[2]
Yao Assogba, Lucie Fréchette et Caroline Gagnon
Université du Québec en Outaouais
Dynamiques des trajectoires migratoires
intra-régionales des jeunes
en Outaouais.
Une enquête qualitative. [1]
Université du Québec en Outaouais. Cahier du CÉRIS: série RECHERCHES no 27, octobre 2003, 41 pp.
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Les auteurs
Yao Assogba est sociologue et professeur au Département de travail social et des sciences sociales de l'Université du Québec en Outaouais (UQO). Il est également responsable de la maîtrise en travail social.
Lucie Fréchette est psychologue communautaire et professeure au Département de travail social et des sciences sociales (UQO). Elle est coordonnatrice du Centre d'étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS).
Caroline Gagnon est chargée de cours au Département de travail social et des sciences sociales de l'UQO et professionnelle de recherche au CÉRIS.
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Table des matières
- Introduction [1]
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- 1. Le cadre de l'étude de la migration 1ntra régionale en Outaouais [3]
- 2. Méthodologie de la recherche [7]
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- 2.1. Technique de collecte de données [7]
2.2. Constitution de l'échantillon [7]
- 2.3. Démarche d'analyse des données [7]
- 3. Les premiers temps de la migration : du départ à l'installation [9]
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- 3.1. Appréciation du lieu d'origine [9]
3.2. Les avantages liés au départ [12]
- 3.3. Les désavantages liés au départ [14]
- 3.4. Le départ du lieu d'origine : motifs et appréhensions [15]
-
-
- 3.4.1 Motifs de départ : étudier, travailler, vivre sa vie [16]
3.4.2 L'appréhension de la vie en milieu urbain [18]
- 4. Le processus d'intégration [20]
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- 4.1. L’éloignement physique et relationnel d'abord vécu difficilement [21]
4.2. L'intégration progressive au lieu d'accueil [23]
- 4.3. La transformation du sentiment d'appartenance [25]
- 5. Perspectives d'avenir : celui de sa région et le sien [30]
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- 5.1. L'avenir de la région d'origine [30]
5.2. Des projets d'avenir qui font peu de place à la région d'origine [33]
- 6. En guise de conclusion : les lendemains de cette étude. [37]
- Références [39]
INTRODUCTION
Cette recherche présente les dynamiques des trajectoires intra-régionales des jeunes de l'Outaouais, c'est-à-dire de la région administrative 07 du Québec. La dizaine déjeunes interrogés proviennent du Pontiac et de la Petite-Nation. L'étude, qui est fondée sur l'analyse du matériel qualitatif de l'Outaouais, fait partie en réalité d'une vaste enquête qualitative et quantitative portant sur les migrations des jeunes au Québec, enquête conduite par une équipe de chercheurs sous la responsabilité de Madeleine Gauthier [2].
Le texte se devise en six parties. La première situe le cadre d'étude de la migration intra régionale en Outaouais. La seconde présente la méthodologie de la recherche. La troisième partie est consacrée aux premiers temps de la migration : du départ à l'installation soit l'appréciation du lieu d'origine, les avantages et les désavantages ainsi que les motifs et les appréhensions liés au départ du lieu d'origine. La quatrième partie porte sur le processus d'intégration : l'éloignement physique et relationnel d'abord vécu difficilement, l'intégration progressive au lieu d'accueil : reconnaître les siens et découvrir les autres et la transformation du sentiment d'appartenance. La cinquième expose les perspectives d'avenir de la région d'origine et les projets d'avenir des jeunes migrants qui font peu de place à la région d'origine. Enfin, la conclusion dégage les faits saillants de la recherche.
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1. LE CADRE DE L'ÉTUDE DE LA MIGRATION INTRA RÉGIONALE EN OUTAOUAIS
Phénomène social très ancien dont l'importance a varié dans le temps et l'espace, la migration en général et celle des jeunes en particulier est devenue omniprésente dans les sociétés contemporaines. Le Québec et ses régions ne font pas exception à cette observation (Conseil des affaires sociales, 1989). Dès lors, la migration des jeunes au Québec est (re)devenue un objet d'études et de recherches non moins important au début des années 1990 (Vachon, 1991 ; Roy, 1992). Les sciences sociales sont cumulatives et c'est un des principes qui est, sans doute, à la base de l'avancement des connaissances auxquelles elles donnent lieu. C'est dans cette perspective que le Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ), après avoir fait l'état des lieux des travaux, a choisi d'étudier le phénomène autrement que sous l'angle essentiellement économique ou démographique sous lequel il a été traité jusqu'alors par bon nombre de chercheurs (Gauthier, 1997). En fait, le GRMJ s'est rendu compte, à travers ses travaux de recension quasi-exhaustive des écrits, que la migration des jeunes est un phénomène social complexe qu'il faudrait appréhender comme tel, si l'on voulait contribuer tant soit peu à une meilleure compréhension de cette complexité. Pour ce faire, la migration est considérée ici comme le rapport qu'un acteur social, en mobilité géographique ou en déplacement d'un milieu de vie donné à un autre, entretient avec le temps et l'espace tout le long de ces parcours qui peuvent être des va-et-vient. Ainsi perçue, la migration est la trajectoire géo-sociale d'un acteur social. En d'autres termes, c'est son récit de vie pendant qu'il se déplace entre au moins deux lieux comportant un point de départ ou d'origine et un point d'arrivée. Ces lieux peuvent être temporaires et avoir une direction multiple, c'est-à-dire par exemple, un retour du migrant à sa localité d'origine ou d'autres déplacements qu'il fait à une localité semi-urbaine ou à un centre plus grand. Bref, la migration des jeunes dans nos sociétés se présente comme un « nomadisme des temps modernes ».
Une enquête qualitative préliminaire conduite à partir d'une définition élaborée de l'objet de recherche et d'entrevues semi-dirigées avec des jeunes fournit le matériau de base. L'analyse de ce matériel qualitatif a été effectuée de manière à mettre en évidence les différentes dimensions du processus de migration tel que celui-ci est perçu par les jeunes eux-mêmes. En fait, ces dimensions renvoient aux sept réalités [4] sociales suivantes. L’appréciation que l'individu fait de son lieu d'origine, la formulation de son projet de départ pour un autre lieu. Viennent ensuite les rapports du jeune migrant à son intégration au milieu d'accueil, l'évaluation qu'il fait de son parcours depuis son départ, la perception du sentiment d'appartenance aux deux milieux. Enfin, le projet de retour à la localité d'origine et la représentation de l'avenir de la région d'origine constituent des dimensions à part entière de la trajectoire migratoire de l'individu.
Tout sujet social porte en lui des éléments de socialisation et des points de repère qui lui permettent de porter un jugement de valeur sur son milieu d'origine. Une sorte de nostalgie traverse l'individu qui décide de partir de son terroir pour un autre endroit. De bons ou mauvais souvenirs lui reviennent, il reconnaît la valeur et les limites économiques, sociales et culturelles de son milieu d'origine. L'histoire de celui-ci, celle de son enfance et de sa jeunesse, celle de sa famille, etc. lui évoquent un certain nombre de choses, lui fait vivre certaines émotions, etc. C'est l'ensemble de tous ces éléments qui est désigné ici par la notion d'appréciation du lieu d'origine et dont les deux principales dimensions sont avantages et limites du milieu d'origine. L'action sociale est motivée par une ou des « bonnes raisons » qu'a l'acteur social. Le départ ou la décision de migrer est donc un comportement intentionnel du migrant qui se trouve dans un contexte social (Assogba et Fréchette, 1997). Doté d'une intentionnalité, d'une rationnante plurielle (économique, axiologique, téléologique, etc.), le migrant est capable de dire les motifs de son départ du lieu d'origine, du projet de sa migration et de son choix du lieu de sa destination.
La mobilité géographique de l'individu ou son déplacement spatio-temporel est rempli d'incertitudes, de nécessaires adaptations des conditions sociales sur lesquelles le sujet social n'a pas encore d'emprise, mais il est appelé à se les approprier de manière progressive. Tous ces éléments descriptifs du processus migratoire de l'individu renvoient au concept d'intégration de celui-ci ai lieu d'accueil (Assogba, Fréchette et Desmarais, 2000). L'intégration comporte différentes phases : les premiers moments d'arrivée du migrant, ceux de son adaptation et enfin la phase où l'individu perçoit le sentiment qu'il est partiellement intégré, intégré ou pas encore intégré. En effet, l'intégration du jeune migrant dans un nouveau lieu (ville, grand centre urbain) suppose de sa part une relative acceptation des valeurs, des normes qui lui paraissent plus ou moins nouvelles. De plus, le processus implique l'insertion de l'acteur social migrant dans de nouveaux réseaux de sociabilité, mais également son attachement ou détachement [5] à ses anciens réseaux sociaux {ibidem). L'éloignement de la localité et de la région d'origine d'une part, le cheminement d'intégration au lieu d'accueil d'autre part, renvoient nécessairement à une rupture, à une distanciation du sujet migrant par rapport à son projet même de partir, de migrer. C'est le temps pour lui d'en faire l'évaluation. Quels avantages et/ou désavantages perçoit-il du départ ? Quel regard, positif ou négatif, porte-1-il sur son lieu d'accueil ?
L'individu est social par nature et naturel par le social. En termes plus explicites, cela signifie que l'individu n'est pas un être « désincarné » mais fait partie d'un groupe social, d'un lieu et d'une région où il a été socialisé. Il développe par là des liens affectifs, sentimentaux, des rapports sociaux et symboliques avec ces espaces socio-culturels et économiques. Ceux-là ont une signification particulière pour lui et lui procurent un sentiment d'appartenance, c'est-à-dire cet état d'être qui « recouvre des rapports sociaux qui unissent subjectivement l'individu à une collectivité » (Moquay, 1997 : 244). Le vocable « sentiment d'appartenance » renvoie, selon Moquay, à trois caractéristiques fondamentales. C'est d'abord une « relation consciente, ou du moins éprouvée » ; la relation de l'individu à la collectivité est de l'ordre de l'émotif et/ou de l'affectif et la relation se noue généralement « avec une collectivité englobante, dont l'individu se sent membre » (ibidem). Dans ce contexte, migrer pour un jeune signifie « déracinement », « déboussolement », repères de vie sociale rendus flous, bref, « perte de sens de la relation au lieu d'origine, absence ou insuffisance d'une îelation nouvelle (et compensatrice) au lieu d'accueil » (ibidem : 243). L'étude du sentiment d'appartenance dans la trajectoire migratoire du jeune revient à l'exploration de la relation qu'il entretient ou établit désormais avec ses lieux d'origine et d'accueil d'une part, et à l'appréhension de l'importance relative et du sens de cette relation d'autre part. Migrer ne signifie pas nécessairement absence absolue d'un possible retour au lieu d'origine. Comment le jeune migrant intégré ou établi dans une ville-centre, par exemple, perçoit-il un retour à son heu d'origine ? Nourrit-il un projet dans ce sens ? Par ailleurs, le temps de migration, avons-nous souligné, permet une relative distanciation de l'individu et une capacité de porter non seulement un jugement de valeur autre sur l'état actuel et l'avenir de la région d'origine, mais également d'être en mesure de proposer des pistes d'actions porteuses du développement de celle-ci. L'Outaouais a cette particularité d'être une région comportant une zone urbaine et une zone rurale ou semi-urbaine. La migration des jeunes de l'Outaouais peut donc se déployer à l'intérieur de la région selon la direction : localité rurale et semi-urbaine vers le centre urbain, et/ou carrément à l'extérieur de la [6] région. Mais la ville-centre [3] peut également recevoir des flux migratoires déjeunes en provenance de d'autres régions du Québec. Comment se présentent les dynamiques des trajectoires des jeunes migrants dans l'Outaouais ? Pour être en mesure de bien élucider cette question, il convient de décrire d'abord la méthodologie de notre recherche.
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2. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
- 2.1 Technique de collecte de données
Le matériel qualitatif de la recherche est constitué de données d'entrevues individuelles semi-dirigées effectuées auprès de jeunes qui ont migré de la région rurale de l'Outaouais (Petite-Nation et Pontiac) vers le centre urbain de la région (Hull, Gatineau, Aylmer). Ces entrevues ont été menées à l'aide d'un schéma d'entretien construit à partir d'un axe temporel, élaboré par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ), et articulé autour des principales dimensions de la migration. Au total, dix entrevues d'une durée approximative d'une heure ont été effectuées.
- 2.2 Constitution de l'échantillon
La constitution de l'échantillon a été faite d'après deux principaux critères permettant la sélection des personnes à interroger : 1) avoir migré de la région de l'Outaouais vers le centre régional ; 2) être âgé entre 17 et 29 ans au moment de la migration. Nous avons aussi tenu compte de critères secondaires, tels qu'une répartition équitable et une diversité des sujets sur le plan du sexe et du type d'occupation (travailleur, étudiant). Trois techniques d'échantillonnage non probabiliste, soit l'échantillon par informateurs-relais, l'échantillon de volontaires et l'échantillon boule de neige ont guidé la constitution de l'échantillon. L'échantillon comprend sept femmes et trois hommes dont l'âge se situe entre 17 ans et 38 ans. En ce qui a trait au lieu d'origine, cinq individus proviennent de la Petite-Nation tandis que les cinq autres proviennent du Pontiac. Enfin, quant à l'occupation des personnes interrogées au moment de l'entrevue, cinq d'entre elles sont sur le marché du travail tandis que les cinq autres sont aux études.
- 2.3 Démarche d'analyse des données
Toutes les entrevues ont été enregistrées, retranscrites intégralement et thématisées. Ensuite, nous avons procédé à la catégorisation des thèmes des entretiens et à leur regroupement en fonction des différents [8] « noeuds » (catégories) proposés dans « l'arbre de codification » préparé par le GRMJ. En dernier lieu, nous avons procédé à l'analyse proprement dite des informations traitées, ce faisant nous avons reconstruit la trajectoire migratoire des jeunes en fonction des catégories d'analyse retenues pour la présente étude. Enfin, au moment de la rédaction du rapport de recherche, nous avons attribué un nom fictif à chacune des personnes interrogées. Ainsi, les noms des individus figurant au bas des citations qui émaillent la recherche ne constituent que des noms d'emprunt qui ne peuvent être identifiés que par les chercheurs.
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3. LES PREMIERS TEMPS DE LA MIGRATION :
DU DÉPART À L'INSTALLATION
Cette partie présente les principaux résultats des dynamiques intra-migratoires des jeunes interrogés. La résultats sont présentés selon les sept grandes dimensions de la migration définies précédemment, soit l'appréciation que se font les jeunes des lieux où ils ont vécu avant la migration, le départ du lieu d'origine, l'intégration au lieu d'accueil, l'évaluation que font les jeunes des conditions trouvées dans leur nouveau milieu de vie, le sentiment d'appartenance des jeunes à l'égard de leur région d'origine et de leur lieu d'accueil, les projets d'avenir des jeunes quant aux possibilités de retour au lieu d'origine et le point de vue des jeunes quant à l'avenir de leur région d'origine.
- 3.1 Appréciation du lieu d'origine
Quand les jeunes migrants portent un jugement de valeur sur leur milieu d'origine, quelle évaluation en font-ils en termes d'avantages et de limites ?
Lorsque les jeunes rencontrés évaluent leur milieu d'origine, plusieurs avantages sont mis en évidence. Ils mentionnent d'abord certaines qualités qui caractérisent les membres de leur communauté d'origine. Ces derniers sont jugés solidaires, chaleureux, dynamiques, sociables, accueillants et se connaissent mutuellement. Des qualités, selon eux, qu'on rencontrerait moins souvent en milieu urbain.
- On dirait que les gens sont vraiment plus sociables. Comme si tu te promènes sur la rue, que tu connaisses la dame ou que tu ne la connaisses pas, tu vas lui dire bonjour. Ici, on dirait que les gens sont froids. J'aime beaucoup la campagne parce que je trouve que les gens se tiennent tous. (Mariette, 17 ans)
- Je trouve que les familles qui viennent des petites localités comme par chez-nous sont des familles souvent plus accueillantes... (Carole, 21 ans)
D'autre part, les jeunes apprécient la beauté et la tranquillité de leur milieu d'origine. Ce dernier est un endroit où il « fait bon vivre », qui possède beaucoup de potentiel. Ainsi, la présence des espaces verts, la [10] proximité de la nature, les opportunités de sports et d'activités en plein air et l'aspect sécuritaire des lieux sont évalués positivement par les jeunes.
- C'est un style de vie très relax. Tu laissais tes portes de maison débarrées. Tu pouvais sortir à deux heures du matin dans la rue, tu n'avais pas d'inquiétude. (Chantale, 38 ans)
Ces perceptions rejoignent l'évaluation que font les jeunes ruraux canadiens de la vie en milieu rural (Malestat 2002). On retrouve dans un document de recherche du Partenariat rural canadien une évaluation des milieux ruraux qui les présente comme des collectivités empreintes de sécurité, propices pour élever une famille et fournissant un environnement sain.
Si les jeunes de l'Outaoauis rural sont nombreux à percevoir des aspects positifs à leur milieu d'origine, nos entrevues permettent cependant de dégager aussi certaines limites. Dans un premier temps, plusieurs jeunes signalent l'insuffisance des lieux de rencontre et d'activités de loisirs conçus pour les jeunes. Des jeunes qualifient leur milieu d'origine comme étant « peu animé », « fait d'habitudes », « ennuyant », « monotone » et qui « ne bouge pas assez ». D'autres évoquent le manque de diversification des occupations disponibles. En matière de vie sociale et récréative, peu de possibilités s'offrent ainsi aux jeunes. À cet égard, une jeune fille n'hésite pas à qualifier de « village fantôme » son village d'origine.
- Dans Ripon comme tel, je ne fréquentais absolument rien parce que c'est carrément un village fantôme (...). C'est fantôme dans le sens qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes, très peu d'enfants et que c'est surtout des personnes âgées. À six heures, tu te promènes dans le village et il n'y a plus rien. Il n'y a personne qui se promène. Tout le monde est dans la maison. Il n'y a absolument rien qui se passe là-bas. Il n'y a aucune activité (...). Mais là, il n'y avait rien et c'est encore comme ça et j'ai l'impression que ça va toujours rester comme ça. Ripon, c'est mort, point. (Marie-Ève, 20 ans)
- Le Pontiac comme tel, il n'y a pas vraiment grand chose à faire. C'est ennuyant. Ça ne bouge pas. (Claude, 22 ans)
- Il n'y avait vraiment pas beaucoup d'endroits pour les jeunes. Pas de maison de jeunes, pas de centre de loisirs. On avait un centre de loisirs mais juste l'été. (Carole, 21 ans)
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Par ailleurs, les jeunes ont aussi soulevé la rareté et l'éloignement des services et des centres commerciaux ainsi que l'absence de transport en commun qui oblige les parents à reconduire leurs enfants en voiture chez leurs amis ou aux lieux de loisirs. La plupart des jeunes ont également mis en évidence la rareté des emplois, les faibles perspectives d'emploi et l'absence d'établissements postsecondaires -et parfois même secondaires- qui obligent les jeunes à s'exiler afin de poursuivre leurs études ou de trouver un emploi.
- Il faut que tu partes de la Petite-Nation, tu n'as pas le choix. Le collège le plus proche est à Hull. (Sylvain, 25 ans)
- Ce que je n'aimais pas surtout, je me souviens, c'est que dès que tu disais ou faisais quelque chose, tout le monde le savait. Ça, j'aimais moins ça. (Carole, 21 ans)
- (...) parler du monde, le commérage. (...) À Fort Coulonge, je trouve que c'est fort là-dessus. Ils aiment ça se rencontrer et parler des autres. Ça, j'aime moins ça. (Jacinthe, 21 ans)
Les jeunes déplorent aussi leurs difficultés à conserver une vie privée dans un milieu où « tout le monde se connaît et est au courant des moindres actions de leurs voisins ». Le commérage, le bavardage et les racontards qui caractérisent souvent les milieux restreints sont ainsi souvent décriés par les jeunes.
Enfin, sont également peu appréciés l'intolérance et le manque d'ouverture d'esprit de la population qui se veut vieillissante.
- C'est sûr que si je regarde le village de Ripon (...) avec les personnes âgées qui sont... On parle avec elles et on dirait qu'elles sont nées en 1900. Là, c'est sûr que je trouve les gens de la ville beaucoup plus évolués et qu'il y a une ouverture d'esprit et qu'il y a beaucoup moins de préjugés qu'à la campagne. (Marie-Ève, 20 ans)
Encore une fois ces résultats rejoignent des données des études du Partenariat rural canadien qui rapportent que les jeunes ont des régions rurales l'image de milieux où il est difficile de bien gagner sa vie ou de poursuivre des études et d'envisager des perspectives de carrière intéressante tant en termes économiques que sociaux. Le thème est aussi récurrent dans l'analyse de la migration des jeunes de milieu rural québécois. Les jeunes les plus scolarisés chez les étudiants et les chercheurs d'emploi [12] estiment que les possibilités d'avancement sont fort limitées dans leur milieu d'origine. Ces travaux indiquent aussi des préoccupations des jeunes quant à la présence plus modeste de services scolaires ou sociaux sanitaires et quant à la rareté des organisations associées au loisir et à la culture. L'évaluation que font les jeunes de leur région n'est pas sans influence sur la perception des avantages et des inconvénients associés au départ du milieu d'origine. On verra aussi, plus loin dans ce texte, comment cette perception du milieu d'origine est aussi en lien avec leur estimé d'un retour éventuel au lieu d'origine.
- 3.2 Les avantages liés au départ
Lorsque les jeunes migrants sont invités à réfléchir sur les conditions retrouvées dans leur lieu d'accueil, une panoplie de gains sur le plan personnel est évoquée. À ce chapitre, les jeunes considèrent que leur départ de leur lieu d'origine leur a permis de développer certaines qualités tels que l'autonomie, l'indépendance, la débrouillardise, la maturité, la confiance en soi et l'estime de soi, l'ouverture d'esprit, la curiosité, etc. Leur départ vers l'Outaouais urbain a été aussi l'occasion d'acquérir des expériences profitables, d'être plus responsable, d'être plus réaliste quant aux réalités de la vie, d'améliorer ses relations avec les membres de sa famille, de s'ouvrir et de communiquer plus facilement aux autres, de résoudre certains conflits intérieurs.
Je pense que j'ai gagné gros là-dedans, au niveau des responsabilités et apprendre à m'occuper de mes affaires. Je suis devenu bien indépendant. Maintenant, en ville, tu te débrouilles. J'ai appris plus de connaissances. J'ai acquis beaucoup en restant en ville. (Sylvain, 25 ans)
Bien, je vois la vie différemment. Ce n'est plus comme avant. J'aime ce que j'ai acquis ici, mon autonomie. Le sentiment d'indépendance que j'ai. Mon sentiment de bien-être aussi. Ça, c'est important. (Gilles, 23 ans, Pontiac)
Par ailleurs, certains jeunes ont même affirmé que ces qualités acquises sont directement imputables à leur départ de leur localité. À cet effet, lorsqu'ils se comparent avec les jeunes « non-migrants », soit ceux demeurés en région, ils estiment que ces derniers ont « peu évolué », ou qu'ils sont toujours « sous l'emprise de leur famille ».
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- J'ai vraiment changé et je suis contente aussi d'avoir changé. C'est important de changer. Tu ne peux pas toujours rester la même. Parfois, je regarde mes amies de Fort Coulonge, elles sont encore comme avant. Elles n'ont pas évolué. (Jacinthe, 21 ans)
- (...) je regarde les jeunes qui ne sont pas partis et qui se sont mariés et qui ont eu des enfants et qui sont chez maman à tous les jours pour prendre leur café... Ce n'est pas la même dynamique. Je trouve qu'ils sont encore sous l'emprise de la famille. (Anne, 31 ans)
Outre ces nombreux gains sur le plan personnel, les jeunes citent aussi d'autres avantages à avoir quitté leur milieu d'origine. Plusieurs d'entre eux ont ainsi mentionné apprécier l'anonymat offert en ville, contrairement à leur lieu d'origine où les gens connaissent tous et chacun.
- (...) je peux faire mes affaires sans que tout le monde le sache. Dans mon logis où je vis comme tel, je garde des bons contacts avec mes voisins et c'est justement le fait qu'eux, ils ne savent pas ce que je fais vraiment. Ils savent que je travaille et tout ça mais à part de ça, ils ne savent pas et c'est bien comme ça. (Claude, 22 ans)
- Je dirais que c'est plus facile de s'évader. (...) si tu as envie de t'évader, tu vas dans un restaurant et les chances sont minces que tu rencontres quelqu'un que tu connais. C'est sûr que ça arrive... Ça peut arriver mais au moins tu n'as pas l'impression que le voisin va savoir ce que tu as fait la veille. Et je dirais que ce sont les côtés positifs d'avoir quitté Chénéville. (Marie-Marthe, 23 ans)
Dans leur nouveau milieu de vie, les jeunes migrants disent apprécier également la proximité et la disponibilité des services et des commodités ainsi que l'accès aux diverses activités culturelles. Vivre à la ville, c'est avoir facilement accès à tout et ce, en tout temps.
- Ce que j'aime de la ville, c'est que s'il te manque quelque chose, par exemple du lait, du pain, tu sors dehors, tu marches quelques pas et tu es déjà rendu au dépanneur. Ton amie habite à deux coins de rue de toi et tu peux y aller à pied. Tu n'as pas besoin de toujours avoir une voiture. Et aussi, tu as les autobus... (Mariette, 17 ans)
- Ici, j'aime ça parce que tu as tout. On est quand même vraiment bien installé en fait de musées aussi. On est bien. Le parc de la Gatineau. Tu pars en vélo, tu es bien. Les pistes cyclables. On a un réseau de pistes cyclables qui est super ! L'université, le cégep. (Claude, 22 ans)
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Les jeunes rencontrés font aussi généralement une appréciation positive de la proximité de la nature dans l'Outaouais urbain. Ils ont ainsi le sentiment d'y retrouver, à peu de distance, les espaces verts de la campagne qu'ils ont quittée.
- Il y a aussi que tu n'es pas loin de la campagne. Tu t'en vas dans le parc, c'est quand même des activités agréables qui se font et tu es proche de la nature quand même. (Anne, 31 ans)
C'est certain qu'à la campagne c'est tranquille et c'est beau, les arbres et la nature. Mais ici, si tu veux la nature, tu vas dans le parc. Ce n'est pas bien loin. Je n'ai rien perdu comme tel. (Sylvain, 25 ans)
- 3.3 Les désavantages liés au départ
Si les jeunes sont généralement d'avis que leur départ du lieu d'origine leur a été profitable sur le plan personnel et qu'ils retirent de leur nouvelle vie en milieu urbain plusieurs bénéfices, ils avouent cependant avoir essuyé également certaines pertes. Ces dernières se situent d'une part au niveau de la perte du réseau social de la localité de départ. Aux yeux de plusieurs, partir c'est aussi perdre beaucoup d'amis.
- À cette époque-là, je pourrais dire que j'en avais beaucoup plus que maintenant. Vu qu'on avait pas mal tous le même âge, on allait à l'école ensemble, on dirait que c'était beaucoup plus fort... Je connaissais beaucoup plus de monde. J'ai perdu beaucoup d'amis quand je suis venue ici. C'est normal. (Mariette, 17 ans)
D'autre part, en matière de pertes, les jeunes rencontrés rapportent aussi leur regret d'avoir quitté leur famille. Ces derniers regrettent d'être éloignés des membres de leur famille et de ne plus pouvoir compter sur l'aide apportée par la solidarité du réseau familial.
- Le côté négatif c'est que j'étais chez ma mère, donc ça ne coûtait pas cher. C'est surtout ça. On s'entraidait. Je veux dire... Je restais chez ma mère, ça ne me coûtait pas un loyer mais je faisais autre chose. Elle, au lieu de payer quelqu'un pour faire le gazon, je faisais le gazon. Donc, c'était comme ça, des services étaient échangés. (Marie-Marthe, 23 ans)
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Enfin, les jeunes regrettent certaines caractéristiques propres au milieu rural qu'ils ont quitté. Entre autres, les opportunités d'activités en plein-air, la liberté, la tranquillité, la sécurité des lieux, le style de vie « relax » sont tous des éléments de la ruralité qui font désormais défaut à certains jeunes.
- 3.4 Le départ du lieu d'origine :
motifs et appréhensions
Lorsqu'on demande aux jeunes de la Petite-Nation et de Pontiac ce que représentait pour eux l'idée même de partir, une gamme variée de perceptions est soulevée. Certains jeunes ont mis en évidence le caractère planifié et pas nécessairement souhaité de leur départ. D'autres ont fait part de l'appréhension ressentie à l'idée de partir vivre dans un milieu urbain ou de vivre éloigné de leur famille. Pour d'autres, l'idée de partir était associée à la préparation de leur avenir par les études et le début de la vie adulte.
Pour ceux et celles qui se destinent aux études collégiales ou universitaires, l'absence d'établissements d'enseignement post-secondaire rend inévitable les départs. À cet effet, bon nombre de jeunes rencontrés ont fait ressortir le caractère « planifié » de leur départ : ces derniers savaient depuis longtemps qu'ils auraient à quitter leur milieu d'origine afin de poursuivre leurs études au- delà du secondaire.
- Depuis le début du secondaire, je savais que si je voulais poursuivre mes études, il fallait que je parte. Depuis le début du secondaire, je savais que je voulais poursuivre mes études, donc c'était bien clair. Et j'ai commencé à me ramasser de l'argent depuis le secondaire II, quand j'ai commencé à travailler. C'était tout prévu. (Marie-Ève, 20 ans)
- Je savais que je ne demeurerais pas toujours à Campbell's Bay, que j'irais à l'extérieur parce qu'il n'y avait rien à Campbell's Bay. (Chantale, 38 ans)
Si plusieurs jeunes ont fait remarquer que leur départ s'inscrivait dans l'ordre naturel des choses, d'autres ont souligné que leur départ vers la ville correspondait davantage à une nécessité, voire à une obligation, plutôt qu'à un départ volontaire et vraiment désiré. C'est donc contre leur gré, voire à contrecoeur, que certains jeunes ont quitté leur localité d'origine : ils n'avaient pas le choix, ils devaient partir !
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- J'étais bien, moi. Je sais qu'à l'époque, plusieurs de mes amis avaient hâte de s'en aller. Mais moi, j'étais bien et je ne voyais pas la nécessité de partir sauf pour les études. (Marie-Marthe, 23 ans)
- Bien, c'était une venue qui était planifiée parce qu'à Fort Coulonge, je ne pouvais pas rester là si je voulais aller au cégep. Je n'avais pas le choix de venir à Hull, comme plusieurs de mes amies. (...) Sauf que je suis une fille qui s'ennuie beaucoup. Je ne voulais pas partir. (Jacinthe, 21 ans)
- 3.4.1 Motifs de départ :
étudier, travailler, vivre sa vie
Le sondage mené par le GRMJ auprès des jeunes québécois révèle que les études expliquent le départ du domicile familial d'un jeune sur deux de la Côte-Nord, du Bas Saint-Laurent, de l'Abitibi Témiscamingue, de la Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine et de la région de Québec. Quant aux région du Saguenay Lac Saint-Jean et de l'Outaouais, c'est la volonté de vivre sa vie, selon l'expression même des jeunes, qui est le plus souvent invoqué. L'Outaouais se distingue aussi en offrant un proportion plus élevée de jeunes partis pour travailler ailleurs.
Un peu différemment des propos précédents, l'ensemble des jeunes rencontrés en entrevue dans le milieu rural outaouais évoquent la poursuite des études comme principale raison à leur départ initial pour le milieu urbain. Dans la presque totalité des situations, les jeunes ont quitté leur localité afin de poursuivre des études collégiales, une seule jeune ayant quitté la sienne pour compléter un programme de formation professionnelle au secondaire. Si la perspective du départ a suscité quelques craintes ou appréhensions chez certains jeunes, die a cependant revêtu des aspects positifs sur le plan personnel chez plusieurs autres. À ce chapitre, certains jeunes ont associé leur départ pour les études à la préparation de leur avenir ou de leur carrière professionnelle.
- Je me sentais bien à l'idée de partir. C'était comme un défi. Moi, j'allais m'occuper de moi, de mon avenir. (...) Je m'en vais bâtir ma vie. C'est un petit peu ça. Je m'en allais m'occuper de mon avenir, comme étudier. (Anne, 31 ans)
- (...) c'était le début de ma vie. Pas ma vie dans le sens d'autonomie ou de liberté, c'était le début de ma carrière. Je commençais mes études. Moi, je voyais seulement mes études. C'était rien que ça que je voyais. (Marie-Ève, 20 ans)
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Si la volonté de poursuivre des études est à l'origine du premier départ pour la ville de tous les jeunes rencontrés, d'autres motifs de départ ont cependant été invoqués par les trois jeunes qui sont retournés travailler dans leur région d'origine après leurs études. Dans l'ensemble, le choix de ces jeunes de retourner s'installer en ville après un bref séjour dans leur milieu d'origine a d'abord été motivé par des considérations professionnelles. Fermeture du lieu de travail et faibles perspectives d'emploi, insatisfaction de la nature de l'emploi et conditions d'emploi jugées inadéquates, voilà des facteurs qui expliquent de prime abord leur retour en milieu urbain. Au-delà des motifs liés à l'emploi, ces jeunes ont toutefois aussi évoqué certaines raisons plus personnelles dans leur choix de revenir en ville : le désir de vivre d'autres expériences, le manque d'activités de loisirs du lieu d'origine, la solitude engendrée par le départ des autres jeunes, l'attrait de la vie urbaine pour ses activités et services et son dynamisme.
Les travaux du Partenariat rural canadien (2002) rapportent comme motifs de départ, la poursuite d'études post-secondaires, la recherche d'un emploi et l'accompagnement de la famille. L'enquête du GRMJ présente quant à elle les études, le projet d'acquisition d'autonomie et de développement personnel des jeunes et la recherche d'emploi comme les trois principaux motifs invoqués par les jeunes québécois se déplaçant hors de leur région d'origine (Leblanc et al. 2002) On associe au départ l'idée d'augmenter ses chances dans la vie par un moyen ou l'autre.
Dans l'esprit des jeunes, quitter sa localité peut aussi signifier un défi à relever, le commencement d'une nouvelle vie ou l'occasion de vivre « autre chose ». En ce sens, plusieurs jeunes ont affirmé que le départ représentait la liberté, l'indépendance, l'autonomie et marquait, pour ainsi dire, leur passage à la vie adulte.
- C'était surtout de venir en appartement. C'était l'indépendance. C'était l’autonomie. C'était le temps de me prouver aussi. (Gilles, 23 ans)
- Que je commençais ma vie. Que je n'étais plus une enfant. Que vraiment papa et maman ne seraient pas là tout le temps et que c 'était à moi de faire mon chemin et de m'occuper de moi-même aussi. (Jacinthe, 21 ans)
- Même que je n'arrêtais pas de me dire : mon Dieu que je suis contente qu'il n'y ait pas de cégep dans mon coin ! (Carole, 21 ans)
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- 3.4.2 L'appréhension de la vie en milieu urbain
Quelques jeunes ont souligné la crainte suscitée à l'idée de s'en aller vivre à la ville, un milieu considéré comme étant moins sécuritaire et plus « compliqué » que le milieu rural.
- Bien, j'avais peur un peu parce que, bien je connaissais un peu Hull, j'avais peur parce qu'à Fort Coulonge je peux me promener dehors et je n'ai pas besoin de m'inquiéter. Mais tu arrives ici dans une grande ville... (Jacinthe, 21 ans)
- J'étais triste de partir parce que c'est sûr que tu arrives dans une grande ville, il y a les autobus et tout et tout. C'est épeurant (...). (Marie-Marthe, 23 ans)
Outre la crainte suscitée à l'idée de vivre à la ville, le départ symbolise aussi l'éloignement de la famille. Des jeunes ont ainsi fait part de leur appréhension à l'idée de devoir quitter les membres de leur famille et de leur crainte de s'ennuyer de leur présence. On peut faire l'hypothèse d'un état paradoxal quant à l'éloignement de la famille qui est intimement hé au changement de milieu de vie. Autant cet éloignement peut être perçu comme utile pour prendre de l'autonomie, pour conquérir un nouvel espace pour vivre sa vie , autant il crée dans un premier temps une prise de conscience que la famille comptait aussi des éléments de sécurité personnelle et des repères relationnels. Les travaux qualitatifs (entrevues) et quantitatifs (sondage) du GRMJ indiquent d'ailleurs qu'une majorité déjeunes connaissaient des amis ou des parents dans le nouveau milieu où ils choisissent de s'installer.
- J'étais fou comme un balai. J'étais bien content de partir. Mais en même temps, tu laisses ta famille : ta mère, ton père, les oncles et les tantes, ma grand-mère avec qui j'ai été très proche. C'était bon et c'était triste en même temps. (Gilles, 23 ans)
- J'avais peur de ne pas pouvoir descendre souvent. (...) De ne pas voir ma famille assez souvent. De ne pas être assez souvent à Fort Coulonge. (...) J'avais peur de ne pas leur parler assez souvent, même au téléphone, de pas les voir assez souvent. De manquer des choses : les fêtes, des choses comme ça. J'avais peur de manquer quelque chose. (Jacinthe, 21 ans)
Le choix de la migration intra-régionale est-il tributaire des appréhensions associées à l'idée de partir loin ? Est-ce un choix qui fait que la migration s'opère dans la région plutôt que dans une autre région [19] comme le font plusieurs jeunes au Québec ? Nous n'avons pas exploré à fond la question mais celle-ci émerge toutefois du matériel recueilli dans les entrevues.
Les jeunes rencontrés ont d'abord choisi de s'installer en Outaouais urbain (Hull et Gatineau) en raison de sa proximité avec leur lieu d'origine. Des jeunes ont ainsi signifié avoir choisi l'Outaouais urbain comme lieu d'études afin de ne pas trop s'éloigner de leur famille.
- (...), je me suis dit : je vais rester proche de maman et papa. Pourquoi m'en aller plus loin ? (Carole, 21 ans)
- Je ne voulais pas aller trop loin de ma famille. Je ne voulais pas m'éloigner de ma famille. (Gilles, 23 ans)
Dans certains cas, cette proximité peut aussi être l'opportunité de continuer à occuper un emploi dans sa localité de départ durant les fins de semaine. Enfin, le choix de l'Outaouais urbain peut aussi être dicté par le désir de suivre le même itinéraire des membres de sa fratrie ou de poursuivre ses études au même endroit que celui des amis qui partent aussi étudier à l'extérieur.
Il ressort des observations qui précèdent que le départ du lieu d'origine pour les jeunes représente un phénomène social complexe qui comporte différents aspects de l'histoire de vie des jeunes migrants datés et situés : poursuite des études, insertion professionnelle, choix rationnel de partir, appréhension du nouveau milieu, entrée dans la vie adulte, etc. Ce choix de partir implique ensuite le défi de l'intégration dans un nouveau milieu, phénomène lui aussi complexe que nous traitons au chapitre suivant à partir de nos résultats en Outaouais.
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4. LE PROCESSUS D'INTÉGRATION
On entend par intégration la façon dont les jeunes qui se déplacent en viennent à donner des réponses nouvelles et appropriées leur permettant de vivre dans un milieu nouveau. Dans le cas de la migration des jeunes de région vers la grande ville, l'intégration consisterait en l'adaptation progressive de leurs représentations de l'univers urbain, de leurs attitudes et de leurs comportements aux nouvelles situations dans lesquelles ils se trouvent. Il peut s'agir de l'accommodation aux conditions de logement, à la vie conjugale ou familiale, de l'adaptation au contexte d'études ou de travail, de loisirs, aux réseaux de sociabilité anciens ou renouvelés. L'intégration du jeune migrant dans la ville devient une adaptation à un nouveau milieu qui réside en une relative acceptation des valeurs, des normes ; bref de la culture urbaine. À la lecture de nos résultats, on constate que l'on peut en dire autant des déplacements significatifs des jeunes à l'intérieur de leur région d'origine.
Les premiers moments de la migration mettent à jour le fait que se déplacer signifie plus que se relocaliser en ce sens que s'enclenche un processus de dissociation du milieu antérieur. L'éloignement et la dissociation sont souvent d'abord difficilement vécus et engendrent des sentiments de solitude ou d'ennui. Les communications téléphoniques avec la famille, le retour fréquent au domicile familial pour revoir la parenté et/ou les amis constituent des réponses à cette situation difficile suivant la migration. On observe, lors des premiers mois ou de la première année, une tentative de maintien des contacts avec le milieu d'origine tant dans le cas de la migration hors de la région d'origine qu'à l'intérieur de la région d'origine en dépit d'une distance réduite avec le lieu d'origine. Le sondage national le confirme avec 80% des femmes et 70% des hommes qui affirment converser régulièrement par téléphone avec leurs proches. Avec le temps, la situation se modifie et les jeunes migrants entrent dans une démarche consciente ou non de recomposition de la matrice relationnelle tout en maintenant de nouvelles formes de rapports à la famille.
Le processus d'intégration comporte les premiers moments de la migration (sentiment à l'égard de l'éloignement du lieu d'origine, maintien et relâchement progressif des liens avec les anciens groupes d'appartenance), pour enfin présenter les diverses caractéristiques du phénomène social d'intégration des jeunes migrants dans leur nouvel environnement (relations aux autres migrants et reconstruction des réseaux de sociabilité).
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- 4.1 L'éloignement physique et relationnel
d'abord vécu difficilement
Ce qui caractérise d'emblée le contexte migratoire est l'éloignement des personnes migrantes des divers réseaux de sociabilité de leur milieu d'origine. Les propos des jeunes rencontrés laissent croire que cet éloignement des divers groupes d'appartenance du lieu de départ -ou simplement de la région quittée en général - est vécu difficilement dans les premiers moments de la migration.
- Je ne pensais pas manquer ma région quand je suis parti pour ma première semaine en ville. Je me disais : Ouf ! Je suis content. Je suis indépendant maintenant. Par contre, ta région te tient beaucoup à coeur. J'ai manqué Fort Coulonge. (Gilles, 23 ans)
- Le climat familial me manquait. J'envie les gens, les jeunes d'aujourd'hui qui demeurent en ville, qui vont au cégep et qui reviennent dans leur milieu familial le soir. Je les envie de ce côté-là. (...) C'est surtout ça que j'ai trouvé difficile (...). (Chantale, 38 ans)
Cet éloignement est d'autant plus difficile qu'il correspond, pour la plupart des jeunes migrants rencontrés, au moment de transition entre les études secondaires et les études collégiales.
- Je dirais que la première session du cégep, c'était la transition entre le secondaire et le cégep, et entre le départ de chez ma mère pour aller en appartement et la vie. « Organise-toi ! Ta commande, ton ménage et tout ». C'était ça les premiers six mois. Il n'y avait pas beaucoup de place pour les loisirs et les sorties. (Marie-Marthe, 23 ans)
Dans les premiers temps de la migration, les jeunes tentent de maintenir les liens avec les membres de leurs réseaux sociaux demeurés dans la région d'origine. Dans leurs tentatives de conserver les liens avec leur famille et/ou leurs réseaux d'amis, les propos recueillis montrent que les jeunes migrants téléphonent souvent et/ou retournent régulièrement dans leur région d'origine.
- Et la vie familiale est quand même restée forte parce que les premières années que je suis partie, je descendais toutes les fins de semaine. Le vendredi soir, on partait aussitôt que notre dernier cours du cégep était fini. (Anne, 31 ans)
- Je les ai appelés à chaque jour. Ma mère aussi s'ennuie beaucoup. Donc, on s'appelle beaucoup. (Jacinthe, 21 ans)
À partir du moment où les jeunes commencent à s'intégrer au milieu d'accueil (occupation d'un emploi, engagement dans différentes activités de loisirs, construction d'un nouveau réseau social, engagement [22] dans une relation amoureuse avec une personne du lieu d'accueil), les retours au lieu d'origine deviennent graduellement moins fréquents.
- Je dirais que depuis deux ou trois ans, j'y vais beaucoup moins. Avant c'était au moins aux deux semaines, après ça, tranquillement, ça été aux trois semaines et ensuite une fois par mois. Parce que souvent, la fin de semaine, j'ai autre chose à faire. J'ai des activités avec des amies, des sorties. (Anne, 31 ans)
- Les premiers mois, je retournais à toutes les fins de semaine. Après ça, je me suis trouvée un emploi les fins de semaine, donc je montais moins souvent. (Carole, 38 ans)
On constate alors que les contacts maintenus avec les amis de leur ancien réseau social s'estompent et finissent même parfois par disparaître complètement. Ce détachement progressif résulte souvent d'un manque d'intérêts communs avec le groupe d'amis demeuré en région.
- Des fois, on essaie de se rencontrer une fois par année à peu près mais je n'ai pas beaucoup de liens avec eux. Et quand je les revois, c'est sûr qu'on se parle mais on n'a plus les mêmes préoccupations, le même style de vie. (Carole, 21 ans)
Mais ce détachement peut tout simplement -et il n'est pas rare- être le résultat d'un « éclatement » du groupe d'amis du lieu d'origine, ces derniers ayant eux aussi quitté la région d'origine.
- Même les filles avec qui je suis restée quelques années au cégep, elles sont retournées et on a coupé les ponts tranquillement. Et les amies que j'avais à Chénéville, la plupart n'ont pas vraiment étudié. Donc, la coupure s'est faite tôt. (Anne, 31 ans)
- De ce que je peux me rappeler, tout le monde est vraiment parti de Chénéville pour les études la plupart du temps. (...) Non. À Chénéville, je n'ai personne de mon âge. Je n'ai vraiment plus personne. (Sylvain, 25 ans)
Les contacts avec les membres de la famille se maintiennent cependant et sont jugés importants aux yeux des jeunes migrants.
- Bien, on s'appelle quand même presqu'à chaque soir ou à chaque deux soirs. (...) Et j'ai une petite soeur de quatorze ans qui s'ennuie beaucoup de moi. Moi aussi, je m'ennuie d'elle mais... (Jacinthe, 21 ans)
[23]
- 4.2 L'intégration progressive au lieu d'accueil :
reconnaître les siens et découvrir les autres
Le processus d'intégration se poursuit par la reconstruction progressive d'un réseau de sociabilité dans le milieu d'accueil. Le maintien des liens avec les groupes d'appartenance d'origine et la création de nouveaux réseaux sont deux phénomènes participant de l'intégration. Le second semble relayer l'affaiblissement et la disparition des groupes d'amis anciens et l'espacement de la fréquentation de la famille.
Les jeunes ont d'abord tendance à se regrouper avec des gens de leur milieu d'origine. Il semble qu'un jeune reconnaisse facilement les siens dans les nouveaux milieux que la migration l'amène à fréquenter. Le migrant recherche la mise en relation pour constituer un réseau qui fournit des canaux de communication, qui remplit des fonctions affectives et qui donne le sentiment du nous traduisant l'adhésion à des codes symboliques collectifs et des repères sociaux et culturels communs dans un nouvel environnement. Puis avec le temps et la sécurité qui vient avec la connaissance élargie du nouvel environnement, le jeune s'ouvre de plus en plus aux autres, ceux qui ne sont pas de son village ou de sa région d'origine.
Au début de la migration, les relations sociales du migrant sont souvent essentiellement limitées aux membres de la famille présents au lieu d'accueil et aux autres jeunes migrants de la même région de départ. Dans notre étude en Outaouais, le phénomène s'est imposé d'emblée. À leur arrivée au lieu d'accueil, tous les jeunes migrants rencontrés habitent avec des membres de leur groupe d'appartenance du lieu de départ.
- J'ai fait mes deux années de cégep à Hull et je restais avec des copines. On était quatre filles en appartement à ce moment-là, toutes des filles de la région. Elles venaient toutes de St-André-Avellin, tout près de Chénéville. On se connaissait depuis la polyvalente et on est venu ensemble. (Anne, 31 ans)
La présence d'amis ou de membres de la famille dans le lieu d'arrivée facilite l'adaptation et l'intégration des jeunes migrants. Ces « agents d'intégration », s'ils sont arrivés avant eux, peuvent les aider à s'orienter dans la ville et leurs offrir divers conseils leur permettant de s'adapter à leur nouvel environnement.
- Donc, ceux qui étaient arrivés l'année avant, ils pouvaient t'enligner un peu, pour savoir comment te débrouiller. (Anne, 31 ans)
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- Je ne pense pas que j'aurais été à l'aise à Hull si je n'étais pas venue rester avec un membre de ma famille parce que j'aurais trouvé ça plus difficile. En tout cas, ça m'a aidé que je reste avec ma famille. (Jacinthe, 21 ans)
La présence de membres de leurs anciens groupes d'appartenance leur permet aussi d'éviter le sentiment d'isolement souvent ressenti généralement aux premiers moments de la migration. De retrouver au lieu d'accueil d'autres migrants de sa région, c'est « ne pas se sentir seul », c'est reconstruire rapidement un « chez soi ailleurs ».
- (...) on était beaucoup à partir du Pontiac et à s'en venir ici et qu'on restait tous sur la rue Cités des jeunes en appartement. (...) On était pas mal tous assez près. Donc, on se rencontrait le soir dans un appartement, on jasait et on jouait aux cartes. Et un autre soir, c'était dans un autre appartement. Donc, je pense que c'est peut-être ça qui a facilité mon intégration. (Carole, 21 ans)
- C'est bizarre, parce qu'au cégep de Hull, il y a beaucoup de gens de la Petite-Nation qui s'en viennent étudier. (...) Et quand tu arrivais au cégep, à la cafétéria, tu avais une table où c'était tous les gens de la Petite-Nation qui étaient assis à cette table-là. (...) Et on se retrouvait tous ensemble, la gang de la polyvalente, même si on avait un an ou deux de différence, il n'y en n'avait plus à ce moment-là. Tout le monde s'assoyait ensemble et c'est comme ça qu'on se bâtissait un réseau d'amis. (Anne, 31 ans)
Graduellement, de nouveaux liens sociaux se construisent avec les personnes du milieu d'accueil. La reconstruction d'un nouveau réseau social est d'autant plus rapide et facile qu'il y a relâchement au niveau des retours au lieu d'accueil.
- (...) comme je descendais chez nous presqu'à toutes les fins de semaines, je ne me suis pas fait beaucoup d'amis d'ici. (...) C'est difficile de t'intégrer dans un groupe où ces gens-là se tiennent ensemble toute la semaine, toutes les fins de semaine. (Gilles, 23 ans)
- Là, j'ai laissé mon travail à Chénéville. Je me suis trouvée un travail à Hull. Donc, j'y ai passé mon premier été. (...) Alors, c'est là que j'ai commencé à sortir...(...) Alors c'est là que j'ai commencé à rencontrer du monde, en sortant dans les bars et puis dans ces places-là. (Marie-Ève, 20 ans)
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Des lieux favorisent la reconstruction de nouveaux réseaux de sociabilité : lieux de travail et d'études, résidences étudiantes, bars, etc. La création de nouveaux liens sociaux peut également passer par l'implication dans diverses activités sportives ou de loisirs et l'engagement bénévole.
- Plus tard, quand j'ai commencé à travailler, c'est là que j'ai commencé à bâtir vraiment un réseau social comme tel. Quand j'ai commencé à travailler à St-Pierre de Wakefield comme enseignante, je me suis retrouvée avec une copine - maintenant une grande copine - qui travaillait à St-Pierre de Wakefield elle aussi. (Anne, 31 ans)
- Le réseau social que j'ai, le plus important, je dirais que c'est le même qu'au cégep. Je me suis fait beaucoup d'amis au cégep. (Carole, 21 ans)
L'intégration du jeune migrant est donc un processus fait de construction, de déconstruction et de reconstruction de liens sociaux, d'insertion sociale. Il semble que ce soit un phénomène qui encore une fois est assez semblable qu'il soit conséquent à un déplacement dans sa région ou dans une autre région (Assogba et al. 2000).
- 4.3 La transformation du sentiment d'appartenance
L'ouverture du réseau social n'est pas qu'affaire de relations interpersonnelles ou de réseau de soutien. Les jeunes migrants s'ouvrent à la diversité. Ils sont en contact avec un regard des autres différents qui n'est pas sans effet sur la façon dont les jeunes perçoivent à leur tour leur environnement. La nature de la relation subjective que les jeune migrant entretiennent avec la collectivité du lieu d'origine puis avec celle du lieu d'accueil affecte son processus identitaire et de façon plus générale son sentiment d'appartenance. Autrement dit, pendant le processus d'intégration, s'opère une remise en question du sentiment d'appartenance du jeune migrant.
- Des jeunes fiers de leur milieu d'origine
malgré la dévalorisation du milieu rural
Malgré l'éloignement physique, la plupart des jeunes migrants rencontrés en Outaouais affichent une identification à la région d'origine. Les jeunes sont ainsi presque tous unanimes à exprimer spontanément leur fierté à l'égard de leur communauté de départ.
- Oui. Je suis fière de dire que je viens de Chénéville. (Marie-Marthe, 23 ans)
[26]
- Oui, je viens de Fort Coulonge. Je suis contente de le dire. Je ne dis pas que je viens de Hull. C'est de Fort Coulonge que je viens. (Jacinthe, 21 ans)
S'ils affichent ouvertement leur fierté à l'égard de leurs origines, plusieurs jeunes ont néanmoins relevé certains éléments qui pourraient, à première vue, venir contrecarrer l'entretien de ce sentiment de fierté régionale. D'une part, des jeunes ont exprimé un certain mécontentement face à l'ignorance de la population urbaine quant à leur communauté de départ : les gens de la ville ne connaissent pas ou ne sont pas en mesure de situer leur village ou région d'origine.
- Parce que le monde ne sait même pas où c'est. Donc, il faut que je leur explique avec des points de repères qu'ils connaissent. (Marie-Ève, 20 ans)
- Bien, il y en a beaucoup qui ne savent même pas où c'est le Pontiac. Il y en a même un, une fois, qui m'a dit : Ah oui, c'est quelque part aux Etats-Unis ! Parce qu'il y a une ville ou un Etat qui porte le même nom. Donc, je lui ai répondu : non, pas du tout. C'est peut-être à une heure d'ici ! Ça me fâchait un peu de voir que les gens de Hull ne savaient même pas où c'était le Pontiac. (Carole, 21 ans)
D'autre part, plusieurs jeunes ont aussi fait mention de préjugés et de fausses images qui circulent au sujet de leur communauté d'origine. Cette dernière est souvent associée à un « trou » où « rien ne se passe » et les individus qui y vivent sont qualifiés « d'habitants ». Cette image de leur région est d'autant plus dévalorisée qu'on s'étonne en ville que des personnes qui en proviennent puissent réussir. On ne peut cependant souscrire ici à une hypothèse qui voudrait que les images négatives véhiculées à l'égard du monde rural réduisent la fierté des jeunes de leur fierté à l'égard de leur milieu d'origine. Au contraire, si ces jeunes déplorent cette dévalorisation de la vie en région périphérique, leurs propos permettent de croire qu'elle n'entache pas leur fierté.
- (...) mais ils ont tellement l'impression que c'est dans le fond des bois. Ils ont une image de nous-autres qui nous considère comme des habitants, comme ils disent. Ils ont tellement l'impression qu'on est des fermiers. Je pense qu'ils ont des préjugés par rapport à la campagne. Mais moi, c'est une fierté pour moi... (Marie-Ève, 20 ans)
- Mais je suis contente d'être née là et d'avoir vécu dix-sept ans là-bas. J'en suis vraiment contente. Il y en a souvent de Fort Coulonge qui pensent que c'est un trou mais moi, je ne le pense pas. (Jacinthe, 21 ans)
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- J'ai toujours défendu la campagne parce qu'il y en a beaucoup qui disent : « Ah ! La campagne, c'est des arriérés qui se tiennent là ! » J'ai toujours défendu ça. J'ai toujours défendu mon petit coin de pays ! (Marie-Marthe, 23 ans)
Par ailleurs, la dévalorisation du monde rural peut également passer par certains messages véhiculés au sein même des communautés régionales. Un jeune migrant déplore ainsi le fait que dans son village d'origine, on perpétue l'idée que la réussite ne peut s'acquérir qu'en quittant les lieux. La réussite, c'est ailleurs que ça se passe !
- À Fort Coulonge, on s'est toujours fait dire que : tu n'allais nulle part si tu restais à Fort Coulonge. C'était négatif. Surtout qu'on voyait qu'il n'y avait pas grand chose pour les jeunes. C'était pas un bon message qu'on avait pour les jeunes. (...) Donc, ce n'était pas toujours positif, le message qu'on a eu de la région. (Gilles, 23 ans)
- Un attachement à ses racines
Même si, avec le temps, un certain degré de détachement s'est réalisé et qu'un sentiment d'appartenance s'est progressivement développé à l'égard du milieu d'accueil, reste que la région d'origine occupe encore une place importante aux yeux de la plupart des jeunes. La communauté de départ est associée à l'enfance et à ses souvenirs. Elle représente le lieu des rencontres familiales ou celui du réconfort.
- Mon enfance, c'est là que je l'ai vécu et j'en suis contente. Mes parents sont là aussi. Je ne pourrais jamais dire quelque chose de négatif de Fort Coulonge. (Jacinthe, 21 ans)
- Ce sont tous mes souvenirs d'enfance qui sont là. (...) On a grandi là. Donc ça, c'est une fierté de parler de tout ce qu'on a fait là. (Marie-Ève, 20 ans)
- Des jeunes « en visite » lorsqu'ils retournent
dans leur milieu d'origine
Enfin, même s'ils ont manifesté leur fierté et leur attachement à l'égard de leur localité de départ, des jeunes ont cependant souligné qu'avec le temps, elle représente plus le lieu de résidence des parents que leur véritable « chez eux ». À cet égard, des jeunes disent avoir le sentiment d'être « en visite » lorsqu'ils retournent dans leur milieu d'origine.
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- Parce que c'est la place de mes parents. Maintenant, je vais juste en visite là-bas. Mais moi, je me sens comme ça maintenant, en visite. (...) Maintenant, je sens que c'est la place de mes parents. (Jacinthe, 21 ans)
- Progression de l'appartenance au lieu d'accueil
Si aux premiers temps de la migration, le lieu d'accueil représente d'abord le lieu des études, progressivement les jeunes migrants s'y attachent et peuvent même finir pas s'y identifier. À cet égard, certains jeunes ont ouvertement avoué se reconnaître comme membres de leur nouvelle région d'accueil. On voit là naître un sentiment d'appartenance renouvelé.
- Je pense que j'ai pas mal fait mon trou, comme on dit, ici en ville. Quand je reviens en ville, je suis content de revoir Hull. Quand les gens me demandent où je reste, je réponds que je reste à Hull. Si je vais quelque part et qu'on me demande d'où je viens, je dis que je viens de Hull. (Sylvain, 25 ans)
- J'ai eu une éducation ici. J'ai appris à me connaître ici. Je viens à l'université ici. Je réponds à mes besoins ici, et après cinq ans, j'ai le sentiment d'appartenir à la région. (Gilles, 23 ans)
Au départ, on peut se sentir un peu « chez soi » dans sa nouvelle localité en raison de la présence de gens de sa région de départ (famille, amis). Le sentiment d'appartenance chez nos répondants s'est toutefois progressivement développé à mesure que les jeunes migrants se sont insérés professionnellement ou se sont construits de nouveaux réseaux sociaux.
- Depuis que je suis revenue à Gatineau et que je travaille, j'aime plus être ici. C'est peut-être le fait aussi que je suis retournée un bon deux ans à Chénéville. Et il y a de moins en moins de gens... Les amis, ils sont vraiment tous partis. (Marie-Marthe, 23 ans)
- J'ai mes amies. J'ai un peu de parenté aussi qui reste ici. Il y en a d'autres de Fort Coulonge qui arrivent aussi. Donc, pour moi je me sens bien. Je me sens chez nous quand même. Même si ce n 'est pas la place où j'ai été élevée et où j'ai grandi, je me sens chez-moi quand même. (Jacinthe, 21 ans)
Si l'on se réfère aux discours des jeunes migrants, arriver en ville constitue toujours une expérience de la différence et de l'urbanité quelle que soit l'échelle où elle est expérimentée. Il ne faut donc pas se [29] surprendre si le discours de jeunes s'installant dans une ville moyenne est parfois le même que celui des jeunes qui découvrent Montréal.
- J'avais peur un peu , j'avais peur parce qu'à Fort Coulonge je peux me promener seule dehors et je n'ai pas besoin de m'inquiéter. Mais tu arrives ici dans une grande ville...(Hull)
On ne peut analyser le processus d'intégration des jeunes en ville sans étudier leurs perceptions et leurs réactions à la ville. Les jeunes n'offrent pas tous la même réaction même si la majorité d'entre eux éprouve d'abord le choc de la différence. Différence quant à l'organisation spatiale, quant au rythme de vie, quant au mode de vie. Les jeunes migrants, surtout ceux peu familiers avec le milieu urbain, y sont projetés comme s'ils étaient « téléportés » dans un kaléidoscope. Le point de vue est toujours différent et leur vision de la ville ne peut qu'être fragmentée. Le choc de l'urbain naît de ses paradoxes (Fréchette et al. 2003).
La ville donne à la fois le sentiment du désordre le plus anarchique et de l'ordre le plus contraignant, cela ne doit pas étonner, car l'un semble naître nécessairement du paroxysme de l'autre. Cependant, c'est ici le télescopage de l'espace et du temps qui frappe le plus, car la ville vit en quelque sorte dans un « espace-temps » différent de celui de son environnement rural ; la ville est le royaume de la concomitance, de la proximité, de l'accessibilité ; mais en même temps elle est celui de la concentration, de la viscosité, des embarras... (Reichert, H et Remond, JD. 1980, p.53).
Le maintien du sentiment d'appartenance territoriale et la référence qu'on y fait ont été étudiés en rapport avec le sentiment d'identité (Twigger-Ross et Uzzell 1996). Chez les jeunes en voie d'intégration dans un environnement urbain, cette référence, consciente ou non, entretient le sentiment de continuité dans l'identité, cette partie de l'identité qui est plus collective parce qu'elle renvoie à ce qui est commun avec d'autres. Le discours des jeunes affirmant « j'habite Rimouski, Hull ou Québec mais je viens de ... » est révélateur de l'identité territoriale qui perdure au-delà du déplacement à l'extérieur du milieu d'origine. Même si Moquay (1997) mentionne que l'appartenance au territoire n'est plus nécessairement centrale dans la définition identitaire de l'individu, ce qui force un rapport plus fonctionnel à l'espace, nous constatons que la prégnance du sentiment d'appartenance est forte chez les migrants entretenant le projet d'un éventuel retour au milieu d'origine.
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5. PERSPECTIVES D'AVENIR :
CELUI DE SA RÉGION ET LE SIEN
Pour les chercheurs du GRMJ, la notion de migration des jeunes dans le contexte des sociétés contemporaines s'ouvre sur la possibilité d'un retour au lieu d'origine ou admet également l'idée selon laquelle un lieu d'accueil donné peut constituer une première étape dans une trajectoire migratoire incluant d'autres « points de chute ». Si l'on pose la question du retour éventuel du jeune migrant dans sa région d'origine, on ne peut la dissocier de l'idée que se fait le jeune des perspectives d'avenir de cette même région.
- 5.1 L'avenir de la région d'origine
Lorsque les jeunes migrants sont invités à s'exprimer sur l'état de leur région d'origine, ils en font généralement une évaluation négative. Nombreux sont les jeunes qui évoquent l'embarras ou les difficultés socio-économiques de leur localité : pénurie d'emplois, taux de chômage et d'inactivité (aide sociale) très élevés, délabrement des maisons, absence d'industries, fermetures de commerces et d'entreprises et difficultés de ces derniers à s'y établir.
- Parce que c'est vrai que socio-économiquement parlant, ce n'est pas rose. Le taux de chômage est élevé. Le bien-être social également. (...) il y a beaucoup de commerces qui ferment. (...) Il y a beaucoup de choses qui s'en vont à St-André-Avellin. Le peu qu'il y avait d'acquis, ils le perdent souvent. (Anne, 31 ans)
- Bien, pour Otter Lake comme tel, à moins qu'ils aient des changements, ça s'en va en diminuant. Personne n'est capable de rénover leur maison. Il manque d'emplois. Il y a beaucoup d'aide sociale. (Claude, 22 ans)
- Il y a beaucoup de petites entreprises qui se sont essayées mais elles ont fait faillite. (...) Il y a plein de commerces qui ont fait faillite. (Jacinthe, 21 ans)
Ce qu'ils constatent actuellement sur le plan socio-économique les rend inquiets quant à la question de l'avenir des jeunes dans leur localité. Les jeunes interviewés font mention du déclin démographique dû au vieillissement de la population et au départ des jeunes. Ils déplorent le peu d'effort investi réellement dans la création d'emplois et d'activités à l'intention des jeunes.
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- Je pense sincèrement que s'ils ne font pas quelque chose, ça va toujours s'en aller en dégradant. Il n'y a presque plus d'activités. Tous les jeunes s'en vont. Je n'ai pas l'impression qu'ils font des efforts pour garder leurs jeunes. Premièrement, c'est sûr que des emplois, ils n'en n'ont pas. (...) Sauf qu'il n'y a absolument aucune activité et il me semble que ce n 'est pas intéressant pour un jeune de passer sa vie là-bas. (...) Donc, j'ai l'impression que les jeunes, ce n'est pas leur idéal. (Marie-Ève, 17 ans)
- C'est en train de tomber. C'est presque devenu un village fantôme. (...) Oui parce qu'il n'y a plus de jeunes. Comme nous, notre génération, les enfants ne sont plus là. Ce sont toutes les personnes âgées qui restent là. (Chantale, 38 ans)
- Bon, ils veulent tous créer des emplois pour les jeunes mais ils ne veulent pas faire les sacrifices. (...) Ils veulent tous attirer les jeunes, ils veulent tous trouver des moyens mais le moyen qu'ils ont trouvé a été de me mettre trois jours par semaine. Je veux dire qu'un jeune ne peut pas travailler à trois jours par semaine. C'est comme s'ils m'avaient donné mon passeport pour m'en aller ailleurs. (Marie-Marthe, 23 ans)
Quant à l'avenir de leur milieu d'origine, les jeunes sont plutôt pessimistes. Ils font l'hypothèse que l'avenir de leur localité sera à l'image de son présent : les jeunes continueront à migrer vers les centres urbains et elle se videra de ses jeunes.
- Bien je prévois comme ça se passe là : la migration vers les centres urbains ou dans les autres régions de l’Outaouais ou du Québec pour les jeunes. Evidemment, si les villages se vident des jeunes, il n'y a plus rien à faire là-dedans. C'est une population qui va vieillir et le village va se vider. Otter Lake, c'est ça. C'est un population vieillissante vraiment. (Claude, 22 ans)
Des jeunes se questionnent également sur la place qu'occupe la jeunesse dans les priorités d'action des élus municipaux de leur localité d'origine.
- Je les regarde et je me dis : pauvres jeunes ! Pour les petits bonhommes, les balançoires n'ont même jamais été changées au Centre récréatif depuis que je suis là. La glissoire n'a jamais été réparée... Le carré de sable n'a jamais été renouvelé... (Claude, 22 ans)
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Le point de vue des jeunes n'est pas que pessimiste. Certains reconnaissent à leur milieu un potentiel même s'il ne le juge pas suffisamment activé. On réfère à l'industrie touristique et au potentiel révélé sous le couvert du dynamisme et de la chaleur de la population.
- C'est une région, je pense, qui a beaucoup de potentiel. (...) À tous les niveaux. Je suis certaine que pour les jeunes entrepreneurs, il y a beaucoup de choses à faire. Comment je pourrais dire ? Il y a plein de choses qui manquent et que je suis certaine que ce serait possible de faire, tant au niveau des services sociaux que des petites entreprises. Que ce soit des entreprises de vêtements, de boucherie, de toutes sortes. (Carole, 21 ans)
- Je pense qu'il y a quand même un bon avenir là-bas. Ça dépend de comment tu regardes ça. La Petite-Nation, c'est touristique. Donc, les gens doivent attirer les touristes par là. (...) À chaque année, ils ont toujours de nouvelles activités, de nouvelles choses pour attirer les gens dans la Petite-Nation. Je pense qu'ils s'en tirent assez bien comme ça. (Sylvain, 25 ans)
Concernant les actions à privilégier pour le développement de leur région, certains jeunes ont souligné la nécessité du soutien de l'État pour favoriser son essor et le besoin de création de projets afin de retenir les jeunes. À cet égard, ils sont d'avis que le développement de leur région doit passer par la création de projets visant la rétention des jeunes et le retour de ses migrants. Par ailleurs, d'autres croient qu'il faut miser sur le potentiel touristique de leur région. Cette dernière possède de beaux attraits qu'il faut développer et rendre accessibles au public.
Des jeunes sont aussi d'avis que le fait de redonner à la population un sentiment de fierté à l'égard de leur région pourrait aussi contribuer au développement régional. À cet égard, la renaissance de cette fierté régionale pourrait passer, aux dires d'un jeune homme, par la modification des messages négatifs véhiculés aux jeunes concernant sa région.
- Peut-être changer l'attitude des gens pour qu'ils soient fiers de leur région. Moi, je n'ai jamais été aussi fier de Fort Coulonge qu'après que je suis parti. J'ai réalisé comment c'était une belle place et que tu pouvais faire une belle vie à Fort Coulonge et que les messages qu'on a reçus n'étaient pas bien fondés Je pense que c'est un sentiment de fierté qu 'on a perdu. (Gilles, 23 ans)
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Enfin, dans leurs propos, des jeunes migrants soulignent aussi la présence d'un certain esprit de clocher qui compromettrait actuellement l'essor socio-économique de leur région et auquel on aurait avantage à substituer la concertation et la solidarité collective.
- Donc, peut-être que l'idéal serait de se serrer les coudes et de bâtir quelque chose. Mais malheureusement, dans les villages, disons qu'au lieu de se serrer les coudes et de travailler ensemble pour un même objectif, c 'est un petit peu l'attitude de juste pour moi. Les gens, comme les voisins, autant ils peuvent s'entraider, qu'autant au niveau municipal ils vont se piler dessus pour en avoir plus au lieu de se serrer les coudes. (...). La guerre de clochers qu'on appelle, on en a eu une et une autre. Je me dis qu'il faut que la mentalité change. Mais ça, la mentalité des villages, ça prend du temps à changer. Donc, je me dis qu'ils ont beaucoup de chemin à faire. (Anne, 31 ans)
- 5.2 Des projets d'avenir
qui font peu de place à la région d'origine
Peu de jeunes migrants rencontrés envisagent un retour possible dans leur région d'origine. En fait, seulement deux jeunes ont sans hésitation manifesté une ferme intention de retourner vivre dans leur communauté de départ. Ces jeunes envisagent d'y ouvrir un restaurant dans un cas et, dans le second, un salon de coiffure. Le retour dans la communauté de départ serait également souhaité par d'autres jeunes mais sans trop y croire en raison des faibles perspectives d'emploi offertes dans leur domaine d'études.
- Parce que je sais qu'elles n'embauchent pas beaucoup d'orthopédagogues. Donc, ça se pourrait fort bien que je sois obligée de m'installer dans Gatineau ou dans l'Outaouais, ailleurs que dans la Petite-Nation. (Marie-Ève, 20 ans)
- Je pense que si les possibilités d'emploi étaient là et que f avais l'opportunité de travailler dans mon domaine (...) mais les perspectives d'emplois dans ce domaine ne sont pas nécessairement bonnes. (Sylvain, 25 ans)
Les jeunes migrants qui affirment qu'ils ne peuvent revenir vivre dans leur localité de départ justifient ce choix par une évaluation négative des possibilités d'emplois de leur région d'origine, une appréciation positive des commodités retrouvées à la ville (services, activités) et une forte attirance pour la vie urbaine en général.
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Du moment où tu connais la ville, du moment où tu connais les loisirs, les activités, les restaurants, tu ne peux plus retourner là. (Chantale, 38 ans)
- Dernièrement, j'ai passé une semaine à Chénéville et j'étais en train de devenir fou. J'avais hâte de revenir en ville. Maintenant, j'aime bien la ville et je ne déménagerais pas... Dire de m'en aller en campagne... J'aimerais peut-être en banlieue, mais il faut que je sois proche de la ville. J'aime bien ça. (Sylvain, 25 ans)
D'autre part, des jeunes disent ne pas souhaiter revenir s'installer au lieu de départ, soit parce qu'ils ne veulent plus retourner vivre dans un milieu où tout le monde se connaît (appréciation positive de l'anonymat offert en ville) ou qu'ils n'apprécient tout simplement pas la mentalité et/ou l'organisation de la vie communautaire.
- Pas le temps que je vais travailler. (...) Premièrement, enseigner où tout le monde sait tout, connaît ta vie. Tu t'occupes des jeunes mais tu connais peut-être aussi bien les parents, peut-être que tu es allé à l'école avec eux, et ce n'est pas facile des fois de négocier. J'ai dit non. Je ne voulais pas me rembarquer dans cette histoire-là. Donc, tout le temps que je vais travailler, je ne pense pas. (Anne, 31 ans)
- C'était bien pendant que j'étais là mais je ne retournerai plus jamais là-bas. (...) Même pas pour avoir un chalet. Je n 'aime pas la mentalité des gens de Campbell 's Bay. (Chantale, 38 ans)
Enfin, des jeunes n'ont pas l'intention de rentrer au bercail parce qu'ils ont développé un sentiment d'appartenance à leur nouvelle communauté ou qu'ils y ont construit un nouveau réseau de sociabilité dont ils ne veulent pas se départir.
- (...) je m'enligne pour rester ici à Hull. J'aime ça. J'ai des amis au travail. Tu ne peux pas trouver un meilleur emploi et du meilleur monde que ça. On a beaucoup de plaisir. On a parti une ligue de balle. J'ai de l'avancement, des bonus et je voyage beaucoup. Je ne pensais même pas de voyager comme ça mais j'ai un emploi qui me fait promener tout le temps. Donc, je suis pas mal fait pour être ici. (Sylvain, 25 ans)
- Je me demande si je m'ennuierais à rester à Fort Coulonge. Mes amis avec qui j'ai des choses en commun sont ici. Ils ne sont pas à Fort Coulonge non plus. (Gilles, 23 ans)
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Si les jeunes migrants n'envisagent généralement pas de revenir vivre dans leur région d'origine, certains ont toutefois signalé vouloir conserver un pied-à-terre au lieu d'origine, d'y posséder un jour un chalet ou d'y retourner vivre plus tard, au moment de la retraite.
- C'est sûr que je voudrais toujours avoir mon pied-à-terre là-bas parce que je trouve ça beau. J'aime ça et quand j'y retourne je me sens bien. (Carole, 21 ans)
- Un jour, avoir un chalet peut-être. Je n'haïrais pas ça. (...). Et peut-être que si j'envisage de prendre ma retraite, retourner là ? Peut-être. (Anne, 31 ans)
Il n'est pas étonnant que les pistes d'actions proposées par les jeunes pour le développement de leur région d'origine s'articulent surtout autour des facteurs économiques. Une collectivité humaine ne peut cependant se réduire aux aspects économiques de la vie sociale, ni à une vision purement utilitaire ou utilitariste des relations sociales. Aussi constate-t-on que chez nos répondants, que certains facteurs socio-culturels font également partie de leurs propositions lorsqu'ils évoquent le développement du sentiment d'appartenance, de la solidarité, des symboles de fierté du terroir.
Les données quantitatives recueillies dans le sondage national mené par le GRMJ, vont dans la même direction. Chez les 327 répondants de l'Outaouais, une cinquantaine de répondants étaient des migrants intrarégionaux. Nous y découvrons que plus de 60% d'entre eux se disaient prêts à envisager un retour dans leur localité ou sous région si les circonstances s'y prêtaient. Lorsque que l'on sondaient les raisons qui justifieraient ce retour, les réponses à la grandeur du Québec vont dans la même direction, à savoir gagner sa vie, retourner vivre avec des gens qu'ils aiment, avoir une maison à soi et élever des enfants (Gauthier et al. 2001).
Lorsqu'il est question du retour d'une migration extra régionale, les données qualitatives à la grandeur du Québec montrent que la question des perspectives d'emploi est la dimension la plus souvent évoquée. On pense à retourner en Abitibi, au Saguenay ou en Mauricie si l'emploi y est possible. On y réfère aussi au développement d'un style de vie compatible ou non avec ce que la région d'origine peut offrir. [36] On songe alors à des facteurs reliés à l'éducation, à la vie culturelle, au loisir, à la proximité de la nature. Dans nos études dans plusieurs régions québécoises, il faut aussi mentionner que la perception qu'ont les jeunes des perspectives d'avenir de leur région est un facteur qui distingue ceux qui ont opéré un retour ou en entretiennent le projet de ceux qui n'envisagent plus de vivre dans leur région d'origine.
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6. EN GUISE DE CONCLUSION :
LES LENDEMAINS DE CETTE ÉTUDE
Pour l'essentiel, nous dirons en guise de conclusion que le processus de migration à l'intérieur d'une même région comprenant une zone urbaine ou métropolitaine et une zone rurale ou semi-urbaine, est semblable en termes de dimensions au processus de migration entre une région et une ville-centre ou un grand centre urbain. Mais le rapport des migrants à ces dimensions, à savoir l'appréciation du lieu d'origine, le projet de partir, l'intégration au milieu d'accueil, l'évaluation du parcours depuis le départ et la représentation de l'avenir de la région d'origine, tend à avoir une nature différente selon l'importance et le degré d'urbanisation du milieu d'accueil. Ainsi, le jeune migrant « intra-régional » en Outaouais serait un peu moins désorienté dans la zone métropolitaine ou la ville-centre Gatineau que le jeune migrant « extra-régional » dans le grand Montréal (Assogba, Fréchette et Desmarais, 2000).
Le dynamisme économique, la vitalité culturelle et l'espace de participation citoyenne apparaissent en filigrane de plusieurs réponses des jeunes tant en ce qui concerne la façon dont ils vivent leur réalité territoriale, la façon dont ils envisagent de la quitter et l'éventuel projet d'un retour. Les jeunes de l'Outaouais et de ses sous-régions n'y échappent pas. Cette étude n'a pas la prétention d'être exhaustive. Elle porte des limites quant au nombre de répondants qui n'a pas permis d'atteindre la saturation des données. Elle est de l'ordre de l'étude exploratoire pour mettre sur la piste de tendances à approfondir pour mieux comprendre le phénomène de la migration intra-régionale et pour mieux développer des actions qui favoriseront le développement des sous-régions et le développement des jeunes qui passe en bonne partie par la contribution même de ces jeunes au développement local et régional.
La migration intra-régionale peut être dépeinte en chiffres, ce qui donne une mesure du phénomène mais l'explique peu. Il faut chercher à comprendre la migration des jeunes à travers l'univers de leurs représentations, de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs aspirations. L'exercice ne devrait pas que renvoyer aux jeunes mais aussi au village, à la MRC, à la sous-région. Il faudrait aussi savoir et comprendre quels sont les besoins, les intérêts, les aspirations des diverses instances territoriales en [38] fonction de leurs jeunes. La question ne semble pas souvent avoir été posée et, si elle l'a été, les réponses sont demeurées discrètes.
Il se dégage de notre étude que la perception qu'ont les jeunes des sous-régions a besoin d'être mieux documentée. Son effet est déterminant non seulement sur le projet de départ mais il est aussi un facteur incontournable dans l'évaluation du projet de retour. Il serait important de comprendre ces perceptions dans ce qu'elles ont de particuliers dans chaque sous-région de l'Outaouais pour tenir compte de distinctions plus fines qui pourraient autrement passer inaperçues. Une autre question mériterait d'être mieux documentée en lien avec les représentations associées aux réalités régionales. Des jeunes Québécois d'autres régions du Québec migrent dans l'Outaouais, la plupart du temps dans le territoire du grand Gatineau. Il serait intéressant d'identifier ce que savent ces jeunes et les jeunes familles de l'Outaouais des régions. L'Outaouais étant une région à solde migratoire positif, recevant des jeunes et des familles en provenance d'ailleurs au Québec, il y a lieu de s'interroger sur les éléments qui exerceraient un pouvoir d'attraction sur une partie de ces populations et les inciteraient à s'installer non seulement dans le grand Gatineau mais aussi en région rurale.
Finalement, les trajectoires migratoires peuvent donner lieu à des expériences parfois positives, parfois négatives, dans la vie des jeunes. La recherche à cet effet serait des plus pertinentes pour identifier les facteurs favorisant une trajectoire migratoire source de développement chez les jeunes et leurs familles. La recherche devrait aussi étudier des trajectoires migratoires complexes pour identifier les difficultés les plus fréquentes et identifier les conditions dans lesquelles la migration s'avère un échec aux yeux des jeunes ou de leur milieu. Finalement, il serait pertinent d'étudier des trajectoires migratoires aboutissant à l'exclusion sociale des jeunes pour mieux en comprendre les mécanismes sous jacents.
C'est lorsque ces réalités, source de développement ou de mal développement, seront mieux cernées que les régions pourront raffiner les moyens à prendre pour améliorer le sort des jeunes en sous-régions et par le fait même le sort de ces sous régions.
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RÉFÉRENCES
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[1] Cette recherche a bénéficié du Fonds du développement et d'aide au réseau de l'Université du Québec (FODAR), du Fond FCAR et également du soutien financier du Conseil régional de développement de l'Outaouais (CRDO).
[2] Le Groupe de recherche sur la migration des jeunes est composé de professeurs des constituantes de l'Université du Québec et des universités de Sherbrooke et d'Ottawa, sous la responsabilité de Madeleine Gauthier, de l'INRS Urbanisation, Culture et Société responsable de l'Observatoire Jeunes et Société.
[3] Depuis le mouvement de fusion municipale de 2001, les anciennes villes de Hull, Gatineau, Buckingham et Aylmer se sont regroupées pour former la grande ville de Gatineau qui constitue actuellement la ville-centre de la région administrative de l'Outaouais.
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