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Justice et nazisme
Introduction
Dès son accession au pouvoir fin janvier 1933, le parti nazi entend rénover l'ordre social et établir de nouveaux rapports entre l'individu et l'État conformément à l'idéologie totalitaire raciste et impérialiste exposée par Adolf Hitler dans Mein Kampf. L'obligation faite aux membres de la Communauté raciale populaire (Volksgenossen) [1] de se soumettre à la volonté du Führer en tant qu'expression absolue de la bonne santé du peuple allemand (F. Gürtner / R. Freisler, 1936), se traduit au quotidien par une réglementation élaborée au coup par coup des actes du citoyen (Staatsbürger) qui abolit le droit à disposer de soi-même, à réagir à l'injustice, à défendre sa personne contre les agressions du système.
Exclus, selon les termes des points 4 et 5 du Programme de la NSDAP [2] de 1920, de la citoyenneté du fait qu'ils n'appartiennent pas à la Communauté raciale, les Juifs sont traités comme des "corps étrangers" et relèvent d'une législation d'exception (cf. Blau et Walk).
Il serait dès lors vain de vouloir faire référence à une quelconque codification. Dans ce concept hérité de la [10] réception du Droit Romain, de la Philosophie des Lumières, du Code Napoléon, et dont la République de Weimar avait fait la pièce maîtresse de sa législation (cf. M. Pédamon, 1985) les idéologues nazis type Rosenberg ne voient qu'une importation étrangère, un produit du démocratisme judaïque, une corruption de l'âme et des moeurs du peuple germanique.
Se revendiquant de la tendance ultranationaliste de l'École historique fondée par Savigny autour de 1815 en réaction à l'occupation napoléonienne, les hitlériens prônent le retour au Droit naturel (Naturrecht). On s'en remet donc "aux traditions germaniques considérées comme les dépositaires authentiques du sentiment populaire sain en matière de justice" et répudie "toutes les influences étrangères qui en avaient altéré le sens et la portée" (M. Pédamon). "La source du Droit", commente le sinistre Roland Freisler qui présidera à partir de 1942 la Cour de Justice de la Communauté Raciale Populaire (Volksgerichtshof), "le fondement des commandements et des interdictions juridiques, c'est la conscience de la Communauté raciale populaire". Et le professeur viennois Gleispach, après avoir défini cette Communauté raciale comme un ensemble d'êtres liés par une descendance et un héritage culturel commun, de préciser : "Notre point de départ n'est pas la liberté individuelle, mais l'intérêt de la totalité de la communauté" (cit. in Peters, 1965).
Ainsi, en hypostasiant l'entité raciale dont le Führer est la parfaite incarnation et le citoyen un infime fragment, le National-Socialisme nie la dimension personnelle de l'essence humaine. Le Führer seul étant à même, de par sa mission divine et ses dons illimités, de saisir les lois qui régissent l'histoire de son peuple, il est logique que le simple mortel participe à sa mesure à l'œuvre du guide providentiel et se plie à son vouloir (Gefolgschaft) pour le bien-être de l'Allemagne. Du même coup, "ce n'est nullement un problème juridique de [11] premier plan de savoir si le Führer gouverne conformément à une constitution formelle et écrite ou non" (Hans Frank, juin 1938).
Entériné par la Loi d'habilitation (Ermächtigungsgesetz) adoptée par le Reichstag le 23 mars 1933, le Principe du Chef (Führerprinzip) constitue en fait le seul fondement juridique de l'État nazi, ce qui explique du reste pour une large part que l'élaboration du Code de la Communauté raciale populaire (Volksgesetzbuch) entreprise en 1939 par l'Académie du Droit allemand n'ait jamais abouti. En fait, à en croire ses Propos de table (Tischgespräche, 1963), Hitler n'éprouvait que mépris pour les juristes, ces êtres contre nature et néfastes dont il avait eu trop longtemps à souffrir des tracasseries. Émanation de la peuplité (Volkstum) à la source de laquelle il puise fort mystérieusement son inspiration, il n'a que faire des boniments incompréhensibles de raisonneurs et n'est lié, comme le confirmera un arrêt du 26 avril 1942, à aucune disposition juridique existante. Infaillible, il suffit de s'en remettre à ses décisions et de lui faire confiance : "C'est la première fois dans l'histoire de notre peuple que l'amour voué au chef est devenu un concept juridique" (H. Frank, Conférence à l'Université de Munich, Völkischer Beobachter, 30 juin 1935). Pour le reste, et notamment les nombreuses lois édictées entre 1933 et 1945 (cf. Münch et Brodersen), tout n'est qu'affaire de circonstance. D'autant que la rétroactivité ayant été instaurée, il est aisé de sévir ; le geste en apparence anodin et parfaitement légal pouvant à tout instant devenir répréhensible, mieux vaut encore s'abstenir, ne sachant jamais ce que réserve le lendemain.
Opposés dans leur écrasante majorité à la République, à l'extension du champ des libertés sociales, au progrès démocratique, les juristes allemands, regroupés par le régime dans une ligue professionnelle (Bund Nationalsozialistischer [12] Deutscher Juristen) se sont faits, en dépit de quelques réticences liées à l'amputation partielle de leurs privilèges par la Gestapo et la SS, les complices de l'État hitlérien. Ils ont cautionné l'institutionnalisation de l'anarchie législative et de l'arbitraire et ont toléré que "le Droit se résume à la volonté du Führer" (H. Göring, 13 juillet 1934).
En ouvrant ce petit livre, c'est au plus profond mépris des valeurs humanistes, à l'obscurantisme le plus vulgaire que le lecteur va se confronter. Cette confrontation est néanmoins utile pour comprendre un rouage essentiel du mécanisme totalitaire et ne pas se laisser aveugler par des illusions propres à duper l'homme et à le réduire au bout du compte à l'esclavage.
L'auteur exprime sa gratitude à Gérard Mendel, Jean-Michel Palmier et Henri Brunswic pour leur constant soutien dans ses recherches, à tous ceux qui l'ont autorisé à utiliser leurs travaux, notamment Messieurs les Professeur M. Stolleis (Frankfurt / Main), E. Wadle (Sarrebruck) et Monsieur le Président du tribunal de Grande Instance de Hambourg G. Bertram, ainsi qu'aux rédacteurs en chef des revues spécialisées Juristische Schulung et Zeitschrift für Rechtspolitik.
[1] Sous le troisième Reich, dénomination juridique des titulaires de la nationalité allemande.
[2] Abréviation de Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, parti ouvrier national-socialiste dirigé par A. Hitler à partir du 24 février 1920.
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