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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Vincent van Schendel, “De récession en récession: synchronisation des cycles.” In revue Interventions critiques en économie politique, no 6, Hiver 1981, pp. 24-34. Numéro intitulé: “Le capital québécois.” [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[24]

Interventions
critiques en économie politique
No 6
NOTES D’ACTUALITÉ

De récession en récession :
synchronisation des cycles
.”

Vincent van Schendel

La décennie ’70 aura vu bien des bouleversements pour l’économie capitaliste mondiale. Les années 70-80 sont d’ores et déjà qualifiées de “décennie de crise”. Sans entrer dans une analyse détaillée des transformations survenues pendant cette période, l’examen de quelques indicateurs économiques dans 5 des principaux pays capitalistes (États-Unis, Allemagne fédérale (RFA), Japon, France, Canada), nous permet de faire quelques constatations intéressantes. La lecture des rapports officiels de certains organismes internationaux, et notamment les rapports annuels de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) s’avère également des plus intéressantes.

Le graphique 1 indique l’évolution du taux de variation du P.I.B. (produit intérieur brut) et du P.N.B. (produit national brut) réel dans les cinq pays susmentionnés. Il est aisé de voir, si l’on prend le P.N.B. comme indicateur, que chacun de ces pays connaissait une évolution cyclique et conjoncturelle relativement autonome. La courbe du Canada suit bien sûr de très près celle des États-Unis en raison de la très forte dépendance de l’économie canadienne sur son voisin du sud. L’Allemagne fédérale a parfois une évolution parallèle à celle des États-Unis, en particulier en 1967, année de récession [1] en RFA. Les variations du taux d’augmentation du PIB et du PNB au Japon vont par contre très souvent en sens exactement inverse des autres pays (en particulier les États-Unis) tandis que la France suit son propre cycle également. L’examen de la situation dans d’autres pays, — qui n’a pas été faite ici pour ne pas encombrer le graphique — ne ferait que confirmer ce phénomène. Le graphique 2 présente d’ailleurs une mesure de la coïncidence des cycles conjoncturels dans les pays de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique) de 1956 à 1974.

Pendant toute cette période, on note que les récessions sont généralement de faible ampleur et de relativement courte durée. À partir de 1974, l’économie mondiale capitaliste entre cependant, on le sait, dans une phase de récession généralisée, internationale et brutale : tous les pays subissent, en même temps, une chute prononcée de la production. La “reprise” commence à se faire sentir en ’76, mais est de courte durée et une nouvelle mini-récession affecte à nouveau tous les pays en ‘77 jusqu’à la mini-reprise de ’78 ; aux États-Unis, le taux de croissance de la production ne cesse de chuter depuis 1977. En 1980, l’économie mondiale entre

[25]

Graphique 1.

Variation du taux de croissance du PIB et du PNB
— 5 pays de l’OCDE — 1962-1980


Jusqu'à 1970 inclus : PIB réel au prix du marché 1971 à 1980 : PNB réel au prix du marché 1980 : estimations du FMI

Les graphiques 1, 4 et 7 ont été établis d’après les données de :
Revue économique — ministère des finances — Ottawa — avril 80
OCDE : Perspectives économiques juillet 80.
Bulletin du FMI août 80 p. 194
Annuaire statistique de l'ONU.
Banque des Règlements Internationaux — 50ième rapport annuel — juin 80

[26]

Graphique 2.

Mesure de la coïncidence des cycles conjoncturels
dans les pays de l’OCDE
(1)

Source : Perspectives économiques— OCDE — déc. 73 no. 14 p. 24


à nouveau dans une profonde récession internationale. Le début de la récession varie de pays en pays — elle commence aux États-Unis — mais tous sont à nouveau touchés. Au Canada, selon le Conference Board, l’année ’80 sera “la pire depuis 20 ans” [2]. En fait, depuis 1973, il n’y a pas seulement une somme de conjonctures nationales mais bien une conjoncture internationale, phénomène que l’on n’avait plus vu depuis les années ’30.

Le PNB n’est, cependant, pas nécessairement le meilleur indicateur économique qui soit. Celui-ci regroupe en effet de façon agrégée autant la production industrielle que les services, la production agricole, etc. Le secteur des “services” peut y tenir une place importante et ainsi atténuer les variations cycliques de la production. Il serait donc souhaitable d’examiner d’autres indicateurs, pour confirmer ou infirmer ce qui précède. Ainsi les graphiques 3 à 7 nous montrent-ils l’évolution de la production industrielle, du taux d’inflation (mesuré par l’indice des prix à la consommation) des taux d’intérêt, et du taux de chômage, dans nos cinq pays, de 1962 à 1980. [3]

[27]

Graphique 3.

source : Principaux indicateurs économiques — OCDE — sept. 80 p. 8-9


Le graphique 3 indique les variations de la production industrielle. On s’aperçoit ainsi que la synchronisation des cycles, non seulement se trouve confirmée, mais que, au niveau de la production industrielle, celle-ci était déjà amorcée dès 1973 et même 1970, avec toutefois un décalage d’un an pour le Japon et la RFA. [4]

