[1]
Colloque sur l’immigration à Laval.
De l’accueil à l’intégration :
diagnostic, parcours et expériences.
Introduction
Rachad Antonius
Professeur, Département de sociologie,
Université du Québec à Montréal
Fondé en 1990, le Carrefour d'Intercultures de Laval (CIL) est un organisme à but non lucratif dont la mission consiste à accueillir les personnes immigrantes ou réfugiées nouvellement arrivées à Laval, à les aider dans leur démarche d'établissement, à les orienter et à les accompagner dans leur processus d'intégration à la société québécoise. Il veille également à sensibiliser la société d'accueil à la diversité culturelle. Le public qu'il vise inclut les réfugié-es [1] pris en charge par l'État, ainsi que les membres des minorités visibles et des communautés culturelles. Il travaille étroitement avec d'autres institutions de Laval, communautaires ou publiques.
Suite à des discussions et des consultations dans son milieu, le CIL a conclu qu'il serait pertinent de tenir une journée d'échanges et d'interactions entre les intervenant-es qui œuvrent dans les organismes lavallois de services de première ligne concernés par l'accueil et l'intégration, et ceux et celles qui reçoivent les services offerts. Il s'agissait de mieux comprendre comment se vit le « choc » de l'intégration à Laval du point de vue des personnes immigrantes et de celui des intervenantes de première ligne, et de le partager avec l'ensemble de la communauté impliquée dans ce processus.
Bien qu'on retrouve une forte proportion de citoyens de Laval issus de vagues d'immigration anciennes (quelques décennies), le profil sociodémographique actuel de la ville inclut de plus en plus d'immigrants et réfugiés récents. Cette situation comporte ses propres difficultés, que le CIL voulait mettre en lumière afin que ses interventions et celles de ses partenaires soient plus adéquates. D'autant plus que Laval est un microcosme de la société québécoise actuelle. La situation vécue à Laval est aussi vécue dans d'autres villes, ce qui donnait une pertinence accrue au projet. Dans cet objectif, le CIL a contacté la Chaire de Recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) de l'UQAM pour l'aider à organiser un colloque réunissant la communauté des personnes impliquées dans le processus d'accueil et d'intégration. Le colloque, ainsi que ces Actes, ont été le résultat de cette collaboration. Il s'est tenu le 14 octobre 2014 au Cégep Montmorency et a accueilli plus de 140 participant-es.
Pour faire le point sur les difficultés rencontrées par les nouveaux arrivants, nous avons mis six ateliers au cœur du programme de la journée, couvrant les principaux domaines d'interaction entre ces derniers et les institutions de la société d'accueil. Trois conférences plénières ont préparé les discussions, d'abord avec une réflexion sur la notion même d'intégration et ses différentes déclinaisons (Mme Micheline Labelle), ensuite avec un rappel des réalités sociodémographiques de l'immigration à Laval (Mme Carole Charvet) et enfin avec un tour d'horizon des questions d'intégration des immigrant-es au marché du travail (M. Kamel Béji). Bien que le colloque ait visé un public large, ce sont surtout des intervenants [2] dans le domaine de l'accueil qui y ont participé. Étant eux-mêmes, pour la plupart, issus de l'immigration (récente ou plus [2] ancienne), nous avons pu avoir, ainsi, une double perspective : celle des intervenants surtout, mais des intervenants qui ont passé par les mêmes étapes que les personnes qu'ils et elles accueillent, et qui ont avec ces derniers un rapport emphatique fondé sur une même expérience d'exil, d'émigration et d'immigration. Nous croyons avoir saisi, par cette approche, l'essentiel des problématiques que nous voulions cerner.
La journée a été riche en informations et en interactions. Les lecteurs et lectrices trouveront d'abord, dans les pages qui suivent, les communications des spécialistes qui ont été sollicités pour donner des conférences plénières. La première a été Mme Micheline Labelle, fondatrice de la CRIEC, professeure émérite au département de sociologie de l'UQAM, et l'une des plus grandes spécialistes des questions d'immigration et de relations ethniques au Québec, qui a prononcé la conférence d'ouverture sur la notion d'intégration. La conférence de M. Kamel Béji, professeur agrégé au département des relations industrielles de l'Université Laval, a porté sur l'intégration des immigrant-es au marché de l'emploi. Et Mme Carole Charvet, démographe et membre du Carrefour d'Intercultures de Laval, a dressé un portrait statistique de l'immigration à Laval. Nous avons inclus, à la suite de ces communications, les présentations faites par les personnes-ressources dans les ateliers, suivies des comptes-rendus des discussions qui ont suivi.
