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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Monique Audet, “Les politiques de développement au Québec : s’en sortir avec l’entreprise privée ?” In revue Interventions critiques en économie politique, no 2, automne 1978, pp. 95-102. Numéro intitulé : “L’impérialisme et le développement économique.” [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[95]

Interventions critiques
en économie politique
No 2
DOSSIER

“Les politiques de développement
au Québec.

S’en sortir avec
l’entreprise privée ?


Monique AUDET

La nécessité de l’intervention du pouvoir d’État dans le fonctionnement de l’économie n’est pas nouvelle, même si, pendant longtemps, l’État fut considéré comme un corps neutre, représentatif d’une autorité politique instituée indépendamment de la situation économique. L’action gouvernementale concrète et ses retombées économiques inévitables ont, depuis, démontré la non-neutralité de l’État et son parti pris, comme corps représentatif des intérêts de l’une ou l’autre des classes fondamentales de la société. Qu’il s’agisse d’État capitaliste ou d’État ouvrier, le pouvoir politique en place est appelé à jouer un rôle de premier plan dans l’orientation des activités économiques, dans la poursuite du développement économique. Du point de vue politique, le pouvoir d’État s’exerce toujours en fonction d’intérêts économiques profonds. Nous n’avons qu’à nous référer au débat “constitutionnel” en cours pour nous convaincre que l’enjeu de ce débat, tant au Québec qu’au Canada anglais et pour les partis officiels en cause, est la relance économique, le rétablissement “harmonieux” au niveau national, d’un capitalisme en crise à l’échelle internationale. Si des tiraillements d’ordre politique se manifestent à l’intérieur et entre les partis bourgeois, il n’en reste pas moins que tous s’entendent pour “promouvoir la croissance et l’efficacité de l’activité industrielle”, pour “relancer” l’économie. D’où l’élaboration de “politique économique”.

Toutefois, les interventions ad hoc, conjoncturelles ou sectorielles de l’État n’ont de chances de porter des fruits que si elles s’insèrent dans un plan d’ensemble, basé sur un diagnostic sérieux de la situation économique et sociale, sur l’identification des principaux problèmes et des moyens à prendre pour les résoudre. À son tour, une politique de développement économique ne devrait être envisagée qu’en coordination d’un ensemble de politiques visant le fonctionnement global d’une société, non seulement dans son cadre national mais aussi international.

Enfin, et c’est là l’enjeu fondamental, une telle planification ne peut se concevoir en-dehors soit du cadre du maintien du capitalisme, soit de celui de la transformation profonde des rapports sociaux de production et de l’émancipation économique et sociale des masses laborieuses.

[96]

Photo souvenir du sommet économique de Pointe au Pic en 1977. P. Desmarais, L. Laberge et R. Lévesque, (source Zone Libre, septembre 77)


Dans le premier cas, il s’agit tout au plus de concertation entre capitalistes et gouvernement dans le but de consolider et de renforcer le régime du profit fondé sur la propriété privée des moyens de production ; dans le second, il s’agit de l’expropriation du capital, i.e. de l’appropriation collective des moyens de production et de l’élaboration — centralisée et démocratique — d’un plan de développement économique et social répondant aux besoins des masses et libérant les forces productives du carcan dans lequel elles sont enfermées.

Du point de vue bourgeois, la lutte quotidienne entre capital et travail n’a de but que la sauvegarde d’un système en crise, en décomposition. Du point de vue des masses, elle n’a de but final que l’expropriation du capital, la révolution sociale, économique et politique sans lesquelles toute tentative de planification est vouée à l’échec.

L’objet des propos qui suivent ne consiste d’aucune manière à jeter les bases d’une telle planification ni à développer les mécanismes de coordination des diverses politiques composant un plan d’ensemble, ces objectifs ne pouvant être réalisés que dans le cours même de la lutte des classes. Il s’agit plutôt d’examiner - brièvement - dans une première partie les propositions avancées par le gouvernement québécois et certains de ses conseillers ; dans une [97] deuxième partie (no. 3 d’interventions Critiques), il s’agira de définir ce qu’il nous apparaît aujourd’hui être la voie de l’émancipation de la classe ouvrière et des masses opprimées, en regard du mot d’ordre péquiste de “souveraineté-association”.

L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE,
UNE ÉCONOMIE EN CRISE !


Il n’y a pas de doute là-dessus : la plupart des économistes traditionnels constatent unanimement depuis quelques années un déclin certain de l’économie québécoise. L’identification de ce déclin procède généralement de la comparaison des différents taux de croissance qui marquent les économies canadienne, ontarienne et québécoise.

L’examen, donc, des taux annuels de croissance des principaux indicateurs économiques pour le Québec, l’Ontario et le Canada permet de constater que les taux de croissance québécois pour la période 1967-72 par exemple, sont pour la quasi totalité inférieurs à ceux de l’Ontario et du Canada. Ralentissement de la population, accroissement relativement modéré de la main-d’oeuvre, forte élévation du taux de chômage, croissance réelle du PNB à peu près nulle en vertu de l’inflation continue, voilà en bref ce qui marque l’économie québécoise des dernières années. Considérant que la situation de l’Ontario tend à “s’améliorer” par rapport à l’ensemble du Canada, il ressort que l’économie du Québec subit un recul net.

L’examen rapide, maintenant, de l’évolution des principaux secteurs de l’économie indique usuellement si le ralentissement économique du Québec est général ou s’il marque des activités particulières.

Au niveau du secteur primaire, on note un recul certain de l’économie du Québec, notamment au point de vue de l’emploi, de la production et des investissements. En effet, alors qu’en 1956, 8.5% du produit intérieur brut provenait des activités de ce secteur, ce taux n’est, en 1973, que de 4.8%. Pourtant, l’exploitation des ressources naturelles n’en demeure pas moins au centre de l’économie québécoise. L’agriculture ne prend guère part à la production : l’emploi diminue, les fermes disparaissent. On y vit presqu’exclusivement des recettes de l’industrie laitière. L’exploitation forestière a connu un essor depuis les années 1970 cependant que l’emploi y a diminué. Une [98] importance particulière doit lui être rattachée, compte tenu de la part relativement grande des industries de pâtes et papiers, de bois et du meuble dans notre économie. Quant à la production minière, sa part a diminué dans la production totale. Par ailleurs, il est à noter que nos minéraux sont pour la plupart contrôlés par l’étranger et exportés sans transformation notable.

Au niveau du secteur secondaire ou manufacturier, secteur le plus générateur d’emplois, on peut noter que bien que l’emploi y soit demeuré relativement stable, sa contribution au produit intérieur brut y diminue constamment. En 1956, elle était de 34.5 o/o, en 1966 de 28.8% et en 1973, de 25.5% seulement. Pourtant, dans la plupart des pays industrialisés, le secteur secondaire a connu un accroissement de son importance économique. Les recherches d’explication de ce phénomène [1] ont toutes abouti aux mêmes conclusions :

  • il existe une spécialisation trop forte dans des industries dont la croissance de la demande est peu dynamique ;

  • les industries traditionnelles (vêtement, textiles, chaussures...) font face à des difficultés concurrentielles ;

  • on assiste à un trop faible développement d’industries modernes et à haute technologie.

Ces caractéristiques font qu’il est question généralement de la faiblesse de la structure manufacturière au Québec.

Finalement, pour ce qui est du tertiaire, il est à remarquer qu’il est le plus important en terme d’emplois (de 1966 à 1971, 90% des nouveaux emplois y furent créés), de production (depuis 1961, le taux annuel de croissance a varié autour de 10%) et d’investissements.

LE REMÈDE :
LE SOUTIEN À L’ENTREPRISE PRIVÉE ?


Face à cette situation de “déclin” que l’économie québécoise connaît depuis quelques années, on a vu surgir une série d’études visant l’élaboration de solutions à ce qu’on appelle dorénavant le problème structurel de l’économie québécoise. La très vaste majorité des économistes défenseurs du système qui se sont penchés sur la question en sont venus à la conclusion que le gouvernement du Québec se devait d’intervenir plus directement et contribuer à la résolution des problèmes fondamentaux de l’économie. Le [99] développement d’une véritable politique industrielle s’est vite révélé l’objectif privilégié tant d’organismes gouvernementaux, para-gouvernementaux que d’économistes individuels. Si certains se sont attachés à des aspects particuliers d’une telle politique (innovation, recherche-développement, identification des industries plus dynamiques, etc.), d’autres ont prétendu à l’élaboration totale et globale d’une telle politique. Certains, enfin, ont voulu définir les fondements théoriques d’une politique industrielle.

Ces études, pour le moins qu’on puisse dire, ont ceci de commun qu’elles débouchent toutes, à un niveau ou à un autre, sur une politique d’aide aux entreprises privées, de soutien au capital, à la propriété privée, au profit.

Le Rapport Descôteaux (commandé en 1974 par le Ministère de l’Industrie et du Commerce et dirigé par le péquiste J.P. Vézina) affirme pour sa part que “le premier objectif de la politique économique québécoise doit être de FAVORISER LES INITIATIVES AUTOCHTONES”. Prenant pour acquis que l’économie des divers pays industrialisés s’est développée “avec le concours des gouvernements qui ont aidé financièrement et techniquement le secteur privé autochtone”, le Rapport conclut que “c’est le rôle premier du ministère de l’Industrie et du Commerce, comme des autres ministères sectoriels, de fournir toute l’aide possible” aux entreprises possédées par des québécois. Il s’avère que ces entreprises sont pour la très vaste majorité des “Petites et Moyennes Entreprises” (PME). La logique obligeant, il en découle que la politique “industrielle” proposée par le Rapport Descôteaux en est une d’aide à la PME (sur le plan de l’exportation, de la recherche et du développement, des investissements, de la production, de l’entreposage...), prise en charge de certains coûts (prospection à l’étranger, formation de chefs d’entreprise, financement des fonds de roulement...), modification et réorientation des organismes existants en fonction de l’aide à la PME, mise sur pied de divers services, discrimination des investissements étrangers en faveur des autochtones, etc. etc. Voilà pour J.P. Vézina autant de mesures propres à réaliser les objectifs d’une politique de développement “industriel”, développement devant reposer strictement sur les PME.

Quant aux entreprises publiques existantes, “il importe que leur action ne vise pas à créer une économie parallèle au réseau des entreprises étrangères...”, (p. 81) De la sorte, par exemple, l’Hydro-Québec devrait participer avec le secteur [100] privé à la mise sur pied de nouvelles entreprises de fabrication de matériel et d’appareils électriques, ou à l’expansion des entreprises existantes.

En bref, le Rapport Descôteaux préconise une association de plus en plus étroite entre le secteur public et le secteur privé, ce secteur étant d’abord et avant tout identifié à la PME.

Le Rapport Descôteaux ne fait pas exception à la règle. L’ensemble des lectures que nous avons effectuées suggèrent très majoritairement des mesures d’aide à l’entreprise privée et plus particulièrement à la PME. De la soixantaine d’instruments présentés par l’OCDE dans un document intitulé “Objectifs et instruments d’une politique industrielle : une analyse comparée” (1975), seuls 5 ou 6 n’ont pas trait directement à l’aide à l’entreprise privée. D’autres auteurs font de la recherche et du développement (R-D) l’axe prometteur du développement économique au Québec. [2] Tous orientent cependant leurs recommandations dans le sens d’une stimulation gouvernementale de la R-D dans le secteur privé. Enfin, ceux qui ont abordé les fondements théoriques d’une politique industrielle ont pris comme point de départ que seul le secteur privé peut assurer le fonctionnement de l’économie et que l’intervention gouvernementale doit se limiter à créer le climat approprié pour assurer ce fonctionnement. Pour Roger Dehem [3] par exemple, si un gouvernement désire promouvoir le développement économique d’un pays, il devra se limiter à tenter d’ouvrir le pays à la concurrence internationale, à rendre le marché des capitaux accessible à toute entreprise privée prometteuse et à corriger les distorsions du marché du travail. Le gouvernement est ainsi appelé à jouer un rôle de soutien à l’entreprise, non basé sur une politique globale industrielle, puisque l’entreprise privée demeure, en dernière analyse, la seule habilitée à décider de l’orientation des investissements. Albert Breton [4], finalement, laisse entendre qu’une politique industrielle est sinon impossible, du moins illusoire puisqu’il ne revient pas à l’État de se mouiller les pieds dans ce qui a été reconnu jusqu’ici comme le lieu sacro saint de l’entreprise privée.

LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT LÉVESQUE,
DIFFÉRENTE ???


L’action passée et présente du gouvernement Lévesque, depuis son élection le 15 novembre 1976, ne fait pas de [101] doute : on peut affirmer sans sourciller qu’il a fait siennes de telles politiques de soutien à l’entreprise privée. En avril 1977, lors du débat sur la nationalisation de l’industrie de l’amiante, le ministre Yves Bérubé affirmait qu’il n’était pas un défenseur de la nationalisation — même avec indemnisation — mais bien plutôt un partisan de la négociation avec l’entreprise privée (Le Devoir, 6 avril 1977, p. 2). Quelques mois plus tard, le ministre québécois de l’Industrie et du Commerce (Rodrigue Tremblay) rendait public un projet de relance industrielle axé sur le développement régional de l’entreprise privée et sur la stimulation des investissements des PME. Officiellement, de $35 à $40 millions de dollars seraient déversés chaque année par le gouvernement, comme “manque à gagner” des entreprises privées, en plus des $37 millions annuels constituant le fonds de relance et outre le dégrèvement fiscal alloué à toute entreprise acceptant de s’installer en-dehors des zones de grande concentration industrielle. Le 21 février 1978, René Lévesque, dans son discours inaugural, affirmait : “ce sont quelque $300 millions qu’on a pu extraire ainsi des budgets terriblement serrés pour des objectifs économiques aussi pressants que le soutien au textile, au vêtement, à la chaussure et au meuble”. Au même moment, il coupait dans les budgets alloués à la santé, à l’éducation...

Les dernières mesures préconisées par le gouvernement du Québec ont trait pour la plupart au protectionnisme. Bien que le développement historique du capitalisme se soit effectué à l’échelle mondiale, dans l’établissement de liens internationaux tissés entre les divers États nationaux, les divers gouvernements bourgeois tentent aujourd’hui de trouver des solutions nationales à un phénomène mondial, ont recours au protectionnisme, retournent en arrière et consolident le camp de la réaction. Au Québec, ces mesures se sont plus particulièrement concrétisées lors des mini-sommets économiques du gouvernement péquiste, mettant en cause les secteurs mous de l’économie québécoise. “Aucun homme d’affaires, aucune institution financière ne vont être particulièrement intéressés à entreprendre ou à financer un effort important d’investissement ou de réorganisation, à l’abri d’une barrière temporaire d’un an. Nous avons donc suggéré au gouvernement fédéral qu’il accepte d’imposer pour une période plus longue, par exemple, 4 ans, un système solide de protection”, déclarait le 25 octobre 1977 Jacques Parizeau à la Chambre de Commerce de Montréal.

[102]

Dans ces tentatives de “dernière chance”, dans ces mesures de soutien et de protection de l’entreprise privée, les gouvernements recherchent l'appui des grands dirigeants syndicaux. “Nous n’avons pas le choix, la situation commande la concertation entre les principaux agents économiques”, de dire Bernard Landry, ministre d’État au développement économique.

Si, à un pôle, cette recherche de la “bonne entente” exprime l’impuissance, aujourd’hui, des gouvernements et du capital à “relancer” l’économie SANS l’accord des travailleurs à se serrer la ceinture, à voir leurs conditions de vie et de travail se détériorer de jour en jour, à voir le taux d’inflation et de chômage grimper irrémédiablement, elle exprime, à l’autre pôle, toute la puissance qu’aurait le mouvement ouvrier à se mettre en branle, de façon indépendante et autonome, pour son émancipation.

Tel qu’il a été avancé dans l’introduction, la seule voie qui puisse mener à l’émancipation des masses laborieuses, est celle de l’expropriation du capital. Il ne suffit pas, cependant, de proclamer ce but final pour enclencher la lutte qui y conduira. Au contraire, loin de partir de la finalité poursuivie, il nous faut partir de la situation actuelle et immédiate, économique et politique et tracer l’itinéraire qui nous rapprochera toujours plus de l’objectif à atteindre. C’est dans ce contexte que la deuxième partie de ce texte tentera de cerner le contenu véritable du mot d’ordre de “souveraineté-association” et de définir le contenu révolutionnaire dont est chargé le mot d’ordre d’indépendance du Québec.

Monique Audet



[1] Voir à ce sujet Higgins, Martin, Raynaud, Les Orientations du développement économique régional, ministère de l’Expansion économique régionale, Ottawa, 1970 ; Ministère de l’Industrie et du Commerce, La Politique Industrielle (oct. 71) et Une politique économique québécoise, op. cit. et Fréchette, P., Jouandet-Bernadat, R., Vézina, J. P., L’économie du Québec, op. cit.

[2] Dehem, Roger, Types de politiques industrielles, in Actualité économique, janvier-mars 1974.

[3] Dehem, Roger, Types de politiques industrielles, in Actualité économique, janvier-mars 1974.

[4] Breton, Albert, Le fondement théorique d’une stratégie industrielle, Conseil Economique du Canada, Information-Canada, 1974.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 22 octobre 2023 15:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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