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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES pour une alternative sociale, no 11, automne 1983
Présentation: Où allons-nous ?


Une édition électronique réalisée à partir du texte de la revue INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES pour une alternative sociale, no 11, automne 1983, 184 pp. Un numéro intitulé: “Crise et politiques économiques.” Montréal: département de science économique, Université du Québec à Montréal. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Présentation
Où allons-nous ?

The future is unwritten The clash


Une crise profonde

L’économie canadienne a traversé en 1982 une profonde récession, la plus grave, en fait, depuis la crise des années 30. Le taux de chômage officiel a atteint 12,6% au Canada et 15,9% au Québec ; le nombre de faillites a augmenté de près du tiers au Québec en 1982 par rapport à 1981, pourtant déjà année record en la matière. Et malgré la baisse de l’inflation, les taux d’intérêt sont restés élevés ; les salaires réels ont chuté pour une sixième année consécutive et, pour ceux et celles qui gardent leur emploi, les conditions de travail se sont dégradées. Ajoutez à cela l’avalanche des législations gouvernementales anti-syndicales et vous avez un portrait peu reluisant de la situation : l’année 1982 et le début de 1983 ont été bien lugubres...

Mais voilà qu’on nous annonce une « reprise ». Celle-ci serait même la plus forte de tous les pays de l’OCDE ; pas étonnant : la récession ayant également été la plus forte (chute du PNB de 4,8% au Canada contre - 1,7% aux Etats-Unis, - 1,1% en Allemagne fédérale, et + 1,7% en France, +3% au Japon... (voir l’article de Pierre Paquette pour une explication de ce phénomène), l’économie canadienne ne fait que reprendre une partie du terrain perdu. Mais la situation reste catastrophique : capacités de production sous-utilisées, effritement de [8] la base industrielle, retard technologique dans de nombreux secteurs, dépendance de l’étranger, etc. : la reprise sera courte et risque bien d’être suivie par une nouvelle récession encore plus grave que la précédente ; le chômage, qui ne baisse que très peu avec la reprise, pourrait donc atteindre de nouveaux sommets, emporté par la nouvelle récession et l’accélération des changements technologiques.

Le chômage, ce n’est pas seulement un indicateur de mauvaise conjoncture ; ce n’est pas seulement des pertes de revenus et de production ; c’est aussi des conséquences néfastes, parfois désastreuses sur la santé de milliers de personnes, c’est aussi, pour des milliers de jeunes, un avenir saboté ; c’est aussi, pour des milliers de femmes, un accès plus difficile au marché du travail ou un retour forcé au foyer ; c’est aussi une hausse de la criminalité... Les conséquences risquent de se faire sentir longtemps.

Ce qu’il faut voir ici bien sûr, au-delà des récessions et des reprises, c’est que le capitalisme traverse en ce moment une grande crise structurelle ; la « reprise » ne change rien au fait. C’est donc une crise de l’accumulation du capital qui tente, en se restructurant, tant à l’échelle nationale qu’internationale, de restaurer les taux de profit, d’imposer sa loi, celle du marché.

Parallèlement au maintien d’un taux de chômage effarant, qui devient chronique, se met en place une réorganisation de l’emploi, le développement de formes d’emploi précaire (temps partiel, emplois temporaires, contrats occasionnels, etc.).

Et au Québec, on dit nous préparer un « virage technologique », qu’on ne prend pourtant pas les moyens de réaliser et qui, s’il était vraiment opéré dans le cadre actuel, en ferait subir les conséquences aux couches populaires, et particulièrement aux femmes qui risquent de « se faire renvoyer à leur cuisine ». Car les changements technologiques, s’ils permettent en soi de faciliter les travaux pénibles et de vivre mieux, aboutissent, dans les conditions capitalistes de production, à aggraver le chômage, forcer les déplacements de main-d’oeuvre et exclure certains groupes du marché du travail (les jeunes, les femmes, les personnes âgées, etc.).

