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La faim du monde.
Poèmes.
Présentation
Par Denise Bernhardt
« La faim du monde » que nous propose Ricarson DORCÉ est plutôt le monde de toutes les faims. En poète-analyste, l'auteur aborde à travers ses textes différents sujets : Morale et Solidarité, Aspects de la Civilisation, l'Esclavage, la Guerre, la Condition humaine, la Liberté.
- « On ne peut cacher éternellement la liberté
- à ceux et à celles qui la cherchent
- la liberté est une conquête »
comme toute avancée de l'humanité. Les jeux de mots du poète entre mathématiques et solidarité expriment une profonde désillusion quant à l'avenir.
- « Nous sommes experts en math mais nous ne savons pas compter les uns sur les autres »
De même on peut se demander quel est réellement l'apport de la civilisation que l'auteur juge plus que barbare au cheminement des hommes sur notre petite planète.
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Ricarson DORCÉ campe un personnage imaginaire, serait-il son double dans les reflets inversés du miroir. Dans son désarroi, il lui demande de l'aider à surmonter ce sentiment de vide, alors qu'il se tourne vers le fourmillement lumineux de l'univers. Même la poésie devient redoutable, car elle véhicule « les blessures des mots » et « les trahisons des mots ». Le dialogue s'instaure avec ce visiteur mystérieux, lumière et ténèbres, ces deux pôles jouent d'ambivalence.
- « On peut tout faire dans les ténèbres
- Mais on peut mieux faire encore
- dans la lumière ».
Comme un peintre méticuleux, le poète par petites touches nous livre une certaine philosophie de la vie. Par des mots simples, il pose les vrais problèmes.
- « il y a des nègres exploiteurs
- Il y a des gens exploiteurs
- qui ne sont pas nègres
- Nous devons aller à la racine »
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Il faut se garder de s'en tenir aux apparences, aux conclusions hâtives, aux assimilations douteuses.
Ce recueil, sous forme de dialogue, permet de donner à la pensée toute sa clarté et toute sa force, sans fioritures et sans effet de manches. La justesse des répliques évoque pour moi un très grand auteur : Jacques Roumain, et son chef d'œuvre : Le Gouverneur de la Rosée.
Le style de Ricarson DORCE prend parfois l'aspect d'un balancement incessant, d'une mélopée qui n'en finit pas, au fil des mots s'enroulant sur eux-mêmes. Et le lecteur hésite entre sourire amusé et tristesse.
- « Faim sans fin
- Faim fatiguée instrumentalisée
- La fin du monde
- Le monde de la faim »
Jusqu'à quand faudra t-il marteler cette vérité, en attendant qu'un jour une grande voix s'élève pour qu'on en finisse avec toutes les faims.
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Cependant, la faim qui est celle de tous les désirs génère la vie. Combien de désirs assoiffés faudra t-il satisfaire pour que :
- « Le ciel et la terre
- Atteignent leurs orgasmes »
La seconde partie du recueil est consacrée à l'amour.
On aurait pu penser que Ricarson DORCE parle plus volontiers de sexe que d'amour. Mais non, le poète sait quand il le faut se faire tendre et léger. Les images se succèdent dans la transparence et la féerie qui émanent de son EVE déroulant le fil arachnéen du plaisir.
- « Tu respires
- Ta respiration se fait douce et chaude
- Je me sens léger entre tes bras
- Je n’ai plus de mains
- Je n 'ai plus de corps »
Image érotique illustrant l'instant où se perd la conscience du corps dans l'intensité du plaisir.
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La sensualité impose sa loi, l'imaginaire les siennes, et des images de révoltes défilent derrière les yeux mi-clos du poète. L'amour et la violence se mélangent dans l'espace incontrôlé, où l'âme et le corps ont perdu leurs limites :
- « le peuple tout entier se révolte
- Je vois les nuages déferler dans le ciel
- Au dessus de ta tête. »
L'amour n'est jamais une finalité, il ne fait pas oublier la souffrance, la révolte et la mort. C'est un paysage mouvant dans le flux et le reflux de la vie.
- « la jungle devient silencieuse
- On dirait un cimetière »
Dans la dualité de l'être,
- « de rires et de larmes
- De songes et dépensées
- L'amour s'écrit parfois dans la rumeur
- Des saisons ».
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Les confidences du poète s'achèvent de manière laconique.
- « La cloche annonce le déjeuner
- Je l'entends à peine
- Occupé que je suis à examiner
- tes doigts agiles »
Il faut lire ce recueil comme des mots chuchotes à l'oreille, des mots nés de l'observation, de la contemplation, et si une clameur intérieure se fait jour, on n'entendra résonner en nos âmes que le cri du silence.
Denise Bernhardt
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