[28]

L’examen du graphique 4, concernant l’inflation (indice des prix à la consommation), confirme ce qui précède. La récession de 74-75 s’est accompagnée, on s’en souvient d’une “flambée inflationniste” dans tous les pays [5]. Celle-ci, du reste, et contrairement à ce qu’une certaine littérature officielle a pu laisser croire, n’était que très partiellement due à la hausse des prix du pétrole, l’inflation ayant commencé à “s’emballer” avant l’augmentation de ce dernier. L’inflation baisse en 75-76 mais une nouvelle hausse de prix se manifeste en 77 et accompagne la mini-reprise de 78. Les prix à la consommation n’accusent en Allemagne et au Japon qu’une hausse modérée. Tout indique ce-

Graphique 4.

Taux de variation de l’indice des prix à la consommation ;
5 pays de l’OCDE — 1962-1980

Source : voir graphique 1

[29]

pendant que même dans ces deux pays, l’inflation a repris “de plus belle” en ’80 [6]. Encore ici, le cycle est pratiquement le même partout. Il faudrait, là aussi, ne pas regarder seulement l’évolution de l’IPC, qui demeure un indice agrégé — i.e dans lequel rentrent plusieurs composantes en ligne de compte — et un indicateur décalé — i.e. qui s’ajuste après coup —, mais aussi l’indice des prix des produits de gros. L’examen de cet indicateur ne ferait que confirmer ce qui précède [7] ; les variations de prix des produits de gros sont cependant plus grandes (et parfois beaucoup plus grandes) que celles de l’IPC.

L’évolution des taux d’intérêt depuis quelques années est également très intéressante. Si l’on se réfère aux graphiques 5 et 6, on constate que c’est depuis le début des années ’70 et particulièrement depuis 1978 que les variations, à la hausse ou à la baisse, des taux d’intérêt (graphique 5 : taux du marché monétaire et rendement des obligations 1961-80 ; graphique 6 : taux d’escompte 72-80) s’effectuent de façon synchronisée dans tous les pays. La tendance à la hausse des taux d’intérêt est générale. Seule la France maintient un taux d’escompte fixe (entre 9 et 10%) depuis la fin de 1977). Ceci est un indice de l’internationalisation accrue des marchés financiers.

Ainsi, quels que soient les indicateurs considérés [8], on ne peut que constater la formation d’une conjoncture internationale cyclique, et l’interdépendance de toutes les économies capitalistes “développées” d’une part, de même que les difficultés croissantes de cette économie internationale et l’état de crise de plus en plus profond dans lequel elle s’enfonce d’autre part. Le graphique 7 l’illustre à nouveau en montrant l’augmentation du taux (officiel) de chômage dans nos cinq pays depuis les années ’60. Encore ici peut-on noter une nette synchronisation du “cycle du chômage” depuis le milieu des années ’70 (sauf la France qui est le seul pays de l’OCDE dont le taux de chômage officiel — moyenne annuelle — ait constamment augmenté depuis 1970 [9]).

Notons, bien sûr que l’on ne parle ici que des pays de l’OCDE ; l’effet de la crise sur les pays dits du “tiers-monde” et sur les économies des pays de l’est et de la Chine n’est pas abordé [10] ; on ne parle pas non plus de la “pagaille” qui est en train de s’installer dans certains organismes internationaux, tel le FMI (fond monétaire international) aux prises avec une pénurie de capitaux, et qui songe à emprunter sur les marchés privés, etc...

Cette synchronisation des cycles s’est accompagnée d’une tentative de coordination des politiques économiques des principaux pays capitalistes. À plusieurs reprises, ces dernières années, les chefs d’État de ces pays se sont réunis successivement dans plusieurs grandes villes (Tokyo, Bonne, Venis, etc. le prochain

[30]

Graphique 5.

Taux d’intérêt à court et à long terme et variations des prix à la consommation ;
moyennes trimestrielles ; 5 pays de l’OCDE — 1961-1980

Source : Banque des Règlements Internationaux, 50e rapport annuel, p. 68.

[31]

Graphique 6.

Taux d’escompte officiel et cours des actions
— 7 pays de l’OCDE — 1972-1980
.

Source : Principaux indicateurs économiques — OCDE, sept. 80, p. 12.

[32]

Graphique 7.