Dans cette introduction, je voudrais souligner un certain nombre de faits qui ressortent des discussions en atelier et les mettre en perspective.
Commençons par une mise en garde. Le colloque visait avant tout à identifier les obstacles à l'intégration que rencontrent les immigrants et immigrantes très récents (incluant les réfugié-es), tels que perçus par ces derniers et par les intervenant-es de première ligne. Les personnes qui viennent d'arriver au Québec vivent, dans les premières années, des problèmes d'intégration de façon plus aiguë que par la suite. Ce sont donc de ces obstacles dont nous avons surtout discuté, ce qui explique en partie pourquoi l'image globale qui ressort des échanges lors du colloque semble plutôt négative. Les aspects positifs de la situation des communautés immigrées, ainsi que les indicateurs d'intégration réussie, surtout à moyen terme et à long terme, n'ont pas été abordés parce que ce n'était pas le but principal de l'exercice. Mentionnons par exemple que ceux et celles qu'on appelle les « 2e générations », soit les enfants d'immigrants qui ont été socialisés et scolarisés ici, se débrouillent beaucoup mieux que leurs parents, en dépit des obstacles et quelquefois du racisme. Il faut garder cela en perspective en lisant ces actes du colloque.
Par ailleurs, le diagnostic qui suit n'est pas le résultat d'une enquête sociale rigoureuse. Il reflète les perceptions - largement partagées, en général - du milieu des intervenant-es et des organismes d'accueil à Laval. Sa valeur vient de ce qu'il reflète la situation telle que vécue par les intervenant-es de première ligne. C'est à ce titre qu'il est pertinent comme outil de réflexion sur la façon d'améliorer les facteurs d'intégration pour la population récemment immigrée à Laval.
Nous tenterons dans cette introduction de faire ressortir certaines tendances, que nous avons regroupées sous les rubriques suivantes :
- Le vécu des immigrant-es
- Les stratégies d'adaptation et de « survie » sociale
- Les rapports entre les institutions et immigrant-es
- Les recommandations issues du colloque
À travers ces rubriques, nous pouvons identifier trois types obstacles à l'intégration qui ont été mentionnés par les participant-es.
[3]
Un premier type d'obstacles concerne les services inadéquats, c'est-à-dire qui ne tiennent pas compte des besoins réels des migrant-es, ou alors qui ne tiennent pas compte des contraintes qui empêchent ces derniers de bénéficier des mesures mises en place à leur intention. Ici, ce sont les institutions qui sont interpelées pour faire des diagnostics plus précis et pour inclure dans leur fonctionnement des mécanismes de correction. Un deuxième type d'obstacles relève de la communication. Ceci se produit quand les services adéquats existent mais que de nombreux bénéficiaires potentiels ne le savent pas. La communication entre les immigrant-es et la société d'accueil est bien sûr affectée par la méconnaissance de la langue, mais souvent aussi par des codes communicationnels différents qui ne sont pas toujours d'ordre verbal. En troisième lieu, il ne faut pas sous-estimer les difficultés inhérentes à l'immigration, et qui nécessitent un temps d'adaptation et d'apprentissage et qu'aucune politique d'accueil ne peut résoudre instantanément. En ce sens, l'idée que toute difficulté est due à des politiques inadéquates ne tient pas la route. C'est dans le dialogue que les ajustements peuvent être faits de part et d'autre. Ici l'optimisme est de mise...
Résumé des faits saillants
Voici donc les éléments qui nous semblent ressortir le plus. Certains sont connus, et la littérature académique les a déjà identifiés. Mais la vue d'ensemble que les discussions ont fait ressortir mérite d'être rappelée.
