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Faits saillants
L'enquête dont le présent rapport fait état est le fruit d'une collaboration de recherche entre la Direction de la planification stratégique du MRCI et le Centre d'études ethniques de l'Université de Montréal (CEETUM). Ses grands paramètres ont été mis au point à la suite d'une consultation menée auprès de divers intervenants impliqués dans le dossier des demandeurs d'asile : employés du ministère ou partenaires de celui-ci. Entre autres, la Table de concertation de Montréal des organismes au service des réfugiés et le ministère de la Sécurité du revenu ont bien voulu nous faire part de leurs commentaires et préoccupations. La firme SOM a obtenu le mandat d'administrer le questionnaire aux répondants. Le rapport a été rédigé par le professeur Jean Renaud, du département de sociologie de l'Université de Montréal et directeur du CEETUM, ainsi que par son assistante de recherche, Lucie Gingras.
Objet de l'étude
Depuis le début des années 1980, les revendicateurs du statut de réfugié régularisés constituent une proportion significative du mouvement global d'immigration permanente [1] au Québec. Jusqu'ici, le processus d'établissement de cette population au cheminement particulier demeurait mal connu, comparativement à celui des immigrants réguliers. C'est en grande partie pour combler cette lacune que l'étude a été commandée.
Parmi les 2034 adultes demandeurs d'asile arrivés au Québec en 1994 et devenus résidents permanents par la suite, 407 d'entre eux, habitant dans la grande région de Montréal, ont été interviewés dans le cadre de l'enquête, entre juin et septembre 1997.
Caractéristiques générales, trajectoire, délais
* Comparativement au mouvement d'immigration dans son ensemble, les caractéristiques des revendicateurs régularisés sont favorables. Ils sont pour la plupart jeunes (70% ont moins de 41 ans) et scolarisés (60% ont fréquenté l'école au-delà du niveau secondaire). Au moment de leur accession à la résidence permanente, ils connaissaient majoritairement le français (60%) et moins souvent l'anglais (40%). Ils sont rarement bilingues (7%). Une bonne part de cette compétence linguistique a toutefois été acquise depuis l'arrivée au Canada. En effet, au moment de la revendication, 51,3% des répondants ignoraient le français et l'anglais ou n'en avaient qu'une connaissance très limitée. Au moment de l'entrevue, ce pourcentage avait diminué à 22,3%.
- La plupart étaient sans statut au moment de leur revendication (73%), tandis que 18% étaient déjà au pays à titre de touristes et 5% à titre d'étudiants étrangers. Dans la majorité des cas, la revendication a été déposée à leur arrivée, mais pour 16% des répondants, cela s'est fait après plus d'un mois.
- Près du quart des répondants (22%) avaient séjourné pendant trois mois ou plus dans un tiers pays.
- Les délais subis avant d'obtenir la reconnaissance du statut et la résidence permanente sont longs. Sept (7) mois se sont écoulés après la revendication avant que 50% des répondants soient reconnus réfugiés et 22 mois se sont écoulés au total avant que 50% des répondants ne soient finalement admis à la résidence permanente.
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Situation du logement
La situation par rapport au lieu de résidence est une dimension importante du questionnaire utilisé auprès des revendicateurs régularisés. On retiendra particulièrement les points suivants :
- 23% des répondants ont déclaré avoir reçu de l'aide pour trouver un logement au moment de la revendication. Les principales sources d'aide ont été les parents et les amis.
- Dans les jours suivant leur revendication, 36% des répondants ont été logés gratuitement, les autres ayant été locataires. Au quatrième mois suivant la revendication, seulement 7% des répondants étaient encore logés gratuitement.
- La durée médiane du premier logement (durée pour que 50% des répondants aient quitté le premier logement) est de 6 mois. Au moment de l'entrevue, soit environ 3 ans après la revendication, 13% des répondants occupaient le même logement qu'à la revendication.
- Les principaux obstacles déclarés lors de la recherche d'un logement sont l'insuffisance de moyens financiers (40%), la méconnaissance du marché (24%), l'absence de moyen de transport adéquat (20%), la méconnaissance de la ville (19%), l'attitude négative des propriétaires quant au statut d'assisté social du répondant (16%) et les problèmes de communication, de langue (14%).
- Le coût mensuel moyen du loyer ou de l'hypothèque est de 373 $ au premier mois suivant la revendication et de 425 $ au moment de l'entrevue.
Les cours suivis
Comme les autres nouveaux arrivants, les revendicateurs du statut de réfugié sont de grands consommateurs de cours :
- 75% des répondants ont suivi au moins un programme de formation pendant la période étudiée (83% des femmes et 92% des 18-25 ans).
- 66% des formations suivies par les répondants étaient à temps plein.
- Tous programmes de formation confondus (y compris les cofis), 80% sont en français.
- 43% des répondants ont suivi un cours de langues (autre que ceux en cofi), 25% sont passés en cofi (à temps plein ou partiel) et 25% ont suivi un cours d'enseignement régulier. Les femmes sont moins souvent passées en cofi (17%) que les hommes (34%).
- 18% des répondants ont suivi un cours à temps plein en cofi.
- Au moment de l'entrevue, 16% des répondants étaient inscrits à des cours de l'enseigne ment régulier à temps plein, la plupart au niveau postsecondaire.
L'emploi
De l'historique professionnel des répondants dont témoigne l'enquête, on retient les tendances suivantes :
- 78% des répondants avaient déjà occupé un emploi avant leur arrivée au Canada : 86% des hommeset68% des femmes. Chez les 18-25 ans, ce taux n'est que de 38%.
