Introduction
Quand on aborde l'étude de l'Inde, on est frappé par la grande diversité des formes sociales qui coexistent, s'entremêlent et se superposent pour former un ensemble particulièrement complexe. Le système de castes et le caractère universellement religieux de la vie sociale en constituent l'armature principale.
Les anthropologues britanniques se sont intéressés à la vie sociale et à l'histoire indienne dès la fin du XIXe siècle pour y trouver des matériaux utiles à la démonstration de leurs théories évolutionnistes. Dans une perspective synchronique, les fonctionnalistes britanniques, américains et indiens ont multiplié les monographies de tribus et de communautés villageoises en mettant l'accent sur l'étude de la parenté, de la religion et du système de castes. Ces monographies ont fourni une description du système social des petites communautés isolées ou relativement fermées sans pour autant nous permettre une compréhension globale de la vie sociale indienne. Si l'isolement de certains groupes et la fermeture relative des villages indiens justifient dans une certaine mesure une approche micro-sociale et synchronique, la généralisation de cette approche aboutit à présenter un pays aux structures sociales figées, caractérisé par la stagnation, autrement dit sans histoire.
La prédominance du fait religieux et l'origine religieuse de la plupart des textes conservés du passé, la succession des conquêtes et des dynasties ont conduit un certain nombre d'historiens occidentaux à une conclusion semblable : l'histoire indienne est celle de l'alternance des conquêtes et de la stagnation.
Pour comprendre la spécificité de la société et de l'histoire de l'Inde, il est nécessaire de procéder à une étude matérialiste qui mette en lumière, au-delà de l'ésotérisme, comment se sont développés les principaux groupes qui l'ont constituée, quels modes de production ont existé, comment ils se sont transformés, quand et dans quelles conditions l'État est apparu et finalement, comment se sont formées les classes sociales et comment elles s'articulent au système de castes.
Cet objectif présente un grand nombre de difficultés quand on l'applique à l'histoire de l'Inde. Cette histoire plusieurs fois millénaire repose à la fois sur des sources archéologiques et écrites. Un nombre considérable de sociétés ont formé ce pays : certaines n'ont laissé que des vestiges matériels, d'autres ne sont connues que par leurs écrits sans que les recoupements soient toujours possibles. L'omniprésence du phénomène religieux constitue un second obstacle. En général, les textes écrits prolifèrent en récits mythiques et descriptions rituelles mais fournissent peu de renseignements sur la vie économique et sociale des peuples de l'Inde ancienne. Les grands textes historiques comme les Veda, les Brahmãnas, les Upânishad et les Purãnã ont été écrits a différents moments historiques par des brahmanes dans un but religieux, sans aucun souci de l'histoire objective qui n'a aucune existence réelle pour eux. Les développements récents de l'archéologie et une meilleure connaissance des textes historiques ont amené un certain nombre d'historiens indiens à tenter une explication matérialiste de leur histoire.
La formation de l'État, la constitution d'un système de caste et l'analyse du rôle joué par le phénomène religieux forment les principaux problèmes auxquels est confronté celui qui étudie l'histoire de l'Inde. Notre étude a pour but de mettre en lumière les facteurs qui ont contribué à l'émergence d'un État tributaire en Inde au Nord au Vle siècle avant notre ère. La controverse sur le type de société auquel appartient l'Inde, chez les marxistes, fera l'objet de la première partie. Nous esquisserons ensuite une interprétation du passage du pastoralisme à l'État tributaire chez les Arya du Nord de l'Inde.
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