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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition numérique réalisée à partir du texte de Renée B.-Dandurand, “Jeunes et milieu familial”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, Une société des jeunes ?, pp. 103 à 124. Montréal: Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1986, 400 pages. [Autorisation accordée le 4 juillet 2003].

[103]

Une société des jeunes ?
Deuxième partie : Les milieux de vie des jeunes

Jeunes et milieu familial.” [1]

Renée B.-DANDURAND

Lors de sa tournée provinciale du début de l'année 1985, le Comité consultatif sur la famille mis sur pied par le gouvernement québécois s'est inquiété publiquement du peu d'implication des jeunes à ses débats. La participation quasi inexistante de ce groupe d'âge aux audiences du comité a laissé soupçonner leur absence d'intérêt pour les questions familiales [2].

L'inquiétude du comité a eu peu d'échos. Dommage, car la famille est loin d'être une réalité de l'avenir pour les jeunes. C'est tout à fait celle du présent puisque dans les années 80, on l'oublie constamment, les trois quarts des enfants québécois naissent d'une mère qui n'a pas atteint la trentaine (Lapierre-Adamcyk et Peron, 1983, p. 38). Les jeunes sont ainsi, selon l'expression de Louis Roussel (1978, p. 5) « la matrice de la pyramide des âges ».

Avant d'aborder le vif du sujet, il convient de définir les termes : aussi bien jeunes que famille. Ni l'un ni l'autre concept n'a un sens univoque.

QUI SONT CES JEUNES ?
DE QUELLES FAMILLES S'AGIT-IL ?


On nous demande de traiter des jeunes comme étant ces individus(es) âgés(es) de 12 à 30 ans. Dix-huit années charnières qu'il convient d'abord de scinder en deux tranches d'âge : les adolescents (es) (12-17 ans) et les jeunes adultes (18-29 ans).

[104]

Si la plupart des adolescents sont encore étudiants et vivent chez leurs parents ce n'est pas le cas des jeunes adultes qui peuvent être soit encore étudiants, ou déjà travailleurs ou chômeurs. Si le chômage persiste et s'intensifie, comme c'est le cas depuis une dizaine d'années, ils deviennent assistés sociaux; enfin si ces jeunes adultes sont de sexe féminin, elles pourront être mères et/ou ménagères soit à plein temps, soit tout en étant étudiantes ou travailleuses. Il arrive, plus rarement, que des jeunes adultes soient des pères à plein temps.

Côté famille aussi, il importe de faire quelques distinctions. D'abord il faut mettre d'emblée le mot au pluriel. L'ethnologue Georges Murdock (1949) nommait famille d'orientation l'unité d'ego enfant, entouré de ses ascendants (père et/ou mère) et collatéraux (frère(s) et/ou sœur(s), et famille de procréation la cellule constituée d'ego parent ainsi que de son conjoint(e) et de ses descendants (enfants).

Dans notre société si les adolescents (12-17 ans) vivent généralement dans la famille d'orientation, les jeunes adultes (18-30 ans), selon la tranche d'âge et l'occupation, vivent, soit encore dans la famille d'orientation, soit dans une famille de procréation qu'ils ont fondée ou encore en ménage non familial. Cette pluralité des modes de résidence et de famille témoigne du fait que les jeunes adultes en sont à une période de transition, à cette fragile articulation entre la famille qu'on quitte et celle qu'on fonde (ou bien celle qu'on n'aura jamais si l'on se fie à certaines tendances actuelles).

Si on compare globalement aux jeunes Canadiens de 15 à 24 ans les jeunes Québécois du même âge, on constate qu'ils sont plus nombreux à vivre chez leurs parents (67,1 % au Québec, 62,8 % au Canada) ; ils se marient moins et divorcent moins ; ils ont moins d'enfants et leur taux d'avortement est moins élevé (Demers, 1984, p. 49).

Depuis la dernière guerre, les jeunes et les personnes âgées sont les groupes d'âge qui ont fait grossir la proportion des ménages non familiaux au Canada et au Québec (de 8 % en 1951 à plus de 20 % en 1981) : c'est, selon Sylvia Wargon (1979), l'un des traits marquants de l'évolution familiale des quarante dernières années.

LES JEUNES ADULTES :
ENTRE LA FAMILLE D'ORIENTATION
ET DE PROCRÉATION


Les jeunes adultes qui sont aujourd'hui du groupe des 18-30 ans sont nés entre 1955 et 1967 : leurs parents font donc probablement partie [105] des promotions de mariage des décennies 50 et 60. À l'encontre de leurs cadets adolescents (12-17 ans), ils sont dotés d'une fratrie plus nombreuse (en moyenne deux ou trois frères et soeurs), étant nés à la fin du « baby-boom » de l'après-guerre.

Leurs parents ont bien des chances d'avoir eu une jeunesse assez différente de la leur. Hervé LeBras décrit ainsi l'insertion à la vie adulte dans la France de l'après-guerre jusqu'à 1972, situation qui, selon lui, s'applique aux principaux pays industrialisés de l'époque (époque que, dans l'histoire connue des sociétés humaines, il considère d'ailleurs comme exceptionnelle par sa prospérité et son fort taux de nuptialité) :

... la famille succède à la famille sans transition. La post-adolescence dont on observe aujourd'hui l'extension n'a aucun espace : on saute d'une étape à la suivante du cycle de vie sans souffler. À peine finies les études, un emploi, à peine obtenu l'emploi, un mariage, à peine marié, un premier enfant, puis les suivants (1983, p. 116) [3].