Variation du taux de chômage officiel : 5 pays de l’OCDE — 1962-1980.

source : voir graphique 1


se tiendra à Ottawa...) dans une réunion au sommet, pour examiner la situation mondiale, prendre des mesures synchronisées et des engagements réciproques. Mais les engagements ne sont pas toujours tenus, loin de là. En la matière, ce ne sont pas tant les belles résolutions ni les volontés de coordination qui mènent, mais bien les rapports de force internationaux. Or, malgré toutes les difficultés qu’elle connaît, malgré son déclin depuis les années ’60 (donc bien avant la récession de 74-75), et l’accentuation de la concurrence entre les pays impérialistes, c’est encore l’économie américaine [11] qui est demeurée, à date, la plus puissante et qui a ainsi joué le rôle de “locomotive” de l’économie mondiale. C’est ce que remarquait notamment la BRI il y a deux ans (juin 78) dans son 48ième rapport annuel. Ce sont des États-Unis que sont déclenchées les phases d’expansion et de récession, ceci en raison de la taille de son économie et du haut niveau d’avance dont celle-ci disposait auparavant. Son influence et son rôle moteur demeurent encore bien déterminants en 1980. Il ne faut cependant pas perdre de vue l’émergence de deux nouvelles “locomotives” : l’Allemagne, et, surtout, le Japon. Le dernier rapport de la BRI note à ce sujet :

[33]

En 1979, l’évolution de la situation économique a été principalement caractérisée par le ralentissement de l'expansion réelle aux États-Unis et ta poursuite simultanée de la croissance dans d’autres pays, sous l’impulsion de l’Allemagne et du Japon (...). L’impulsion donnée par l’économie américaine par le biais des importations, à la demande mondiale a progressivement disparu l’an passe'. (BRI — 50ième rapport annuel —juin 80 p. 36-41)

Et l’OCDE de rajouter :

En 1979, (...) il n’y a pratiquement pas eu de synchronisation, puisque l’activité était très soutenue au Japon et en Allemagne alors que la demande fléchissait aux États-Unis et que de nombreux pays se trouvaient dans une situation intermédiaire.” [12]

La récession américaine aura cependant et finalement gagné tous les pays en 1980 — bien qu’avec des décalages de parfois plusieurs mois —, confirmant le rôle prépondérant de l’économie américaine, et de l’impérialisme américain, dans l’économie mondiale capitaliste.

Il serait bien sûr faux de déduire de quelques graphiques que l’économie mondiale capitaliste est “une et indivisible” et que la concurrence ne joue plus entre les principaux pays impérialistes. Au contraire, la concurrence n’a pas été aussi vive à l’échelle internationale depuis des décennies ! Il faudrait examiner ici d’autres variables et indicateurs tels : la balance des paiements, le taux de change des différentes monnaies entre elles et le degré d’utilisation de celles-ci comme monnaie internationale, la productivité dans l’industrie manufacturière, le commerce extérieur [13] etc., de même que la taille des investissements réalisés à l’étranger, les capitaux détenus, la part du commerce mondial, l’évolution des profits, le nombre de faillites, les secteurs en croissance et en déclin, etc., pour avoir une meilleure idée de l’évolution de la conjoncture internationale. On noterait mieux alors comment se manifeste cette recrudescence de la concurrence entre les principaux pays capitalistes ainsi que de la restructuration économique mondiale, élément d’un réaménagement de la division internationale du travail — non seulement entre pays du “centre” et pays de la “périphérie”, mais également entre pays capitalistes avancés — en cours à la faveur de la crise mondiale du capitalisme. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans nos prochains numéros.

Vincent van Schendel
octobre 80

[34]

NOTES



[1] On parle de “récession” quand il y a baisse du taux de croissance de la production (PNB) pendant deux trimestres de moyennes annuelles qui ne reflètent donc pas ces variations trimestrielles ; elles ne permettent pas non plus de saisir les décalages entre l’amorce des cycles d’un pays à l’autre. Ces données et ces graphiques suffisent cependant à illustrer les grandes tendances de l’évolution cyclique des grands pays capitalistes.

[2] “La Presse” 10-10-80.

[3] La variation des stocks et le taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie manufacturière sont également de bons indicateurs. Pour le Canada, voir : Revue économique — Ottawa — avril 79 p. 13 et 65.

[4] Voir aussi à ce sujet : International economic scoreboard publication du Conference board of Canada, août 80.

[5] Phénomène unique dans l’histoire du capitalisme ; habituellement, les crises étaient accompagnées d’une baisse du prix.

[6] Cf. 50ième rapport annuel de la Banque des Règlements Internationaux —juin 80 — p. 11.

[7] Pour des données concernant l'indice des prix de gros, voir ; — BRI — 50ième rapport annuel — p. 12 — Indicateurs économiques de l’OCDE sept. 80 p. 31 et suiv.

[8] Autre indicateur : le commerce mondial. Celui-ci a accusé, dans tous les pays, une diminution au début 80. Cf. : Principaux indicateurs économiques — OCDE — sept.80 p. 14.

[9] Cf. Principaux indicateurs., op. cit. mai 80 p. 10.

[10] Voir à ce sujet : “une nouvelle récession économique mondiale” — Louis Gill — texte non publié janvier 80.

[11] Voir les travaux de Ernest Mandel relatifs au déclin de l'impérialisme américain.

[12] Perspectives économiques de l’OCDE — juillet 80 — no 27 p. 142.

[13] Et encore ne s’agit-il que d’indices. On pourrait peut-être aussi discuter de la viabilité, de l’utilisation et du mode de calcul de certains de ces indices... Les chiffres, les graphiques, etc., n’expliquent rien en soi. Tout au plus permettent-ils d’illustrer. C’est ce que nous voulions faire ici.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 21 octobre 2023 19:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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