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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées.
Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM)
et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial. (2019)
Résumé du rapport


Une édition électronique réalisée à partir du rapport de recherche de Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées. Analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial. Rapport final remis au Service de Police de la Ville de Montréal, Août 2019, 134 pp. [Rapport diffusé avec l'autorisation de Victor Armony accordée le 20 octobre 2019.]

[7]

Résumé du rapport


Le mandat confié à l'équipe de recherche indépendante qui a rédigé ce rapport découle des recommandations sur la lutte contre le profilage racial et social (R-3, R-4 et R-5) du Rapport de la Commission sur le développement social et la diversité montréalaise et de la Commission sur la sécurité publique de la Ville de Montréal, notamment en lien avec l'objectif de développement et de mise en place d'un système de collecte de données concernant l'appartenance raciale perçue et présumée des individus qui font l'objet d'une interpellation par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le Rapport indiquait parmi ses considérants que « selon certaines études, une personne noire est plus susceptible d'être interpellée qu'une personne de race blanche, dans certains quartiers montréalais bien que les profilages racial et social ne soient pas efficaces pour diminuer la criminalité ».

Depuis plus d'une décennie, des voix citoyennes s'élèvent pour dénoncer des pratiques qui relèveraient du profilage racial exercé par des membres de la police. La lutte du SPVM contre les gangs de rue et la répression des incivilités ont notamment été pointées du doigt comme des approches qui cibleraient excessivement les jeunes de certaines minorités racisées. Bien que le SPVM se soit doté de plusieurs plans stratégiques en matière de profilage racial et social - le dernier en date ayant été déposé en décembre 2018 - il n'est pas clair dans quelle mesure ces plans produisent des effets vérifiables. C'est pourquoi il est jugé nécessaire de développer des outils qui permettent de dresser un bilan objectif et d'établir des balises précises pour un suivi des tendances en matière de profilage racial.

Dans ce contexte, l'objectif de ce rapport est de produire, à partir des données générées par le SPVM dans le cadre de ses activités, des indicateurs quantitatifs sur l'interpellation policière en lien avec l'identité racisée des personnes interpellées, lesquels indicateurs pourraient être actualisés et rendus publics annuellement en vue de documenter cette problématique de manière transparente. Au Canada, l'analyse statistique de l'enregistrement de l'origine ethnique ou « raciale » des personnes qui font l'objet d'un contrôle d'identité par la police se trouve encore dans une phase naissante de développement. Par conséquent, une dimension centrale du travail mené par l'équipe de recherche indépendante a consisté à examiner les données disponibles dans le système informatique du SPVM et à concevoir des critères conceptuels, méthodologiques et techniques pour leur traitement et interprétation.

Le présent rapport est constitué de quatre sections : (1) une recension des écrits qui résume l'état du savoir sur le profilage racial par la police ; (2) une description des choix méthodologiques effectués par les membres de l'équipe de recherche devant les défis et les limitations que posent les données disponibles ; (3) une présentation des principaux résultats obtenus et des types d'analyse que l'on peut envisager à l'aide des indicateurs proposés ; et (4) une série de recommandations adressées au SPVM, ainsi qu'à la Ville de Montréal.

[8]

En ce qui concerne l'état de la recherche sur le profilage racial par la police, les études soulignent la distinction entre les notions de racisme individuel et de racisme systémique, ce dernier relevant d'un système (social, économique, pénal, etc.) constitué de telle manière qu'il produit intrinsèquement des discriminations selon le caractère racisé des individus. Une autre distinction importante à ce chapitre concerne la différence entre valeurs et pratiques : des discriminations raciales peuvent se manifester dans les pratiques policières sans que des valeurs racistes ne soient explicitement véhiculées par l'institution ou par ses membres. Aussi, il faut tenir compte du fait que le profilage criminel, fondé sur la prédiction, s'appuie sur des éléments liés directement ou indirectement à l'appartenance « raciale » (la couleur de peau, certes, mais également l'habillement, la démarche, la gestuelle corporelle ou tout simplement le lieu de résidence), ce qui peut avoir pour effet d'accentuer les disparités raciales existantes. C'est pourquoi il est nécessaire de dévoiler et de comprendre les forces structurelles et systémiques qui encouragent la production de discriminations raciales. Le grand défi se trouve, cependant, dans la production d'indicateurs statistiques qui permettent de distinguer entre les disparités attribuables au profilage et les disparités attribuables à d'autres facteurs (indépendants de l'intention des policiers), tels que les inégalités socio-économiques. Il va de soi que pour être la plus complète et la mieux informée possible, une recherche sur le profilage racial devrait cueillir des données (sondages ou entrevues auprès de la population, observations directes du travail policier) qui permettent de suppléer aux limites des données compilées par la police. Également, elle devrait utiliser des méthodes à la fois quantitatives et qualitatives pour dresser le portrait plus précis possible du phénomène. Comme ceci n'a pas pu être fait dans le cadre de notre mandat, des recommandations en ce sens sont formulées en fin de rapport.