Et puis sur ce fond couve une autre crise, ombre de la première, dans le domaine de la finance internationale : pour la première fois depuis 50 ans, l’économie internationale sur-endettée voit poindre la possibilité d’un crash financier. Du reste, la situation des pays dits du tiers-monde est en train de devenir catastrophique : plusieurs sont, de fait, en état de cessation de paiement (Mexique...) et sont près de la faillite. Les débouchés que constituent ces pays sont donc en bonne partie taris, ce qui aggrave d’autant la crise dans les pays du « centre ».

Mais, d’ailleurs, elle n’est pas nouvelle la crise : on peut même dire que les signes avant-coureurs remontent à une quinzaine d’années, avec le dérèglement du système monétaire international ; elle a vraiment commencé avec la récession internationale de 1974-75 et aujourd’hui elle ne fait « que » s’approfondir. En toile de fond de ce processus : la dégradation de l’hégémonie [9] américaine, la remontée de la concurrence internationale, la chute de la rentabilité moyenne des capitaux, et la montée des luttes dans le tiers-monde et dans les pays capitalistes avancés.

Son hégémonie en déclin, l’impérialisme américain tente de la reconquérir un peu partout dans le monde, notamment au Proche-Orient et, surtout, en Amérique centrale où le gouvernement Reagan tente d’écraser la révolution salvadorienne et s’attaque de plus en plus ouvertement au régime sandiniste au Nicaragua.

Les politiques économiques

À l’intérieur des pays capitalistes avancés, aux États-Unis, en Angleterre, mais aussi de plus en plus au Canada, les gouvernements adoptent leurs politiques de gestion de crise : coupures de salaires, restriction des droits syndicaux, déréglementation et soutien à l’entreprise privée, tout l’attirail est déployé ; et on constate, au fur et à mesure que la crise s’approfondit, un durcissement très net du patronat et du gouvernement et une offensive de plus en plus générale contre les couches populaires et le mouvement syndical.

Or, ce climat a été en quelque sorte préparé et est encore entretenu par ce que l’on pourrait appeler une campagne idéologique cherchant à justifier les attaques contre le mouvement ouvrier et l’accroissement des inégalités : les salariés gagnent trop, il faut se serrer la ceinture, avoir un emploi est un privilège, etc. En même temps, dans les départements d’économie de nos savantes universités, on continue à parler de « courbes d’indifférences », de choix entre le loisir et le travail, de chômage volontaire ou de chômage « naturel » (normal), des « rigidités » (lire : les syndicats) qui entravent le libre fonctionnement du marché, etc. Mais tout ce nouveau discours sur les inégalités, en apparence humaniste, et sur la nécessaire solidarité entre travailleurs et chômeurs, masque mal le fait que derrière l’inégalité transversale (inégalité de revenu ou de statut) se cache d’autres inégalités, beaucoup plus fondamentales, « verticales » : inégalité de la richesse, de la propriété, des pouvoirs ; il masque aussi le fait que des millions de dollars s’envolent en spéculation, tout ce qu’il y a de plus improductif, sur des terrains, des maisons, des actions, des œuvres d’art, etc., et que, si une grande partie de la population s’appauvrit avec la crise, une autre s’enrichit très vite : pendant que de nombreux locataires doivent quitter des logements déjà petits faute de pouvoir payer les loyers, le marché des condominiums à 100 000 $, lui, est très florissant.. Mais tout ce discours permet de dresser les salariés, les travailleurs, les uns contre les autres.

Le courant néo-libéral, monétariste ou « supply-side » justifie pour sa part pleinement ces inégalités fondamentales en argumentant que ce sont les riches qui investissent et qui créent... la richesse ! Il faut donc, selon eux, libérer davantage les forces du marché, privatiser l’économie. On a vu ce que l’application de ces théories donnait en Amérique latine (Chili, Brésil, Argentine, etc.) ; on voit ce que cela est en train de donner en Angleterre et aux [10] États-Unis : chômage, appauvrissement, effritement du tissu industriel, dégradation des services sociaux, spéculation, etc. En Colombie britannique, immédiatement après la victoire électorale créditiste, le nouveau cabinet Bennett s’est fait « briefé » par le Fraser Institute, institut de recherche économique de Vancouver, adepte des théories néolibérales ; le résultat ne s’est pas fait attendre : quelques jours plus tard, l’annonce était faite que le quart des employés de la fonction publique serait bientôt licencié, plusieurs sociétés d’État vendues, et que plusieurs activités du secteur public seraient en tout ou en partie privatisées.

