est vrai ou si ce n'est pas vrai...



Parmi cet ensemble de questions, les unes mesurent en fait le degré de surveillance auquel est soumis l'enfant en général (par exemple "ils exigent que les devoirs soient finis"), d'autres distinguent le renforcement familial selon les différentes matières ("ils veulent que tu sois bon en sciences"), d'autres enfin ont pour l'essentiel une valeur affective et mesurent plutôt un climat familial ("ils prennent le temps de rire avec toi").

En observant d'abord les résultats d'ensemble on constate que, du point de vue de l'enfant, les parents exercent un contrôle certain sur le travail scolaire à la maison (70% disent que les parents exigent que les devoirs soient finis). Mais ce contrôle ne semble pas très minutieux puisqu'une très large majorité d'enfants a le sentiment que les parents "font confiance et les laissent se débrouiller avec leur travail" (83%).

Les enfants donnent l'impression de vivre dans un climat familial favorable puisqu'ils rejettent très largement la proposition négative (pour 72% il n'est pas vrai que les parents "sont très occupés") et acceptent le symétrique positif (pour 75% ils "prennent le temps de rire et de s'amuser avec toi"). Il est vrai que l'interprétation de ces dernières données doit rester prudente, le questionnaire de type fermé étant relativement mal adapté à fournir des mesures touchant aux rapports affectifs au sein de la famille.

Quand au renforcement familial dans les différentes matières, il est très surprenant de constater que, selon les enfants, c'est le français, matière littéraire par excellence, qui demeure la préoccupation essentielle des parents.

L'obsession de la réussite en maths n'est pas si répandue qu'on pouvait le penser a priori : 45% des enfants ont le sentiment que les parents valorisent particulièrement cette matière contre 57% pour le français. Les autres sciences (physique, chimie, biologie...) ne semblent guère, toujours du point de vue de l'enfant, faire l'objet de l'attention familiale (36%).

Les réponses à ces trois séries de questions varient en fonction des caractéristiques sociales et culturelles. On laissera de côté les questions concernant le climat familial pour lesquelles on n'observe pas de variations significatives, très probablement parce que ici c'est l'affectif ou le psychologique qui oriente les réponses, beaucoup plus que le culturel.

En revanche les indicateurs de contrôle général des parents sur le travail scolaire varient essentiellement en fonction de l'âge de l'enfant ; par exemple, la vérification que les devoirs ont été faits passe de 87% à 11-12 ans à 52% a 15-17 ans. En fait à travers ces questions nous mesurons essentiellement le degré d'autonomie de l'enfant et il n'est pas surprenant de le voir s'affirmer avec l'âge.

Cette tendance se vérifie aussi en ce qui concerne le renforcement familial dans les différentes matières scolaires (par exemple les enfants les plus jeunes ont davantage l'impression que leurs parents veulent qu'ils soient bons en maths).

Contrairement à nos attentes, on n'observe pratiquement pas de différences sociales dans le niveau général de contrôle des parents : par exemple les enfants de milieux populaires n'ont pas moins que les autres le sentiment d'une forte pression parentale sur le travail scolaire ; de même, la sévérité en cas de mauvais résultats scolaires est identique dans les différentes catégories sociales. Preuve peut-être de la mobilisation actuelle des familles sur l'enjeu scolaire dans tous les milieux sociaux. Cette mobilisation du reste ne s'opère pas selon des stratégies différenciées : l'ordre de préséance des matières que nous avons décrit plus haut — français puis maths, enfin science — est identique quels que soient les milieux sociaux.

En revanche le stéréotype culturel qui éloigne les filles de la culture scientifique joue à nouveau. 41% des garçons pensent que leurs parents souhaitent leur réussite en science contre 33% des filles, alors que, sur le français, il n'y a pas de différences selon le sexe.

Comment la science est-elle traitée au sein de la famille ? Les parents manifestent-ils un intérêt pour les événements scientifiques ? Nous avons recherché un indice simple de l'intérêt parental tel que les enfants le perçoivent.

Est-ce que tes parents s'intéressent à la science ?



La moitié des enfants environ estime que ses parents s'intéressent à la science, le plus souvent tous les deux (27%) parfois seulement le père (13%), plus rarement seulement la mère (8%). Ce pourcentage est évidemment plus élevé parmi les milieux cultivés : 68% lorsque le père a poursuivi des études secondaires [44] ou supérieures, contre 35% lorsqu'il n'a pas dépassé le cycle primaire.

