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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard PIERRE-CHARLES, Haïti. La difficile transition démocratique. (1997)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard PIERRE-CHARLES, Haïti. La difficile transition démocratique. Canapé-Vert, Haïti, une publication du CRESFED, 1997, 39 pp. Une édition numérique réalisée par Wood-Mark PIERRE, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti et membre du Réseau des bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée par la direction du CRESFED le 11 juillet 2019 de diffuser ce livre, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Haïti. La difficile transition démocratique

Introduction

Depuis une dizaine d’années, la République d'Haïti connaît une véritable révolution démocratique qui se projette à l'extérieur avec ses particularités propres.

Il s'agit d'une révolution anti-oligarchique, soutenue par la très grande majorité, réclamant le suffrage universel, l'accès de tous à la citoyenneté, la justice sociale et le développement économique, dans le cadre d'un vaste projet de modernisation de l'État. Il s'agit d'un processus de mutation historique qui prend une importance de premier ordre dans le contexte caraïbéen d'après la guerre froide. Il s'agit d'un phénomène latino-américain malgré les facteurs structuraux et culturels intrinsèques, et en dépit du retard considérable d'Haïti sur ses voisins du Continent.

Nous avons souligné la signification du mouvement socio- politique haïtien au Congrès de l'Association latino-américaine de Sociologie (ALAS), en 1986, à Rio de Janeiro, quelques semaines après la chute de Jean-Claude Duvalier.

[8]

À cette occasion, nous avons fait ressortir l'importance de la participation populaire dans ce mouvement, la diversité des revendications, la mobilisation du peuple en faveur de la démocratie contre le totalitarisme duvaliériste.

Les composantes de ce processus, ainsi que le refus de suivre les leaders traditionnels et leurs faux partis, le discours populaire critiquant le système, tout cela laissait pressentir une véritable mutation en gestation.

Il était cependant impossible de prévoir les embûches et les difficultés que rencontrerait cette quête de la liberté. Toutefois, ce combat du peuple pour la justice et la liberté, poursuivant l'utopie latino-américaine, n'emprunta pas les grandes avenues de la légalité, encore moins les "sentiers lumineux" de la lutte armée. Il suivit un itinéraire rocailleux tout en zigzag, rempli de fausses pistes, de sables mouvants, hanté de vieux diables astucieux équi­pés d'armes sophistiquées; un terrain miné, semé de pièges par ceux qui affirmaient qu'avec "la fin de l'Histoire", il n'y avait plus d'issue et qu'il était inutile de rêver à des projets de changements.

Dans ce contexte, le peuple, les mains nues, défit les nœuds, jeta des ponts et utilisant tous les pouvoirs de son intelligence et réussit à canaliser en sa faveur les forces qui, hier encore, se mettaient au service de l'oppresseur.

Aujourd'hui, la victoire du candidat présidentiel de Lavalas, en assurant la continuité dans la légalité du projet démocratico-populaire, est le résultat d'une décade de lutte, avec ses reculs, ses échecs imprévisibles, et ses acquis.

Cette victoire souligne la richesse et l'ancrage profond de ce mou­vement pacifique de changement social, dans lequel se retrouvent plusieurs traits des révolutions anti-oligarchiques de type démocratique, national, populaire ou populiste, qui ont eu lieu en [9] Amérique latine, depuis le début de siècle et jusqu'aux années 60, en général de manière pacifique mais quelquefois violente, comme au Mexique (1910-1917), au Costa-Rica (1948) et en Bolivie (1953).

À ses débuts, dans les années 80, le mouvement haïtien présentait de nombreuses similitudes avec les mouvements qui ont suivi les chutes des régimes militaires totalitaires, en Uruguay, en Argentine, et au Chili. Il ressemblait aux processus d'Amérique Centrale caractérisés par de violents conflits sociaux, qui débouchèrent sur des confrontations militaires obligeant ainsi des organismes internationaux comme l'OEA, l'ONU et des pays comme le Mexique, la France, le Canada, l'Espagne, les États-Unis, à exiger le recours à la négociation comme voie de sortie.