Dans presque toutes les provinces canadiennes — Québec y compris — mais à des niveaux différents, souffle ce vent de privatisation. Tout compte fait, c’est encore le gouvernement fédéral qui semble le moins engagé dans ce processus...

Et l’État ? Glorifié en tant qu’« État Providence » pendant les 30 années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, voilà que le grand Moloch montre ses dents et devient de plus en plus un « État disciplinaire » veillant au grain. De fait, on constate, dans la plupart des pays capitalistes occidentaux, un changement de forme dans l’intervention étatique : aujourd’hui, l’État devient — surtout en Angleterre et aux États-Unis, le phénomène étant beaucoup moins vrai au Canada à l’exception de certaines provinces — « non interventionniste ». Cela ne veut pas dire qu’il a cessé d’intervenir ou qu’il soit devenu neutre — il ne l’a jamais été. En abandonnant les politiques de régulation keynésiennes, et en déréglementant, légiférant et détaxant, il favorise directement la régulation sauvage par le marché, ce qui est une forme d’intervention, plus cachée mais plus forte. Ce faisant, il ne fait qu’aggraver et précipiter la crise.

L’adoption par les gouvernements occidentaux des politiques keynésiennes de 1945 à 1975 aura permis, dans les conditions favorables de l’après-guerre, de prolonger la période d’expansion en reportant — notamment via une inflation permanente — à plus tard les contradictions liées à l’accumulation du capital. En défendant les recettes keynésiennes classiques, certains économistes, et une partie de la gauche et du mouvement syndical, s’attachent donc en quelque sorte au passé ; mais en prônant et adoptant les politiques néo-libérales, les gouvernements ne font que nous ramener encore plus loin en arrière. La solution à la crise devra passer par une socialisation et une planification accrue de l’économie, et un plus grand contrôle démocratique de la vie sociale.

Crise économique, solutions politiques

Avec la montée de la droite et le renouveau du conservatisme, on parle souvent de crise de la gauche et du marxisme. Et il faut bien reconnaître que les attaques anti-syndicales, qu’elles viennent du patronat ou du gouvernement ont trouvé un écho certain dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’opinion publique ». L’entreprise de culpabilisation a porté fruit dans une large [11] couche de la population. Pourtant, le fait de réduire les salaires ne donnera pas plus d’emplois à personne...

Mais la logique du marché — car le marché a une logique, faite de rendements, de compétition, de survie individuelle et de court terme — semble imposer sa loi et modeler les comportements. Elle pénètre même dans nos organisations, groupes populaires, syndicats, médias « alternatifs » ou de quartier et finit par susciter mille questions et problèmes de fonctionnement (comment être « compétitif » ? comment trouver les revenus nécessaires ? comment ne pas toujours donner la parole aux mêmes spécialistes ? y a-t-il des compromis à faire ? jusqu’où ?). Et là, il n’y a pas de recettes miracles ; seule la compréhension de la situation et des enjeux pourra permettre de passer à travers.

En attendant, dans l’immédiat, le terrain est propice pour des recherches de solutions individuelles ; une sorte de fatalisme s’installe : « c’est comme ça, on n’y peut rien » ; ainsi va la vie, ainsi va la crise ? Et puis la situation est incertaine ; chacun craint pour son emploi et préfère se retrancher dans ses positions plutôt que de se lancer dans une action collective aux perspectives peu claires.