- Le vécu des immigrants
Une partie importante des divers ateliers a été centrée sur les obstacles concrets que vivent les immigrants et immigrantes nouvellement arrivés. Une idée qui est revenue souvent dans les propos est celle de la diversité et de la spécificité des situations et des besoins. Une attention particulière a été apportée à la situation des femmes. Les points qui suivent ont été soulignés. Il s'agit d'une population nettement défavorisée, concentrée dans des secteurs d'emploi limités, généralement précaires et atypiques qui ne sont pas à la hauteur de leurs diplômes ou de leurs expériences professionnelles. Certaines d'entre elles doivent faire face à de longues listes d'attente dans les garderies subventionnées ainsi que pour s'inscrire aux cours de francisation. Le parrainage par le conjoint les rend quelquefois dépendantes financièrement et vulnérables. Un facteur qui affecte femmes et hommes est la méconnaissance de la culture du travail, ce qui les défavorise lors d'entrevues d'emploi. Ces difficultés peuvent entraîner une détresse morale et un stress psychologique qui affectent toute leur expérience migratoire. La solution de rester à la maison entraîne quant à elle un isolement social qui se combine avec les autres problèmes et qui les éloigne des organismes qui pourraient leur apporter un appui.
L'idée a été proposée que les critères d'immigration sont porteurs d'inégalités, car la grille de sélection est inadéquate : elle ne tient pas compte du fonctionnement réel du marché de l'emploi. En effet, cette grille privilégie ceux et celles qui ont des diplômes universitaires, et qui parlent le français. Or il arrive souvent que les diplômes ne soient pas reconnus, ou que l'expérience antérieure ne soit pas jugée comme étant pertinente. Cela est particulièrement vrai pour certains domaines d'expertise. De plus, les immigrant-es francophones découvrent vite qu'on leur demande aussi une connaissance de l'anglais. Ayant passé avec succès le filtre de la grille de sélection, ils et elles s'attendent à trouver rapidement un emploi, ce qui n'est pas le cas. Un ajustement est nécessaire, ici.
Les participants ont abordé le rôle de l'école dans l'intégration car elle constitue pour les familles le lieu de premier contact et de premier choc, surtout dans son fonctionnement quotidien. Le rôle des professeurs, le type et la quantité d'informations que reçoivent les parents, le fonctionnement des inscriptions, sont autant d'occasions d'incompréhension où les malentendus se multiplient. La communication est plus difficile [4] quand les parents ne parlent pas français, ce qui donne aussi lieu, quelquefois, à des manifestations d'impatience ou d'intolérance de la part des professeurs. Or la proportion des élèves allophones a beaucoup augmenté au courant des dernières années. En 2012- 2013, 55% des élèves dans les écoles de Laval étaient issus d'immigration, un statut qui coïncide souvent (mais qui n'est pas identique) à celui d'allophone.
Pour les étudiant-es qui sont allophones, la méconnaissance du français a pour conséquence qu'ils et elles ne peuvent pas poursuivre leur scolarisation à partir du même point où ils étaient rendus dans leur pays d'origine. Ils ont donc l'impression que leur parcours scolaire est retardé par le système, ce qui leur cause d'énormes frustrations. Ceci affecte leur motivation et se répercute négativement, quelquefois, dans leur réussite scolaire et dans leur intégration sociale. Les différences culturelles sont ici source de conflits.
Une notion importante qui est ressortie des discussions est celle de moments de vulnérabilité que vivent les individus et les familles. En l'absence de réseau social d'appui, certains moments clés (naissance d'un enfant, deuil, etc.) viennent bousculer les fragiles équilibres qu'ont trouvés les familles durant les toutes premières années de l'immigration. C'est à ces moments qu'ils ont besoin d'appui spécifique et personnalisé.
Plusieurs intervenant-es ont fait remarquer que les immigrants récents avec qui ils sont en contact ont des attentes élevées quant à la rapidité de leur intégration. Les difficultés qu'ils et elles rencontrent sont souvent mises presque entièrement sur le dos de la société d'accueil.
