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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, Du monumental à la miniature : Petites folies d’importance”. Un article publié dans la revue ETC, no. 73, mars, avril, mai 2006, pp. 49-53. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Du monumental à la miniature:
Petites folies d’importance”. 

Un article publié dans la revue ETC, no. 73, mars, avril, mai 2006, pp. 49-53. 

 

Ces tableaux de petit format, présentés dans le cadre de l’exposition Petites folies d’importance à la Galerie Plein Sud au cours de l’automne 2005, sont tous de grandeur égale (22 x 33 6,5cm) sauf cinq de plus grand format (44 x 51 x 12cm). Ils se présentent tous sous forme de boîtier en bois de tilleul et verre. On peut voir au travers étant donné qu’ils sont légèrement décalés du mur sur lequel ils ont été fixés à l’aide de supports d’acier. Un espace en profondeur est ainsi suggéré ; un sentiment d’amplitude, remarquable pour le format matériel des œuvres, qualifie ces petits formats qui sont des natures mortes mais aussi des paysages organisés autour d’une ou de plusieurs lignes situées à l’horizontale, à la verticale et à las diagonale. À des distances variables de gauche à droite ou de bas en haut, certaines renvoient à la ligne de table (pour les natures mortes), à la ligne d’horizon (pour les paysages). Chaque ligne, chaque plan est épuré et forme sur le mur une ombre portée qui ne retient que le contour des formes et la direction des lignes.

Ces œuvres concrétisent des instants de bonheur liés à l’observation, la contemplation et la manipulation de « petits riens » qui les composent, où les éléments organiques et inorganiques sont disposés pour créer des motifs pour le seul plaisir de l’œil mais dont l’effet visuel déborde subtilement sur le symbolique (éphémérité du monde matériel, beauté de l’insignifiant). 

Depuis les années 1970, depuis ses premiers travaux en art, Francine Larivée a toujours problématisé le rapport qu’elle entretenait entre art et environnement, qu’il soit social ou écologique [1]. La monumentalité a qualifié la majeure partie de son travail artistique qui s’est concentré depuis plusieurs années à l’art public. Il faut rappeler cela précisément dans le cadre de cette exposition où les œuvres sont de petit format, variations sur un même thème qui est celui de s’approcher, de se pencher littéralement sur des aspects oubliés de la vie quotidienne afin de repérer de petits objets et fragments de matériaux qu’on ne remarque pas lorsqu’il arrive au regard de les croiser ou la main de les effleurer. L’artiste les amène pourtant à un niveau où ils franchissent leurs limites apparentes, débordent leur nature propre et s’ouvrent à des sens plus vastes rarement perçus, faute d’attention. Ces œuvres sont une sorte de contrepoint, de moment d’arrêt face au travail antérieur de l’artiste : il n’y a ici ni enjeu social ni enjeu conceptuel, ni propos à proprement parler écologique. Les œuvres et installations antérieures de Francine Larivée se sont signalées par leur esthétique formelle et une élégance qui lui est particulière. Ici, l’intention esthétique se double d’une visée spirituelle qui s’exprime spontanément dans ces petits formats. 

Se présentant dans un boîtier en tilleul et verre, la mise en forme plastique et graphique des éléments organiques et inorganiques forme de rigoureuses compositions : le geste de cueillette les a précédées, geste que Francine Larivée pratique depuis toujours et dont la première œuvre spectaculaire à cet égard fut l’installation présentée dans le cadre de l’exposition collective Actuelles (1983) à la Place Ville-Marie (Montréal), intitulée Mousses en situation. Test 1 où le matériau organique était utilisé pour la première fois. 

Historiquement, les objets trouvés utilisés comme matériau de l’art ne sont pas inédits dans la longue tradition de l’art occidental : une lignée d’artistes occidentaux hantés par les « curiosités » de tous genres s’y sont adonnés de diverses façons. Au XVIe siècle, les figures d’Arcimboldo, peintre italien de portraits étranges, sont des visages humains littéralement recomposés à l’aide d’éléments animaux et végétaux (fleurs, fruits, légumes, crustacés) à la beauté fragile, éphémère. Plus près de nous, les restes de table (légumes et fruits avariés) photographiés par l’artiste Louis Joncas, montre une attention de plus en plus répandue chez de nombreux artistes pour les objets apparemment et matières sans relief liés à la domesticité ou plus généralement à la vie quotidienne. Quant à eux, les paysages et natures mortes de Francine Larivée sont composés d’éléments organiques inertes surnageant à la surface de mondes délaissés et ignorés – ils sont ce qui reste de la vie, motifs graphiques (antennes de homards, aiguilles de pin, feuilles, brindilles et bouts de bois …) au panache surprenant. Cependant, ce qui lie ces œuvres à la longue tradition des natures mortes dans l’art occidental, c’est l’attention aiguë à l’univers intime des matières et objets insignifiants, celui des «petits riens » qui apparaissent soudain dans leur puissance évocatrice et prennent l’allure de monuments à la vie.