Cet immobilisme se nourrit aussi (surtout ?) d’une crise de perspective à gauche. Une fois passée la période euphorique de l’expansion, où tout semblait possible et le modèle de société relativement clair, la gauche se retrouve maintenant sans modèle, désillusionnée par les pays du « socialisme réellement existant », à la recherche de nouveaux rapports hommes/femmes, d’une autre organisation économique et sociale et d’une autre logique que celle de la productivité à tout prix, mais sans savoir laquelle exactement, et aux prises avec un héritage d’habitudes de vie et de consommation que l’on tente à la fois de reproduire et de combattre. Quel socialisme ? quelle démocratie ? comment y arriver ? Voilà de plus en plus les questions qui se posent au point de paralyser toute activité... Et comment, en outre, concilier la lutte contre le capital avec le fait de vivre quotidiennement dans une société régie par le marché ?

D’une certaine façon, cette crise de la gauche au Québec revêt deux aspects : effet de la crise économique, d’un certain conservatisme ambiant, d’une certaine insécurité et dépolitisation d’une part, mais aussi mûrissement : volonté de ne pas répéter les erreurs du passé, d’éviter l’activisme tous azimuts, de rester concret, d’avoir « un caractère de masse », de lutter efficacement contre la droite, de laisser les gens faire leur cheminement, etc. Mais cette démarcation face à un passé récent prend parfois le dessus sur les perspectives de lutte. Ainsi a-t-on vu le Mouvement Socialiste (MS) rester d’une prudence extrême face aux questions d’organisations, du rôle de ce mouvement, etc. Aux prises avec des querelles internes entre une aile « radicale » et une aile « sociale-démocrate » (pour simplifier), en plus de nombreux « hors-courant », le MS aurait connu récemment une hémorragie de ses membres. Le MS semblait pourtant, apparemment du moins, la formation la plus apte à cristalliser ce mécontentement populaire qui grandit et à lui donner une [12] expression politique. Car, on ne le répétera jamais assez : la solution à la crise n’est pas qu’économique, elle est d’abord politique. Et bien que les élections ne soient qu’un moment dans la lutte politique, ne pourrait-on pas commencer, dès maintenant, à envisager la possibilité qu’une coalition d’organisations politiques, féministes, écologistes, populaires, etc., présente des candidatures autour de certaines revendications et propositions communes aux prochaines élections ?

Quant au mouvement syndical, s’il est vrai qu’il a parfois eu tendance à adopter certaines attitudes corporatistes (il faut en débattre et ceci fait d’ailleurs l’objet de discussions à l’intérieur du mouvement syndical) et si, sans doute, de nouvelles stratégies sont nécessaires, il n’en demeure pas moins que le mouvement syndical reste le principal agent de changement social et de maintien des libertés démocratiques. La perte de « popularité » du syndicalisme auprès de l’opinion publique depuis quelques années ne devrait pas nous étonner : quand on pense à l’énormité des moyens dont disposent le gouvernement et le patronat, au discours tenu par les médias d’information et à la quasi absence de riposte syndicale à ce niveau pendant très longtemps (avant le Front commun tout au moins), on devrait même se dire que le mouvement syndical fait bonne figure !

À l’intérieur du mouvement syndical et de la gauche sociale-démocrate est apparu et s’est renforcé depuis quelques années un courant prônant la concertation entre syndicats, gouvernement et patronat comme voie de solution à la crise et moyen d’arriver au plein emploi. La Suède et l’Autriche sont données en exemple. Il est vrai que dans ces pays, le taux de chômage est sensiblement inférieur à celui des autres pays occidentaux. Mais nous pensons que cette situation s’explique par des raisons historiques et sociales particulières et ne saurait être généralisée. Nous aurons l’occasion dans nos prochains numéros de revenir sur cette discussion fondamentale, y compris d’ouvrir la revue aux défenseurs de ce courant (de la même façon que nous voulons ouvrir la revue à toute discussion dans la perspective d’une transformation sociale).

Où allons-nous ?

De quoi demain sera-t-il fait ? où allons-nous ? Rien n’est joué, rien n’est fatal. Mais il existe une dynamique de l’accumulation du capital qui, si on la laisse à l’œuvre, conduira, elle, inévitablement, à une nouvelle aggravation de la crise — ceci dit sans vouloir être catastrophiste. C’est cela qu’il faut comprendre pour voir l’urgence d’élaborer et d’en arriver à un changement social, à la prise en charge de la société par les travailleuses et les travailleurs eux-mêmes, en fonction de leurs besoins.

