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Analyse ethnologique des rites et rituels
dans les élections présidentielles de 2010-2011
à Port-au-Prince.
Introduction
Les élections ont toujours été et restent encore un moment important dans la vie démocratique des peuples dans les sociétés ‘’modernes’’. Si elles consistent en un long processus qui s’étend sur une période relativement long avec, entre autres, différentes étapes, différents moments ; un de ces moments les plus importants demeurent la campagne électorale. C’est un moment déterminé de manière légale, où ceux qui se portent candidats à une charge élective cherchent à rencontrer les votants pour partager avec eux leurs programmes électoraux, leur vision de gouvernance et leurs projets futurs. Dans ces moments, les candidats se vouent alors en une bataille exceptionnelle pour convaincre les électeurs, à travers des spots radiophoniques ou télévisés, la propagation de tracs, d’affiches, de banderoles, des rencontres et meetings électoraux, etc., afin de s’assurer de leur vote.
En Haïti, les périodes électorales gardent une place importante dans la vie politique de la population parce qu’elles représentent des moments où le besoin de poursuivre avec un modèle de gouvernance ou du moins de changer de perspectives politiques se montrent plus fortement. C’est alors dans ces moments importants que ces besoins se font le plus sentir en ce sens où la population est appelée à suivre le candidat qu’elle pense être le mieux approprié au contexte et aux circonstances selon la forme qu’elle exprime ses besoins, ses revendications.
Malgré les reproches faites par certains quant à la participation active des citoyens dans la vie politique et à l’inexistence de société civile forte, de groupe de pressions structurés et cohérents, de partis politiques forts d’où seraient élus à un premier degré les candidats, quand les élections approchent on assiste souvent à un clivage entre politique et non politique, entre discours et image projetée par les candidats qui constitue alors une tournure considérable dans réalité politique haïtienne. C’est en ce sens que les grandes mobilisations se préparent depuis le jour du dépôt de candidature de certains candidats, où ces candidats se font assister d’une quantité de gens pour qu’il aille déposer ses pièces pour son inscription dans la course électorale, passant par la publication des listes de candidats retenus par le Conseil électoral pour continuer dans les moments de campagne officiellement admis.
Durant la campagne électorale dans les élections présidentielles de 2010-2011 en Haïti on assiste à une rivalité intéressante entre les candidats Michel Joseph Martelly et Mirlande H. Manigat au second tour du scrutin. Le premier est un chanteur de carrière que des fans admirent pour ses morceaux un peu ‘’déplacés’’ sur le plan de la morale ‘’judéo-chrétienne’’ souvent prônée dans les débuts de la socialisation de l’enfant haïtien ; et, la deuxième une ancienne première dame, professeur d’Université, fondatrice avec son mari, l’Ancien Président Lesly François Saint-Roc Manigat du parti politique le ‘’Rassemblement des démocrates nationaux progressistes’’, RDNP. Ces deux candidats sont arrivés à la tête dans la publication des résultats du scrutin de premier tour parmi les 19 candidats retenus pour participer aux joutes électoraux.
Par ailleurs, si selon les résultats du premier tour Mirlande Manigat a occupé la première place, dans le second tour on assiste à un renversement des données où Michel Martelly remporte les élections et est élu Président de la République d’Haïti.
Sachant que ceux qui réussissent aux élections dans les sociétés démocratiques sont ceux qui sont parvenus à faire de grandes mobilisations lors de la campagne électorale. C’est aussi et surtout cette démonstration qui a permis le ralliement d’une plus grande partie de la population votante qui constitue sa majorité électrice. C’est ce constat qui nous porte à nous questionner sur ce renversement du point de vue de la capacité de chacun d’entre eux à pouvoir mobiliser les gens à leurs causes électorales en réussissant à travers les rencontres électorales, les meetings, à faire l’usage de certains symboles et à tenir des discours dont le sens et la signification gardent une importance capitale pour les électeurs. Comment ces deux candidats ont-ils fait campagne ? Quels endroits ont-ils privilégié pour rencontrer les gens ? Quels messages ont-ils apportés dans ces rencontres qui ont pu attirés les votants ? Tant de questionnements qui éveillent notre engouement d’explorer ces rencontres.
Le point focal de ce travail est d’analyser à partir d’une démarche descriptive des rencontres, dans la campagne électorale, des candidats avec les électeurs tout en mettant en évidence la mise en scène ritualisée des candidats et officiants cérémoniels. En d’autres termes, les rites et les rituels que ces candidats et leurs officiants adoptent lors de ces rencontres. Alors que les électeurs voient et entendent toujours les candidats à la radio ou à la télé, ce déplacement du candidat vers les électeurs se veut un moment de rencontre intense car les électeurs sont soucieux à ce que le candidat voit la situation de la zone, fait sortir dans son message, dans son discours, les moyens qu’il va mettre en place dans son gouvernement pour faire face aux grands problèmes sociaux, propose des moyens en ces termes pour redresser les mauvaises situations, pour pallier aux revendications de la population et démontrer à travers les symboles utilisés son attachement à certaines valeurs, etc.
Pour mener ce travail de nature exploratoire, après avoir posé la problématique de la mise en spectacle du pouvoir politique en Haïti, nous utiliserons une méthode qualitative faisant appel à diverses techniques de collectes et d’analyse de données en sciences humaines et sociales notamment l’observation directe, l’analyse de traces, l’analyse du discours, l’analyse descriptive, pour ne citer que cela. Par contre, nous privilégierons l’observation directe et l’analyse descriptive pour atteindre notre objectif qui constitue en l’analyse descriptive d’une parmi toutes les rencontres de ces deux candidats. Notamment de celles faites dans les localités de Port-au-Prince.
Néanmoins, nous poserons la théorisation de Marc Abélès sur la mise en scène du politique tout en la jumelant avec l’approche de Ségalen Martine sur les rites et les rituels contemporains. C’est à partir de cette constitution d’une littérature théorique sur les rites et rituels politiques que nous ferons une analyse descriptive des deux rencontres décrites dans le dernier chapitre. Mais avant d’arriver à cette présentation, nous pensions qu’il était important de présenter un chapitre faisant un survol historique des modes de désignation des Présidents en Haïti et une historiographie de la campagne électorale.
Enfin, partant de l’approche de Xavier Roegers et Jean Marie Deketele sur la “répétabilité” qui sous-tend la reprise des mêmes démarches et techniques d’un auteur antérieur pour mener une autre étude, dans un autre terrain. Nous reprendrons les démarches de Marc Abélès dans les élections municipales à Auxerre pour faire cette étude tout en essayant de créer à partir de ces démarches une grille d’interprétation et d’analyse des données recueillies. C’est à partir de cela que nous parviendrons à dégager une hypothèse à la fin du travail et ouvrir des perspectives en fonction des attentes conjecturelles de cette étude.
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