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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Rose-Marie Arbour, Questions sur l'art contemporain”. Texte d’une communication (non publié) au colloque organisé dans le cadre du 3e Symposium en arts visuels de l'Abitibi-Témiscamingue, Amos, 18 juillet 1997. [Le 31 décembre 2006, Mme Arbour nous a autorisé à diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

Rose-Marie Arbour 

“Questions sur l'art contemporain”. 

Texte d’une communication (non publié) au colloque organisé dans le cadre du 3e Symposium en arts visuels de l'Abitibi-Témiscamingue, Amos, 18 juillet 1997.

 

La question de lieu
L'art dans son contexte
L'art et ses publics
L'importance de nouveaux réseaux d'échange
La mémoire collective
La notion de glocalisation

Ce Symposium m'amène inévitablement à réfléchir aux questions qui concernent le lieu, l'identité, la fonction de l'art dans son contexte et la relation entre centre et périphéries à l'intérieur du Québec, même si on devrait reformuler d'une façon plus complexe cette relation dans un pays qui est lui-même déjà périphérique à d'autres....

 

La question de lieu

 

L'art, dans sa production et sa réception, est en relation étroite avec le lieu de vie d'un artiste et d'un public. Hors les métropoles, comme c'est le cas pour ce 3e Symposium en arts visuels de l'Abitibi-Témiscamingue, l'aspect positif d'être situé hors métropole, est la possibilité de tenir des discours multiples, davantage libre des contraintes et des choix d'un milieu artistique régi par des normes d'échanges internationaux marqués sinon dominés par le marché, comme c'est habituellement le cas dans une métropole. 

Par lieu j'entends à la fois un espace géographique, historique et socio-culturel qui est traversé par le présent, lui-même n'existant que dans la jonction du passé et du futur. Malgré la complexité des croisements et même leur lourdeur, il y a là une légèreté qui vient de l'esprit d'invention nécessaire à une telle position et qui, il me semble, est propre à des manifestations telles que celle-ci. 

Le lieu d'appartenance d'un artiste peut être fictif. C'est de toutes façons le milieu que l'artiste lui-même se construit, qu'il perçoit comme le sien propre. Si son oeuvre répond à un besoin, c'est celui issu ou construit dans ce contexte de vie et de travail. Son oeuvre n'est pas pour autant un produit, n'est pas un objet susceptible d'être consommé puis remplacé par un autre, entièrement lié à un lieu déterminé. Mais de lieu, je pense, l'oeuvre n'est pas entièrement déliée. Un lieu d'ancrage est nécessaire, un lieu d'appartenance, un endroit «auquel s'attacher», même s'il est fictif, inventé. Le cinéaste Jean-Paul Lauzon se rêvait Italien. Il arriva que Riopelle se dise espagnol. Cet artiste a été reconnu internationalement comme artiste français. Il est maintenant redevenu canadien et québécois, tout dépend de quel point de vue on le perçoit. Sa fiction a alimenté son identité d'artiste. 

Il y a une question cependant dont je ne connais pas l'impact réel: le lieu géographique d'un artiste de même que la position de périphérie de ce lieu par rapport à ou aux métropoles, structurent-ils son identité et comment? Le seul fait d'être ici à un rendez-vous où des artistes scandinaves ont été invités, avec des Canadiens et des Québécois, montrent bien qu'il y a là une problématique déterminante qui marque une telle rencontre. Il y a toujours, évidemment, la question de la langue qui est habituellement un élément d'exclusion.

 

L'art dans son contexte

 

L'oeuvre d'un artiste n'est pas un produit répondant à un besoin évalué en terme culturel et matériel. L'oeuvre d'art ne répond pas à une demande. Elle est d'abord une concrétisation à la fois conceptuelle et matérielle d'un rapport singulier au monde, celui de l'artiste et ce, dans un milieu immédiat ou élargi (géographique, culturel, artistique). 

