RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Robert Deliège, Le système des castes. (1993)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Robert Deliège, Le système des castes. Paris: Les Presses universitaires de France, 1993, 128 pp. Collection “Que sais-je ?”, no 2788. Le Point des connaissances actuelles. [L’auteur nous a accordé, le 26 mars 2020, son autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

En 1792, un jeune prêtre français des Missions étrangères quitta la France et s'embarqua pour l'Inde du sud où il résidera jusqu'en 1823. Durant ce long séjour, l'abbé J. Dubois, tel est en effet son nom, fit preuve d'un sens unique de l'observation et, en 1806, il publia la première étude de l'organisation sociale indienne, les Moeurs, institutions et cérémonies des peuples de l'Inde, un ouvrage qui constitue encore aujourd'hui un témoignage unique sur la société de son temps et continue, à ce titre, d'être publié. Ce livre de l'abbé Dubois inaugurait aussi une longue tradition française d'étude de la caste. Il est en effet à peine exagéré de dire que le système des castes n'a depuis lors cessé de fasciner les intellectuels français: des sociologues comme Émile Durkheim, Claude Meillassoux ou encore Jean Baechler se sont tous penchés, avec plus ou moins d'attention et de bonheur, sur le système social indien alors qu'Émile Senart et Célestin Bouglé publièrent des ouvrages de synthèse qui ont certainement marqué leur époque. Mais c'est Louis Dumont qui se distingue comme le plus grand théoricien de la caste et l'Homo hierarchicus1 constitue sans doute un véritable jalon dans l'histoire de l'indianisme. Contrairement aux autres théoriciens français, Louis Dumont connaissait la société indienne "de première main" pour avoir vécu plusieurs années dans le sud de l'Inde et il avait d'ailleurs publié une éblouissante monographie de cette caste du Tamil Nadu dont il avait partagé l'existence. Il n'est pas alors excessif de dire que si l'ethnologie de l'Inde demeure une discipline nettement anglo-saxonne, les intellectuels français ont laissé une empreinte profonde sur l'étude du système des castes.

Le pragmatisme et l'empirisme anglo-saxons sont probablement plus rebelles à l'effort de synthèse. Après 1966, année de la publication de l'Homo hierarchicus, cette réticence s'accentua sans doute encore et peu d'auteurs ont osé, depuis lors, se lancer dans une approche générale du système des castes. Le livre de Dumont s'était, en effet, très vite imposé comme "la" référence ultime, non qu'il fît l'unanimité, mais il ouvrait tellement de perspectives de recherches que même ses critiques les plus farouches ne parvinrent pas toujours à se libérer de son emprise. Si cette étude, par sa finesse et son érudition, devait quelque peu décourager les "théoriciens" de la caste, elle donna une impulsion extraordinaire aux jeunes chercheurs et contribua à l'essor, tout aussi remarquable, de l'anthropologie indienne contemporaine. Tous les ouvrages importants des vingt-cinq dernières années prennent position vis-à-vis des idées défendues par Dumont, même si, nous l'avons dit, il ne s'en trouve guère pour oser reformuler complètement la problématique ouverte par l'Homo hierarchicus. Il serait donc présomptueux d'assigner au présent ouvrage la mission de dépasser une aussi remarquable étude et, comme la plupart des ethnologues indianistes contemporains, je pourrais difficilement cacher ma dette à l'égard de Dumont; les pages qui suivent en portent sans nul doute le témoignage. Mais alors l'analyse de la société indienne —faut-il le préciser?— ne s'est pas soudainement arrêtée en 1966 et nous avons même assisté, au cours des dernières décennies, à une très grande fécondité scientifique dans le domaine indien. Une partie non négligeable des recherches récentes ont en outre radicalement remis en question certains aspects de l'oeuvre de Dumont et il n'est pas, dès lors, inutile de faire le point sur quelques problèmes fondamentaux qui se posent aujourd'hui à l'analyse de la caste.

