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Jean-François Werner
Docteur en anthropologie (Ph.D. Université de Montréal)
Chargé de recherches à l’Institut de Recherche pour le développement (IRD)
“L’ethnographie mise à nu
par l’écriture.”
In revue L’homme et la société, no 134, octobre-décembre 1999, pp. 63-80. Numéro intitulé : “Littérature et sciences sociales.”
- Introduction [63]
- Une étude de cas [65]
- Stratégie narrative [69]
- Du bon usage des dispositifs rhétoriques [72]
- Le scandale du moi [72]
- La violence symbolique [76]
- Réception de l’ouvrage [77]
- « To be read or perish » [79]
- Bibliographie
Il sera ici question davantage d’ethnographie que d’anthropologie.
Non pas de considérations abstraites et générales sur l’écriture dans les sciences sociales mais de l’écriture telle qu’elle est pratiquée dans le cadre de l’exercice de son métier par un chercheur-anthropologue.
Quant à la littérature, définie comme un discours à visée esthétique qui procèderait par déformation du réel et affabulation, elle n’a en commun avec notre objet que ce rapport particulier qu’elle entretient avec le logos.
Introduction
Il sera ici davantage question d’écriture que de littérature.
L’ethnographie [1] entendue au sens restreint d’étude des faits socio-culturels à l’intérieur d’un groupe humain particulier est une discipline interprétative, vivante et agitée. Elle se distingue de l’anthropologie, discipline à visée comparative, qui a pour tâche d’expliquer la variabilité des cultures humaines [2].
La question de l’écriture ethnographique sera abordée de façon concrète à partir d’un travail d’écriture expérimental mené dans le cadre d’une recherche effectuée au Sénégal dans les années quatre-vingt. À vrai dire, lorsque je me suis proposé de contribuer à ce numéro spécial sous la forme d’une étude de cas, je n’imaginais pas les difficultés qu’allait soulever cette auto-analyse. Pas tant parce qu’il m’a fallu affronter les ruses d’une mémoire décidée à empêcher ce retour sur un passé encore proche que par les multiples écueils entre lesquels j’ai dû louvoyer au cours de l’analyse d’un texte en partie autobiographique. Entre la complaisance satisfaite et la trop [64] grande sévérité, entre la justification a posteriori et le règlement de comptes, le chemin s’est révélé être une aporie.
Et tout d’abord, un constat d’ordre général : l’écriture comme pratique intervient à tous les stades du processus de recherche ethnographique
Ainsi, au démarrage d’une recherche, il existe une phase préparatoire qui implique la rédaction d’un texte dénommé projet de recherche dont l’élaboration et la présentation obéissent à des normes strictes. Il doit être rédigé par le chercheur dans une langue conforme aux attentes des bailleurs de fonds et autres décideurs en termes de mots-clefs, d’expressions codées et de tournures stylistiques. Au demeurant, cette duplicité du discours scientifique n’est pas nouvelle : les clercs ont de tous temps pratiqué un double jeu linguistique avec les détenteurs du pouvoir.
La deuxième phase correspond au travail dit de “terrain“ qui a pour finalité de collecter des informations recueillies directement auprès des ethnologisé.e.s. Ici, quels que soient les méthodes et instruments utilisés, l’activité scripturaire est incontournable. De la rédaction au quotidien d’un journal de terrain qui, depuis Malinowski (1985), constitue une des prescriptions fondamentales de la méthode ethnographique, jusqu’au recueil de textes oraux (mythes, récits de vie, etc.) qui seront enregistrés puis obligatoirement transcrits. Du terrain, seront rapportés des « données [3] » ethnographiques qui, à l’exception des documents audio-visuels (vidéo, cinéma) ou des témoins matériels d’une culture (armes, outils, étoffes, masques, photographies, etc.), sont d’abord et avant tout des textes écrits. C’est sous cette forme qu’ils seront traités et analysés.
Les résultats obtenus au terme de l’analyse de ces données seront ensuite diffusés sous une forme écrite : rapports de recherche (appartenant au vaste continent de ce que l’on appelle la “littérature grise“), travaux académiques (mémoires, thèses), publications dans des revues scientifiques, textes de vulgarisation, ouvrages individuels ou collectifs, etc.