Une solution capitaliste à la crise, via une baisse encore plus draconienne des conditions de vie et des conditions de travail, passerait par des attaques — et des défaites — encore plus vives contre le mouvement ouvrier. Malgré des tentatives en ce sens, et malgré des coups sévères encaissés récemment par le mouvement [13] syndical (6 et 5% à Ottawa, lois 68-70-72-105-111 au Québec, coupures draconiennes et licenciements en Colombie britannique, fermetures massives d’usines à travers le Canada, accroissement du travail à temps partiel et de la précarisaton de l’emploi, etc.), on ne peut parler de défaite avec un grand D ni de démobilisation totale. Ainsi, dans le secteur privé se structure un mouvement de refus des concessions (Chrysler) et des grèves éclatent encore à plusieurs endroits ; en Colombie britannique, une manifestation syndicale a rassemblé 25 000 personnes à Victoria en plein mois de juillet contre les mesures d'austérité du gouvernement Bennett ; en mai dernier, la grande marche pour l’emploi avait déjà réuni 30 000 personnes à Montréal... L’absence prolongée d’alternative politique aurait cependant comme effet de favoriser la démoralisation et la démobilisation ; le Front commun 82-83 au Québec en est un bon exemple..

Mais au-delà de l’échéance électorale, de quelle organisation avons-nous besoin ? D’un parti traditionnel, se présentant aux élections tous les 4 ans, en espérant accéder au gouvernement et apporter quelques réformes ? d’une organisation « d’avant-garde menant les masses à la victoire » ? d’un mouvement large rassemblant féministes, écologistes, socialistes de toutes tendances et tout mouvement d’opposition progressiste et démocratique ? d’une organisation liée aux centrales syndicales ou au contraire indépendante ? Il semble que, moins que jamais, la gauche québécoise — et canadienne, quoi que la présence du NPD modifie les données du problème au Canada anglais — n’ait réussi à trouver la réponse à cette question. Il est pourtant impérieux qu’on la résolve : les choses ne changeront pas toutes seules...

La revue

Les stratégies de « sortie de crise » utilisées par les gouvernements ne sont pas partout les mêmes : alors qu’aux États-Unis et en Angleterre, on adopte des solutions néo-libérales dures en adoptant des politiques monétaristes et en laissant le marché éliminer les « canards boiteux » et réglementer seul l’activité économique, le Canada adopte une position plus « étatiste », interventionniste et gra-dualiste, en ré-orientant consciemment la restructuration à coups d’incitations. Nous nous sommes déjà penchés, dans les numéros 8 et 9 de le revue, sur les politiques économiques adoptées au Canada et au Québec ; dans le numéro 10, nous avons analysé la politique extérieure du Canada. Dans ce numéro, nous abordons maintenant les politiques économiques canadiennes et la restructuration en cours. Nous avons divisé ce dossier en trois blocs :

1. - Les finances publiques ;
2. - Les politiques économiques et la restructuration ;
3. - L’emploi.

Dans la première section, nous publions une analyse des deux derniers budgets fédéral et provincial, endossée par le collectif de la revue. Ginette Dussault et Claude Rioux critiquent pour leur part le discours dominant sur les finances publiques en prenant partie pour l’intervention [14] de l’État dans l’économie, tandis que François Moreau montre que le gouvernement du Parti québécois a pratiqué, dès le début, une politique d’austérité et commente le rôle de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, qui, selon lui, loin de défendre les intérêts collectifs des Québécois, sert plutôt ceux des capitalistes.

Dans la deuxième section, Christian Deblock analyse les méandres de la politique économique canadienne depuis une quinzaine d’années et met en évidence la « stratégie des petits pas » que mène le gouvernement fédéral pour restructurer l’économie ; c’est ce mouvement de restructuration et d’aquisitions-concentration industrielle que l’on constate depuis quelques années que Yves Bélanger et Pierre Beaulne analysent quant à eux en le mettant en parallèle avec les manœuvres constitutionnelles d’Ottawa.