La section consacrée à l'approche méthodologique aborde les principaux défis confrontés : le statut imprécis de la pratique d'interpellation et le caractère incomplet des renseignements contextuels à son égard; le manque de correspondance entre les catégories d'appartenance utilisées par le SPVM et par Statistiques Canada; les difficultés pour estimer le poids démographique de la population autochtone. Nous répondons également aux objections méthodologiques que l'on peut soulever au sujet de la validité des statistiques policières, ainsi que des limitations matérielles inhérentes au traitement des données de ce type. Cette section du rapport apporte plusieurs définitions de base, dont celle de l'interpellation telle que pratiquée dans le contexte des activités du SPVM : il s'agit d'une intervention généralement lancée de façon discrétionnaire par le membre policier qui a donné lieu à l'identification d'un individu et à l'enregistrement de ses renseignements dans le système informatique, sans que l'incident se soit soldé par une sanction (contravention, mise en accusation, arrestation). C'est en ce sens que les interpellations constituent un objet de grand intérêt pour l'analyse des relations entre la police et la population desservie. Par exemple, si constatée quantitativement, la surutilisation des interpellations auprès des membres de certains groupes racisés - quand les écarts par rapport au reste de la population ne s'expliquent pas entièrement par les statistiques de la criminalité ou par d'autres facteurs qui justifieraient les disparités observées - peut signaler la présence d'un traitement différencié fondé sur l'appartenance « raciale » perçue. Bien qu'il ne soit pas à nous de déterminer ou non l'existence de profilage racial dans les pratiques du SPVM, nous considérons que des résultats qui [9] révèlent des disproportions appréciables, répandues et persistantes entre les divers groupes suggèrent la présence de biais systémiques au sein de l'organisation.

Le SPVM nous a donné accès aux banques de données (anonymisées) contenant l'entièreté des enregistrements d'interpellations pour les années 2014, 2015, 2016 et 2017 dans son système informatique, ainsi que l'entièreté des entrées sur les contraventions aux règlements municipaux et sur les incidents criminels pour les mêmes années. Vu le caractère nécessairement exploratoire de cette première analyse extensive menée par une équipe externe sur les banques de données du SPVM, nous avons voulu présenter des résultats obtenus par le biais de plusieurs procédures et perspectives. À cet effet, nous avons décidé d'inclure de nombreux schémas, graphiques et tableaux, chacun suivi d'une brève description et interprétation. Toutefois, l'objectif premier de notre démarche est de construire des indicateurs permettant le suivi et la divulgation des statistiques dans l'utilisation de l'interpellation par le SPVM. À cet effet, nous avons conçu deux types d'indicateurs : l'Indice de disparité de chances d'interpellation (IDCI) et l'Indice de sur-interpellation au regard des infractions (ISRI). Notre point de départ est que la détection du profilage racial systémique se fonde sur l'observation de disproportionnalités entre les différents groupes. La notion de disproportion dans ce contexte réfère à un écart vérifiable entre la proportion générale que représente un groupe dans la société (mesurée comme pourcentage de la population ou comme participation dans la délinquance) et la proportion spécifique que représentent les membres de ce groupe dans un contexte donné (ici, leur part dans l'ensemble des interpellations policières).