Or, de manière paradoxale, et alors qu’elle est omniprésente tout au long du processus de recherche et constitue le fondement de la légitimité scientifique (un travail académique devra être présenté [65] sous une forme écrite pour être recevable, l’activité professionnelle d’un chercheur est évaluée en fonction de ses publications), l’écriture est rarement considérée comme problématique dans les sciences sociales. Elle est à la fois évidente (elle crève les yeux) et complètement occultée (elle va de soi) en raison d’une conception du langage qui fait de ce dernier un instrument docile moyennant le respect de quelques normes et conventions rhétoriques :
- « Pour la science, le langage n’est qu’un instrument que l’on a intérêt à rendre aussi transparent que possible, assujetti à la matière scientifique (opérations, hypothèses, résultats) qui, dit-on, existe en dehors de lui et le précède : il y a d’un côté et d’abord les contenus du message scientifique, qui sont tout, d’un autre côté et ensuite la forme verbale chargée d’exprimer ces contenus qui n’est rien. » (Barthes, 1984 : 14). [4]
En fin de compte, si littérature et science sont toutes les deux des discours, ajoute Barthes, c’est le fait d’assumer ou non leur rapport au logos qui les distingue radicalement. Affirmation qu’il faudrait nuancer. Car si le discours scientifique instrumentalise la langue pour la mettre au service d’une démonstration, il se définit également par son rapport même partiel à la vérité et par le respect de règles éthiques (rigueur, transparence, honnêteté) qui fondent sa spécificité. C’est un instrument de communication qui renvoie à des mondes réels dont l’existence peut être vérifiée par le lecteur. [5]
Une étude de cas
Avant d’aborder la présentation du travail d’écriture qui est l’objet de ce texte, il faut dire deux mots de la recherche qui en a été à l’origine. Le travail de terrain (et il n’est pas inutile de préciser qu’il s’agissait d’une première expérience dans ce domaine en tant que doctorant en anthropologie) a été réalisé au Sénégal, plus précisément dans la banlieue de Dakar, entre 1985 et 1988. Cette recherche intitulée “Processus de marginalisation et usages des drogues à Pikine“ s’est déroulée dans le cadre d’un programme de recherches collectif mené sous l’égide de l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer), un établissement public qui a changé de nom en 1998 pour devenir Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Il faut savoir que la consommation de drogues est un phénomène d’apparition récente dans les grands centres urbains d’Afrique de l’Ouest qui n’avait, à l’époque où j’ai entrepris de l’étudier, jamais fait l’objet d’une approche de type [66] ethnographique. En conséquence, la démarche adoptée fut largement empirique et l’objet a été construit progressivement à partir des catégories proposées par les différents acteurs en présence. La recherche a concerné les circuits de distribution des psychotropes illégaux, les différents usages qui en étaient faits par les consommateurs et les relations de ces derniers avec les agents de l’appareil d’État (personnels des institutions policière et judiciaire, agents de l’appareil de soins).
Quant aux méthodes mises en œuvre, elles relèvent d’une ethnographie qualitative classique : observation-participante (rendue possible par la maîtrise du wolof), collecte de récits de vie, études de cas en longitudinal, enquêtes par entretiens auprès de groupes d’usagers, le tout en faisant varier les échelles et les angles d’observation. Ce va-et-vient permanent entre l’individuel et le collectif, le dedans et le dehors répondait à la volonté d’appréhender le phénomène de façon globale.
De retour du terrain, je me suis engagé dans la rédaction d’une thèse de doctorat en anthropologie impliquant l’élaboration et l’utilisation d’une stratégie narrative et de dispositifs discursifs permettant d’atteindre des objectifs à la fois scientifiques et politiques :
- - du point de vue scientifique, il s’agissait d’interroger, à partir de cette expérience concrète, les tenants et aboutissants de la méthode ethnographique ;
- - du point de vue politique il s’agissait d’inventer une forme d’expression attrayante et accessible qui permette de franchir la séparation entre profanes et spécialistes et de diffuser les résultats de la recherche vers le public citoyen.
Cette expérimentation, qui impliquait l'élaboration d'une stratégie narrative et la mise en œuvre de dispositifs discursifs particuliers n'aurait pu être menée à bien, il faut le souligner, sans l'appui des enseignants de l'Université de Montréal (et en particulier de Gilles Bibeau, mon directeur de thèse) qui supervisaient mon travail. Ils m'ont laissé une grande liberté quant à la forme que je voulais donner à un texte qui devait satisfaire, à la fois aux critères d'un travail académique et à ceux d'une publication destinée au grand public. C'est donc avec le soutien des autorités universitaires désireuses de favoriser la publication, encore trop rare à leur yeux, des thèses de doctorat, que je me suis mis au travail dans une perspective à la fois pragmatique et réflexive.
Le premier objectif, d’ordre pragmatique, fut de trouver une forme adaptée à la diffusion, la plus large possible, des résultats d’une recherche portant sur un phénomène qui intéressait, au [67] premier chef, les Sénégalais eux-mêmes. À défaut de pouvoir être la population ethnologisée elle-même (une population marginalisée, peu scolarisée et dépourvue des moyens financiers), le public visé était cette fraction non négligeable de la population sénégalaise disposant des ressources nécessaires (intellectuelles et économiques) pour accéder à ce type de bien culturel. [6]
Cette volonté de diffuser les résultats de mon travail au-delà du cercle restreint des spécialistes et des décideurs politiques reposait sur une conception personnelle de mon rôle social en tant que scientifique au sein de la Cité. À savoir que, en plus de mes obligations envers l'État français qui m'employait et l'État sénégalais qui m'autorisait à faire de la recherche sur son sol, j'avais, en tant qu'agent d'un service public œuvrant dans un contexte démocratique, des devoirs envers la société au sens large du terme.
Ce faisant, mon intention n'était pas à proprement parler de prendre parti dans le débat politique, comme le fait par exemple actuellement en France le collectif Raisons d'agir avec les petits livres de la collection « Liber », mais plus modestement de fournir aux citoyens sénégalais (ou du moins à ceux et celles possédant un bagage scolaire suffisant) des informations factuelles leur permettant de comprendre la nature d'un phénomène méconnu, de se faire une opinion à son sujet et éventuellement d'exprimer cette dernière sur la scène politique.
La seconde question, d’ordre scientifique, est directement issue de cette première expérience du terrain qui fut - comme c’est le cas avec nombre d’ethnologues néophytes - une expérience profondément déstabilisante et angoissante, au cours de laquelle je n’ai cessé de me demander comment il était possible d’élaborer un savoir de nature scientifique à partir d’une méthode dont tout le monde s’accorde à reconnaître le caractère subjectif, intuitif et non reproductible.