Si l'ethnologie de l'Inde a désormais atteint un degré de qualité jusqu'alors inégalé, elle semble malheureusement n'avoir pas toujours évité les écueils d'une trop grande spécialisation et elle est, en conséquence, trop souvent restée une espèce de chasse gardée aux abords de laquelle les non-spécialistes n'osent trop s'aventurer. C'est peut-être pour cela qu'en dépit de son caractère florissant, elle a relativement peu contribué au développement de l'ethnologie générale dont elle est une sous-branche. La discussion du mariage nayar constitue une exception notoire à cette situation déplorable. C'est peut-être aussi cette spécialisation trop grande — découlant pour une bonne part de la complexité de notre objet d'étude — qui explique que lorsqu'ils désirent se documenter sur la caste, bon nombre d'étudiants et chercheurs continuent de se tourner vers des ouvrages de vulgarisation qui entendent souvent saisir la société indienne contemporaine à travers l'exégèse de textes écrits voici plusieurs centaines d'années. Les ethnologues n'ont pas toujours réussi à faire valoir leur incomparable savoir et nous espérons ici contribuer à faire un peu mieux connaître quelques développements récents de leur fascinante discipline en les rendant accessibles à un public de non-spécialistes.

En tant qu'ethnologue, c'est la société indienne telle qu'on peut l'observer qui m'intéresse au premier chef et, au cours de ce travail, nous n'allons pas nous pencher sur une organisation sociale abstraite, ni non plus sur les écrits qui la fondèrent au début de notre ère. C'est l'Inde vivante telle que moi-même et d'autres chercheurs avons pu l'observer — et l'observons encore — qui va retenir notre attention. Au début des années '20, Bronislaw Malinowski, le père fondateur de l'ethnologie moderne, lançait un appel d'urgence. Il fallait, disait-il, s'empresser d'étudier en profondeur toutes les cultures de la planète car celles-ci allaient bientôt se perdre dans un processus d'acculturation qui lui semblait irrémédiable. Trois quarts de siècle plus tard, il nous faut bien admettre que le "monstre occidental" n'a pas tout avalé sur son passage et la société indienne, qui va nous intéresser au fil de ces quelques pages, est, par exemple, loin d'avoir perdu son originalité. Son organisation sociale, en particulier, a bien résisté à cette double épreuve du temps et de l'occidentalisation. Il se trouve même des sociologues pour affirmer que le système des castes a eu tendance à se renforcer au cours des dernières décennies. Quelle que soit la position que l'on prenne dans ce débat, il n'en reste pas moins que la caste fait preuve, aujourd'hui encore, d'une belle vitalité et qu'elle continue de marquer une bonne part de la vie sociale du sous-continent. Elle s'est même particulièrement bien adaptée à la démocratie parlementaire dans laquelle elle se meut aujourd'hui comme s'il s'agissait de son milieu naturel. La caste n'a donc rien d'une institution archaïque qui ne peut plus s'observer qu'à travers d'anciens manuscrits. En parler, c'est aussi parler de l'Inde contemporaine et des centaines de millions d'individus qui font de ce pays l'un des plus extraordinaires qui soient.

Il ressort des quelques lignes qui précèdent que c'est bien l'Inde qui constitue notre objet d'étude tout au long de ce petit livre. Pour légitime qu'elle soit, la démarche comparative ne peut faire l'économie de l'analyse en profondeur des différents pôles de la comparaison et elle ne peut non plus gommer les différences entre ces derniers. A l'exception de quelques cas bien connus, la plupart des ethnologues considèrent que le système indien des castes est unique. Certes, il présente de vagues similitudes avec d'autres formes d'organisation sociale, mais ignorer les différences conduit à appauvrir la réalité d'une façon inacceptable. Le système indien des castes, en tant qu'objet d'étude, constitue d'ailleurs déjà en lui-même un travail de synthèse non négligeable.

L'ethnologie nous convie à un effort de compréhension, d'ouverture à l'autre, voire même de tolérance. Lorsque l'on étudie la caste, cette démarche n'est pas aisée et certains préfèrent condamner avant même de comprendre. Car les fondements de la société des castes heurtent notre idéal démocratique d'égalité. Mais comprendre ne signifie pas nécessairement légitimer. Peu importe d'ailleurs notre jugement. Le système existe depuis des millénaires déjà sans se soucier de notre éventuelle désapprobation. Il mérite que nous nous y arrêtions quelque peu et cela d'autant plus que, sur notre terre, un homme sur six est indien.


1 L. Dumont, Homo hierarchicus: essai sur le système des castes, Paris, Gallimard, 1966.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 30 mars 2020 9:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref