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Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue. (1995)
Introduction générale
L’Abitibi-Témiscamingue, aux portes du Nord et de l’Ontario, a longtemps été considérée comme la dernière frontière du Québec habité. La représentation caricaturale que l’on s’en faisait en tant que pays de ressources et d’aventuriers n’a pas totalement disparu, malgré les assauts du cinéma démystificateur des années 1970. Rappeler son passé, c’est replacer dans leur contexte dynamique les étapes qui ont façonné son visage particulier. Entre l’Abitibi des misères et le projet utopique de l’élite qui en faisait un royaume nordique, il y a toute une gamme de vécus dont la trame contribua à créer un milieu social et humain souvent méconnu.
L’Abitibi-Témiscamingue, c’est un concentré du Québec méridional, de ses projets, de ses échecs. C’est aussi l’Abitibi minier, effervescent, avec ses villes-champignons et ses populations bigarrées : un peu du Nord, un peu de l’Ouest canadien. Ce pays pionnier présente un écheveau de réalités bien différentes. Après 1950, l’enracinement de la population et la conscience d’appartenir à une région au faible poids démographique et partant, politique, fourniront de nouveaux repères explicatifs de l’identité régionale.
En un sens, le découpage de frontières régionales est un geste artificiel. Le sentiment d’appartenance relève davantage de l’histoire commune de populations vivant sur des territoires aux frontières parfois mouvantes que de la géographie ou de la volonté gouvernementale. La longue période précédant la colonisation s’étire sur des millénaires et les frontières actuelles n’ont aucun sens en regard de la dynamique des populations d’alors pour qui les rivières constituaient la voie privilégiée de pénétration des territoires. Longtemps, on identifia cette région comme le Nord-Ouest du Québec. Après avoir évolué parallèlement, les deux entités de l’Abitibi et du Témiscamingue seront finalement reliées entre elles avec l’ouverture des villes minières. C’est en tenant compte de toutes ces réalités que l'Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue s’est écrite.
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Les limites territoriales couvertes par cette étude sont celles de la région administrative 08 qui regroupe pratiquement tout le territoire des régions du Témiscamingue et de l’Abitibi. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que s’amorce la colonisation du Témiscamingue, alors que la région abitibienne ne commence à se développer qu’à partir de 1912, grâce à la construction du chemin de fer Transcontinental. Cet immense territoire était depuis des millénaires parcouru par des populations autochtones. Jusqu’en 1898, l’Abitibi, dont le réseau hydrographique est orienté vers la baie James, n’appartient pas encore au Québec. Après plus de quinze années de délibérations entre le gouvernement fédéral et les autorités provinciales, la frontière nord sera repoussée jusqu’à la rivière Eastmain et l’Abitibi deviendra alors possession québécoise. Sous la pression conjuguée de l’attrait des ressources minières et de la croissance démographique qui s’ensuit, l’œkoumène agricole s’étend de plus en plus au nord. Les villes de Matagami et de Lebel-sur-Quévillon, situées au-delà du 49e parallèle, font partie du territoire abitibien jusqu’en 1987, alors que sera créée la municipalité de la Baie-James. Ces deux localités deviendront dès lors intégrées à la région administrative du Nord-du-Québec.
À l’ouest, la région est bordée par la frontière ontarienne. Le nord-est de l’Ontario et le nord-ouest du Québec se sont développés parallèlement et leurs interrelations continuent toujours d’être importantes. Ainsi, les premiers diocèses régionaux sont ceux de Pembroke, de Haileybury et de Timmins. Comme ceux de l’Outaouais, les fidèles de l’Abitibi-Témiscamingue sont d’abord dirigés de l’Ontario. Du côté économique, 1 importance du capital ontarien dans le développement industriel régional multipliera les pôles de croissance, alors que du côté culturel, on ne peut ignorer la proximité de l’espace ontarien et les multiples liens tissés entre les populations voisines.
À l’est et au sud, l’écran isolant du Parc de La Vérendrye a eu, à certaines époques, plus de poids sur le développement régional que la frontière politique de l’ouest : la route 117 ne date que de la fin des années 1940 et elle ne relie toujours pas directement le Témiscamingue au reste du Québec ! L’isolement, la distance et la faiblesse relative des moyens de communication ont sans doute contribué à développer un sentiment d’appartenance forgé au fil du temps. D’ailleurs, de « grande stratégie de conquête », la région s’est transformée au cours des années I960 en région périphérique et ses avantages, autrefois vantés, deviendront, dans le regard extérieur du moins, des entraves au développement.
D’autres ouvrages de synthèse ont précédé celui-ci. L’un et l’autre, chacun à sa façon, ont contribué à nourrir les réflexions et à affiner les analyses des chercheurs. Rappelons à ce sujet les travaux du géographe Raoul Blanchard [15] sur l’Ouest du Canada français, dont une partie du tome 2 couvre l’Abitibi-Témiscamingue (1954), la courte synthèse de Normand Paquin, Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue (1979), et le portrait tracé par Gilles Boileau et Monique Dumont sur L’Abitibi-Témiscamingue (1979). Les nouveaux développements de la discipline historique exigeaient une remise à jour des questionnements et des pistes de recherche privilégiées. De la vie politique et économique, la pratique de l’histoire s’est élargie pour englober la vie socioculturelle. C’est là sa principale richesse, mais aussi sa plus grande difficulté. Une équipe de chercheurs formés dans les disciplines de l’histoire, de la géographie, de l’archéologie, de l’anthropologie, de l’économie et des sciences sociales a travaillé à cette synthèse. Il est souhaitable que cet ouvrage contribue à faire surgir des hypothèses et des interrogations stimulantes pour la recherche future sur la région.
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