Éditorial
LE GRAND RETOUR DU PERSONNALISME ?
Les absents ont toujours tort. Ceux qui n’étaient pas à la conférence donnée pour le CAPP par Thierry Verhelst ont raté l’occasion de découvrir un orateur qui va doublement de l’avant. Intellectuellement. Et humainement. Sans jamais délaisser aucun des deux termes de l’alternative.
Verhelst, devenu Thierry, a prouvé à Louvain-la-Neuve ce qu’il avait déjà montré sur la Première (Et Dieu dans tout ça ?) ou dans La Libre Belgique et ce qu’il allait confirmer sur la Deux (Noms de dieux) ou dans Dimanche : il est un homme de dialogue. Dialogue entre cultures. Dialogue entre spiritualités. Dialogue entre personnes, aussi, qui contribue à le ranger dans la famille des personnalistes affirmés.
Un personnalisme qui s’oppose à la fois à l’individualisme et au collectivisme.
Un personnalisme qui considère que la personne ne se réduit ni à un individu égocentré ni à une parcelle du collectif.
Un personnalisme qui refuse la séparation autant que la fusion : « L’idéal personnaliste est l’union entre des personnes qui conservent leurs identités propres et uniques, explique l’inspirateur de ce numéro de Perso. Le lien n’est pas le contraire du sujet autonome : il le constitue. Loin d’empiéter sur la souveraineté du moi, le lien à l’autre permet au moi d’exister. »
Et d’ajouter : « La morale personnaliste tient en une seule norme : deviens la personne que tu es déjà potentiellement. Pour atteindre cette fin, elle propose une voie : deviens une personne par ton entrée en relation avec autrui. Le personnalisme met l’accent sur une qualité de relation qui nous invite à sortir de ces comportements utilitaires qui font la froideur de l’individualisme marchand. » [1]
Cet individualisme marchand, la crise du moment contribue chaque jour davantage à élargir le cercle de ses détracteurs. De quoi étayer la thèse de ceux qui, comme notre interlocuteur, croient déceler dans nos sociétés les prémices d’un retournement intérieur, d’une « révolution » sans Grand Soir, d’un quadruple changement : culturel, spirituel, économique et social. De quoi, aussi, renforcer le poids de ceux qui ont pour projet de faire la jonction entre la vague un peu surfaite du « développement personnel » et l’authenticité d’une philosophie digne de ce nom.
Parmi eux, le plus qu’accessible Michel Lacroix, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise et auteur du tout récent Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel [2], qui défend l’idée que la vague en question aurait tout à gagner d’un élargissement en une « philosophie de la réalisation de soi ». Histoire de puiser « dans l’héritage des philosophes et des écrivains qui, depuis deux siècles, ont réfléchi au problème de l’existence. » Et l’auteur de renvoyer tout particulièrement à deux noms… Celui d’Abraham Maslow, qui considère que la société doit offrir à tous ses membres « la possibilité de se réaliser » [3]. Et surtout celui d’Emmanuel Mounier, qui appelle de ses voeux une « civilisation personnaliste […] dont les structures et l’esprit sont orientés vers l’accomplissement comme personne de chacun des individus qui la composent » [4].
Autant d’indices qui interpellent : le personnalisme amorcerait-il son grand retour ?
Christophe Engels
rédacteur en chef
[1] Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
[2] Lacroix Michel, Se réaliser. Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Robert Laffont, coll. Réponses, Paris, 2008.
[3] Maslow Abraham, The Farther Reaches of Human Nature, Penguin book, New York, 1994.
[4] Mounier Emmanuel, Manifeste au service du personnalisme, in OEuvres, tome I, Le Seuil, Paris, 1961.
|