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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le politique en anthropologie: une anthropologie politique.” (1979)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Lise Pilon [Anthropologue, retraitée du département d’anthropologie, Université de Montréal], “Le politique en anthropologie: une anthropologie politique” . Un article publié dans l'ouvrage collectif intitulé: Perspectives anthropologiques. Un collectif d'anthropologues québécois, chapitre 12, pp. 191-216. Montréal: Les Éditions du Renouveau pédagogique, 1979, 436 pp. [Autorisation formelle de diffuser ce texte accordée, le 19 septembre 2005, par l’auteure, de diffuser tous ses travaux.]
Introduction

La définition du politique en tant que domaine d'étude distinct représente à la fois un projet ancien enraciné dans la philosophie politique et une spécialisation récente constituant le politique en objet de science. La philosophie politique a d'abord défini l'homme comme « animal politique » (Aristote) ou « être naturellement politique » (Hobbes, Machiavel, Rousseau). Elle indiquait par là que le conflit, les rapports de domination et de subordination, la compétition, l'ordre social constituent la « nature humaine ». Celle-ci, originellement bonne ou mauvaise, est inscrite dans la biologie de l'homme, fixée une fois pour toutes et, de ce fait, se trouve à l'origine de tous les phénomènes sociaux. C'est à elle qu'on se réfère pour expliquer le politique. L'ordre social étant confondu avec l'ordre naturel, l'État devient alors essentiel au maintien de l'ordre social. Dans une société où dominent encore les rapports féodaux, on attribue au pouvoir d'État une origine religieuse. La bourgeoisie, classe montante combattant idéologiquement la noblesse, remettra en question la forme de l'État et le type de légitimité sur lequel il repose tout en acceptant sa nécessité absolue pour la conservation de l'ordre social. 

La fin du 19e siècle et le début du 20' siècle marquent la création d'une spécialisation des sciences sociales, la « science politique ». Cette dernière se donne pour objet l'étude du politique sous la forme de l'État capitaliste dans les sociétés d'origine européenne où domine ce mode de production. Pour cette discipline, le politique, c'est l'État : non pas l'État en général, bien qu'elle se présente comme une théorie universelle du politique, mais l'État capitaliste, ses formes, sa structure, son fonctionnement, son développement. Comme l'économique, le politique est consacré en tant que domaine d'étude « en soi ». Ces deux sciences sociales prétendent étudier un aspect de la société capitaliste comme s'il était autonome, y cherchant des lois de fonctionnement spécifiques sans se référer à l'ensemble social ou à ses autres aspects pour l'expliquer. Pourquoi l'économique et le politique se sont-ils constitués comme objets de science et domaines d'étude « en soi » ? Cette question nous entraîne dans une réflexion sur les rapports entre la pratique scientifique en tant que production de savoir et la pratique sociale (type de société, classes sociales) qui pose les conditions de Production de ce savoir. 

Y a-t-il des caractéristiques propres aux sociétés capitalistes qui favorisent la constitution de sciences autonomes de l'économique et du politique ? 

Tout mode de production en général comprend trois -instances : l'instance économique constituée des forces productives et des rapports de production, l'instance politique et l'instance idéologique. Il constitue une totalité structurée par les relations des instances entre elles. L'instance économique est déterminante en dernière analyse, c'est-à-dire qu'elle explique l'ensemble d'un mode de production. Dans un mode de production spécifique, l'instance dominante est celle qui assure la reproduction du rapport de production fondamental. Elle peut être autre que l'économique mais, dans ce cas, sa dominance s'explique uniquement par la nature de l'instance économique dans ce mode de production. 

La dominance de l'instance économique caractérise le mode de production capitaliste. Cela signifie que la reproduction du rapport de production capitaliste (capital/travail) s'effectue dans la sphère économique, étant assurée par l'accumulation capitaliste. Ce rapport d'exploitation fondamental consiste dans l'appropriation, par la classe possédant le capital, d'une partie non rémunérée du travail de l'ouvrier, que Marx a appelée la « plus-value ». La création et l'appropriation de la plus-value s'effectuent au sein même du processus de production, ce qui explique la dominance de l'économique dans ce mode de production. Il en résulte une conséquence importante concernant la nature de l'instance politique : l'existence d'une autonomie relative, spécifique entre l'instance économique et l'instance politique dans ce mode de production [1]

L'instance politique n'est pas le reflet automatique de l'instance économique dans le mode de production capitaliste. Il peut y avoir un certain décalage entre l'évolution de la structure de l'État et celle de la structure économique. L'État peut se donner des règles de fonctionnement qui lui sont propres. Une forme étatique peut subsister longtemps après que les conditions économiques qui l'ont engendrée ont disparu. 

Dans le mode de production capitaliste, l'instance politique est subordonnée à l'instance économique. Le politique n'intervient qu'indirectement dans la reproduction du rapport d'exploitation, qui s'effectue dans le processus de production lui-même. Le politique et l'économique ont donc pu se constituer en domaines d'étude spécifiques parce qu'il existe une autonomie relative de ces instances dans le mode de production capitaliste lui-même, celle-ci se reflétant au niveau du savoir. 