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L’absence de problématisation artistique proprement dite, hors l’organisation esthétique des œuvres présentées à à Plein Sud et leur mise en vue classique bien que légèrement distanciée du mur, n’efface pas la problématisation qui a traversé l’entièreté du travail artistique de Francine Larivée et qui a mené à cette exposition. Depuis le dadaïsme (Schwitters, Duchamp) en passant par le Pop art jusqu’à aujourd’hui (pensons aux produits ménagers et leur attirail d’outils et de sons particuliers transformés en matériaux d’art des installations de Jean-Pierre Gauthier), des artistes ont fait surgir un sens poétique d’objets et matériaux de la vie quotidienne. On a parlé dans les années 1960 du recyclage poétique du réel chez les artistes du Nouveau réalisme (par exemple, les tableaux-pièges de Daniel Spoerri faits de débris de repas). Cette intrusion massive du quotidien le plus banal au sein de l’œuvre d’art avait et peut avoir encore valeur subversive, car elle met en cause la pérennité et surtout l’universalité de l’art. Partir de moins que rien, de plus en plus de créateurs, en littérature comme en danse, en musique comme en arts visuels ont adopté cette attitude modeste face au réel et à l’art. Francine Larivée pour sa part a opté d’en révéler carrément la dimension esthétique et, au-delà, une dimension spirituelle plutôt qu’une visée conceptuelle ou même politique. En même temps, elle se situe à l’antipode du réalisme de la présentation. Elle recompose ses petits tableaux avec des fibres, des fragments d’objets et des matériaux usés par un usage antérieur ou par l’eau où ils ont séjourné - ils se révèlent tous et chacun être des clés lui permettant de lire le réel. Leur mise en forme est d’abord de nature poétique plutôt que subversive et leur caractère premier est la légèreté. Ces oeuvres réconcilient l’humble au plus grand raffinement esthétique, l’état de matière à un état spirituel.

Les œuvres présentées dans cette exposition, dont la commissaire Annie Molin Vasseur a signé le substantiel catalogue (qui s’imposait en regard de la trajectoire antérieure de l’artiste), ont une allure de miniatures. Ce qui cependant les lie à la monumentalité des œuvres antérieures est le geste, celui de la cueillette, le même qui a permis la conception et la réalisation d’une œuvre monumentale telle Le jardin secret (1999) installée dans l’entrée des Archives nationales du Québec à Montréal. Ce geste s’inscrit dans une tendance plus générale et actuelle à la récupération et au recyclage : arpenter les rives d’un fleuve, les sous-bois, glaner au bord des routes où les « ventes de garage » se sont multipliées, regarder et saisir de la main ce qui ordinairement échappe à l’attention. Cette liberté d’action a, peut-être inconsciemment, conduit Francine Larivée vers le petit format et l’usage de matériaux organiques et inorganiques : restes de table, fragments d’éléments naturels laissés pour compte sinon rejetés, artefacts tout aussi négligés – cela dans une recherche esthétique où, de prime abord, les matériaux les plus modestes sont pour elle artistiques. Non pas que leur existence soit inconnue de nous, mais elle n’est tout simplement pas considérée parce que sans nom ni utilité reconnue. Actuellement, partir de moins que rien, de petits riens, de plus en plus de créateurs, en littérature comme en danse, en musique comme en arts visuels, s’y consacrent. Pensons à John Cage chez qui le silence constitua l’entièreté d’une pièce musicale… Francine Larivée recompose des tableaux avec cela même qui au départ est jetable et bon marché. À ces formes et textures précaires, elle apporte toute son attention comme si elles étaient des clés permettant de lire le réel. 

Ces « natures mortes » composées d’antennes de homards déployées symétriquement, tiges de prêle dressées ponctuant l’espace fermé du cadre de bois, feuilles séchées suspendues à un fil, pelures de fruits ou de légumes enroulées sur elles-mêmes, écorces, brindilles, crânes de rongeurs, bois polis par l’eau et les intempéries du fleuve, sillonnés de fines écritures laissés par les insectes rongeurs, de quelques petits artefacts – figurines d’ours et d’oiseaux - qui firent un jour office de jouets, ont comme dénominateur commun la légèreté que n’encombre pas le registre des références culturelles habituelles. 

Comme conclusion à cette série de petits formats, cinq oeuvres de plus grand format, réalisées juste avant la tenue de l’exposition (ce qui explique qu’elles ne soient pas incluses dans le catalogue) sont porteuses de différence : le spectateur se trouve en effet devant des fragments de matériaux ligneux et d’artefacts présentés comme objets ethnographiques, pratiquement sans recherche particulière d’organi­sation spatiale et encore moins graphique, un peu à la manière d’un botaniste ayant disposé ses matériaux dans une boîte aux fins d’examen. Les fragments d’objets sont ici pratiquement coincés dans l’espace du boîtier dont paradoxalement la dimension s’est accrue, comme si dorénavant ni espace, ni structure évidente n’étaient sollicités pour faire sens. La direction à venir du travail à venir chez Francine Larivée est à suivre. Ces grands formats, plutôt que de clore la série d’œuvres présentées à Plein Sud, semblent en ouvrir une autre passablement différente. Plutôt que d’espace et de mouvement graphique, l’attention est dorénavant consacrée au gros plan et à l’espace plein. 

On sort de la visite de cette exposition en s’interrogeant sur la dimension cachée des choses, de l’aveuglement ordinaire face au monde qui nous entoure.


[1] Les questionnements sur les rapports de couple dans la société actuelle avec l’œuvre monumentale atypique, La Chambre nuptiale 1976); les questions écologiques avec l’utilisation de la mousse comme matériau, Enfouissement de traces. Mousses en situation. Test 3, Silos du Vieux-Port de Québec, Événement Québec 1534-1984, Québec, 1984.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 18 mai 2007 16:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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