Chemin faisant, cette réflexion sur la méthode a convergé avec un courant de pensée dit “déconstructionniste“, fort à la mode aux États-Unis dans les années quatre-vingt, dont les maîtres à penser [7] [68] avaient pris pour cible, non pas tant la méthode ethnographique elle-même, que les procédures rhétoriques utilisées par les ethnologues pour valider leur savoir. Leur critique portait sur la mise à l’écart, lors de la phase de rédaction des processus intermédiaires (textualisation, transcription, traduction) et des médiateurs de toutes sortes (interprètes, enquêteurs, informateurs) qui interviennent dans la construction des données ethnographiques. Au-delà de cette critique de nature formelle, c’est le savoir des ethnologues au sens large, ses conditions d’émergence et de transmission qui était ainsi relativisé [8] par des anthropologues de bureau (“armchair anthropologists”) bien décidés à prendre leur revanche sur Malinowski et ses héritiers.
En ce qui me concerne, prenant acte de l’impossibilité de séparer lors de la mise en œuvre de la méthode ethnographique, l’homme et le savant, le sujet vivant et le sujet connaissant, j’ai choisi d’atteindre à l’objectivité par le maximum de subjectivité (la formule est de Leiris). Au niveau textuel, cela s’est traduit par l’explicitation de la méthode, la description très subjective de l’itinéraire du chercheur sur son terrain (avec ses doutes, incertitudes, crises, rejets, incompréhensions, malentendus, etc.) et, de façon générale, le dévoilement de toute cette cuisine méthodologique d’ordinaire soigneusement occultée par des ethnologues.
Mais, au-delà de la critique politiquement correcte de “l’autorité ethnographique” [9] (la formule est de Clifford, 1983), il apparait avec du recul, que cette volonté de montrer le fonctionnement de la méthode ethnographique a été sous-tendue par un scepticisme radical vis-à-vis des tenants d’une sociologie positiviste qui prétendaient, par un travail de nature réflexif, être en mesure de rompre avec les évidences du sens commun, ses prénotions, ses présupposés. [10]
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Et, si l’inconscient étant ce qu’il est, il serait illusoire pour un chercheur de prétendre s’objectiver entièrement, alors mieux vaut en tirer les conséquences en termes d’écriture et livrer au lecteur les résultats de la recherche en même temps qu’une description des méthodes mises en œuvre pour y parvenir. Face à une réalité complexe, qui admet une pluralité d’interprétations, ce dernier pourra ainsi se forger une opinion qui lui soit propre et, éventuellement, apprécier les biais introduits à son insu par le chercheur.
Stratégie narrative
Largement influencé par les tenants d’un renouvellement de l’écriture ethnographique Clifford et Marcus [11] qui considèrent qu’il ne s’agit pas de représenter le monde mais de l’évoquer, j’ai mis en œuvre une stratégie narrative reposant sur des principes simples :
- - le statut privilégié accordé au détail (chose habituelle dans la littérature ethnographique, raison pour laquelle je ne m’y arrêterai pas),
- - la polyphonie (en citant de manière presque exhaustive le récit de vie d’une jeune femme en position d’informatrice privilégiée),
- - l’introduction d’éléments personnels (larges extraits de mon journal de terrain),
- - la mise à nu de le répartition inégalitaire du pouvoir (violence symbolique) dans le cadre de la relation ethnologisant/ethnologisés.
Ce travail d’écriture a produit, dans un premier temps, une thèse de doctorat intitulée “Déviance et urbanisation au Sénégal. Approche biographique et construction anthropologique de la marge“ qui a été soutenue en 1991 à l’Université de Montréal. Après réécriture partielle, ce travail a fait l’objet d’une publication sous la forme d’un ouvrage baptisé “Marges, sexe et drogues à Dakar. Enquête ethnographique [12]. Publié aux éditions Karthala en 1993, cet ouvrage de 292 pages compte au total seize chapitres regroupés en trois parties de longueur inégale.
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La première partie, dénommée “Le labyrinthe de la solitude“ est composée de cinq chapitres. Le premier décrit quelques heures de l’itinéraire du chercheur sur le terrain et se termine par la description de sa rencontre avec une jeune femme dont le récit de vie occupe dans la suite du texte une position centrale. Suivent deux chapitres qui situent l’étude en question dans un cadre théorique (filiation avec l’École de Chicago) et dans l’espace géographique de cette banlieue de Dakar. Les deux chapitres suivants sont consacrés à la description précise des méthodes mises en œuvre sur le terrain : l’observation-participante et la méthode biographique.
L’observation-participante fait l’objet d’un long développement qui met en évidence l’ambiguïté d’une méthode qui se situe quelque part entre une présence profondément anormale et sa dissolution fantasmée [13]. L'accent est mis sur l'investissement personnel du chercheur, sa solitude, sa perte de maîtrise face aux multiples manipulations dont il est l'objet, son inscription dans des relations de pouvoir historiquement constituées, le rôle primordial joué par des personnes (assistante, enquêteur, familles d'accueil...) dans son insertion sociale, etc. Le propos étant ici, un peu à la manière de Nigel Barley [14], de démystifier le personnage héroïque du chercheur de terrain. Puis, après un historique succinct de la méthode biographique, celle-ci fait l'objet d'une discussion portant sur sa validité méthodologique et sa pertinence en tant que stratégie narrative permettant de remettre en cause le caractère autoritaire du savoir ethnographique.