- Les stratégies d'adaptation
et de « survie » sociale
Bien que la question des stratégies d'adaptation n'ait pas été discutée de façon explicite, plusieurs éléments de réflexion relatifs à ce thème ont émergé durant les discussions. Face aux difficultés rencontrées (non-reconnaissance des diplômes, accès difficile aux examens permettant d'être membres d'ordres professionnels), les immigrants nouvellement arrivés se voient souvent encouragés à adopter des stratégies d'adaptation qu'ils et elles n'avaient pas prévues. Le retour aux études collégiales ou universitaires demeure l'une des stratégies privilégiées pour pénétrer le marché de l'emploi, mais elle est très coûteuse en termes d'argent mais surtout de temps : l'intégration au marché du travail est alors retardée de plusieurs années. Dans le parcours de l'intégration professionnelle des femmes immigrantes, une alternance entre emploi précaire, chômage et formation semble être fréquente. Mais la demande de cours de francisation à temps complet, par contre, est en baisse parce que les personnes immigrantes cherchent du travail et préfèrent se garder disponibles en suivant des cours du soir à temps partiel.
Une autre stratégie est celle de la participation accrue et visible des parents immigrants sur les conseils d'établissement. Ceci est nouveau, comparativement à ce qui se passait il y a une dizaine d'années.
- Les rapports
entre les institutions et immigrants
Une partie non négligeable des obstacles à l'intégration qui ont été relevés concernait les rapports entre les institutions diverses et les nouveaux immigrants. Des institutions comme les écoles se retrouvent à devoir gérer des difficultés d'intégration pour lesquelles elles ne sont pas outillées. Les malentendus de nature culturelle se font particulièrement sentir dans le domaine de la protection de l'enfance. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et les parents nouvellement arrivés ne parviennent pas toujours à s'entendre sur la démarcation entre les pratiques culturelles qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas. Des cas ont été mentionnés où l'application stricte et rigoureuse de certaines lois régissant le comportent des parents à des immigrants qui venaient juste d'arriver, sans tenir compte de leur vécu et sans leur donner le [5] temps de s'adapter, avait entraîné des drames familiaux irréparables. Ceci est particulièrement vrai du contrôle que les parents souhaitent exercer sur leurs enfants, surtout en ce qui concerne les châtiments corporels. En conséquence, la DPJ a l'image d'une « enleveuse d'enfants » aux yeux de certains immigrants. Il y a un grand besoin de faire connaître les divers services offerts à Laval puisqu'il y a plusieurs alternatives à la DPJ lorsque des conflits éclatent entre parents et enfants.
Le manque de communication entre les intervenant-es ainsi qu'entre les ressources peut mener à un autre problème. Ainsi, il n'est pas rare que plusieurs intervenant différents (jusqu'à 7 !) travaillent sur un même dossier sans communiquer entre eux. La nécessité que tous les organismes travaillent ensemble a donc été affirmée.
Des intervenantes ont remarqué que les institutions ont tendance à se méfier de certaines pratiques culturelles et du savoir-faire des femmes immigrantes surtout quand elles viennent de cultures dites traditionnelles. Ceci donne parfois lieu à des comportements dévalorisants pour les femmes immigrantes.
Les problèmes de communication entre organismes communautaires et institutions publiques ou parapubliques ont été pointés du doigt. L'arrimage des forces et des compétences des différents acteurs formels et informels, c'est-à-dire des milieux communautaires, institutionnels et ministériels est nécessaire. L'absence d'un tel arrimage conduit parfois à des cercles vicieux administratifs. Par exemple, pour obtenir un logement acceptable, il est essentiel d'avoir un antécédent de crédit ainsi que des références, mais sans premier logement, on ne peut pas en avoir ... Dans ce sens, un partenariat entre l'école, la famille et la communauté devient la clé du succès de l'intégration des familles. Les efforts du CIL, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) et du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) [3] pour organiser des ateliers et expliquer le système éducatif québécois ont été soulignés. Des outils éducatifs en plusieurs langues ont été préparés par la TCRI, et plusieurs organisations communautaires les utilisent (voir : Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes).
Une recherche menée par le Collège Montmorency pour présenter l'expérience d'intégration de personnes immigrantes, et particulièrement leur parcours en francisation, a été présentée au colloque et a suscité un intérêt certain (voir www.parcours-integration.ca).
En ce qui concerne l'emploi, les règles et les pratiques concernant les entrevues d'emploi et la gestion des carrières qui sont courantes au Québec ont un effet d'exclusion pour les immigrants et notamment pour les femmes immigrantes. L'effet de telles pratiques se voit dans les taux de chômage élevés qui affectent les populations récemment immigrées. Parallèlement, la perception négative de l'immigration chez certains membres de la société d'accueil entraîne des attitudes discriminatoires vis-à-vis des communautés culturelles, et notamment des minorités visibles.
Commentaires généraux sur les ateliers
Quelques grandes lignes se dégagent des discussions précédentes, qui nous permettent d'établir des priorités entre trois grands axes qui structurent la vie des nouveaux arrivants :
[6]
- l'axe économique (trouver les moyens de subvenir à ses besoins et de survivre) ;
- l'axe de la gestion du quotidien de l'insertion sociale (interagir avec l'école, accéder aux services sociaux et aux services de santé, entrer en relation avec les institutions, etc.) ; et
- l'axe identitaire (trouver un équilibre entre la conservation de son identité et sa transformation par l'insertion dans une nouvelle culture).
Ce qui ressort des discussions, c'est qu'au-delà des préoccupations directement économiques {avoir un emploi), les préoccupations des immigrants récents et des intervenants de première ligne qui travaillent avec eux concernent avant tout des questions logistiques et organisationnelles, qui constituent des obstacles à leur intégration : processus de recherche d'emploi, de recherche d'un logement, interaction avec l'école des enfants, interactions avec les diverses institutions sociales, etc. Quand la culture intervient, c'est avant tout en tant qu'ensemble de codes dans la communication, et c'est là que les malentendus peuvent survenir. On a aussi signalé les différences dans les attentes concernant le fonctionnement de l'école, les rapports avec les professeurs, etc.. Mais tout cela n'est pas spécifique au Québec et ces processus sont semblables à ce que vivent les immigrants dans d'autres contextes.
On est ainsi loin du débat sur les accommodements, raisonnables ou pas, ou sur le français comme élément de l'identité québécoise. Ici, c'est la dimension fonctionnelle du français qui compte, c'est-à-dire sa qualité d'outil de communication, dont la connaissance est une condition nécessaire pour gérer le quotidien et pour obtenir un emploi intéressant, et qui peut fermer des portes à ceux qui ne le maîtrisent pas.
En d'autres termes, les discussions de ce colloque ont fait apparaître un clivage important dans les perceptions des obstacles à l'intégration. Ce clivage apparaît entre les perceptions des immigrants récents et des intervenants de première ligne d'une part, et la façon dont le débat est posé et conceptualisé dans l'espace politique et dans les médias d'autre part, c'est-à-dire dans le discours dominant de la société d'accueil. Pour cette dernière, ce sont les questions identitaires propres au groupe majoritaire, centrées sur le français et sur les valeurs, qui priment à cause de leurs conséquences politiques sur les rapports entre le Québec et le reste de la fédération canadienne. Cette perspective, qui est très présente dans les débats publics, n'est pas ressortie dans le colloque. Pour les participants au colloque, ce sont plutôt les interactions concrètes avec les institutions d'accueil qui constituent le cœur des obstacles.
Recommandations
Diverses recommandations ont été formulées dans les ateliers, quelquefois de façon implicite. Il s'agit de recommandations et d'orientations générales et non pas d'actions spécifiques à entreprendre. Voici ce qui nous semble ressortir des discussions.
- La diversité des situations et des besoins étant une des caractéristiques de la situation des migrants récents, les réponses doivent être diversifiées et presque sur mesure.
- Cette diversité nécessite une collégialité dans l'action, pour développer des pratiques concertées autour de cas spécifiques. Dans le même ordre d'idées, il est nécessaire d'établir des espaces de dialogue interdisciplines et interinstitutions entre les intervenant-es, des mécanismes à travers lesquels les intervenant-es dans un domaine spécifique peuvent faire appel à des intervenant-es qui ont d'autres domaines de compétences ou qui proviennent d'autres institutions.
- Il y a, parmi les nouveaux venus, un manque d'information sur la société québécoise et sur le fonctionnement des services et des institutions. Ceci entraîne de nombreux malentendus. Il y a là 7] un besoin de communication accrue et surtout de formation des nouveaux arrivants et des intervenant-es.
- La discrimination et les préjugés sont toujours persistants et les migrants récents en sont conscients. Ceci affecte négativement les processus d'intégration.
