RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Yao Assogba, “Café-friperie Chic guenille de Buckingham: portée et limite d’une entreprise d’économie sociale pour l’insertion des jeunes.” Centre d’étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS). Cahier de recherche, Série Recherches, no 25. Université du Québec en Outaouais, 2003, 27 pp. [Autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales accordée par l’auteur le 9 juillet 2012.]

[4]

Yao Assogba

Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

Café-friperie Chic guenille
de Buckingham :

portée et limite d’une entreprise
d’économie sociale pour l’insertion des jeunes
.

Centre d’étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS). Cahier de recherche, Série Recherches, no 25. Université du Québec en Outaouais, 2003, 27 pp.

[2]

Table des matières

Le contexte de l’Étude [4]
Méthodologie [6]

Constitution du corpus [6]
Technique d’analyse [7]

1. Conditions d’émergence du projet la Chic Guenille. [8]
2. La Chic Guenille, entreprise d’économie sociale [9]
3. Le Café friperie un dispositif d’insertion socio-économique de « l’Autre jeunesse » [11]

Caractéristiques [11]
Trajectoires sociales des jeunes avant leurs expériences à la Chic Guenille [12]
Trajectoire familiale [12]
Trajectoire scolaire [14]
Trajectoire professionnelle antérieure [14]

4. L’expérience à La Chic Guenille [15]

Le contexte d’entrée et la participation à La Chic Guenille [16]
La fin brusque de La Chic Guenille [19]

5. L’appréciation de l’expérience de La Chic Guenille [20]

Commentaires et réflexions en guise de conclusion [25]
Références bibliographiques [31]

ANNEXE I [32]


Le contexte de l’Étude

Dans la deuxième moitié des années 1990 le Comité pour la Relance de l’Économie et de l’Emploi dans l’Outaouais Métropolitain (CRÉEOM) commandite une recherche sur la pauvreté dans la région (CRÉEOM, 1995). Cette recherche porta une attention particulière à l’ancienne ville de Buckingham alors en pleine expansion démographique. Elle constate notamment que le secteur Est de la ville se trouve dans une situation économique et sociale très difficile : taux de chômage relativement élevé, pauvreté frappant une grande proportion de familles, haut taux de décrochage scolaire chez les jeunes, etc. Une des conséquences performatives de l’enquête a été la création de la Corporation de développement communautaire (CDC) à Buckingham organisme qui par sa nature et ses fonctions appartient à une nouvelle génération du secteur communautaire au Québec (Favreau et Lévesque, 1996).

Connue sous l’appellation de Rond Point, cette CDC est née en fait du regroupement des organismes communautaires des territoires de Buckingham, Masson-Angers et la Municipalité rurale de comté (MRC) de Papineau. Sa mission est de susciter une participation plus active et plus dynamique du mouvement populaire et communautaire au développement social et économique des collectivités qu’elle dessert. C’est dans perspective que la CDC Rond point a soutenu par parrainage, la mise sur pied d’un organe qui serait outillé pour réaliser concrètement les objectifs de ladite mission. Ainsi voit le jour le Projet de relance économique et sociale communautaire (PRESQ) en partenariat avec la Société d’aide au développement de la collectivité (SADC) de Papineau, la ville de Buckingham et, bien entendu, la CDC Rond Point. Par ailleurs, le PRESQ [5] bénéficie du soutien financier de certaines instances publiques et privées comme la Mairie, la Caisse populaire Desjardins de Buckingham et les Entreprises James Maclaren.

À partir de l’été 1997, les organisateurs communautaires du PRESQ initient deux projets de coopérative en vue d’assurer le développement économique et d’insertion des jeunes en emploi, soit la Coopérative Jeunesse Service (CJS) et la Coopérative Jeunesse Action (CJA). La mise en œuvre de celles-ci s’est traduite en des activités socio-économiques, principalement dans le secteur des services comme l’indique assez bien chacune de leurs dénominations successives : Café-friperie, service de repas-école, service d’aide domestique, restaurant populaire [1]. À la lumière des résultats « d’une recherche-action », une autre vocation en matière d’insertion a été attribuée au Café-friperie qui prendra désormais le nom de la Chic Guenille.

Ce projet d’entreprise d’économie sociale constitue l’objet de notre recherche. Sa pertinence comme objet de recherche réside dans les faits suivants : son caractère novateur dans le milieu et au moment de son démarrage, son double objectif d’insertion en emploi et de prévention du décrochage scolaire des jeunes et enfin, la possibilité méthodologique que l’expérience offrait de mener une recherche permettant de suivre des jeunes participants durant un certain temps. La recherche visait trois objectifs qui sont : 1) d’étudier le dispositif d’insertion sociale et professionnelle que représente la Chic Guenille comme projet d’économie sociale, 2) de décrire brièvement le profil socio-démographique des jeunes participants et de reconstruire leurs trajectoires familiales, scolaires et professionnelles avant leur [6] participation au projet et enfin, 3) d’analyser les appréciations que les jeunes font de leurs expériences au sein du dispositif. Le texte qui présente ci-dessous les résultats de cette recherche comprend trois parties. Après une brève description de la méthodologie, la première décrit l’historique du projet et les différentes activités et les méthodes de formation privilégiées par le dispositif.

En deuxième partie nous présentons brièvement certaines caractéristiques des jeunes et procédons à l’analyse de leurs trajectoires sociales. Enfin, la troisième partie présente l’appréciation que les jeunes participants font de leurs expériences. Il s’agit en fait d’une évaluation subjective de celles-ci. À la lumière des résultats de notre analyse, nous dégageons une conclusion et tirons des enseignements pertinents eu égard à la question de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes à partir des projets sectoriels d’économie sociale généralement initiés par les CDECcommunautaires. La recherche Renouvellement des pratiques de prévention et d’insertion dans la perspective du développement des communautés locales a permis de jeter un regard rétrospectif sur ces résultats à la lumière d’études pertinentes dans le domaine de l’insertion des jeunes (René, 1993; Gauthier et Guillaume, 1999).