La deuxième partie, intitulée “La volonté de savoir“, compte sept chapitres. Elle débute par une description précise des conditions de collecte du récit de vie (technique, méthode et analyse) d’une jeune femme, identifiée par la lettre M dans le texte, en situation d’extrême marginalité. Son récit de vie est présenté dans l’ordre chronologique selon un découpage autour de quelques grands thèmes : les croyances et pratiques religieuses, la parenté et l’apprentissage social, son itinéraire de la prostitution au mariage et finalement sa progressive et irrésistible marginalisation/exclusion. À la transcription fidèle de mes [71] questions et de ses réponses sont associés des commentaires et interprétations qui situent à chaque fois ce qu’elle raconte dans le contexte de la société sénégalaise contemporaine.
Sur les quatre chapitres que comporte la troisième et dernière partie, intitulée “Société et déviance“, deux sont voués à la description de la relation établie entre le chercheur et cette jeune femme et à leurs rapports mouvementés. Après une présentation synthétique des résultats de la recherche sur les psychotropes et leurs usages par les jeunes, l’ouvrage se termine par une analyse dialectique du phénomène de la déviance considéré comme une construction dans laquelle interviennent acteurs périphériques (les usagers) et acteurs centraux (l’État, les confréries religieuses).
Dans la conclusion, est réaffirmée la spécificité de la méthode ethnographique qui fait intervenir un type d’intelligence bien particulier, dite “métis“ ou “stochastique“, à visée essentiellement pratique et dont le champ d’application est le devenir, le changement et, de façon générale, tout ce qui ne reste jamais semblable à soi [15].
En définitive, sur un total de seize chapitres, six concernent la méthode ethnographique avec une place centrale faite au vécu quotidien du chercheur dont le lecteur peut suivre pas à pas la démarche, pétrie de doutes, d'erreurs et de tâtonnements méthodologiques, avec pour résultat une représentation sans cesse construite et déconstruite, jamais aboutie, du phénomène étudié. Six autres chapitres concernent directement cette jeune femme qui, à la fois manipulée et manipulatrice, n'apparaît pas seulement comme une informatrice désincarnée mais un être complexe qui ruse avec cette objectivation qui lui est plus ou moins imposée et, tour à tour, se livre et se refuse.
En fin de compte, on obtient un texte rhapsodique (étymologiquement « cousu »), dans lequel sont juxtaposées des pièces discursives relevant de différents registres rhétoriques : d'une part, des citations du journal de l'ethnologue et du récit de vie de M, rédigés dans un style direct, de l'autre, des commentaires, des interprétations, et des analyses de type ethnographique écrits dans un style indirect.
Sous-tendue par un effort permanent pour distinguer, d'un côté, ce qui relève de la compréhension intuitive de l'ethnologue et, de [72] l'autre, les énoncés de nature émique cette stratégie narrative aboutit à une construction en patchwork qui évoque l'aspect fragmentaire, incomplet, du savoir ethnographique tel qu'il peut être élaboré dans le contexte d'une société urbaine complexe où le chercheur est confronté en permanence à l'expérience du manque (celui du sens, de la maîtrise, de la certitude).
Du bon usage des dispositifs rhétoriques
Parmi les dispositifs rhétoriques destinés à briser les conventions du discours ethnographique, je prendrai deux exemples :
- l’emploi du pronom personnel “je“ en lieu et place du style impersonnel et neutre qui est de règle dans le discours scientifique ;
- la mise à nu du pouvoir et sa répartition inégalitaire au sein de la relation ethnographique.
- Le scandale du moi
Deux personnages de ce récit ethnographique - l’ethnologue et cette jeune femme qui joue le rôle d’une informatrice - s’expriment à la première personne à travers des citations, de son journal de terrain pour l’ethnologue et de son récit de vie pour M.
Le journal de terrain. Une partie importante de l’ouvrage utilise des extraits du journal tenu avec régularité pendant toute la durée du terrain, dans lequel je notais au jour le jour les péripéties de la recherche, les rencontres diverses, les réflexions d’ordre méthodologique, des ébauches d’analyse, mais aussi des notations concernant ma vie privée. Un mélange qui témoigne de la difficulté pour le chercheur en situation d’observateur-participant de distinguer nettement entre son activité professionnelle et sa vie privée :
- « Or cette confusion, qui est au cœur même de la méthode d’observation-participante, s’est trouvée décuplée dans mon cas par la durée du séjour sur le terrain et la nature urbaine de ce dernier : La subjectivité constamment sollicitée n’est pas un “outil de recherche“ comme un autre que l’on pourrait manipuler et contrôler à volonté. Elle déborde les limites que le chercheur voudrait lui assigner, car c’est une expérience [72] qui implique la totalité de l’être (ses affects, ses émotions, son passé, ses désirs, sa pathologie [16].). »
Lorsqu’est venu le temps de l’analyse, il m’a donc fallu extraire de cet ensemble composite ce qui était en rapport avec ce que j’ai appelé mon “rôle ethnographique“ et laisser de côté les notations et réflexions qui n’avaient pas un rapport direct avec le travail de terrain. Répugnant à dévoiler des choses qui me touchaient de près, j’ai donc choisi de couper large, aidé dans cette tâche difficile par une cure analytique entreprise au retour du terrain. Par contre, pour tout ce qui concernait les aspects méthodologiques de ma démarche, il fallait en fonction d’une exigence de fidélité sans compromis, donner à lire sans les modifier les fragments sélectionnés. C’est le respect de cette règle éthique qui place cette écriture sous le signe du réel et de la vérité et la situe volontairement du côté de la science et non de la littérature.