L'anthropologie s'est d'abord définie par l'étude d'un certain type de société auquel on a attribué les épithètes les plus diverses à travers le temps (sociétés « primitives », « traditionnelles », « sous-développées ,, ou « Tiers Monde »). Ces sociétés prennent pour l'anthropologue la forme de totalités structurées où la parenté constitue un niveau de réalité privilégié pour l'analyse. L'étude de la parenté et des structures mentales rend compte du fonctionnement de ces sociétés. Pendant plusieurs décennies, ce centre d'intérêt reléguera au second plan les autres aspects de la réalité sociale. Le politique est alors confondu avec la catégorie très large d'« organisation sociale » regroupant de manière disparate autant les groupes de parenté que les associations volontaires, les groupes stratifiés, les classes sociales et les entités politiques. 

La création de l'anthropologie politique survient au moment où, sous l'impact du colonialisme, les sociétés étudiées par les anthropologues se restructurent en fonction d'une dépendance politique et économique envers l'extérieur. L'objet de cette discipline se constitue, non pas principalement à partir des nécessités du savoir, mais surtout en dehors de celui-ci, à partir de l'histoire des relations de l'Occident avec le reste du monde. L'histoire de l'expansion des sociétés capitalistes européennes formera le cadre dans lequel naîtra l'anthropologie politique. 

La période de conquête coloniale (1860-1885) est suivie d'une période de « mise en valeur » des possessions d'Afrique et d'Asie par la France et l'Angleterre. La « mise en valeur »consiste à déstructurer les économies traditionnelles pour y implanter le capitalisme. Ce processus requiert une domination politique directe pour mettre en place l'infrastructure économique nécessaire à cette implantation. 

Au début du siècle, les puissances coloniales doivent affronter des résistances et mater des révoltes chez les peuples colonisés. Elles décident alors de réaligner leur politique et de libéraliser le régime pour éviter le cycle révolte-répression. L'Indirect Rule [2], instaurée entre les deux guerres, préconise une politique de collaboration, déléguant aux chefs locaux la collecte des impôts et l'arbitrage des conflits sur leur territoire. L'application de cette politique exige une connaissance précise des institutions locales et de tout ce qui a trait au politique dans les sociétés colonisées. Le mot d'ordre Find the Chief !, lancé aux anthropologues par les administrations coloniales trouve ici sa résonance. L'anthropologie tâche de produire un savoir sur les sociétés colonisées afin d'orienter les politiques des administrateurs. 

Les changements survenus sur la scène mondiale à partir de 1960 rendent possible la constitution d'une nouvelle anthropologie politique encore en formation. Les luttes des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine pour l'indépendance et le développement, le renouvellement des études marxistes après 1956 en Europe occidentale, la crise économique et sociale des pays capitalistes avancés ont ouvert la voie à une nouvelle anthropologie utilisant le matérialisme historique comme cadre d'analyse. 

Il faut garder présent à l'esprit que l'anthropologie politique prend la forme d'un projet plutôt que d'une réalisation. A l'énumération des connaissances et des acquis de ce champ d'étude, nous devons ajouter celle de ses lacunes et de ses insuffisances. Avec Balandier, nous pouvons dire que la connaissance et la maîtrise scientifique de la diversité des systèmes politiques constituent plus un idéal à atteindre qu'une réalité. 

Le problème de l'insertion de l'anthropologie dans la pratique sociale se pose actuellement avec beaucoup d'acuité, encore plus peut-être pour l'anthropologie politique. Cette discipline peut-elle nous aider à comprendre les transformations politiques actuelles ? Quelle position les anthropologues doivent-ils prendre face à ces transformations ? Quel rôle joue l'anthropologie politique ? Qui sert-elle et qui doit-elle servir ? A-t-elle un champ autonome d'étude ? 

Nous ne prétendons pas répondre à toutes ces questions dans le cadre de cet article puisque le débat reste ouvert et qu'aucune réponse définitive ne peut être apportée. Nous dresserons un bref bilan de ce que nous apprend l'anthropologie politique sur la diversité des phénomènes qu'elle étudie. La première partie de notre essai exposera les différentes orientations ayant participé à une définition théorique du politique. Les typologies proposées en vue de la classification des systèmes politiques seront discutées et critiquées dans la seconde partie. La troisième partie posera des jalons pour une nouvelle anthropologie politique se situant dans le cadre d'analyse du matérialisme historique.


[1] POULANTZAS, Nicos, Pouvoir politique et classes sociales. Petite collection Maspero, tome II, Paris, Maspero, 1968, p. 165.

[2] L'Indirect Rule ou domination coloniale indirecte se distingue de la domination coloniale directe par le fait que le colonisateur accorde aux peuples colonisés une autonomie politique dans la gestion de leurs affaires internes.


Revenir à l'auteur: Jacques Brazeau, sociologue, Univeristé de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mardi 21 février 2006 18:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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