MÉTHODOLOGIE

Constitution du corpus

Il s’agit d’une recherche qualitative dont le matériel est constitué de données d’entrevues individuelles et de focus group avec une dizaine de jeunes participants et de trois informateurs-clés que constituent les intervenants. Nous avons distingué deux catégories de jeunes en fonction de leur statut dans le dispositif. La première catégorie est composée des jeunes qui ont été le groupe-cible du projet CJS et CJA, [7] et pour ainsi dire du Café-friperie la Chic Guenille. Nous les avons appelé « employés-étudiants ».

Les jeunes de la deuxième catégorie sont « les stagiaires » qui sont inscrits dans le programme Service Jeunesse Canada financé par le Ministère du développement des ressources humaines du Canada (DRHC).

La cueillette des données a été faite une première fois en avril et une seconde en juin 1998, auprès des mêmes sujets de l’échantillon. Le schéma d’entrevues individuelles ont porté sur les thèmes suivants les trajectoires familiale, scolaire et professionnelle des jeunes, avant leur passage à la Chic Guenille. Mais les focus group ont porté surtout sur l’appréciation de l’expérience de la Chic Guenille, la perception des effets de cette expérience sur eux du point de vue personnel, social, économique et professionnel. Quant aux intervenants, ils ont été interviewés sur l’historique du PRESQ, les conditions d’émergence du projet, le contenu et les méthodes pédagogiques de la formation dispensée aux jeunes.

Technique d’analyse

La technique d’analyse utilisée est relativement simple. Il s’agit de l’analyse thématique très classique. La liste des principaux thèmes ayant orienté l’analyse correspond donc, pour l’essentiel, à ceux qui ont été abordés dans les entrevues (Voir Annexe I). Les entrevues ont été enregistrées et transcrites intégralement. Chaque transcription a ensuite été codifiée. Ce traitement du matériel qualificatif a été ensuite analysé, en regroupant et classifiant les segments d’entrevues en rubriques selon les thèmes d’analyse retenus. Les rapports préliminaires de cette recherche ont été validés sur le terrain successivement en 1998, 1999, 2000 et 2001.

[8]

1. Conditions d’émergence
du projet la Chic Guenille
.

C’est au cours de l’année 1998 que le PRESQ de Buckingham a initié l’expérience d’insertion sociale et économique des jeunes de la ville et des environs, en les impliquant au processus de création de la petite entreprise d’économie sociale La Chic Guenille. Comme corporation de développement économique communautaire  (CDEC), le PRESQ a pour mission de supporter les populations exclues, socialement et du marché du travail, dans leur engagement dans un processus de prise en charge collective, de revitalisation et de développement socio-économique de leur territoire. La méthodologie d’intervention du PRESQ consiste à associer de façon active les individus et les groupes cibles à toutes les étapes de mise sur pied de projets susceptibles de revitaliser et de contribuer au développement des localités concernées. C’est ainsi que les jeunes de Buckingham ont été impliqués aux différentes opérations de la mise sur pied de la CJS. De plus, ils ont été initiés à la gestion d’une coopérative. Lorsque l’idée de créer un Café-friperie a été lancée par les intervenants de PRESQ, six jeunes de CJS se sont portés volontaires pour s’engager dans le projet. Quelque temps après, quatre autres jeunes vont se joindre à leurs confrères. Avec le concours des intervenants et des ressources du PRESQ et du Carrefour Jeunesse Emploi de Papineau (CJEP), les dix jeunes travaillent bénévolement pendant un an à la réalisation de ce projet novateur à Buckingham, qui prend le nom de la Chic Guenille.

La Chic Guenille s’est incorporée comme organisme sans but lucratif (OSBL). Sa gestion était assurée par un comité local.  Ce comité s’est doté d’un conseil d’administration qui veille au fonctionnement de l’entreprise, soit l’administration générale, le financement du projet et l’embauche des employés.

[9]

Le conseil d’administration était formé par des intervenants du PRESQ et du Carrefour jeunesse-emploi Papineau, le coordonnateur du PRESQ étant le président.  Le Carrefour s’est engagé à fournir un professionnel en insertion pour encadrer les stagiaires de la Chic Guenille.

2. La Chic Guenille,
entreprise d’économie sociale


La Chic Guenille se voulait une entreprise d’économie sociale vouée à l’insertion socioprofessionnelle - des jeunes de 16 à 24 ans - et à la prévention du décrochage scolaire des jeunes.

Elle avait une gestion coopérative et visait une viabilité et une rentabilité sociale. C’est dans cette perspective, que la Chic Guenille a mis sur pied deux « plateaux de travail ». Le premier était le recyclage et la transformation de vêtements usagés, et le second la gestion d’un « petit café » offrant un service de sandwich le midi avec un service de boissons non-alcoolisées et de repas léger. Entre outre, les locaux de l’entreprise sont censés servir de lieu de rencontre aux jeunes. On envisageait aussi de mettre à la disposition de ces derniers deux ordinateurs. En termes de (re)socialisation, le projet veut développer certaines compétences sociales chez les jeunes. À cet égard, on entend les « engager dans une démarche d’orientation, de développement d’estime de soi, du sens des responsabilités et de l’organisation », mais aussi de « l’appropriation du pouvoir décisionnel de l’individu ». De plus, les jeunes y feront des apprentissages jugés utiles à leur insertion dans le marché du travail tels que les « principes de gestion d’une entreprise », le « sens de l’entrepreneurship » et certaines « habilités techniques ». À ses débuts, la gestion du Café-friperie a été assumée par deux employées travaillant à temps plein soit, une gérante et un assistant gérant.

[10]

Le travail de couture était assumé à temps partiel par une personne admise au programme d’insertion socio-économique des prestataires de la sécurité du revenu. Outre ces trois emplois, l’entreprise a créé une dizaine à temps partiel (dix heures par semaine) destinés aux jeunes poursuivant leurs études dont la majorité provenait du groupe « pionnier » du projet Chic Guenille. Elle a administré un programme public de stages de travail et d’orientation d’une durée de six mois dont un mois en dehors de la Chic Guenille. Destinés à des jeunes décrocheurs scolaires qui éprouvent des difficultés pour s’intégrer au marché du travail, ces stages étaient rémunérés. Les stagiaires étaient encadrés par un intervenant spécialisé dans le domaine de l’insertion des jeunes socialement et économiquement exclus. Sur la période d’un an que le projet a duré, il y a eu deux cohortes de stagiaires, la première de sept et la seconde de cinq jeunes. Dans un cas, cinq et dans l’autre quatre de ces jeunes ont pu suivre et terminer le stage en bonne et due forme.