Si l’emploi du pronom “je“ dans le journal allait de soi et devait être impérativement conservé dans les citations qui font partie de la trame du texte, par contre son usage réitéré tout au long de l’ouvrage - en lieu et place du style impersonnel - résulte d’un choix conscient et volontaire largement influencé par les écrits de Barthes :
- « L’objectivité et la rigueur, attributs du savant (...) sont des qualités essentiellement préparatoires... (qui) ... ne peuvent être transférées au discours, sinon par une sorte de tour de passe-passe (...) Toute énonciation suppose son propre sujet, que ce sujet s’exprime d’une façon apparemment directe, en disant je, ou indirecte, en se désignant comme il, ou nulle, en ayant recours à des tours impersonnels (...) comme cette forme privative d’ordinairement pratiquée dans le discours scientifique dont le savant s’exclut par souci d’objectivité. » [17]
Ces “leurres grammaticaux“ n’ont pas seulement une fonction légitimante. Ils servent à distinguer le discours scientifique du discours profane, à séparer le savoir savant du sens commun, à établir une frontière entre eux et nous. L’interdit sur l’usage du pronom personnel dans le discours scientifique est donc quelque chose avec lequel on ne badine pas et sa transgression m’a valu un sévère rappel à l’ordre à l’occasion de ma soutenance de thèse. [74] Tout s’était déroulé de façon normale et facile (présentation de la thèse, période de questions-réponses) et le jury s’apprêtait à sortir pour délibérer quand son président a pris la parole et, sur un ton d’une grande violence, a fustigé mon narcissisme, la place excessive que je prenais sur la scène ethnographique, ces dérapages vers un exhibitionnisme oscillant entre l’auto-flagellation (le sanglot de l’ethnologue blanc) et l’autoglorification.
Il est vrai qu’entre secret et dévoilement, sincérité et mensonge, pudeur et obscénité, l’exercice d’auto-mise en scène se pratique toujours sur le fil du rasoir et que le danger de succomber aux délices du narcissisme est grand. N’étant sans doute pas le mieux placé pour évaluer les résultats de mon travail dans ce domaine, je me contenterai de signaler que d’autres professionnels de l’ethnologie ont vu les choses de façon différente. Ces collègues ont estimé que le risque de narcissisme délibérément assumé et dépassé par l’auteur, constituait un moyen efficace d’ouvrir la subjectivité du lecteur et de l’accrocher autant par la raison que par l’émotion.
Avec du recul, j’estime que cette violente réaction de rejet prenait moins racine dans l’utilisation excessive du “je“ que dans un mélange des genres, l’autobiographie ethnographique, d’un côté, le discours scientifique, de l’autre, qui d’ordinaire sont soigneusement distingués au niveau de la publication. En effet, si les récits autobiographiques d’une expérience ethnographique ne sont pas rares, ils sont en général publiés comme des écrits à prétention littéraire en marge du discours scientifique légitime [18] et rares sont les auteurs qui ont pris le risque de mêler notations autobiographiques et analyses scientifiques dans un même texte [19]
Le récit de vie. Face à l’ethnologue, un autre sujet (il s’agit de M) utilise la première personne du singulier pour raconter avec force l’histoire de sa vie.
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Ici, contrairement au journal, il y a eu un important travail d’écriture tendu entre deux exigences contradictoires : la fidélité au texte original et la lisibilité. De fait, entre le texte oral enregistré sur bande magnétique, sa transcription puis sa traduction et enfin son découpage en sous-ensembles narratifs chronologiquement ordonnés, il y a eu toute une série “d’opérations hétérologiques“ (pour reprendre une expression de M. de Certeau [20]) qui font l’objet d’une description détaillée comme en témoigne cet extrait :
« La période pendant laquelle j'ai effectué l'enregistrement du récit de vie de cette jeune femme correspondait à une sorte de "lune de miel" dans nos relations. Son état physique s'améliorait rapidement sous l'effet du traitement médical, d'une alimentation régulière et de la possibilité qui lui était offerte de récupérer à l'abri des quatre murs d'une chambre louée à son intention. (...)
Au total, ce sont trois heures qui ont été enregistrées au moyen d'un magnétophone, dans l'intimité d'une relation duelle. M avait parfaitement compris ce que j'attendais d'elle et se chargeait d'écarter les importuns qui survenaient à l'improviste. (...)
En théorie, la prise de notes simultanée est recommandée avec, pour objectif, notamment celui d'enregistrer les interactions non verbales (gestes, attitudes, mimiques, regards...) qui constitueront, lorsque sera venu le moment de "comprendre ce qui s'est passé" de précieux indices. En pratique, je me suis contenté, une fois l'entretien terminé, de rédiger des notes sur les événements qui avaient immédiatement précédé et suivi.
Dans le cas de M, le premier entretien (d'une durée de 3/4 d'heure) avait été largement non directif et elle en avait profité pour faire le récit complet de sa vie d'une façon très schématique. Les deux entretiens suivants ont été plus directifs dans la mesure où il s'agissait de recueillir des informations supplémentaires sur des événements ou des personnages identifiés comme des facteurs déterminants dans sa trajectoire. (...)
Par la suite, ces enregistrements ont été transcrits intégralement par une secrétaire bilingue (wolof-français). Puis, cette transcription a été contrôlée par une collaboratrice sénégalaise et moi-même.