Le problème du renforcement familial dans le domaine scientifique est probablement un enjeu essentiel. Nous ne le mesurons ici que de façon indirecte, du point de vue des enfants. Mais cette observation a une valeur intéressante car, très probablement, l'enfant sait rapidement reconnaître ce qui pour ses parents est ou n'est pas important. Or en fin de compte les résultats n'indiquent guère qu'une priorité soit accordée aux matières scientifiques : pour 54% des enfants il n'est pas vrai que les parents souhaitent avant tout leur réussite en mathématiques, de même 68% d'entre eux ne perçoivent pas de pression familiale en faveur des matières scientifiques.

Mais l'encouragement à réussir dans les matières scientifiques à l'école n'est pas le seul mécanisme de renforcement familial : parler de la science à la maison, commenter ou remarquer les événements scientifiques, bref marquer un intérêt pour la science dans le cadre familial, c'est aussi une manière de développer des dispositions favorables à la culture scientifique. Et sur ce point le fait qu'une forte proportion d'enfants et de jeunes aient le sentiment que leurs parents s'intéressent à la science est encourageant, non pas du point de vue des parents, mais des enfants, car il révèle une fois encore leurs bonnes dispositions à l'égard de la science.

CONCLUSION

Au terme de cette étude, il semble que notre problème initial puisse être analysé sous trois angles différents : la science est, en premier lieu, source de valeurs sociales ; elle fait, par conséquent, l'objet de jugements, d'opinions, d'attitudes. La description de ces structures constitue une première façon de saisir les relations qu'entretiennent les enfants et les jeunes avec l'institution scientifique. Ici le parallèle avec les adultes est essentiel car, sous des modalités différentes, les problèmes se posent à peu près de la même façon.

Sous un autre aspect, la science fait partie des pratiques sociales quotidiennes des enfants et des jeunes. Qu'il le veuille ou non, un élève entend parler pratiquement tous les jours de la science dans le cadre scolaire. Mais cette activité n'est pas gratuite ; il s'agit cette fois d'un enjeu d'abord scolaire puis professionnel. Or les enfants perçoivent rapidement les conséquences sociales de leur réussite ou de leur échec scolaire. La science prend ainsi une autre valeur, celle d'un étalon de mesure culturel et social.

La culture scientifique enfin forme un troisième enjeu très probablement dépendant des deux précédents : hors de l'école, l'enfant développe un certain rapport avec la culture scientifique et technique ; tout indique que ce rapport est pour partie déterminé par "l'idée qu'il se fait de la science", c'est-à-dire par cet ensemble complexe d'opinions et de pratiques sociales.

La science comme objet d'attitudes

Vue sous cet angle, la science est, d'une certaine façon, un objet social parmi d'autres ; il y a des opinions sur la science comme il y a des opinions sur la politique ou sur la religion. Mais au-delà de certains traits communs chacun de ces univers d'attitudes a ses propres spécificités.

Pour ce qui est de la science, sa particularité tient au fait que son domaine d'action supposé ou réel est particulièrement mal défini. Pour les adultes la science ou la technique semblent exercer des effets dans tous les secteurs de la vie matérielle et morale et les jugements diffèrent largement selon que tel ou tel aspect est pris en compte. Chez les enfants on observe des phénomènes analogues même si les distinctions ne sont pas toujours aussi marquées : on a vu, par exemple, comment des opinions positives sur les effets de la science dans la vie de tous les jours n'étaient pas contradictoires avec le sentiment que le développement de la robotisation risque d'accroître le chômage.

Le public adulte ressent nettement, d'autre part, la nécessité d'assigner certaines limites à la science lorsqu'elle tend à empiéter sur le domaine moral. Cette même préoccupation apparaît chez les enfants, mais seulement parmi ceux que leur âge et leurs privilèges culturels ont mis en position de faire l'apprentissage de cette norme sociale.

Au-delà de ces distinctions, l'institution scientifique, jugée d'un point de vue général, bénéficie d'un solide capital de confiance chez les enfants comme chez les adultes. Mais ce capital ne se distribue pas également selon les milieux sociaux : chez les adultes la confiance dans la science est toujours plus fréquente parmi les couches sociales favorisées. Notre enquête montre que cette différence est moins accusée parmi les jeunes ; pourtant c'est bien dans cette période de la vie que se forment ces clivages.

Il faut enfin observer que, dans le monde des adultes comme dans celui des enfants, les jugements ne reposent pas seulement sur un bilan raisonné des bienfaits de la science mais aussi sur une adhésion globale à ce que l'on pourrait nommer "le mythe scientifique", c'est-à-dire l'histoire magnifiée de la science telle qu'elle s'enseigne dans les livres scolaires à travers les figures symboliques de Pasteur ou de Marie Curie : l'institution scientifique génère des attachements raisonnes mais aussi des sentiments qui se rapprochent de la croyance.