Le PRESQ et le CJEP étaient engagés dans le projet comme des partenaires actifs dans le projet. Le premier avait pour rôle d’assurer la viabilité économique et sociale du café-friperie, et le second de favoriser l’insertion des stagiaires au marché du travail. Dans cette perspective, le CJEP assumait la formation à l’employabilité, l’encadrement et le suivi des jeunes, notamment les stagiaires. Le financement revenait à deux bailleurs de fonds principaux. Le Ministère du développement des ressources humaines du Canada (MDRHC) assumait le financement des stages, le Fonds de lutte contre la pauvreté servait à payer les salaires des employés et les coûts d’opération de l’entreprise pendant sa première année de fonctionnement. Les dons provenant de d’entreprises de la localité constituaient d’autres ressources de La Chic Guenille. Enfin, dans « le plan d’affaire » l’on espérait pouvoir défrayer une partie des coûts liés aux opérations quotidiennes à même les revenus du café-friperie.

[11]

3. Le Café friperie un dispositif d’insertion
socio-économique de « l’Autre jeunesse »

Outre ses services de restauration « légère », la Chic Guenille se présentait comme un dispositif dont le but était également de favoriser la persévérance scolaire et l’insertion professionnelle de « l’Autre jeunesse ». Quel est le portait général et les différentes trajectoires sociales des jeunes qui ont participé à la formation dispensée dans le dispositif ? En quoi a consisté cette formation et quelle appréciation ou évaluation en ont fait les jeunes participants ?

Caractéristiques

L’âge des jeunes interrogés, c’est-à-dire les employés-étudiants et les stagiaires, au moment notre recherche variaient entre 16 et 24, mais la majorité a entre 18 et 20 ans. Ils résidaient dans l’agglomération de Buckingham. Leur niveau de scolarité était généralement faible. Il se situait entre le cours secondaire III et le cours secondaire V. Ceux qui ont complété ce dernier niveau l’ont fait à l’éducation des adultes. Nombre d’entre eux se percevaient comme « analphabètes fonctionnels ». C’est dans le journal local ou par des proches que la plupart des jeunes ont été informés du projet de la Chic Guenille et du fait qu’on pouvait y effectuer aussi un stage rémunéré.

J’ai vu une annonce dans le journal, j’ai envoyé mon C.V. J’lavais déjà envoyé pour le poste d’assistant gérant au début mais j’avais pas été retenu. C’était marqué dans l’annonce que c’était rémunéré, c’était 230 par semaine (Stagiaire)

[12]

Les uns étaient motivés par le stage, parce qu’il était rémunéré, mais d’autres voulaient acquérir de l’expérience de travail ou participer à un projet stimulant parce que nouveau.

Trajectoires sociales des jeunes
avant leurs expériences à la Chic Guenille


On entend généralement par trajectoires sociales d’une personne, les événements signifiants et significatifs qui marquent l’itinéraire de vie de cette personne en tant qu’acteur social situé et daté. Nous retraçons respectivement les trajectoires familiale, scolaire et professionnelle antérieures à la participation des jeunes au projet La Chic Guenille.

Trajectoire familiale

L’ensemble des jeunes interrogés ont vécu leurs premières années de vie dans leur famille d’origine avec leurs parents biologiques. Mais à l’âge de leur entrée à l’école primaire la plupart d’entre eux ont eu à faire face à la séparation de leurs parents. Dans la majorité des cas, ils sont restés avec leur mère. Certains ont pu maintenir un lien avec leur père, mais pour d’autres, le maintien du lien paternel a été difficile. Au total, il ressort des propos de ces jeunes, que la vie familiale (famille monoparentale, famille reconstituée, etc.) après la séparation des parents a été marquée de frustrations, de discordes, de relations conflictuelles. Les intéressés eux-mêmes sont plutôt portés à dire que leur famille est « dysfonctionnelle » et traduisent ce fait par des expressions comme :

Ma famille c’est une famille de fuckés.

[13]

ou

Ma mère est très très manipulatrice. Peut-être qu’a s’en rend pas compte mais on dirait que son gros fun dans vie c’est d’essayer de détruire ma vie pis celle de ma soeur.
Mon rapport avec mon père ? Y’é compliqué ! On s’chicane toujours pour des niaiseries, pis ça devient violent (…) C’est parce qu’on est pas mal pareil tous les deux, on a le même caractère les deux.

Ce contexte « dysfonctionnel » peut provoquer un départ hâtif de la maison familiale. La moitié des jeunes interrogés ont quitté la maison entre 16 et 18 ans. Tel a été le cas d’un jeune qui éprouvait certaines difficultés à « rester » avec son père.

J’ai resté avec ma mère, dans rue pis un peu avec mon père. J’voulais rester avec mon père mais y pouvait pas me supporter, y’avait pas d’emploi (…) La plupart du temps, j’montais la tente, j’allais m’cacher quelque part…dans une grange, j’me débrouillais…ou chez un chum, j’couchais dans shed chez-eux pis j’mangeais chez-eux.  (…) J’ai fait ça pas mal toute l’été.  J’avais 16 ans.

Paradoxalement, ces jeunes auraient aimé être plus et mieux « encadrés » par leurs parents. Par ailleurs, lorsque le jeune ont des rapports « parents-enfants » perçus comme satisfaisants, ils considèrent généralement les parents comme des amis.

C’est comme des amis, des meilleurs amis.  Y’a tout l’temps des chicanes mais des chicanes qui s’arrangent.

De façon générale, les relations avec la fratrie ont été, toutes choses égales par ailleurs, favorablement satisfaisantes.