D'habitude, la phase de transcription, est tenue pour une pratique courante, allant de soi, ne modifiant pas la nature du document qui sera soumis à l'analyse. Or, cette opération (...) serait légitimée par la définition de l'objet (la parole de l'autre) comme "fable", c'est-à-dire une parole qui ne sait pas ce qu'elle dit : « La "fable" est donc parole pleine, mais qui doit attendre l'exégèse savante pour que soit "explicite" ce qu'elle dit "implicitement". Par cette ruse, la recherche se donne à l'avance, dans son objet même, une nécessité et une place (...) La domination du travail scripturaire se trouve ainsi fondée en droit par cette structure de "fable" qui est son produit historique. » (M. de Certeau, 1980 : 271-272)
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Enfin, dans le cas du récit de vie de M, l'abus de pouvoir consubstantiel à l'opération de transcription s'est accompagné d'une trahison, celle de la traduction. Dans les mois qui ont suivi mon retour du terrain (...) trois traductions ont été successivement produites jusqu'à parvenir au point où l'ambiguïté sémantique apparaisse irréductible. » [21]
- La violence symbolique
Les circonstances dans lesquelles a eu lieu ma rencontre avec M ont eu un impact considérable sur la suite de notre relation. En deux mots, j’ai fait sa connaissance au moment où, par ailleurs, j’étais mis en échec par une jeune femme consommatrice de drogues qui faisait preuve d’une résistance remarquable à l’objectivation scientifique. De plus, j’entamais les derniers mois de mon séjour sur le terrain et l’obligation d’obtenir des résultats se faisait pressante.
Dans un premier temps, confronté à une urgence d’ordre médical, je me suis lancé sans rien attendre en retour dans une action thérapeutique vis-à-vis de cette jeune femme qui présentait un état de détresse psychologique et physique grave. Ce n’est que par la suite qu’elle m’est apparue comme une informatrice potentiellement “intéressante“ en raison de son itinéraire exemplaire en marge de la société, de sa toxicomanie, de l’exclusion sociale dont elle était l’objet dans une société réputée pour être conviviale et solidaire.
À partir de ce moment, la prise en charge thérapeutique est devenue une monnaie d’échange dans le cadre d’une interaction marchande clairement reconnue : des soins médicaux, de l’hébergement, de la nourriture en échange d’une collaboration temporaire à mon enquête. Instrumentalisation réciproque (du côté de M, il s’agissait d’exploiter au maximum ce Blanc tombé du ciel) assumée comme telle dans le cadre d’une société en crise où les rapports sociaux sont de plus en plus monétarisés. Mais, il faut le préciser, en ce qui me concerne, cette instrumentalisation a été limitée par la dimension thérapeutique de cette recherche-action et le respect du principe hippocratique fondamental : Primum non nocere ! (D’abord ne pas nuire !).
C’est ainsi qu’une fois la collecte du récit de vie effectuée, je me suis rendu compte qu’il me serait impossible, sans faire de dégâts, de mettre un terme à une relation dont elle était devenue dépendante. Dans les mois qui vont suivre, c’est dans cette [77] confrontation parfois violente entre mon désir d’en finir avec une relation de plus en plus lourde à gérer et, de son côté, la volonté de la prolonger, qu’elle va parvenir à se faire entendre comme un sujet à part entière. En l’accompagnant dans son itinéraire chaotique entre prisons, bars et hôpitaux, en observant de son point de vue (celui d’un déchet social tout juste bon à être jeté aux ordures) les comportements des agents de l’appareil d’État ou ceux des usagers du “maquis”, j’allais découvrir progressivement la face sombre de cette société urbaine, la violence exercée envers les plus faibles, le rejet des plus démunis dans ces marges déstructurées de la société qui s’étendent chaque jour davantage.
Refusant d’occulter cette violence symbolique par quelque subterfuge rhétorique, j’ai choisi de donner à lire les notes prises au jour le jour sur l’évolution de notre relation. Pas seulement, parce qu’il fallait montrer, dans ce cas particulier, le rôle qu’avait pu jouer cette forme particulière de violence dans l’élaboration du savoir en question mais davantage, parce que j’étais (et je reste) convaincu que je ne pouvais faire autrement qu’avoir les mains sales. Autrement dit, qu’il m’était impossible de me défaire du pouvoir dont j’étais investi dans cette société en tant que Blanc, Homme, Français, dominant par la culture, le savoir, l’argent ces pauvres que j’étais venu étudier.
Ce pessimisme fondamental qui admet que l’usage de la violence est inévitable en situation d’enquête n’est pas stérile dans la mesure où il participe à la démolition de la figure héroïque de l’ethnologue. Dans cette perspective, l’ethnologue peut mettre à profit ce manque éthique jamais comblé pour relativiser son savoir, réduit à n’être plus qu’un savoir parmi d’autres, un point de vue sur le monde parmi d’autres, pas vraiment objectif mais pas totalement subjectif non plus.
En définitive, je pense que l’ethnographie doit revendiquer une légitimité scientifique non pas en reniant sa singularité méthodologique au nom d’un mimétisme absurde vis-à-vis des sciences de la nature mais au contraire en mettant en avant le caractère relatif, incomplet, évolutif et somme toute résolument moderne, d’un savoir en permanente déconstruction/reconstruction, une compréhension du monde en devenir.
- Réception de l’ouvrage
Depuis la sortie, de cet ouvrage, plusieurs années ont passé et je dispose à l’heure où j’écris ces lignes (1999) d’un recul suffisant pour [78] évaluer la réception très différente dont il a fait l’objet selon le public considéré. S’il a été un succès éditorial au Sénégal, ce livre a connu un échec relatif auprès de ce que l’on appelle la communauté scientifique.
