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Présentation (no 17)
Le texte qui suit a été publié dans le bulletin de l'association des Etudes canadiennes. Il s'agissait alors de présenter la revue et de faire un bilan. Comme il arrive fréquemment dans ce genre de circonstances, l'occasion était belle de prendre un certain recul par rapport à l'état actuel des choses compte tenu des objectifs qu'avait le collectif au départ du projet voici maintenant huit ans. À titre de point de repère, et qui sait d'objet de critique, il nous semblait opportun de publier aussi ce texte dans la revue.
Le projet d’une revue critique d’économie politique québécoise prit forme et consistance en 1978 par la création d'Interventions critiques en économie politique. L’occasion en fut donnée par la tenue d’un colloque d’étudiants de science économique des trois cycles universitaires, à Trois-Rivières, cette même année. De cette rencontre ressortirent diverses expressions d’insatisfaction, face d’une part à l’enseignement dispensé par les départements québécois de science économique, et face à la science économique elle-même, d’autre part. Certaines critiques énoncées alors concernaient la préparation à l’intégration au marché du travail à la fin des études. On reprochait l’insistance trop marquée de l’enseignement sur la théorie, au détriment de l’apprentissage des techniques de recherche notamment. D’autres participants accusaient le discours économique de manquer de réalisme et de se complaire dans une abstraction fumeuse, sans rapport avec le vécu et l’expérience concrète. Sans nier complètement la pertinence de ces objections adressées à la science économique, et à son enseignement, une troisième avenue critique ne concernait pas tant l’irréalisme de la théorie ou les lacunes de la formation professionnelle que la vision sociale et politique du monde que véhicule la science économique, et ce de manière largement implicite. Ce dernier point de vue rallia ceux qui [7] prirent alors l’initiative de fonder une nouvelle revue d’économie politique sur la base d’un accord assez général autour d’un projet socialiste de société.
Quelques huit années plus tard, on peut tenter un bilan provisoire de cette expérience. Sur la scène du monde d’abord, bien des événements ont défilé. N’évoquons ici que ceux qui ont fortement secoué les économies capitalistes avancées et qui ont abouti en 1981-1982 à la plus profonde récession depuis celle des années trente ; le Québec et le Canada étant particulièrement touchés par celle-ci, du fait de leurs sérieuses déficiences structurelles. La reprise engagée depuis ne trompe guère, du fait notamment qu’elle n’est pas parvenue à régler le grave problème du chômage, ni à assurer les conditions d’une nouvelle expansion durable. Un des avatars de ces difficultés chroniques a été le triomphe, partiel et temporaire sans doute, d’idéologies sociales et politiques conservatrices. Sur le plan économique, les thèses néo-libérales ont gagné du terrain et ont informé nombre de politiques d’États pris au piège d’une double crise financière et de légitimité. Pour l’essentiel, ces thèses réaffirment la foi séculaire des économistes dans la main invisible, en même temps qu’elles appellent paradoxalement, à une intervention musclée contre les « rigidités » qui en bloquent le fonctionnement naturel.
Pour ce qui est de la revue et de son projet d’analyse et de critique, notons en premier lieu qu’elle a survécu. Ce qui est déjà beaucoup, étant donné le contexte idéologique et économique de ces années et l’existence éphémère que connaissent habituellement de telles entreprises pour lesquelles le succès commercial ne va pas de soi, parce qu’il n’est pas recherché pour lui-même, et parce que leur caractère exigeant les confine irrémédiablement à une certaine marginalité. Ne voulant pas être une « revue savante » universitaire dont la survie ne tient qu’aux subventions et aux lecteurs captifs, Interventions critiques en économie politique a cherché sa voie propre entre cette alternative et celle du journalisme économique. Sans sacrifier à la rigueur et à l’approfondissement théorique, cette revue d’analyse a cherché une pertinence propre. Sans prétendre que la réponse définitive a été trouvée, il semble qu’une conception viable du projet de départ a été finalement concrétisée à partir du numéro 8, au printemps 1982. La formule des deux, et parfois trois numéros par année a été continuée, mais en même temps la revue a fait peau neuve. D’une part, un changement de nom est survenu : la revue s’appelle maintenant Interventions économiques, avec comme sous-titre pour une alternative sociale. La présentation a également pris un caractère plus soigné, plus professionnel, en quelque sorte. Mais les transformations touchent plus que l’emballage, car d’autre part la revue a cherché plus d’accessibilité, sans sacrifier à l’exigence de rigueur. En outre, et sans négliger les rubriques habituelles sur l’actualité, les débats et les nouveaux livres, le dossier a pris davantage d’importance dans chaque numéro. Ce dossier vise deux objectifs : il aborde l’étude détaillée d’un thème, à partir d’articles [8] qui en scrutent différents aspects ; il cherche en plus à conférer une durabilité accrue à chaque parution, dans la mesure où le dossier constitue une référence précieuse pour l’étudiant et le chercheur intéressés par le thème abordé. Mentionnons ici quelques-uns de ces dossiers en commençant par les plus récents : le numéro 16 s’intitule Développement : la crise des modèles. Il s’intéresse d’abord aux difficultés sérieuses des pays du Tiers-Monde, au premier rang desquelles figure un endettement quasi insoutenable ; puis il pose certaines questions sur la nature du sous-développement et sur les options de développement porteuses d’avenir. Le numéro 14/15 traite des politiques industrielles dans les pays capitalistes avancés, en insistant particulièrement sur les cas québécois et canadien ; le numéro 12/13 pose la question de l’emploi, en s’interrogeant sur les nouvelles réalités, celles du temps partiel et du travail précaire en général, notamment ; le numéro 11 aborde la crise et les politiques économiques conçues pour y faire face ; sous le titre de « la filière canadienne », le numéro 10 examine le rôle du Canada dans la division internationale du travail ; l’agro-alimentaire au Québec fait l’objet du dossier du numéro 9 ; tandis que le numéro 8 envisage la question régionale au Québec.
Les projets de thèmes à venir ne manquent pas. Le numéro 17 s’intéresse à l’État en mutation et le numéro suivant portera sur le travail précaire. Par ailleurs, parmi les idées exploratoires, le travail des femmes et la technologie sont fortement considérés pour les dossiers des numéros ultérieurs.
Le tournant engagé à partir du numéro 8 tenait compte d’une préoccupation qui, sans avoir été absente par le passé, ne s’exprimait pas si manifestement dans le contenu des parutions. Il est devenu primordial pour le collectif de rédaction que le dossier explore la dimension des alternatives pratiques, et non pas seulement théoriques, et ce particulièrement en rapport aux politiques économiques des gouvernements. La revue doit être une tribune qui permette l’exploration et l’exposition d’avenues possibles de changements économiques et sociaux qui aillent dans le sens d’une véritable démocratisation. Ce qui ne peut évidemment se faire si on exclut au départ le souci démocratique dans la conception et l’exécution de tels changements, sous prétexte de la naturalité du capitalisme ou de la nécessité historique inéluctable du socialisme.
Interventions économiques se veut donc une revue ouverte. Concrètement, l’équipe de rédaction fait appel à des contributions extérieures individuelles ou de groupes spécialisés dans des champs qui font l’objet d’un dossier prévu au sommaire de la revue. L’orientation du contenu est progressiste de manière générale, ce qui n’exclut pas les débats et les désaccords théoriques et politiques entre les collaborateurs. Pour le collectif, l’important est de maintenir la discussion sur les alternatives, théoriques et pratiques, et tout spécialement à une époque où une telle volonté paraît condamnée à la marginalité.
Le Collectif
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