- Le temps passé avant que 50% des répondants occupent un premier emploi après la revendication est de 32 mois (24 mois chez les hommes et plus de 36 mois chez les 41 ans et plus).
- Les principaux secteurs industriels du premier emploi sont les industries manufacturières autres que l'habillement (15%), l'industrie de l'habillement (13%), l'industrie de la restauration (12%) et les autres industries de services (14%).
- Le salaire hebdomadaire brut moyen du premier emploi est de 285$.
- 87% des premiers emplois sont des emplois salariés.
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- L'entreprise du premier emploi est généralement de petite taille : elle regroupe 10 employés ou moins dans 43% des cas ; de 11 à 100 employés dans 39% des cas ; et 18% des premiers emplois sont dans des entreprises de plus de 100 employés.
- Parmi les personnes qui ont occupé au moins un emploi après leur revendication, 73% n'ont occupé qu'un seul emploi, 20% en ont occupé deux et 7% en ont occupé plus de deux.
- 46% des répondants n'ont pas occupé d'emploi pendant la période étudiée. Cette proportion atteint 60% chez les femmes et 61% chez les plus de 40 ans.
- Au moment de l'entrevue, 32% des répondants occupaient un emploi. De ceux-ci, 17% affirment faire le même type d'emploi qui celui exercé avant de s'installer au Québec. D'autre part, 48% estiment qu'ils occupent un emploi également ou plus qualifié que celui occupé antérieurement à la migration au Canada.
L'aide obtenue pendant les premières années d'établissement
- Les services obtenus dans le cadre de la revendication
- * 87% des répondants ont eu recours à un avocat ou conseiller rémunéré par l'aide juridique dans le cadre de leur revendication ; 11% ont retenu les services d'un avocat ou conseiller rémunéré par le répondant ; 6% ont fait appel aux services d'un parent, ami ou connaissance ; le recours aux services d'une ONG arrive dernier (moins de 2% des répondants).
- Les services obtenus entourant les procédures d'immigration
- 66% des répondants ont fait appel à un ou des organismes publics ou gouvernementaux pour des besoins d'information sur les procédures d'immigration ; 44% ont eu recours aux parents, amis ou connaissances ; 7% ont eu recours à une ONG d'aide aux immigrants ; 3% se sont référés à leur lieu de culte ; aux médias, 2%.
- 13% des répondants affirment ne pas avoir eu besoin d'information sur les procédures d'immigration.
- Les services rendus par des ONG
- 35% des répondants ont affirmé qu'eux-mêmes, leur conjoint ou leur responsable du ménage ont été en contact avec un organisme d'aide aux immigrants ou réfugiés à un moment donné depuis leur revendication ; 43%des41 ans et plus ; 43% des universitaires.
- Le recours à l'aide sociale
- On estime à 93% la proportion de répondants qui ont eu recours à l'aide sociale durant la période étudiée. Plus de 50% des répondants y avaient recours au premier mois suivant la revendication.
- Au moment de l'enquête, soit environ 3 ans après la revendication, 45% des répondants étaient toujours à leur première période d'aide sociale (55% chez les femmes et 68% des 41 ans et plus).
- Les personnes qui n'ont jamais eu recours à l'aide sociale sur la période étudiée (7%) sont plus souvent des femmes (9%) que des hommes (4%). Elles sont aussi plus souvent des universitaires (10%).
L'impact de la précarité de statut sur l'établissement
Des indices sérieux laissent croire que la précarité du statut exerce un impact sur le processus d'établissement. Outre la formation linguistique à temps plein en cofi, dont l'accès est largement accéléré lorsque la reconnaissance du statut est acquise (4 fois plus rapide), ce qui est normal compte tenu des barrières formelles imposées par la réglementation, le passage au statut définitif de résident permanent semble avoir pour effet de [18] lever des obstacles implicites dans le domaine des études régulières et de l'emploi. L'accès à un premier cours régulier à temps plein est en effet 3,1 fois plus rapide et l'accès à un premier emploi, 1,6 fois. Dans le cas de ces cours, la régularisation permet au revendicateur de ne plus être assujetti aux frais de scolarité pour étudiants étrangers et d'être en plus admissible aux prêts et bourses, ce qui, en soi, est sans doute suffisant pour expliquer l'effet « libérateur » de l'octroi de la résidence permanente. Pour ce qui est de l'emploi, il faudrait conclure que le permis de travail, même générique (ouvert à tout employeur et pour tout type d'emploi), accessible à la plupart des revendicateurs assez tôt au cours du processus, n'est pas suffisant pour convaincre certains employeurs d'embaucher un revendicateur du statut de réfugié dont la situation n'est pas encore complètement régularisée.
Ces premiers résultats témoignent de la situation globalement difficile des revendicateurs régularisés. On pourrait même affirmer qu'il y a là des signes d'une certaine marginalisation de cette population en ce qui a trait à leur établissement socio-économique.
On peut facilement imaginer que les longs délais auxquels ils sont soumis dans le cadre du processus de reconnaissance du statut et de régularisation définitive et les statuts précaires qui sont les leurs pendant toute cette période pèsent très lourd sur leur processus d'établissement. L'effet accélérateur de l'accès au statut de résident permanent sur l'accès à l'emploi et aux études régulières à temps plein semblerait confirmer l'hypothèse de l'impact négatif des délais sur le cheminement d'établissement. À cet égard, une analyse plus approfondie des données sera cependant nécessaire avant de conclure de manière définitive en cette matière.
[1] Depuis 1990, plus particulièrement, la part occupée par les revendicateurs régularisés dans les admissions permanentes a varié de 9% à 28%, selon les années (voir annexe 5 du rapport).
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