Concrètement, l'IDCI met en relation (a) le ratio entre la proportion spécifique (dans les statistiques policières d'interpellation) et la proportion générale (dans la population) de chaque groupe racisé avec (b) le même ratio entre la proportion spécifique et la proportion générale calculé pour la population non-racisée. Le quotient de (a) divisé par (b) exprime ainsi le plus ou moins de chances (ou risques) d'être interpellé qu'encourt, en moyenne, le membre d'une minorité racisée par rapport à un membre de la majorité blanche. La notion de disparité de chances renvoie à une probabilité moyenne partagée par l'ensemble d'un groupe donné, ce qui ne signifie pas que chaque membre du groupe possède des chances identiques. L'IDCI permet de faire ressortir des disparités collectives hautement improbables si elles étaient dues au hasard ou reflétaient des variations circonstancielles, surtout si ces disparités sont calculées, comme c'est le cas dans nos analyses, sur une grande masse de données et en tenant compte de plusieurs variables qui pourraient affecter les résultats.

L'ISRI reprend la même logique du IDCI, mais la proportion générale utilisée pour calculer les ratios est celle du poids relatif de chaque groupe dans le total d'infractions (aux règlements municipaux et au Code criminel) enregistrées par la police. L'idée est de relier le nombre d'interpellations des membres de chaque groupe et le nombre d'infractions que chaque groupe produit collectivement, la prémisse étant que l'intérêt accordé par la police au groupe X devrait être proportionnel à la part du groupe X dans l'incivilité et dans la criminalité « officielle » (i.e. telle que perçue et enregistrée par la police). Cet indice permet alors d'exprimer le surplus d'interpellations que chaque groupe racisé subit - au prorata du nombre d'infractions commises - par rapport à la population blanche. Si [10] la répartition des interpellations policières par groupe ethnique se faisait au prorata du volume des comportements délinquants produits par chacun de ces groupes, il n'existerait pas de sur-interpellation (les groupes racisés obtiendraient tous un score de 1.0, celui de la majorité blanche).

Dans un premier temps, nos analyses des tendances générales dans les données du SPVM révèlent les phénomènes suivants :

Durant la période de quatre ans pour laquelle nous avons des données du SPVM, alors que le nombre d'incidents criminels reste relativement stable, le nombre total d'interpellations a monté fortement, passant de moins de 19 mille en 2014 à plus de 45 mille en 2017, soit une hausse de 143%. Il s'agit d'un phénomène de croissance généralisée, car le nombre d'interpellations augmente autant pour l'escouade Éclipse que pour les PDQ dans les quatre Divisions de l'île.

Cette augmentation se traduit dans un nombre total plus élevé d'individus qui sont interpellées par la police chaque année à Montréal entre 2014 et 2017, mais aussi par la hausse du ratio entre personnes-cas (incluant les personnes interpellées plus d'une fois) et personnes-individus (personnes différentes par année), ce qui veut dire que davantage de personnes sont interpellées à répétition. Durant cette période, le phénomène d'interpellation à répétition est devenu plus prononcé chez les personnes perçues comme arabes, sud-asiatiques et autochtones.

Entre 2014 et 2017, les interpellations auprès des personnes blanches, noires, sud-asiatiques, est-asiatiques et latinos ont plus que doublé. Mais les interpellations auprès des personnes arabes ont augmenté de 4 fois et celles auprès des personnes autochtones ont augmenté de presque 7 fois. Ceci dit, le phénomène statistique le plus saillant - en termes absolus et relatifs - est celui qui affecte la minorité noire, laquelle est collectivement interpellée de manière très disproportionnée par rapport à la taille de sa population.

Ensuite, l'application des indicateurs de traitement différencié (IDCI et ISRI) nous a permis de faire, entre autres, les constats suivants :

Les personnes autochtones et les personnes noires affichent des disparités très élevées - entre 4 et 5 fois plus de chances que les personnes blanches - quant à leur probabilité moyenne de se faire interpeller par le SPVM. Quant aux personnes arabes, elles sont en moyenne deux fois plus susceptibles d'être interpellées que les membres de la majorité non-racisée. Ceci dit, les jeunes arabes (15 à 24 ans) encourent, en moyenne, 4 fois plus de chances que les jeunes blancs de même âge d'être l'objet d'une interpellation.

Au prorata de leur supposée « contribution » collective à la criminalité à Montréal, les personnes noires et arabes sont nettement sur-interpellées (de

66% et de 93% respectivement) par rapport aux personnes non-racisées. Au prorata des incivilités (contreventions aux règlements municipaux), ces groupes sont également sur-interpellés (de 137% et de 180% respectivement).