[14]

Trajectoire scolaire

Une analyse du vécu scolaire des jeunes rencontrés laisse voir que la majorité d’entre eux ont eu des difficultés d’apprentissage qui ont été traduites par des échecs, de l’absentéisme , des redoublements et des orientations vers des « classes spécialisées » pour ne pas dire des voies d’évitement. Dans la plupart des cas, les problèmes d’apprentissage ont débuté dès l’école primaire. Les difficultés scolaires peuvent devenir cumulatives au cours secondaire, et les échecs scolaires répétés conduire au décrochage de l’école secondaire. Certains essaient de se « raccrocher » au système scolaire par l’intermédiaire de «  l’éducation des adultes ». Les jeunes attribuent leurs difficultés scolaires surtout aux facteurs individuels tels que le manque de motivation, mais aussi aux facteurs liés au système d’éducation comme les relations pédagogiques (le personnel enseignant) et d’administration scolaire (la direction de l’école). Ils soulignent, bien entendu, l’influence du milieu familial (divorce des parents, fréquents changements de domicile ou déménagements, le peu d’intérêt ou le désintérêt quasi total des parents aux études de leurs enfants, etc.)

Trajectoire professionnelle antérieure

La majorité des jeunes impliqués à La Chic Guenille ont déjà occupé un emploi ou des emplois à temps partiel, occasionnels et peu rémunérés. Ces emplois ont été de courte durée. Les jeunes femmes ont surtout travaillé dans la restauration, la garde d’enfants, le secrétariat ou comme commis dans un magasin. Les jeunes hommes ont trouvé des emplois dans la restauration, le service à la clientèle, le travail dans les fermes ou dans le secteur des pâte et papiers ou forestier. En majorité, ces emplois ont été trouvés grâce au réseau de relations familiales ou parentales. Le [15] bénévolat fait partie de l’expérience de travail de certains jeunes. Au total, la trajectoire de ces jeunes est caractérisée par une précarité d’emploi pour des raisons de rigidité du marché du travail, de conjoncture économique, de compétences sociales, de relations de travail, etc. Malgré des difficultés dans leur intégration sur le marché du travail, les jeunes rencontrés accordent une importance au travail non seulement pour l’accès aux biens matériels, mais aussi pour l’amélioration de leur qualité de vie, la valorisation de soi etc. Contrairement aux idées reçues, ils se disent insatisfaits d’être bénéficiaires de la prestation sociale et aspirent avoir un emploi rémunérateur afin de participer au développement de la société, du moins en avoir l’impression.

Décrochés prématurément du système scolaire ou ayant des difficultés à terminer leurs études secondaires, exclus ou quasi exclus du marché du travail, les jeunes rencontrés voyaient le projet de la Chic Guenille comme un dispositif qui devrait favoriser chez eux la persévérance scolaire ou leur insertion socioprofessionnelle. Tels étaient, du reste, les objectifs que se donnait l’entreprise. Il est intéressant de noter que le portrait et les trajectoires sociales de ces jeunes ressemblent, toutes choses étant égales par ailleurs, à celui et à celles de ce que nous avons convenu d’appeler « l’Autre jeunesse » de l’ensemble de l’Outaouais (RSSSO, 1997)

4. L’expérience à La Chic Guenille

L’analyse du récit de l’expérience des jeunes à la Chic Guenille relate d’abord le contexte de l’entrée, la participation des jeunes au projet d’entreprise, la formation reçue et les tâches qu’ils ont effectuées, les relations entre les intervenants et les autres participants durant leur passage à la Chic Guenille. Nous présentons ensuite [16] la perception que ces derniers ont de la formation reçue, de l’appréciation qu’ils en font et l’évaluation qu’ils font de leur expérience globale.

Le contexte d’entrée et la participation
à La Chic Guenille


C’est le moment d’entrée et le statut occupé dans le projet qui ont défini la catégorie d’appartenance du jeune dans le projet. Ainsi, nous avons distingué les « étudiants-employés » et les « stagiaires ». Comme nous le verrons par la suite, la nature de la catégorie a déterminé non seulement le contexte de l’implication, le type de participation et de formation reçue, mais également des rapports « conflictuels » entre les jeunes au sein de l’entreprise.

Tout le long de la mise sur pied de la Chic Guenille, les employés-étudiants ont reçu une formation informelle axée sur les éléments suivants : l’apprentissage de l’organisation et de l’animation d’une réunion d’équipe, la rédaction d’un « plan d’affaire », les étapes de la planification du démarrage d’une entreprise (définition des objectifs, choix des moyens, détermination de l’échéancier, etc.), la planification de comités de travail et « la gestion des situations où il faut faire des compromis », la création de l’entreprise. La participation au comité d’embauche des employés, en l’occurrence les premiers personnels de la gérance et de la couture, de l’entreprise a permis à quelques jeunes de s’initier aux procédures d’entrevue de sélection de candidats.

Les stagiaires ont bénéficié d’une formation d’employabilité formelle et standard ou plus ou moins formelle des fois. Cette formation donnée par un intervenant professionnel de l’insertion socio-économique des jeunes, porte sur les trois grands thèmes suivants : la connaissance de soi (le savoir-être et le savoir faire), « la [17] gestion de conflits » et « l’écoute de l’autre ». Un encadrement individuel permettait au participant de faire le bilan des tâches qu’il a réalisées, d’en faire une évaluation, etc.

En plus, il y a des rencontres de groupe au cours desquelles l’intervenant et les stagiaires traitaient des thématiques de « la communication » et de « la connaissance de soi » et des techniques de recherche d’emploi. Si les stagiaires de la première cohorte ont pu avoir une formation plus soutenue et comprenant l’encadrement individuel et de groupe, la formation des stagiaires de la deuxième cohorte a consisté essentiellement en des rencontres individuelles. En effet, la subvention du Fonds de lutte contre la pauvreté à partir de laquelle l’intervenant était payé en terme de salaire, n’a été accordée que pour une année. N’étant pas en mesure d’autofinancer entièrement ce salaire au cours de la deuxième année du projet, le PRESQ se voyait obliger d’engager l’intervenant à temps partiel. Cette conjoncture ne favorisait donc plus la disponibilité de celui-ci pour dispenser une formation d’employabilité en bonne et due forme. C’est ce qu’explique un des responsables du projet en ces termes :

Mais ils (Fonds de lutte contre la pauvreté) finançaient pas un coordonnateur à chaque fois alors on a réussi à l’avoir pour un an, mais si on poursuivait, ils finançaient plus. Alors à partir de la deuxième année, il fallait autofinancer un formateur alors qu’on sait… euh… un coordonnateur alors qu’on sait que c’est pas un poste… dans une entreprise c’est pas un poste qui rapport. C’est une dépense, c’est pas des frais d’opération comme tel qui génère des revenus, c’est vraiment une dépense. Alors ça c’était un problème.