La science comme pratique sociale

La science occupe concrètement une certaine place dans les pratiques quotidiennes ; pour les adultes, à travers les différentes techniques utilisées dans le travail quotidien, pour les enfants, dans leur activité scolaire, avec pour horizon un certain avenir professionnel.

Dans ce domaine, les résultats de l'enquête montrent que le principal clivage oppose les garçons aux filles. Les premiers reconnaissent plus aisément leur intérêt et leur réussite dans les matières scientifiques, les filles, en revanche sous-estiment nettement leurs compétences et marquent leur préférence pour les secteurs traditionnellement considérés comme "plus féminins" : littérature, arts, etc. Conséquence logique de cet état de fait, les garçons sont plus nombreux que les filles à affirmer leur attirance pour une profession scientifique. Le handicap féminin est tel dans ce domaine que, même quand elles sont convaincues de leur propre valeur dans les matières scientifiques, les filles osent cependant moins que les garçons déclarer une vocation scientifique. L'écart qui sépare garçons et filles dans leur rapport à la science est enfin redoublé par une différence d'attitude vis-à-vis de l'objet technique : démonter l'objet technique, c'est-à-dire d'une certaine façon en prendre possession, est un privilège masculin.

Le poids des stéréotypes culturels qui affectent la science et la technique d'un signe masculin déterminent très largement cet état de fait. Cette situation, nous l'avons vu, n'est pas particulière à certains milieux sociaux : elle est la règle qui gouverne les attitudes, quelle que soit la situation sociale ou culturelle de l'enfant.

Sachant, par les statistiques scolaires, que la réussite des filles dans les matières scientifiques est équivalente ou légèrement supérieure à celle des garçons, on a le sentiment d'être en présence d'une véritable perte de capital scientifique : si les vocations scientifiques font défaut, ne faut-il pas les chercher là où existent d'évidentes ressources, au prix sans doute d'une action culturelle [45] qui tenterait de combattre le préjugé sexuel ?

La culture scientifique

L'analyse des comportements culturels apporte deux enseignements premiers :

- à l'origine, c'est à dire pour les plus jeunes enfants de notre échantillon, existe une curiosité marquée pour les activités de culture scientifique. Cette curiosité semble incertaine de ses buts et orientée dans toutes les directions, avec pourtant une préférence pour le domaine de la nature. L'enfant s'intéresse à ce qui l'entoure, collectionne et bricole volontiers. Ce goût peut aussi être interprété comme une sorte de conformisme ou de bonne disposition relativement superficielle, mais, quels qu'en soient l'intensité et les motifs, cette demande existe.

- à mesure que l'enfant grandit cette curiosité première semble s'émousser ; l'écart entre garçons et filles et entre enfants de différents milieux sociaux se creuse, le jeune spécifie mieux ses intérêts ("l'espace", puis "le corps humain" par exemple) ou se tourne vers d'autres activités sociales.

Cette situation de désintérêt progressif n'est pas due à une diminution des attitudes positives à l'égard de la science : ces attitudes, nous l'avons vu, ne varient guère en fonction de l'âge. Il est vrai, en revanche, que l'intérêt pour les matières scientifiques à l'école tend, lui, à décroître à mesure que l'enfant avance dans sa scolarité.

Il est évidemment difficile et probablement injuste de tenir pour responsable de cette situation l'enseignement des sciences à l'école : l'effort de l'apprentissage n'a pas, par nature, les attraits du spectacle scientifique offert par les médias ou par la littérature, mais il a la vertu, probablement unique, de conduire à une véritable connaissance.

On peut souhaiter pourtant que cette connaissance puisse être renforcée, complétée ou illustrée par d'autres canaux, avec d'autres moyens : malgré notre observation pessimiste d'une baisse de la curiosité scientifique avec l'âge, il reste, même parmi les plus âgés, un public potentiel important pour des activités de culture scientifique.

Pour atteindre ce public, le choix des médias, des sujets et des méthodes d'exposition demeure un problème sur lequel cette enquête ne peut donner que certains éléments de réponses.

- Quant aux médias, il faut probablement reconnaître l'importance fondamentale de la télévision à tous les âges, pour les garçons comme pour les filles et à peu près également selon les différents milieux sociaux.

- Quant aux sujets, ceux qui s'adressent aux plus jeunes peuvent être peu spécialisés, tant ces classes d'âge paraissent "omnivores" ; pour les plus âgés, il faut sans doute davantage chercher à spécifier et à cadrer les intérêts.

- Quant aux méthodes enfin, il faut sans doute admettre dans les techniques d'exposition, de tenir compte des handicaps ou des différences culturelles : par exemple, si une exposition porte sur la mécanique ou sur l'informatique quelque chose devrait indiquer aux filles que l'information s'adresse aussi à elles et qu'elles ont les mêmes intérêts et les mêmes capacités dans ce domaine que les garçons.