Ainsi, à ma connaissance, il n’y a pas eu de compte rendu dans des revues scientifiques francophones et un seul en anglais dans Africa. Ce travail n’a pas été critiqué, ni démoli, mais purement et simplement ignoré par mes collègues. [22] Et les rares personnes qui avaient accepté d’en faire la recension ont finalement trouvé mieux à faire. J’ai donc dû me contenter des bruits véhiculés jusqu’à moi par la rumeur pour avoir une idée de ce qu’en pensaient mes collègues.
En général, c’est le caractère scientifique du travail qui est mis en cause par ses détracteurs qui mettent l’accent soit sur la qualité littéraire du texte : « Ce n’est pas de la science, mais de la littérature », soit sur son manque de légitimité scientifique : « un tel travail qui n’aurait jamais été accepté comme une thèse en France ». Or, ce sont les mêmes arguments littéraires qui sont mis en avant par ceux de mes collègues qui, portés à remettre en question un scientisme jugé archaïque, ont fait l’éloge d’une « écriture littéraire avec de réels bonheurs d’expression », d’un « style souvent remarquable » ou encore d’un « talent littéraire certain », etc.
En ce qui me concerne, j’ai toujours rejeté l’emploi de ces termes pour qualifier un travail dont les qualités stylistiques me paraissent médiocres et dans lequel j’ai simplement tenté d’assumer cette part de logos propre au discours scientifique. Car s’il y eu travail d’écriture, il est resté subordonné, comme je l’ai montré, à des exigences d’ordre méthodologique et éthique. Et si j’ai effectivement joué avec le langage, c’est en lui concédant une liberté étroitement surveillée dans une perspective plus pragmatique qu’esthétique. Et si j’ai poussé jusqu’à ces limites le discours scientifique, je l’ai fait dans le cadre d’une expérimentation qui me paraissait légitime tant que la recherche n’aura pas été complètement stérilisée par la normalisation techno-bureaucratique en cours.
Ce rejet de la part de la communauté scientifique d’un objet hybride, monstrueux, qui ne rentrait dans aucune catégorie admise, fut le prix à payer pour atteindre les objectifs que je m’étais fixé concernant la diffusion des résultats de la recherche.
[79]
Car, si l’ouvrage s’est peu vendu en France, il l’a été par contre à plusieurs centaines d’exemplaires à Dakar. Les Sénégalais (enseignants, intellectuels, étudiants) l’ont acheté pour découvrir un aspect de leur société dont ils ignoraient presque tout. Je sais par ailleurs que l’ouvrage a fait l’objet de débats dans les loges de la franc-maçonnerie dakaroise qui regroupent une partie de l’intelligentsia sénégalaise. Enfin, résultat inattendu, le livre a été acheté aussi par des expatriés, peut-être en quête d’un nouvel exotisme dans ces marges qui seraient devenues de nos jours la vérité même du primitif dans notre monde (Vattimo, 1987 : 164).
Quant à son impact sur les décideurs politiques, il est difficile à évaluer. Mais en 1994-1995, soit quelques mois après la parution du bouquin, l’État sénégalais déclarait une « guerre totale à la drogue » (pour reprendre les gros titres des journaux), alors que j’avais montré qu’il n’avait pas les moyens d’appliquer cette stratégie de répression à tout crin, en particulier du fait de la déliquescence de son propre appareil administratif. Il est probable que les bailleurs de fonds occidentaux (USA et France en particulier) ont pesé de tout leur poids dans une décision qui, si elle satisfaisait leurs intérêts à court terme (contrôler les filières internationales de distribution), risque à moyen terme de fragiliser un peu plus l’État sénégalais.
- « To be read or perish »
Quand l’ethnographe adopte les normes du discours scientifique, quand il fait silence sur les conditions de production de son savoir, quand il produit un discours qui relève plus de la fiction que d’une interprétation rigoureuse du monde en raison d’une objectivité largement imaginaire, il est censé faire œuvre scientifique.
À l’inverse, quand il essaie de tenir un discours vrai sur les origines et la nature de son savoir, quand il met en question les conventions rhétoriques en usage, quand il sort des sentiers battus de l’orthodoxie discursive, alors il est suspecté de faire de la littérature et non de la science.
À mon sens, la solution à cette aporie réside dans l’affirmation de la nature originale et unique du savoir ethnographique et dans le fait d’en tirer les conséquences au niveau de l’écriture. Dans cette expérience particulière dont il vient d’être question, je suis devenu non pas un écrivain mais un “écrivant“ selon la définition proposée par Barthes (1964 : 248-249) c’est à dire ce sujet “transitif“ qui pose une fin (témoigner, expliquer, [80] enseigner) et qui utilise toutes les ressources du langage comme un moyen. [23]
Je terminerai en disant que, malgré son schématisme et les nombreuses expressions hybrides qu’elle admet, la distinction entre discours scientifique et discours littéraire mérite d’être maintenue. Elle garantit la possibilité d’un savoir logique autonome autant que celle d’une esthétique délivrée du souci de la référentialité, ces deux versants opposés quoiqu’étroitement liés de notre horizon intellectuel [24]. À condition, ajouterai-je, d’ouvrir largement à l’expérimentation le champ de l’écriture en sciences sociales, en donnant aux jeunes chercheurs, aux étudiants, la liberté de penser, de créer, d’inventer. [25] À l’heure où l’édition des sciences sociales est en crise faute de lecteurs, il serait temps que la profession s’interroge sur les moyens à mettre en œuvre pour démocratiser nos savoirs et toucher de nouveaux publics.