De plus, on assistait à la fermeture de la Chic Guenille, pour des raisons que nous expliciterons plus loin dans ce texte. Mais les jeunes des deux catégories ont [18] effectué diverses tâches : le ménage, le triage des vêtements, la cuisine, « le service à la clientèle », l’opération de « la caisse enregistreuse ».

Cependant, au-delà de ces activités communes, les employés-étudiants notamment se sentaient désavantagés et mêmes discriminés eu égard aux stagiaires, car ces derniers avaient certains privilèges qui leur donnaient d’office un certain prestige relatif au sein de l’entreprise d’insertion par l’économie sociale. En effet, participant à La Chic Guenille dans le cadre d’un programme spécial du Gouvernement du Canada, les stagiaires avaient droit à une formation complète et formelle d’employabilité et d’insertion socioprofessionnelle. Mais les employés-étudiants, qui ont participé à toutes les étapes et opérations de la création de l’entreprise, n’y avaient pas officiellement droit.

Nous autres on était là tout le temps, on disait ah c’est nous autres qui l’a parti la Chic Guenille.  On était fier (…).  Au début, on dirait que les stagiaires c’était une gang pis les temps partiels c’était une autre gang (…). C’était comme si les stagiaires étaient rendus plus importants que nous autres.

En outre, précisaient-ils, les postes-clés, comme celui « d’assistant-gérant », de La Chic Guenille étaient occupés par des stagiaires. Cette situation créait un conflit latent et parfois manifeste entre les jeunes des deux catégories. Les propos d’un stagiaire en témoignent.

Ça a toujours été la guerre entre étudiants et stagiaires (…).  Les étudiants ont été poussés, pas longtemps après que l’entreprise ait été ouverte, en-dehors du projet sans l’vouloir. Y’ont été mis de coté, c’était juste des employés.  Pis vu que les stagiaires étaient là pas mal à temps plein eux, c’était plus à eux-autres que revenaient [19] toutes les décisions (…),  finalement l’entreprise allait pas dans le bon sens.

Contrairement aux principes de la gestion d’une entreprise d’économie sociale, c’est-à-dire un fonctionnement démocratique, il semble que la Chic Guenille était gérée de manière hiérarchique. Ainsi, les employés avaient un certain nombre de supérieurs.

Y’en avait quatre au-dessus de nous autres, y’avait (Pierre) (professionnel en insertion), y’avait l’assistant-gérant, y’avait le gérant, y’avait les deux couturières, y’en avait cinq. Faque souvent, on savait pas trop où s’lancer la tête.  C’était trop, c’était envahissant. Où tu te virais, y’avait un patron. (Sarah)

La fin brusque de La Chic Guenille

Dès son ouverture, la Chic Guenille comme entreprise d’insertion par l’économie sociale s’est butée à une série de difficultés en termes d’organisation, d’approvisionnement en matériel, et enfin de l’offre et de la demande. Ces difficultés se sont traduites, entre autres, par un changement fréquent de personnels du Café-friperie, une insuffisance de tâches et de travail pour faire accomplir aux stagiaires. Mais le problème le plus grave était sans doute le pouvoir d’attraction faible des adolescents qui représentaient sa clientèle-cible. Et un intervenant du projet de s’interroger :

Est-ce que la clientèle a été bien ciblée ? Est-ce que le projet a été vendu ? Je sais qu’au départ ben c'était une clientèle secondaire 4-5 qui… collégiale. Je pense que l’accent quand… en tout cas on avait fait un peu le tour avec les PRESQ après et l'accent avait peut-être [20] été mis sur « c’est une place pour les jeunes ». En oubliant que ces jeunes-là n’ont peut-être justement plus le goût d'être associés à des jeunes. Ils ont peut-être bien plus le goût de se trouver dans des endroits d’adulte.

Par ailleurs, elle n’arrivait pas à assurer, tel que prévu dans son « plan d’affaire », l’autofinancement. Qui plus est, les subventions des bailleurs de fonds tardaient à être verser au PRESQ. La Chic Guenille se trouvait ainsi dans l’impossibilité d’assurer le salaire des employés-étudiants tel que prévu. Dans ces conditions, le conseil d’administration (C.A.) de l’entreprise n’a pas tardé à enclencher le processus de fermeture de l’entreprise. Mais les employés-étudiants n’avaient pas été impliquées dans le choix des mesures à appliquer. Ils n’en seront informés qu’au cours d’une réunion convoquée par l’autorité du C.A. Dorénavant, la Chic Guenille allait opérer durant le jour, mais fermer les soirs et les fins de semaines, et ce jusqu'à sa fermeture définitive à la fin mars 1999, soit presque un an après son inauguration officielle. C’est ainsi qu’a failli ce projet d’insertion socioprofessionnelle des jeunes par l’économie sociale.

5. L’appréciation de l’expérience
de La Chic Guenille


Appelés à apprécier leur vécu et à évaluer la Chic Guenille, les jeunes des deux catégories ont trouvé leur expérience stimulante et enrichissante de manière générale. De nombreuses études ont montré que les jeunes exclus ont tendance à apprécier « le développement personnel » (confiance en soi, estime de soi, etc.) et les « habiletés sociales » (savoir-être et savoir faire) qu’ils ont l’impression d’avoir acquis par la formation à l’employabilité que leurs dispensent généralement les [21] dispositifs d’insertion socioprofessionnelle. (René, Lefebvre et Provost 1998). C’est dans un sens similaire que vont les résultats de notre recherche eu égard à l’appréciation que les jeunes rencontrés font de leur expérience à la Chic Guenille.

Plus que j’travaillais pis plus que j’me disais j’suis bonne là quand même, j’me trouvais bonne pis j’aimais ça.  Ca m’a amené un peu plus d’estime de moi.

ou

J’ai appris que j’étais capable de faire des affaires que j’avais jamais faites.