Dans une dernier bloc consacré à l’emploi, Diane Tremblay examine les politiques de formation du gouvernement fédéral, éléments majeurs des politiques d’emplois, et montre que celles-ci, loin de préparer aux emplois de demain, ne font que camoufler une partie du chômage. Enfin, B. Ramirez analyse la politique d’immigration canadienne.

Cette section sur l’emploi trouvera son prolongement dans le prochain numéro de la revue dont le dossier sera consacré à cette question.

Nous publions également dans ce numéro une entrevue de l’économiste français Michel Beaud qui, de passage à Montréal l’année dernière, nous a livré ses analyses et réflexions sur l’avenir du capitalisme... et du socialisme ; réflexions qui rejoignent, en partie, celles dont nous venons de faire état.

Voilà une texte de présentation un peu long par rapport aux quelques paragraphes auxquels nous avons habitué nos lecteurs et lectrices !

C’est que nous avons jugé essentiel de faire en quelque sorte le point sur la situation, afin de mieux situer le projet qui anime le collectif de la revue (et d’y voir clair, comme dirait l’autruche qui orne notre affiche — cf. p. )

C’est à la fin des années 70 que sont apparues un grand nombre de nouvelles revues « alternatives » touchant différents sujets tels : le logement, le mode de vie, l’écologie, le féminisme, etc. « Interventions Économiques » est né dans ce que l’on pourrait appeler cette « mouvance ». Elle est née de la nécessité que nous ressentions — et qui apparemment correspond bel et bien à un besoin puisque la revue se vend et que le nombre d’abonnés augmente ! — de permettre la diffusion d’un autre discours que le discours dominant sur le terrain de l’économie et de la critique de l’économie politique, de proposer des analyses, des dossiers, des remarques sur l’actualité, etc. Beaucoup n’y ont pas cru. On nous donnait pour mort à chaque numéro... Et pourtant, nous sommes encore là, en vie et en grande forme, avec plein de projets en vue !

Notre projet global reste fondamentalement le même : critiquer le discours dominant, tant [15] dans la théorie que dans l’analyse de l’actualité, offrir des perspectives, des alternatives, s’ouvrir aux débats. Si le collectif se situe dans sa majorité sur le terrain du marxisme et prône une société socialiste, tous les articles publiés dans la revue ne se situent pas forcément sur ce terrain. Le marxisme est une méthode d’analyse, pas un dogme ; le socialisme, un projet de société, un objectif.



En publiant la revue, en plus d’ouvrir le débat à des horizons nouveaux, nous apportons notre contribution au combat pour un changement social au Québec ; contribution qui se situe forcément à un niveau particulier, c’est-à-dire intellectuel. Démarche essentielle, tant il est vrai que l’économie a presque toujours été l’apanage de la droite. Dans cette démarche, nous ne sommes, soulignons-le, pas seuls : nos ami-e-s de l’Association en Économie Politique (AEP) poursuivent essentiellement les mêmes buts, de manière quelque peu différente, et nous entretenons avec eux des rapports cordiaux, comme nous entretenons également des rapports étroits avec les [16] collectifs de certaines autres revues (Conjoncture politique au Québec, Cahiers du Socialisme, etc.). Si cette démarche est essentielle, elle n'est bien sûr pas suffisante. Mais les membres du collectif, comme les collabora- teurs/trices ponctuels, assument souvent des rôles et responsabilités à d’autres niveaux : syndical, politique, etc. (sans que tout le monde soit d’accord sur tout, bien loin de là !)

Nous ne prétendons donc pas offrir une analyse et une orientation, si « juste » soit-elle. Sauf les textes signés nommément par le collectif, les articles n’engagent d’ailleurs que leurs auteurs... Nous tenons par contre à présenter des analyses à contre courant du discours économique dominant.

Sur ce, bonne lecture !

Le Collectif



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 9 novembre 2021 18:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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