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Présentation (no 25)
Le Collectif
Le présent numéro de la revue Interventions économiques fait suite au numéro précédent portant sur le thème de l’emploi et de la concertation. Nous traitons ici de l’évolution récente de l’emploi au Québec et au Canada, en nous intéressant à différents aspects de cette problématique, en fournissant des données sur les évolutions observées et en présentant des éléments relatifs aux politiques de l’emploi, en particulier en ce qui a trait à la formation professionnelle et à l’aménagement du temps de travail, deux thèmes de débat particulièrement importants à l’heure actuelle.
Le premier texte, soit celui de Diane-Gabrielle Tremblay, présente les principales transformations intervenues sur le marché du travail au cours des dernières années. La progression du chômage et de la précarité d’emploi sont les principaux thèmes abordés, car ce sont là les principaux phénomènes observés au Québec et au Canada, comme dans un certain nombre d’autres pays industrialisés. De plus en plus, compte tenu de la persistance du chômage, le Québec peut être considéré comme une société à chômage chronique élevé. Le texte traite également des effets de la récession de 1990-1992 sur le marché du travail, plus particulièrement du point de vue du chômage, des licenciements, et des groupes touchés. On y souligne aussi que les femmes et les jeunes sont les groupes les plus touchés par la différenciation des formes d’emploi et la précarité.
Diane-Gabrielle Tremblay analyse ensuite le problème de l’économie québécoise de manière plus générale pour mettre en [8] lumière les facteurs explicatifs des situations de chômage et de précarité observées. Le contexte actuel en est un où la croissance économique ne produit pas suffisamment d’emplois pour enrayer le problème du chômage, c’est donc fondamentalement un problème de développement économique et d’absence d’intervention ou d’intervention insuffisante en matière d’emploi.
Le texte de Madeleine Gauthier s’intéresse ensuite à la situation spécifique des jeunes sur le marché du travail. Faisant appel aux données de l’enquête sur l’activité de Statistique Canada, qu’elle a étudiées en détail, l’auteure examine la situation des jeunes en regard de celle de leurs aînés, puisque cela permet de mettre en relief les particularités de la situation de chacun. La place que les aînés occupent dans la structure sociale, entre autres sur le plan de l’emploi, a évidemment une influence sur celle qui revient ou qui reste aux jeunes, comme le note l’auteure. Le texte montre qu’en plus de subir les contrecoups des difficultés liées à la conjoncture économique, ainsi qu’à la dissolution des ménages notamment, les jeunes qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail doivent concurrencer ou se mesurer à leurs parents et ils connaissent des difficultés à cet égard. En effet, leurs parents ont été le premier groupe d’âge à accéder aussi massivement à des emplois qualifiés, et cet accès est loin d’être assuré à leurs enfants. Il est intéressant d’étudier la situation actuelle des jeunes sur le marché du travail, ainsi que la façon dont se dessinent les rapports entre groupes d’âge par le biais de ce qui constitue sans doute le déterminant le plus important pour la jeunesse québécoise, soit le problème de l’accès à l’emploi ; c’est ce que l’on retrouve dans le texte de Madeleine Gauthier.
L’auteur analyse l’effet des transformations intervenues sur le marché du travail sur les jeunes en tenant compte des répercussions qu’elles peuvent entraîner dans les relations avec les autres groupes d’âge. On note bien sûr la précarité importante et l’absence d’avantages sociaux qui caractérise souvent les emplois des jeunes. Les différences observées entre les groupes d’âge au cours des années 1980-1990 conduisent à s’interroger sur les transformations possibles des rapports sociaux si la tendance se maintient.
Un aspect important de l’évolution de l’emploi n’a pas été abordé directement dans un article spécifique de ce dossier et c’est l’emploi des femmes. La progression des femmes est sans doute l’un des phénomènes les plus marquants, sinon le plus important, de l’évolution du marché du travail au cours des dernières décennies. L’emploi rémunéré n’est de toute évidence pas la seule [9] forme de travail, et les femmes ont évidemment toujours contribué, par leur travail, à la production de valeurs économiques. Cependant, leur entrée dans l’emploi salarié marque l’un des changements majeurs de notre époque et c’est sans doute également l’un des défis les plus importants, non seulement pour les femmes elles-mêmes, mais pour l’ensemble de la société. Bien qu’il n’en ait pas été question dans un texte spécifique, les réalités du chômage et de la précarité d’emploi abordées dans les deux premiers textes concernent tout autant, et même davantage dans le cas de la précarité d’emploi, les femmes présentes sur le marché du travail.
Le texte de Christian Payeur aborde pour sa part le thème de la formation professionnelle et des enjeux qui y sont associés. On le sait, les économies du Québec, du Canada et des États-Unis, connaissent des problèmes graves sur le plan de la compétitivité internationale et la formation professionnelle est souvent envisagée comme un prérequis important pour l’amélioration de la compétitivité de nos économies. Dans le nouveau contexte international dont il est d’ailleurs question dans ce numéro, les facteurs de compétitivité ne sont plus les mêmes. Les marchés de masse se transforment en des marchés de plus en plus segmentés, en raison de l’arrivée à maturité d’un grand nombre de secteurs d’activité, ainsi que de l’évolution des technologies. De ce fait, nombre d’analyses convergent pour affirmer que nous devons axer nos productions sur l’innovation, la qualité et l’exportation.