Dans cette perspective, rien ne distingue ce projet dans son volet de formation des jeunes socialement et économiquement exclus en vue de leur insertion. Des récits des jeunes, il se dégage que le fait de travailler et de gagner un salaire leur procure une fierté et une satisfaction personnelle. Mais ils apprécient particulièrement l’autonomie financière relative qu’ils semblent avoir, tout à coup, vis-à-vis de leurs parents ou de l’État par le système de prestation de l’aide sociale. Cette opportunité de travail est également vue par l’ensemble des jeunes comme un investissement, une expérience acquise susceptible d’être un atout dans le futur pour la recherche d’emploi.

Disons t’as jamais eu de job de ta vie, tu t’dis en dedans de toi, qu’est-ce ça m’donne d’aller mener un C. V.  à quelque part où j’le sais qui vont prendre quelqu’un qui a déjà eu une job (…).  Là, t’as une lettre de référence, t’as pleins d’affaires dans ton C. V. , service à la clientèle, caisse enregistreuse, cuisine (…)  

Bien entendu, les jeunes rencontrés n’ont pas apprécié certains aspects de leur expérience. Ainsi de façon générale, les stagiaires ont trouvé qu’ils ont été « trop encadrés » et n’ont donc pas assumé des responsabilités comme ils l’auraient aimé.

[22]

C’était pas comme le vrai marché du travail où t’as un patron pis t’es indépendante (…) J’trouve qu’avec les tâches, on était pas assez responsabilisé là dedans, j’trouve qu’on était vraiment trop encadré pis on était trop, y’avait pas assez de travail pour les sept.

Mais les employés-étudiants particulièrement ont été très éprouvés non seulement par la fermeture imprévue de La Chic Guenille, qu’ils considéraient comme « leur entreprise », mais également par le fait qu’ils n’ont pas été associés au processus de prise de la décision. Le choc qu’a créé cette fermeture a été si fort que certains de ces jeunes ont parlé de « manque de transparence » dans le fonctionnement de l’entreprise. Par exemple, ils ignoraient totalement que  l’entreprise connaissait des difficultés financières.

On sait pas qu’est-ce qui est arrivé, on saura pas, on s’est faite dire que c’était pas de nos affaires. C’est à partir de là que ça a commencé à mal tourner dans le service parce que tout le monde, nous autres les étudiants, on s’disait c’est nous autres qui l’a engagée, c’est nous autres qui l’a choisie, on aimerait ça savoir qu’est-ce qui est arrivé, quelle erreur on a faite.

ou encore

C’est nous autres qui l’engagent pis on a même pas su la raison, on a même pas pu donner notre avis si on voulait ou pas.  On a même pu un pouvoir sur notre entreprise, faque on est resté surpris.

Par ailleurs, les propos des employés-étudiants montraient combien ils se considéraient partie prenante de la Chic Guenille. Ils se voyaient « actionnaires » ou plus exactement « membres volontaires » de cette entreprise d’économie sociale dans la mesure où ils ont participer activement, en investissant énergie, temps, travail bénévole dans l’élaboration et la mise sur pied de la dite l’entreprise.

[23]

J’me sentais actionnaire mais par rapport à ce qu’eux autres pensaient, on était juste des employés (…). Au début, j’me disais actionnaire parce que c’était toute nous autres qui avaient trouvés le gérant, l’assistant-gérant, les supérieurs (…).  C’était quand même nous autres qui avaient toute faite pour que ça marche.  

ou

C’était genre ma fierté comme de travailler dans une place que c’était moé qui avait aidé à construire. C’est nous autres là, c’est notre place à nous autres, c’était ça la différence (…) moé j’disais, j’lâcherai jamais parce que c’est moé qui a aidé à faire le projet.

ou encore

J’pense qu’on avait toute cette sensation. C’était comme c’est à nous là, c’est comme veut veut pas là, les murs c’est nous autres qui les a peinturés, c’est nous autres qui a trouvé les recettes pis le linge c’est nous autres qui l’a toutes triés, pis qui a toutes classés.  Y’en a un méchant paquet.

Mais à partir du moment où l’entreprise a commencé ses opérations, les employés-étudiants ont constaté qu’on ne les associait plus au processus de décisions relatives à l’organisation et au fonctionnement quotidien de la Chic Guenille. Croyant par leur statut de membre qu’ils auraient toujours « un droit de parole » sur la gestion de l’entreprise, ils n’ont jamais compris les raisons du changement de l’approche qui, du reste, était plutôt « démocratique » pendant toute la période de l’élaboration et de la mise sur pied de l’entreprise, et en sont restés fort étonnés.

On a toujours pensé qu’on était pour avoir un droit de parole dans ces choses là (…). Au début y’était supposé avoir des étudiants qui étaient pour participer à des réunions du C.A. pis c’est là où tout se décide et c’est jamais arrivé (…).

[24]

ou

On a parti la place et c’est tout. C’était d’même, après que c’était ouvert c’était, oui vous avez parti la place, oui vous avez aidé au développement du café mais c’est tout.  Maintenant, vous êtes des employés pis ça s’arrêtes là (…).

Certains employés-étudiants disaient n’avoir pas eu l’information exacte sur les tenants et aboutissants de l’entreprise.

On a pas été bien informé pis y’ont faite une erreur en bout de chemin, y’ont faite un croche en sens inverse pis ça a tout chier.

Fiers d’avoir implanté une entreprise d’économie sociale novatrice et prometteuse, rêvant de sa pérennité, les jeunes par leurs récits témoignaient combien grandes avaient été leur déception, leur frustration et leur colère suite à la faillite de La Chic Guenille mais aussi à la mise à terme de leur insertion en emploi.

Ca m’écoeure t’sais, tu fais toute ça pis là y t’traite de même du jour au lendemain. Tu dis c’est mort, comme, ton projet t’a toute faite pour que ça marche (…) ça écoeure.

Au total, nous pouvons dire, à partir de l’ensemble de l’analyse qui précède, que le projet de la Chic Guenille aura accompli, à l’instar de la plupart des organismes d’employabilité, quatre choses non moins importantes auprès de ses participants. 1) D’abord, il a permis à ceux-ci de recevoir une formation à l’employabilité. Ensuite, 2) la Chic Guenille leur a fait connaître une expérience de salaria, 3) et a été une occasion aux employés-étudiants d’avoir eu un rapport au bénévolat. 4) Enfin, le [25] projet leur a permis de faire l’apprentissage d’une démarche de démarrage et d’implantation d’une entreprise d’économie sociale.