Quelques questions se posent et se reposent quant à une différence en art: l'art actuel en région est-il fondamentalement différent de l'art dit international ou l'art des métropoles? Il semble bien que le marché de l'art ait une importance dans cette différence: en région éloignée, l'absence de marché oblige à concevoir différemment la nature de l'art, sa pratique ainsi que sa réception par le public mais aussi par les médias. La scène économique n'est plus l'élément premier qui contextualise la production d'un artiste. Le contexte de médiation diffère de celui en milieu métropolitain (présence de musées de galeries de centres d'exposition, existence d'un marché axé sur l'acquisition d'oeuvres-objets, concentration de critiques d'art...). La mise en vue des oeuvres d'art n'est pas non plus la même dans une métropole qui possède des institutions adéquates pour les présenter. Ici à Amos n'existe pratiquement pas d'institution muséologique pour l'art contemporain. Les lieux de présentation sont doncs ponctuels et éphémères. Les modes de présentation des oeuvres ne sont pas permanents. Le système actuel de l'art contemporain et ses médiateurs métropolitains sont-ils comparables au solide? et les nouveaux réseaux d'échanges au sein de ce qu'on a eu l'habitude d'appeler les périphéries seraient-ils fluides? S'agit-il ici d'une plus grande démocratie grâce à la plus grande accessibilité des échanges? enfin, une esthétique autre s'en dégage-t-elle? Les expériences et pratiques artistiques en région peuvent être, selon les cas, des espaces privilégiés pour la constitution de nouveaux modèles d'échanges symboliques mais aussi de communication entre les intervenants du milieu artistique, les artistes particulièrement. 

On pourrait y définir «l'art au présent» de la façon qu'il est vécu par les gens du lieu.

 

L'art et ses publics

 

Il y a nécessité d'un public pour les artistes qui se nourrissent d'autre chose que de leur propre travail pour se renouveler. Le travail d'un artiste est marqué par les relations entre l'oeuvre et le public (je sais que cela ne rencontre pas l'unanimité...). Au cours du XXe siècle, la reconnaissance artistique a fait un détour obligé par les métropoles ou les grands centres urbains (lieux de concentration d'institutions culturelles, de lieux de diffusion et de réception privilégiés pour les artistes). En d'autres termes, l'art contemporain est légitimé en autant qu'il est reconnu internationalement (Raymonde Moulin). Cette reconnaissance internationale implique un réseau d'échanges entre des intervenants des métropoles (musées, galeries, marchands, collectionneurs, commissaires et critiques d'art). Un réseau international d'échanges a des codes, des normes qui tendent à devenir interchangeables. Ce sont les oeuvres qui, diffusées internationalement, imposent des tendances, des courants et non l'inverse. C'est en ce sens que Raymonde Moulin affirme que la reconnaissance de l'art contemporain passe nécessairement par sa reconnaissance internationale. 

L'internationalisation est donc affaire de diffusion de l'oeuvre et non l'inverse (ni style, ni courant artistique qui serait d'abord «international»). Mais on peut se demander quel est l'effet de la légitimation et de la diffusion médiatique de l'oeuvre d'un artiste reconnu sur la production artistique des autres artistes? L'art est lié à des conditions matérielles dont participe le lieu réel et imaginaire de l'artiste (ce qui inclut l'environnement artistique, intellectuel, économique et social). 

L'information artistique entraîne-t-elle l'occultation des lieux de travail et de vie d'un artiste qui reçoit ce flux d'information venant de partout? Une diffusion internationale de ses oeuvres est-elle par ailleurs envisageable pour qui ne se trouve pas dans le réseau des grandes métropoles? Une diffusion internationale implique que ces oeuvres s'inscrivent dans des ensembles d'oeuvres déjà situées dans les réseaux de circulation et qu'elles répondent à des critères de reconnaissance. 

Les artistes dits avancés reliés le plus souvent aux avant-gardes, depuis plus d'un siècle de modernité, ont souvent pris le contre-pied des valeurs dominantes de la société de consommation lesquelles ont pour objet et effet d'homogénéiser les singularités et les différences, afin d'assurer une consommation matérielle et culturelle maximale de ses produits. 

La culture commune d'une société ou bien d'une communauté artistique est souvent en lutte contre certaines de ces valeurs de consommation qui éliminent de facto ce qui est justement spécifique ou particulier à un lieu. On pourrait dire que les particularités régionales et l'environnement naturel d'un lieu périphérique comme Amos sont habituellement ignorés par les producteurs extérieurs dont l'objectif est la maximalisation des bénéfices. Ces valeurs ont été déterminées pour un consommateur dit moyen, sans feu ni lieu. Ces valeurs tendent néanmoins à s'imposer et à devenir "naturelles" en fonction même de l'espace laissé libre ou en friche par cette communauté.

 

L'importance de nouveaux réseaux d'échange

 

Si l'art est lié à des conditions matérielles et intellectuelles, à un lieu réel et imaginé par l'artiste, depuis quelque temps l'art est lié à la circulation de l'information à travers les médias électroniques. L'accès à une information accélérée quasi sans intermédiaire, immédiate, fait qu'il n'est quasiment plus possible pour l'artiste d'imaginer son lieu comme «solide» i.e. limité, cadré, relativement homogène, stable. Il ne peut plus non plus endosser la défroque de l'identité de l'artiste moderne, personnage mythique isolé, livré tout entier à son monde intérieur, coupé du monde extérieur (d'ailleurs l'a-t-il jamais été?), héros, source unique de son oeuvre. Un lieu géographique, aussi éloigné, aussi isolé dans le système traditionnel d'échange, n'est plus déterminé par cet éloignement géographique. La «somme d'information sur détermine la géographie» [1]. 