Pour ce faire toutefois, il faut une main-d’œuvre apte à innover et à produire de la qualité, et par conséquent des modes de gestion des ressources humaines appropriés. La formation des ressources humaines revêt une importance accrue dans un tel contexte, la formation de base et la formation professionnelle continue étant appelées à jouer un rôle important dans la performance économique des pays, comme dans la qualité des produits et le recyclage continu des travailleurs. Sous cet angle de l’éducation et de la formation également, le Canada et surtout les États-Unis devront faire certaines améliorations. À cet égard, les pratiques de formation professionnelle de certains pays, en particulier la Suède et l’Allemagne, sont souvent considérées comme un exemple à suivre. Christian Payeur étudie le dossier de la formation professionnelle en regard des pratiques « éducatives » qu’il conviendrait de mettre en œuvre.
Dans ce même contexte d’amélioration de la compétitivité des économies, mais aussi dans la perspective de trouver une solution au problème du chômage chronique, le débat sur le temps de travail [10] et l’organisation de la production a resurgi. Le débat sur l’aménagement du temps de travail et le développement du travail posté a repris de plus belle en Europe, et surtout en France, au cours des dernières années. Comme cette idée du développement du travail posté et d’une réorganisation de la production en conséquence apparaît comme une voie possible d’amélioration de la situation de l’emploi, le collectif de la revue a jugé bon d’inviter des spécialistes de cette question à exposer l’évolution du débat en France. Gilbert Cette et Dominique Taddei présentent donc la situation française ainsi qu’une analyse approfondie des enchaînements économiques associés au travail posté et à l’aménagement du temps de travail.
Ce texte est d’autant plus pertinent à l’heure actuelle que depuis quelques mois, le débat sur l’aménagement et la réorganisation du temps de travail a repris au Québec. Dans le contexte d’une croissance qui ne crée pas suffisamment d’emplois pour enrayer le chômage, ou tout au moins le réduire de manière significative, plusieurs groupes sociaux, syndicaux, communautaires et autres s’interrogent de nouveau sur les possibilités que cela pourrait présenter pour l’économie québécoise. En complément du texte de Gilbert Cette et de Dominique Taddei, sur la situation française et l’analyse économique de la réorganisation de la production et de l’aménagement du temps de travail, Diane-Gabrielle Tremblay présente une contribution au débat qui renaît au Québec sur ce thème depuis le début de 1994.
Enfin, une note d’actualité traite d’un autre sujet de débat important à l’heure actuelle, soit celui de la mondialisation. Au cours des dernières décennies, l’économie internationale a été le théâtre de bouleversements importants. L’intégration européenne, la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, la percée fulgurante des « nouveaux pays industrialisés », ainsi que la mondialisation des échanges entre entreprises et à l’intérieur même d’entreprises, sont autant de facteurs qui ont considérablement transformé les réalités économiques internationales. Les restructurations en cours dans l’économie nord-américaine témoignent clairement des contraintes que fait peser le nouveau contexte international sur les économies nord-américaines, tant celles du Québec et du Canada que celle des États-Unis.
Comparativement au groupe dit des « nouveaux pays industrialisés », les pays industrialisés de longue date font face à des défis d’envergure. Leurs économies ont atteint un certain stade de « maturité » qui les oblige à évoluer vers de nouvelles productions, [11] de haute qualité, si elles veulent pouvoir concurrencer les « dragons » de l’Asie du Sud-Est, dont les coûts de main-d’œuvre n’ont aucune commune mesure avec les nôtres.
En ce qui concerne plus spécifiquement le Canada et les Etats-Unis, un certain nombre de problèmes les ont plus particulièrement affligés au cours des dernières décennies : évolution défavorable de la productivité, des coûts de main-d’œuvre (surtout au Canada), déficit dans le commerce des produits de haute technologie (à valeur ajoutée), et faiblesse relative de la recherche et développement pour le Canada. Vincent van Schendel présente une synthèse des faits et des enjeux associés à la mondialisation des économies et des échanges.
Enfin, comme d’habitude, le numéro est complété par une rubrique de recensions de livres qui traitent de problématiques pertinentes en regard du thème de l’emploi en transition.
Nous en profitons pour souligner que le collectif envisage de réaliser au cours des prochaines années des numéros sur les thèmes des revenus (politiques de revenus, répartition des revenus), de l’économie et du développement local, ainsi qu’un numéro théorique sur l’économie politique, la socio-économie, etc. Si vous avez des propositions de numéros thématiques, ou encore si vous avez des textes à soumettre, n’hésitez pas à nous les faire parvenir.
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