À tout cela, il faut ajouter des caractéristiques propres au processus haïtien, entre autres; le poids de la participation populaire durant près d'une dizaine d'années de conflits politiques, au milieu de la crise du système social. Cette effervescence contestatrice rompit les schémas rêvés par d'autres, pour une démocratie "restreinte" et ouvrit la voie, à partir d'élections libres, à un gou­vernement choisi par la majorité ayant à sa tête un leader charismatique: le père Jean-Bertrand Aristide. Il recueillit plus de 67 pour cent des voix aux élections présidentielles de décembre 1990.

Un gouvernement légitime avec une forte base populaire s'installa et rompit les mécanismes de contrôle et d'exclusion des vieux moules de la "démocratie sous tutelle". Ce processus de vraie démocratisation provoqua une violente entreprise de restauration totalitaire de la part de l'Armée, bras répressif des secteurs les plus conservateurs de la société. Le coup d'État, durant trois ans, sembla bloquer la dynamique du changement. Toutefois, la signification globale de cette décade de mutation historique n'en fut pas altérée.

[10]

En effet, dans cette époque d'un Nouvel Ordre Mondial, le régime putschiste entra en contradiction avec les exigences concernant l'acceptation des résultats d'élections et le respect des principes des droits humains. L'existence du Gouvernement constitutionnel, l'appui international, la résistance passive mais tenace de tout un peuple mirent en relief ces contradictions. Celles-ci prirent une dimension particulière avec l'irruption des boat-people sur la scène politique nord-américaine.

Ceci bouleversa la traditionnelle relation d'aide mutuelle entre les forces les plus conservatrices des États-Unis et le secteur militaro-oligarchique haïtien. Celui-ci, fort de ses liens avec le Pentagone refusa de négocier une solution politique à la crise bien que l'établissement civil, (la Maison Blanche et le Département d’État) faisait des pressions en faveur de telles négociations qui auraient permis de conserver le système en place et de sauver l'institution militaire. À cause de cette attitude, le retour à la démocratie se réalisa par une intervention étrangère, celle des Forces Armées des États-Unis, conformément à la Résolution 940 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette opération, par sa préparation, son déroulement et son caractère multinational apparut comme une nouvelle entreprise de guerre psychologique. En effet, elle mit en branle vers la mi-septembre 1994, une armée de 20 mille hommes, équipée des armes les plus sophistiquées: croiseurs, porte-avions, avions de combat, hélicoptères; elle atteignit ses objectifs stratégiques et tactiques, sans qu'on ne dénombrât de part et d'autre aucune victime, aucun dommage matériel.

Cette intervention a été totalement différente des celles pratiquées sur le Continent, pendant un siècle, et qui consistaient soit en des opérations militaires camouflées (comme celles contre Cuba), ou encore des actions militaires sanglantes: en République Dominicaine, à La Grenade, au Panama.

[11]

Cette action avalisée par la présence de troupes de différents pays coïncida avec le mouvement historique de la nation haïtienne en faveur d'un État de Droit et du changement social. Elle ne fut pas dirigée contre le peuple, mais lui apporta son appui pour le retour au pouvoir du Président Aristide.

Elle a été reçue par un accueil populaire inusité. Elle favorisa les conditions propres à une "démocratie sous tutelle" qui arriverait à neutraliser les facteurs incontrôlables du dit processus et à dénaturer dans le sens du projet mondial néo-libéral, la lutte historique de la majorité pour sa souveraineté.

Il est donc indispensable de dégager les composantes de ce processus, pour comprendre sa complexité, et saisir toute sa richesse pour les Sciences politiques, ainsi que pour une étude des relations internationales, dans le continent américain en cette période de l'après-guerre froide.

Également, à partir de cette mise au point, on peut comprendre l'importance spécifique du cas d'Haïti. Ce poids paraît disproportionné par rapport à sa réalité de petit pays sous-développé, sans ressources naturelles, l'un des plus pauvres de la planète, devenu objet de l'attention mondiale.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 août 2019 10:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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