Par réseau, il ne faut pas entendre cette situation souvent exclusive où un organisme central s'arroge l'autorité exclusive de diffuser en région, grâce à un réseau déterminé par lui seul, sans consultation, transformant les régions en simples lieux de consommation et de déversement de "produits" venus d'ailleurs ou encore répondant à des besoins qui ne sont pas les leurs. 

La notion de réseau va se structurer autrement dans le contexte des réseaux informatiques, cela est connu. De là à dire que les régions pourraient être des lieux privilégiés de création de nouveaux modèles d'échanges et d'information, de communication, il n'y aurait qu'un pas qui n'est pas franchi. En tous cas, on pourrait dire que les échanges entre régions grâce à des réseaux informatisés sont actuellement facilités et s'établissent autour d'affinités pour des individus et des groupes qui, par les voies classiques, n'auraient pas pu communiquer d'un bout à l'autre du globe ou même d'un bout à l'autre de leur propre pays. 

Les réseaux d'échanges n'ont plus à passer nécessairement par les médiateurs classiques que sont les grands centres, les institutions artistiques et culturelles étatiques. C'est en quelque sorte un retour au local, les liens du local avec l'extra-national s'établissant en ligne directe i.e. au-delà des médiations d'une métropole ou d'un Etat qui, traditionnellement, ont été déterminantes dans les échanges dits internationaux. 

 

La mémoire collective

 

Dans l'aménagement de conditions favorables de rencontre pour des artistes d'origines et de lieux divers, la mémoire pourrait être envisagée comme élément dynamique. En effet, pourrait-on parler d'une mémoire du présent davantage que d'un patrimoine et davantage que d'un passé commun, comme base d'échanges et de rencontres dans un événement comme celui-ci? Une telle mémoire peut se construire dans la relation active des artistes à un public.

 

La notion de glocalisation

 

la globalisation économique est là «où toutes les activités économiques décisives [indépendamment de leur siège géographique] doivent être planifiées, organisées, évaluées et régulées en fonction d'analyses, de logiques, d'équilibres et de mécanismes dont l'horizon géographique est nécessairement global, planétaire, universel.» [2] 

La globalisation culturelle, c'est l'extension planétaire des médias, tout événement devient une information immédiate et universellement disponible. a. tout système de diffusion de l'art contemporain est dans sa logique, international b. il n'y a plus un ou quelques pôles européens ou américains ou occidental du monde de l'art contemporain Les pôles sont multiples et sont apparus avec des présences extra-occidentales, de l'est ou du nord de l'Europe, d'Australie, d'Amérique latine, même d'Afrique. C'est pourquoi on parle de «nature globale du système de l'art contemporain». [3] 

Paul Virilio a repris la notion de glocalisation (terme anglo-saxon qui désigne «le fait que désormais le global est inséparable du local») [4]. C'est la disparition des intermédiaires traditionnels entre l'international et le local par le biais des métropoles. 

Tout n'est pas «rose» pour autant: de nouvelles tensions apparaissent entre le grand centre cosmopolite et la zone méconnue. Mais l'homogénéité n'existe même pas non plus dans les centres étant donné que tout est fragmenté dans une même métropole. En fait tout artiste, d'où qu'il soit, construit ses représentations avec un bagage mental, conceptuel et affectif qui est en constant mouvement, qu'affecte consciemment ou inconsciemment l'information qu'il reçoit, qui lui permet de mieux connaître en même temps sa propre expérience. Sa situation géographique est réelle à moins d'être radicalement nomade. Mais la façon de la percevoir, de la concevoir et de la représenter change en fonction de l'information élargie qu'il reçoit. Nous pourrions dire que l'oeuvre n'est pas le produit d'un contexte mais plutôt qu'elle l'inclut et le dépasse. Il n'y a donc pas en ce sens d'opposition entre local et international. «Périphérique» ne signifie plus nécessairement marginal.


[1] Alexandre Melo, «Ni centre ni périphérie», note sur la géographie de la légitimation artistique, Les Cahiers du Musée national d'art moderne, no. 55, printemps 1996.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 108

[4] Paul Virilio, La vitesse de libération, Paris, Galilée, 1995, p. 165.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 11 mai 2007 19:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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