- Dans la mise en œuvre des programmes d'intégration, il faut prendre en compte la bidirectionnalité du processus d'intégration d'une personne immigrante. Tant ceux et celles qui arrivent que ceux et celles qui les accueillent ont besoin de préparation. Le choc culturel est vécu des deux côtés. Il est nécessaire de trouver des moyens de construire des espaces où il y de la place pour la pluralité culturelle et pour la compréhension des perspectives fort diverses des uns et des autres.
- En ce qui concerne l'école, il est important de travailler simultanément auprès des parents et des enfants dans l'accueil et dans les activités de formation.
- Plus généralement, un partenariat entre l'école, la famille et la communauté devient la clé du succès de l'intégration des familles.
- Dans les situations de crise ou de difficulté, il faut mobiliser le capital social familial, c'est-à-dire faire appel aux facteurs de force de l'ensemble de la famille et bien comprendre ses faiblesses et ses vulnérabilités.
- Il faut concevoir des programmes de formation continue auprès des intervenants, car les conditions changent et le ressourcement est nécessaire.
Des suites possibles ?
Le colloque a permis la formulation d'analyses et de diagnostics assez précis dans le cadre des communications plénières et des communications d'introduction aux ateliers, ainsi que l'expression d'opinions et d'impressions de la part des participant-es durant les ateliers. Ces opinions et impressions sont très précieuses pour comprendre les dynamiques à l'œuvre dans les processus d'intégration. Elles ont permis de mettre le doigt sur un certain nombre d'irritants, qui sont souvent de l'ordre de la communication : manque de communication entre les institutions et faiblesse du partage d'information d'une part, et mauvaise communication entre immigrant-es et réfugié-es et institutions. Ce dernier problème ne se réduit pas seulement à des questions de langue. Bien qu'il ne faille pas minimiser les difficultés de la communication quand les immigrant-es ne connaissent pas le français ou quand ils ne connaissent aucune des deux langues officielles, les malentendus proviennent aussi de codes culturels différents ou quelques fois de stratégies de diffusion de l'information sur les services offerts.
Deux pistes d'actions futures peuvent se dégager des diagnostics généraux qui ont émergé de l'exercice. D'une part, une recherche appliquée plus pointue pourrait, à partir des difficultés exprimées durant les ateliers, tenter de quantifier leurs manifestations, leur fréquence, les conditions dans lesquelles elles apparaissent, etc. Il s'agirait en somme de faire un diagnostic plus précis, mieux qualifié et quantifié.
Par ailleurs, maintenant que les problèmes ont été pointés du doigt, même de façon générale, un deuxième colloque, qui ferait suite à celui-ci, pourrait réunir les intervenants institutionnels de Laval pour se pencher collectivement sur les solutions à apporter. Un tel colloque devrait cependant être préparé avec beaucoup de soins. Il faudrait rencontrer les partenaires institutionnels, examiner des scénarios de réponses possibles aux difficultés qui ont été identifiées, synthétiser ces réponses, les organiser, identifier les alternatives et en faire un document de discussion. Le colloque de suivi consisterait à engager des discussions pointues sur ce [8] document de travail, pour en extraire des solutions qui résistent à la critique. Évidemment, le CIL devrait jouer un rôle central dans un tel processus, en coordination étroite avec d'autres partenaires lavallois.
Mais c'est avant tout aux intervenant-es de première ligne de décider des mesures de suivi les plus pertinentes. Nous espérons que ce document, avec les riches informations que les participant-es ont apportées et qui sont reproduites dans les pages qui suivent, permettra d'identifier les meilleures activités de suivi.
Bonne lecture.
[1] Nous avons opté pour une neutralisation du langage du point de vue du genre, en incluant autant que possible des -e pour désigner la forme féminine des mots et des adjectifs. Nous avons évité cette pratique quand elle alourdissait trop les phrases.
[2] Par intervenant-es, nous désignons les personnes qui sont en contact direct avec les nouveaux arrivants. Les intervenant-es peuvent travailler pour des institutions (gouvernementales ou paragouvernementales) ou pour des associations communautaires qui, elles, font clairement partie de la société civile.
[3] Appelé, sous des gouvernements précédents, Ministère de l'immigration et des communautés culturelles (MICC).
|