Commentaires et réflexions
en guise de conclusion


En instaurant deux « plateaux de travail » en vue de l’insertion des jeunes en difficulté de Buckingham, le PRESQ s’inscrivait directement dans le domaine principal de travail d’une CDEC qui consiste à aider au démarrage d’entreprises locales et participer au développement de l’employabilité (compétences sociales, connaissance du marché du travail, etc.) des populations ou des groupes sociaux concernés (Favreau, 1998). C’est dans cette perspective que s’inscrivent les deux initiatives prises par le PRESQ, soit la mise sur pied de l’entreprise d’économie sociale la Chic Guenille et d’un dispositif de formation à l’emploi, dans le but de favoriser l’insertion des jeunes dont les trajectoires témoignent bien de leurs difficultés sociales, scolaires et économiques.

Dans le premier cas, il s’agit de produire un champ des possibles qui permettrait aux jeunes employés-étudiants d’avoir un travail tant soit peu rémunérateur et valorisant, mais dont la symbolique ultime garde le cap sur la persévérance scolaire. Voilà un projet d’insertion novateur d’une CDEC. Pour atteindre cet objectif, les acteurs de la Chic Guenille devaient mettre en place des mécanismes pour assurer la viabilité économique et la rentabilité sociale de l’entreprise. Dans le second cas, le champ des possibles devrait permettre aux stagiaires finissants d’avoir un travail comme source principale de revenu. En principe, un programme d’actions d’une telle envergure nécessitait une planification rigoureuse dont la visée serait de minimiser les risques d’échec à brève échéance et d’anticiper des bénéfices élevés du point de vue de l’économie sociale. Par exemple, les [26] responsables auraient dès le départ prévoir des sources de financement variées et diverses : sources publiques, privées, syndicales, etc.

Cependant, les données disponibles que nous avons analysées ne donnent pas d’indications claires et précises allant dans ce sens. Ainsi, l’initiative de mettre sur pied le Café friperie, bien qu’issue d’une « recherche-action », ne montre pas que la « restauration légère » et les « vêtements recyclés » répondent réellement aux besoins de la jeunesse du milieu en général, et en particulier à ceux des jeunes dans Buckingham à forte probabilité de décrochage scolaire.

Dans ces conditions, on peut se demander si la Chic Guenille était le dispositif pertinent d’insertion sociale par l’activité économique. Les « produits » offerts par l’entreprise étaient essentiellement destinés aux adolescents et aux jeunes de la localité, mais comme le montrent les résultats de l’étude, ces « produits » n’ont pas attiré suffisamment la clientèle concernée, en raison d’une connaissance très suffisante du marché de vêtements des jeunes du milieu, en occurrence ceux de Buckingham. Il en est résulté que l’objectif d’autofinancement de la Chic Guenille n’a pas été atteint. Par ailleurs, le PRESQ a décidé d’assumer la gestion d’un programme de formation à l’emploi des jeunes en difficultés d’insertion socio-économique, financé par le MDRHC. Dès lors, les stagiaires devenaient la deuxième catégorie de jeunes à former de manière à favoriser l’insertion sociale.

Il se dégage de notre analyse que les « anciens » ou « pionniers » de la Chic Guenille n’ont pas été associés au processus d’intégration des « nouveaux ». En outre, les employés-étudiants qui se considéraient comme membres volontaires à part entière ont vu du jour au lendemain leur statut et rôle changé. Comme il fallait s’y attendre, la nouvelle donne s’est avérée source de frustrations chez les [27] « pionniers », de tension entre les jeunes mais également source de conflits latents et parfois manifestes entre les responsables et les intervenants du dispositif.

Sur le plan de la planification financière, les deux principaux organismes publics bailleurs de fonds du projet ont été nommément identifiés soit, le MDRHC dont le financement était destiné à la formation à l’employabilité, et le Fonds de lutte contre la pauvreté dont la subvention payait les salaires des employés et les coûts d’opération de l’entreprise pendant sa première année de fonctionnement. Il ressort de l’analyse des informateurs-clés du projet, que les exigences particulières de chacun de ces organismes de subvention, la rigidité du cadre d’application des règles relatives à la gestion des subventions d’une part, et les difficultés des organisations communautaires à satisfaire en même temps l’une et l’autre des instances de financement d’autre part, ont sans doute eu un impact sur l’échec du projet de la Chic Guenille.

Sur le plan méthodologique, le seul suivi qui a été possible fut la rencontre que nous avons eue avec les jeunes après la cessation des activités de la Chic Guenille. Nous n’avons donc pas pu étudier leurs trajectoires scolaires et socioprofessionnelles à la suite de leurs expériences au sein de ce dispositif d’insertion par l’économie sociale. Cependant, les résultats de l’analyse de notre matériel qualitatif témoignent de l’exclusion des employés-étudiants des procédures décisionnelles à partir de l’ouverture du Café friperie. Outre le mécontentement que ce fait a provoqué chez les employés-étudiants, ceux-ci se voyaient privés également des aspects non moins importants de la démarche entrepreunariale, qui se situeraient en aval du démarrage d’une entreprise d’économie sociale. La fin brusque de La Chic Guenille a eu aussi un impact sur la formation à l’emploi des stagiaires. Ceux de la deuxième cohorte ont reçu un [28] encadrement partiel, et tous n’ont pas pu bénéficier des procédés de suivi planifiés par les partenaires, notamment par le CJEP.

À la lumière de cette étude, certaines questions se posent non seulement par rapport à l’initiative du PRESQ, mais aussi aux conditions dans lesquelles les CDEC initient des projets économiques et déploient leurs pratiques d’insertion sociale et professionnelle. Une première interrogation porte sur l’origine et la définition de l’idée du Café friperie (ou de la Chic Guenille) et du dispositif de formation à l’emploi. Le PRESQ a-t-il été contraint par les circonstances du moment, à élaborer ses projets en misant sur les programmes de subvention des deux organismes publics, et ceci malgré certaines rigidités de ces programmes ?