[11]

Peu importe la méthode de calcul, les personnes noires semblent disproportionnellement interpellées partout à Montréal, dans leur quartier de résidence ou ailleurs, autant par rapport à leur poids démographique que par leur part proportionnelle dans l'incivilité et dans la criminalité. Le taux local de criminalité ne semble pas expliquer la fréquence d'interpellation des personnes noires.

Les femmes autochtones constituent un groupe particulièrement ciblé par les interpellations policières : elles courent 11 fois plus de chances de se faire interpeller que les femmes blanches.

Il y a une augmentation nette de l'indice de disparité de chances d'interpellation chez les personnes autochtones, lesquelles avaient deux fois plus de chances que les personnes blanches en 2014, alors qu'en 2017 elles ont presque 6 fois plus de chances de se faire interpeller. L'autre groupe qui montre une hausse remarquable dans ses chances moyennes d'interpellation est celui des personnes arabes, dont l'indicateur a presque doublé entre 2014 et 2017 (passant de 1,29 à 2,35).

Pour conclure notre rapport, nous formulons cinq recommandations. Les trois premières découlent directement des travaux réalisés dans le cadre du mandat qui nous a été confié : des mesures concrètes que, selon nous, le SPVM devrait considérer dans le but de mieux répondre aux demandes des élus et de la société civile quant à une plus grande transparence et reddition de comptes de sa part. Les deux dernières renvoient à une perspective plus globale au sujet des actions que le SPVM pourrait déployer en vue de contrer le profilage racial :

Recommandation 1. Le SPVM devrait se doter d'une politique en matière d'interpellation, incluant les éléments suivants : une définition standardisée de ce qu'est une interpellation et des raisons qui justifient ou non son enregistrement dans le système; des cadres de pratique pour réduire les interpellations non nécessaires; une systématisation de l'enregistrement des interpellations effectuées; des consignes claires quant aux modalités d'enregistrement de l'appartenance « raciale » perçue des personnes interpellées; un suivi du volume d'interpellations permettant d'identifier les tendances anormales ou problématiques.

Recommandation 2. Le SPVM devrait produire et rendre public un rapport annuel présentant l'évolution des statistiques de traitement différencié, incluant les indicateurs de disparité de chances d'interpellation (IDCI) et de sur-interpellation au regard des infractions (ISRI) pour chaque groupe, calculés sur les données les plus récentes et mis en relation avec les indicateurs des années précédentes. Ce rapport inclurait aussi une section dédiée aux personnes autochtones et aux groupes racisés dont les indicateurs de traitement différencié sont élevés (personnes noires et arabes, selon nos analyses), apportant un éclairage détaillé sur leur situation.

Recommandation 3. Le SPVM devrait développer des modalités complémentaires de suivi en matière de profilage racial, dont l'utilisation des résultats d'un sondage annuel [12] sur les relations entre la police et les populations racisées, la réalisation d'observations de terrain et d'entrevues auprès de membres policiers afin de contextualiser la pratique de l'interpellation, l'évaluation de la faisabilité d'une étude sur l'emploi de la force à la lumière des appartenances « raciales » perçues, l'élargissement des sources d'information sur ses relations avec les populations racisées, en tenant compte, par exemple, des plaintes de profilage racial et des caractéristiques ethnoculturelles de l'effectif policier.

Recommandation 4. Le SPVM devrait intégrer la question du profilage racial à l'ensemble de leurs plans, programmes et pratiques, ce qui veut dire que chaque programme devrait être en partie évalué à l'aune de son impact (positif ou négatif) sur le profilage racial, y compris sur le plan du possible caractère auto-réalisant des prédictions sur la criminalité.

Recommandation 5.Le SPVM devrait continuer ses efforts d'intégration de la question du profilage systémique à la formation policière en accordant une attention particulière à la population autochtone. Des actions sont nécessaires afin de développer une formation sur la discrimination systémique dans les programmes en techniques policières et à l'École nationale de police. Il faudrait également établir des repères qui permettent de mieux distinguer les interventions avisée répressive, y compris les contrôles d'identité à répétition et l'émission de constats pour des incivilités récurrentes, des interventions auprès d'une population autochtone en situation de vulnérabilité, et en s'attardant aux conditions particulières des femmes autochtones en milieu urbain. Enfin, le SPVM devrait diversifier ses efforts pour améliorer la représentativité des minorités racisées au sein de ses effectifs.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 2 novembre 2019 19:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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