BIBLIOGRAPHIE
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1994 Marges, sexe et drogues à Dakar. Enquête ethnographique. Paris, Karthala.
[1] Le terme ethnographie a été préféré à celui d'ethnologie (dont le sens est très proche) dans le but de mettre l'accent sur la dimension méthodologique de mon questionnement.
[2] Dan Sperber, Le savoir des anthropologues, Paris, Hermann, 1982, p. 16.
[3] Terme inapproprié s'il en est pour désigner des énoncés qui ne sont jamais « donnés » mais « construits » au cours d'une interaction problématique entre un(e) ethnologue et des sujets qualifiés d'informateurs.
[4] Roland BARTHES, Le bruissement de la langue (Essais critiques IV), Paris, Seuil, 1984, p. 14.
[5] Gérard Toffin, « Le degré zéro de l'ethnologie », L'Homme, 113, XXX (1), 1990, p. 138-150.
[6] Au-delà de ce public citoyen, il s'agissait de trouver une forme susceptible d'atteindre un public étudiant qui s'est largement détourné d'une discipline fortement associée à la colonisation. Si l'anthropologie africaniste suscite encore des vocations en Europe, l'anthropologie africaine est quant à elle en piteux état.
[7] James Clifford, « On Ethnographic Authority », Representations, I, 2, 1983, p. 118-146.
[8] Gérard TOFFIN, « Le degré zéro de l'ethnologie », L'Homme, n° 113, XXX (1), 1990, p. 138.
[9] James Clifford, « On Ethnographic Authority », Representations, I, 2, 1983, p. 118-146.
[10] Il faut rendre cette justice à Bourdieu qu'il a beaucoup évolué depuis qu'il écrivait sa célèbre phrase sur « la malédiction des sciences de l'homme que d'avoir affaire à un objet qui parle » (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron et Jean-Claude CHAMBOREDON, Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1968). Il affiche aujourd'hui des opinions diamétralement opposées et va jusqu'à considérer l'entretien comme un « exercice spirituel » (Pierre BOURDIEU, « Comprendre », Pierre BOURDIEU (éd.), La misère du monde, Paris, Seuil, 1989, p. 909-914).
[11] James CLIFFORD, et George E. Marcus, Writing Culture, Berkeley, University of California Press, 1986.
[12] - Si le terme de “Marges“ a fait l’objet d’âpres discussions avec l’éditeur qui lui préférait celui de marginalité, par contre la référence au “sexe“ dans le titre de l’ouvrage a été introduite par ce dernier pour des raisons purement commerciales. Quant au sous-titre, il est là pour souligner l'ancrage de ce travail dans le concret de la méthode.
[13] Michel Izard, « L'enquête ethnographique », in P. BONTE, et M. IZARD (éds), Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, PUF, 1991, p. 470474, cf. p. 471.
[14] Nigel Barley, Un anthropologue en déroute [éd. angl. 1983], Paris, Payot, 1992.
[15] Marcel DÉTIENNE, et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l'intelligence. La metis des Grecs, Paris, Flammarion, 1974, p. 274.
[16] Jean-François Werner, Marges, sexe et drogues à Dakar. Enquête ethnographique, Paris, Karthala, 1993, p. 68.
[17] Roland B ARTHES, Le bruissement de la langue (Essais critiques IV), Paris, Seuil, 1984, p. 17-18.
[18] Michel Leiris, L'Afrique fantôme [1934], Paris, Gallimard, 1981 ; Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Pion, 1955 ; Nigel Barley, Un anthropologue en déroute [éd. angl. 1983], Paris, Payot, 1992. Dans cet ordre d'idée, un cas exemplaire est celui de l'ouvrage de Laura BOHANNAN, Return to Laughter, publié en 1954 sous le pseudonyme de E. Smith Bowen et sous-titré « Roman anthropologique ». Il s'agit du récit à peine romancé d'une première expérience de terrain chez les Tiv du Nord du Nigeria.
[19] Voir a contrario : Vincent CRAPANZANO, Tuhami. Portrait of a Moroccan, Chicago, University of Chicago Press, 1980 ; Jean-Marie Gibbal, Tambours d'eau, Paris, Sycomore, 1982 et Paul Rabinow, Un ethnologue au Maroc. Réflexions sur une enquête de terrain [1977], Paris, Hachette, 1988.
[20] Michel de CERTEAU, L'invention du quotidien, Paris, UGE, coll. «10/18», 1980, p. 271.
[21] Jean-François Werner, Marges, sexe et drogues à Dakar. Enquête ethnographique, Paris, Karthala, 1993, p. 114-116.
[22] Il s'agit en fait d'une situation commune et beaucoup de chercheurs souffrent de cette difficulté à obtenir une évaluation de leur travail par leurs pairs.
[23] Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, p. 248-249.
[24] Gérard TOFFIN, « Le degré zéro de l'ethnologie », L'Homme n° 113, XXX (1), 1990, p. 138-150, cf. p. 140.
[25] Une proposition qui rejoint le plaidoyer de Monique Jay pour une formation à l'écriture des étudiants en sciences sociales. Cf. Monique Jay, « Sur l'écriture en sciences humaines », Journal des Anthropologues, n° 75, 1998, p. 109-128.
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