La question de fond que nous nous posions à l'origine de cette recherche "comment la science vient-elle aux enfants ?" était probablement trop ambitieuse pour une enquête qui constituait en fait la première mesure à l'échelle nationale et avec des méthodes quantitatives. À cette question, nous n'avons pas le sentiment d'avoir donné une réponse globale, mais plutôt des éclairages partiels, des pistes de recherche, et peut-être le désir d'aller plus loin dans ce domaine d'étude. Si d'autres enquêtes devaient se développer, il pourrait être intéressant de choisir des méthodes et des sujets qui viennent compléter ou préciser cette première enquête.

Nous avons vu, par exemple, que le contexte familial (intérêts des parents pour la science, renforcement dans les matières scientifiques) semblait jouer un rôle important ; il y a là probablement matière à une autre recherche.

Dans ce sondage nous n'avons pas, pour des raisons pratiques, inclus de véritables tests de connaissances scientifiques ; là aussi on peut imaginer des recherches complémentaires.

Enfin, il faut admettre que la seule véritable méthode qui permettrait de répondre au problème initial serait un dispositif qui s'étalerait dans le temps et suivrait une cohorte d'enfants sur plusieurs années en mesurant périodiquement leurs attitudes, leurs connaissances, leurs pratiques culturelles etc., étude évidemment coûteuse dont nous souhaitons que cette enquête puisse constituer le point initial.



[1] Voir par exemple :

Bon (Frédéric), Boy (Daniel) "Les Français et la science", La Recherche, n° 120, mars 1981, pp. 344-352.

Bon (Frédéric), Boy (Daniel) "La science, la technique et l'opinion publique en 1982", CPE Etude, no 42, avril 1984, p. 49.

Boy (Daniel) "Les attitudes des Français à l'égard de la science", Rapport de résultats et note de synthèse, avril 1989, SOFRES. (Les résultats concernant cette dernière enquête seront publiés courant 1989).

[2] L'enquête a été financée conjointement par le ministère de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire (mission de la culture scientifique et technique), par le ministère de l'éducation nationale (DBMIST) et par le ministère de la recherche et de la technologie (DIST).

La réalisation a été menée à bien par une équipe de recherche du Centre d'études de la vie politique française (Fondation nationale des sciences politiques - C.N.R.S.) composée de Daniel Boy et d'Anne Muxel.

L'administration du questionnaire sur le terrain a été confiée à l'institut de sondages Louis Harris. Les interviews ont été réalisées du 18 au 23 mars 1988 auprès d'un échantillon représentatif de la population française âgée de 11 à 17 ans (1095 individus). L'échantillon a été constitué selon la méthode des quotas en prenant en compte le sexe, l'âge, la profession du chef de ménage et la catégorie d'agglomération.

[3] Nous avons systématiquement analysé les résultats des croisements entre les questions de l'enquête et cinq caractéristiques de l'individu :

- sexe

- âge (en regroupant ici les 11-12 ans, les 13-14 ans et les 15-17 ans)

- situation scolaire (en regroupant les é'-5' puis les 4c-3° puis les 2d' et au-delà du cycle général et enfin les sections techniques).

- catégorie socio-professionnelle du chef de famille comprenant les cadres supérieurs et professions intermédiaires (par abréviation cl. sup) puis les artisans, commerçants et employés (cl. moy) enfin les agriculteurs et ouvriers (cl. pop.)

- le niveau d'études du père (Primaire, Premier cycle du secondaire, Secondaire et supérieur).

- le positionnement politique de l'enfant en termes de gauche, droite ou refus de se positionner.

[4] Dans le cours de ce rapport nous serons amenés à comparer à plusieurs reprises les résultats de cette enquête avec des données analogues recueil lies ces dernières années sur des populations d'adultes. Les principales références de ces études sont citées à la note 1 ci-dessus.

[5] Cf. Muxel-Douaire (Anne) Les lecteurs d'Okapi et la science, enquête CNRS-OKAPI sur les attitudes des enfants de 10-15 ans à l'égard de la recherche scientifique, rapport multigr. 37 p., mars 1986.

[6] Pour les adultes, le texte de la question était le suivant : "Les chercheurs scientifiques qui ont découvert le principe de la bombe atomique ont une grande part de responsabilité dans l'utilisation qui en a été faite" ; 55% des personnes interrogées sont tout à fait ou plutôt d'accord, 39% plutôt pas ou pas du tout d'accord, 7% sans réponse.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 18 juillet 2024 9:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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