Si la réponse était affirmative, les acteurs principaux des projets n’auraient pas essayé d’éviter un écueil-clé que Favreau a appelé l’autolimitation « à la réalisation locale des programmes publics » (Favreau, 1998 : 172). Les tensions et les conflits engendrés par le regroupement, dans le projet de la Chic Guenille, de deux différentes catégories de jeunes en difficulté à insérer socialement et économiquement, posent le problème de la pertinence et de l’efficacité du regroupement hétérogène au sein d’un même dispositif des jeunes, selon leur statut juridique d’admissibilité aux différents programmes publics d’insertion.

Pourquoi la pratique de la gestion participative et démocratique, qui a prévalu durant le processus de démarrage et d’implantation de l’entreprise, s’est-elle estompée après son ouverture celle-ci ? L’hypothèse peut résider dans le fait que la Chic Guenille appartient à ces types d’initiatives sectorielles d’insertion dont le « travail s’arrête très souvent aux portes des entreprises, du fait qu’elles évoluent à l’intérieur d’une dynamique d’« effervescence occupationnelle » où elles sont [29] contraintes de jouer le jeu de mesures et de procédures de plus en plus étroites des programmes publics, programmes bâtis pour pallier les urgences sociales » (Favreau, 1998 : 171).

Toutefois, il conviendrait que la pratique participative et démocratique de ces initiatives dépasse les portes, et se poursuivre tout le temps que durera une entreprise d’économie sociale. Enfin, un élément important semble avoir fait défaut aux initiatives du PRESQ. Une analyse très attentive de la logique de la Chic Guenille et du fonctionnement du programme de formation à l’emploi, montre clairement que ces deux projets se présentaient comme des « champignons » dans un champ de maïs qui nécessitait une régénération.

En ce sens, les initiatives du PRESQ en tant que CDEC ne s’inscrivaient pas résolument dans une approche de revitalisation des communautés de Buckingham, et pour ainsi dire de développement économique communautaire tel qu’on devrait s’y attendre. À la lumière de d’autres expériences, on peut noter que pour espérer bien accomplir sa mission, une CDEC doit, toutes choses étant égales par ailleurs, bénéficier de l’appui non seulement de nombreuses organisations de son milieu, mais aussi de celui de l’extérieur de la région. Ces appuis lui sont nécessaires pour se doter d’un capital financier, humain et technique de démarrage. De plus, la CDEC doit préparer un plan d’affaires qui identifie très bien les axes de développement pouvant permettre aux projets une autosuffisance maximale. En terme de stratégie d’opération, on doit compter sur les programmes publiques existants et prendre soin d’établir des prévisions financières sur quelques années. Enfin, différents acteurs (promoteurs, travailleurs, bénévoles, clients, réseaux, etc.) du milieu doivent être impliqués dans tout projet (Beaudoin et Favreau, 2000).

[30]

Voilà les principaux éléments qui semblent avoir fait défaut au PRESQ dans le cadre du projet du Café-friperie Chic Guenille.

On peut « poursuivre deux lièvres à la fois, mais il faut avoir deux cordes à son arc » Telle est la leçon de sagesse qu’on peut tirer de l’expérience de la Chic Guenille.

[31]

Références bibliographiques

BEAUDOIN, L. et L. FAVREAU, L. (2000). Une entreprise d’insertion dans le domaine de l’environnement : l’expérience de l’Atelier du Chômeur du Bas-Richelieu, Cahier de la Chaire de recherche en développement communautaire (CRDC), Série Pratiques économiques et sociales, no 14, 69 p.

FAVREAU, L. (1998). « L’insertion conjuguée avec le développement économique communautaire », in, Defourny, Jacques Favreau, Louis et Laville, Jean-Louis (sous la direction de), Insertion et nouvelle économie sociale. Un bilan international, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 159-182.

FAVREAU, L. Lévesque, B. (1996). Développement économique communautaire, économie sociale et intervention, Sillery, Québec, PUQ.

GAUTHIER, M. et GUILLAUME, J.-F (sous la direction de) (1999). Définir la jeunesse ? D’un bout à l’autre du monde, Sainte-Foy,PUL.

P.R.E.S.Q.(1998). Fiche de Renseignements 04. Université du Québec à Hull 

P.R.E.S.Q. (1998). La Chic Guenille : Plan d’affaire du projet de café-friperie. Document inédit. Buckingham 

P.R.E.S.Q. (décembre 1997) Plan d’affaires. Document inédit. Buckingham.

P.R.E.S.Q. (novembre 1997). Recherche action : les besoins et les compétences des résidents de Buckingham. Document inédit. Buckingham.

RENÉ, J.-F. (1993). « Les jeunes et le rapport au travail : le point de vue sur la sociologique », Nouvelles pratiques sociales, vol. 6, no 2, p. 43-53.

[32]

RENÉ, J-F., C. LEFEBVRE et M. PROVOST (1998). « L’employabilité en contexte de développement économique communautaire : vers quel empotement »?, Cahiers de la recherche en éducation, vol. 5, no 3, p. 433-464.

RRSSSO (Régie régionale de la santé et des services sociaux de l'Outaouais (1997). « Styles de vie des jeunes su secondaire en Outaouais », Direction de la santé publique, Marthe Deschênes, 151 pages.

ANNEXE I

A. Portrait socio-démographique des jeunes

B. Trajectoire antérieure à la participation à l’entreprise la Chic Guenille

a) L’histoire familiale
b) L’histoire scolaire
c) L’histoire professionnelle

C. Perception de l’expérience de la Chic Guenille

a. Déroulement de l’expérience

Les tâches effectuées
L’encadrement et la formation
Rapports employés-étudiants/stagiaires
Rapports employés/employeurs
Différence entre travailler pour la Chic Guenille et d’autres entreprises

b. Appréciation de l’expérience
Acquis personnel
Acquis social
Acquis économique
Acquis professionnel
Influence sur les plans de carrière ou d’études

c. Sentiment d’appartenance à l’entreprise pour les employés-étudiants


[1] Pour des informations plus détaillées sur chaque projet, voir Yao Assogba et Nency Héroux, le Rapport de recherche : Le projet de relance économique et sociale du quartier, Université du Québec à Hull, Miméo, 1998.



Retour au texte de l'auteur: Yao Assongba, sociologue, Université du Québec en Outaouais Dernière mise à jour de cette page le vendredi 27 septembre 2013 16:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref