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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition numérique réalisée à partir du texte de madame Renée B.-Dandurand, sociologue, chercheure, INRS urbanisation-culture-société, “ Divorce et nouvelle monoparentalité ”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Francine Descarries et Christine Corbeil, Espaces et temps de la maternité, pp. 266-304. Montréal: Les Éditions Remue-Ménage, 2002, 543 pp. [Autorisation accordée le 13 août 2006 par l'auteure de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales]. Postface Depuis la rédaction de cet article paru en 1994, la proportion de familles monoparentales parmi l'ensemble des familles québécoises a connu une nouvelle augmentation : de 21% qu'elle était en 1986, elle a atteint 24% au recensement de 1996 [1]. Sur la même période, la proportion de pères parmi les parents gardiens s'est accrue faiblement passant de 17,5% à18,4% [2]. Dans une société postindustrielle où le revenu familial s'ajuste de plus en plus sur le double salaire, la pauvreté des foyers monoparentaux demeure un phénomène marquant. Entre 1981 et 1996, les revenus des familles biparentales avaient augmenté de 93%, ceux des familles monoparentales, de 82% [3]. Les données dont nous disposons pour étayer cette question sont issues de l'Enquête longitudinale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) et concernent les familles ayant des enfants de moins de 12 ans. Selon le 1er cycle de cette enquête (1994-1995) et pour le Québec, 16,5% des familles biparentales vivaient sous le seuil de la pauvreté établi par Statistiques Canada, alors que c'était le cas de 68% des familles monoparentales. Et parmi celles-ci, la pauvreté touchait 71% des familles placées sous la responsabilité d'une mère et 31% de celles dirigées par un père [4]. Le clivage important entre familles matricentriques et patricentriques montre bien que la pauvreté des foyers monoparentaux est avant tout celle des mères seules. À quels facteurs faut-il attribuer cette pauvreté ? On a souvent évoqué le défaut, pour les parents non gardiens (des pères en forte majorité), de verser les pensions alimentaires. Les pères délinquants sont-ils encore nombreux ? Grâce aux données de l'ELNEJ, on connaît mieux les modalités de garde qui suivent la désunion conjugale. Au Québec en 1994-1995, pour les enfants concernés par cette étude (âgés de moins de 12 ans), la moitié des pensions alimentaires étaient versées de façon régulière et « à temps » ; les contacts hebdomadaires et bimensuels des parents non gardiens avec les enfants étaient le fait de 45% d'entre eux [5]. C'est donc encore plus de la moitié des mères seules et de leurs enfants qui sont privés aussi bien des ressources nécessaires que d'un contact raisonnable avec l'autre parent. On a aussi attribué cette pauvreté des mères seules à leur moindre attachement au marché du travail. En 1997, lorsqu'elles ont des enfants d'âge préscolaire, les mères de famille monoparentale sont moins actives que les mères de famille biparentale (55,8% et 66,7%) [6]. Mais quand leurs enfants atteignent l'âge de 6 ans, les taux d'activité de ces mères deviennent fort comparables (respectivement 73,1% et 75,3%) [7]. La participation moins intense au marché du travail des mères de jeunes enfants vivant en foyer monoparental est-elle reliée à leur difficulté d'assumer seules à la fois le pourvoi de la maisonnée et la prise en charge des enfants ? À leur difficulté d'obtenir un « salaire familial » sur le marché du travail, ce qui les oblige à opter pour une prestation d'assistance sociale ? Les études québécoises sur les conditions de vie des mères seules permettent de répondre par l'affirmative a ces questions [8]. Mais le problème est plus complexe. Dans mon article de 1994, je reliais la pauvreté des mères seules à trois grands facteurs : la situation inférieure des femmes sur le marché du travail, l'insuffisance du soutien de l'État aux familles monoparentales et le défaut de paiement des pensions alimentaires. Si on compare les données que je viens d'exposer dans cette postface (années 1994-1997) à celles qui apparaissent dans l'article de 1994 (années 1986-1992), il convient d'affirmer que les fortes inégalités qui marquaient les conditions de vie des mères seules n'avaient pas beaucoup reculé. Au milieu des années 1990 cependant, il faut reconnaître que certaines législations ont été promulguées (sous la pression notamment de la Marche des femmes de 1995), des législations qui seraient susceptibles de modifier la situation des foyers monoparentaux matricentriques. Voyons ce qu'ont proposé ces législations [9], encore trop récentes toutefois pour avoir donné lieu à des études d'impact. En 1996, le gouvernement québécois présente une loi sur l'équité salariale entre les hommes et les femmes (applicable à partir de 2001) et la même année, une réforme de la sécurité du revenu qui propose une modification importante de ses mesures à l'endroit des chefs de foyer monoparental : alors que ces parents pouvaient depuis nombre d'années, recevoir une prestation maximale tant qu'ils élevaient un enfant de moins de 6 ans, cette mesure ne s'appliquera plus qu'à ceux qui ont un enfant de moins de 2 ans. Cette nouvelle disposition est justifiée de la façon suivante : L'abaissement de l'âge actuel (6 ans) jusqu'à 2 ans se fera progressivement, en diminuant d'un an, à chaque année financière. Cette baisse se fera parallèlement à la mise en place d'une politique familiale comprenant l'extension progressive des services de garde et de la maternelle à plein temps [10]. Quelques mois plus tard, étaient officiellement lancées les nouvelles dispositions de politique familiale dont la mesure-vedette était la mise en place de services de garde plus accessibles, à la fois en termes de coûts (5 $/jour) et de nombre de places (on vise une augmentation accélérée des places). Cet ensemble de mesures (équité salariale, réforme de la sécurité et services de garde plus accessibles) vise certes plusieurs objectifs. Mais certains sont susceptibles d'avoir des retombées sur les familles monoparentales matricentriques : il s'agit de faciliter l'harmonisation entre famille et emploi et de pallier la pauvreté des femmes en leur assurant une meilleure rémunération salariale. Il est cependant loin d'être certain que les mères seules qui sont faiblement scolarisées ou qui vivent depuis plusieurs années de transferts sociaux arriveront à s'inscrire sur le marché du travail. On peut s'attendre toutefois à ce que les jeunes générations y arrivent mieux que leurs mères. Pendant la même période, d'autres législations ont contribué à réglementer davantage l'après-séparation conjugale. Mentionnons quelques-unes de ces mesures. Outre la fixation et la défiscalisation [11] des pensions alimentaires accordées pour les enfants, le gouvernement québécois a mis en place, en 1995, un programme, attendu depuis longtemps, de perception automatique de ces pensions. Selon ce programme (moins généreux que ceux qui ont cours en France et en Suède, par exemple), le défaut de verser une pension alimentaire décrétée par jugement de cour (un peu plus du tiers des séparations et divorces ont un jugement de cour) entraîne l'intervention du ministère du Revenu, qui peut retirer le montant à la source et l'avancer à la créancière pendant un maximum de trois mois. Destinées à contraindre l'exercice de la responsabilité parentale chez le parent non gardien et ainsi à alléger la pauvreté des foyers dirigés par une mère seule, ces dispositions sont accompagnées de l'instauration de services, partiellement obligatoires, de médiation familiale. Si les protagonistes de ces mesures espèrent que la médiation contribue à atténuer les conflits et les violences qui accompagnent bon nombre de séparations conjugales, certains groupes de femmes, notamment par la voix du Conseil du statut de la femme, ont recommandé, en raison même de ces violences, que « le tribunal ait le devoir de vérifier le caractère libre et éclairé du consentement des parties [12] ». Cet ensemble de législations promulguées au milieu des années 1990 auront sans doute un impact sur les conditions de vie des mères seules et de leurs enfants. Reste à savoir quel sera cet impact : important ou négligeable ? À progression lente ou plus accélérée ? La recherche des prochaines années devra apporter des réponses à ces questions. Sur les autres aspects abordés dans notre article, l'état de la recherche ne permet pas de modifier le portrait que j'en ai dressé en 1994. À propos d'une question actuellement fort discutée, à savoir l'impact des désunions sur les relations parentales et le bien-être des enfants, ce que notre article avançait est largement confirmé par les récentes études longitudinales [13] sur le sujet : concernant le bien-être des parents et des enfants, ce n'est pas la structure familiale (biparentale, monoparentale ou recomposée) qui est déterminante mais le climat familial : absence de conflits et maintien d'une bonne relation avec les deux parents ; d'autre part, le divorce n'est jamais insignifiant dans la vie des enfants mais, dans de bonnes conditions, les effets sont temporaires et ne laissent pas de séquelles à moyen et à long terme. La maternité en solo demeure une expérience très difficile pour les femmes qui la connaissent. Deux questions demeurent centrales pour elles : la situation matérielle précaire qui fait des familles monoparentales matricentriques le groupe le plus pauvre de la société québécoise et l'importance que revêt pour elles et leurs enfants, une séparation exempte de conflits et de violence. Ces deux enjeux sont directement reliés à l'état actuel des rapports sociaux de sexe, aussi bien dans la sphère publique que privée. Car la désunion conjugale et la monoparentalité demeurent toujours un foyer majeur de l'antagonisme des sexes dans nos sociétés. [1] Québec, Conseil de la famille et de l'enfance, ministère de la Famille et de l'Enfance, Bureau de la statistique du Québec, Un portrait des familles et des enfants, Québec, Les Publications du Québec, 1999, p. 80. [2] Ibid., p. 82. [3] Ibid., p. 168. [4] D. Ross et al., « Aperçu : les enfants au Canada durant les années 90 », Grandir au Canada : enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, Ottawa, Développement des Ressources humaines Canada et Statistique Canada, no 89-550-MPF, no 1, p. 39. [5] N. Marcil-Gratton et C. Le Bourdais, Garde des enfants, droits de visite et pension alimentaire : résultats tirés de l'Enquête longitudinale sur les enfants et les jeunes, rapport de recherche, Ottawa, Gouvernement du Canada, Ministère de la Justice, 1999, pp. 25 et 33. [6] Québec, Conseil de la famille et de l'enfance, op. cit., p. 153. [7] N. Meilleur, La Prise en charge privée des enfants dans trois provinces canadiennes et le Québec, rapport de recherche, Montréal, INRS-Culture et société, 2001, p. 26. [8] Renée B.-Dandurand et C. McAll, « Welfare, workfare : faut-il encore assister les mères seules ? », Lien social et Politiques, no 36, pp. 79-91. [9] Pour plus de détails sur ces législations, voir Renée B.-Dandurand, « Historique des politiques familiales au Québec » dans M.-H. Saint-Pierre et Renée B.-Dandurand, Axes et enjeux de la politique familiale québécoise. Présentation d'une recension informatisée des écrits, Montréal, INRS-Culture et société, 2000, pp. 25-29. [10] Québec, ministère de la Sécurité du revenu, Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi, Québec, Les Publications du Québec, 1996, p. 20. [11] Les pensions ne sont plus déductibles dans le calcul du revenu du débiteur et ne sont pas considérées comme un revenu dans la déclaration d'impôt de la créancière. [12] Québec, Conseil du statut de la femme, 1997, p. 13, cité par M.-H. Saint-Pierre et Renée B.-Dandurand, 2000, p. 29. [13] Voir notamment l'ouvrage de R. Acock et D. Demo, Family Diversity and Well-Being, Thousand Oaks, Sage Publications, 1994.
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