Cette citation de LeBras évoque les deux insertions majeures à la vie adulte que sont l'insertion professionnelle et l'insertion matrimoniale, qui dichotomisent largement les mondes masculin et féminin depuis l'émergence des sociétés industrielles : la première est l'insertion attendue principalement des garçons, la seconde est surtout celle qui permet de « caser » les filles. L'accès accru de ces dernières à l'éducation et au marché du travail de même que le contrôle de la fécondité féminine sont parmi les changements majeurs qui ont récemment contribué à chambarder l'ordre de l'insertion à la vie adulte : notamment, les études n'excluant pas la vie en couple, celle-ci est désormais acceptable sans mariage, le mariage n'implique pas nécessairement la naissance d'un enfant et il est possible d'élever une famille tout en étant étudiant ou sans travail. Il va sans dire que les parcours de vie avant l'âge de 30 ans vont différer d'un milieu social à un autre, ou selon qu'on est homme ou femme, rendant la maturité réelle plus précoce ou plus tardive. Ce sont ces particularités ainsi que les destins majeurs des jeunes de 18 à 30 ans en ce qui regarde la famille qui seront ici examinés, d'après les bribes de connaissances, très fragmentaires, qui sont à notre disposition.

Vivre chez ses parents...

En 1981, après l'âge de la majorité juridique et civique, 18 ans, encore bien des jeunes vivent au foyer parental : 4 jeunes sur 5 à 18 et 19 ans ; mais entre 20 et 24 ans, un peu moins de la moitié (46,3 %) y demeurent (Demers, 1984, p. 49). Si 67,1 % de l'ensemble des jeunes [106] de 15-24 ans habitent chez leurs parents, c'est le cas bien davantage des garçons (74,7 %) que des filles (61,8 %) (ibid.). Quand ils vivent dans la résidence parentale, ils sont plus nombreux à être étudiants.

... quand on est étudiant(e)

Ceux qui étudient encore après dix-huit ans le font généralement au niveau post-secondaire. C'est le cas d'une minorité de jeunes Québécois d'aujourd'hui : ainsi en 1983, parmi les 20-24 ans, un jeune sur six (15,8 %) est encore étudiant ; dans le groupe des 25-29 ans, un jeune sur douze (7,9 %) fréquente le collège ou l'université, le plus souvent à temps partiel (B.S.Q., 1984a, p. 20-24).

Selon une étude menée en 1978 auprès des étudiants universitaires du Québec, on a constaté que plus d'un tiers d'entre eux habitent encore la résidence parentale (ce qui ne signifie pas qu'ils soient entièrement à charge des parents) ; ce sont surtout les étudiants à plein temps qui habitent chez leurs parents (45,2 %) et c'est dans une même proportion qu'ils reçoivent l'aide financière de leur famille. On aura soupçonné que plus les parents sont aisés, plus ils sont en mesure d'aider leurs enfants à poursuivre des études : ils le font à 55,6 %, dans les classes supérieures, à 46,5 % dans les classes moyennes et à 39 % en milieu populaire (Dandurand et Fournier, 1979, p. 134). Ces tendances semblent confirmées par le fait que l'installation au foyer parental est plus répandue chez les étudiants (de milieu aisé) de l'université McGill (46,6 %) que chez ceux (d'origine plus modeste) de l'UQAM (24,8 %). Dans les strates d'âges plus jeunes, on a également tendance à vivre plus nombreux au domicile familial des parents.

On ne sait combien de jeunes adultes étudiants vivent en union légale ou consensuelle, et combien ont une progéniture. Il est certain que faire des études n'exclut pas toute union et toute naissance comme c'était pratiquement le cas de la génération précédente. Les dispositions particulières du prêt-bourse étudiant ont même favorisé les mariages étudiants, ces dernières années, accordant de meilleurs subsides aux étudiants mariés ; mais on ne sait dans quelle mesure ils ont affecté les taux de nuptialité comme de divortialité. De même, les taux élevés de chômage chez les jeunes ont fait gonfler les proportions d'étudiants, bien des jeunes préférant la pauvreté plus « créatrice » de la vie étudiante à celle, désespérante, d'assisté social.

[107]

... quand on est assisté(e) social(e)

En mars 1984, les 179 524 jeunes assistés sociaux de 18-30 ans représentaient 38 % du total de la clientèle de l'aide sociale (B.S.Q., 1984a, p. 52). Parmi eux, environ 85 000, soit 47 %, recevaient la prestation mensuelle minimale, soit 154 $ (ibid.). Dans la population jeune, ce sont les 18-19 ans qui sont les plus touchés, les taux de dépendance calculés pour cette tranche d'âge étant d'environ 20 %, soit de un jeune sur cinq pour l'ensemble de la province ; ces proportions atteignent en région excentrique jusqu'à un jeune sur trois (B.S.Q., 1984a, p. 56).

Plusieurs de ces assistés sociaux demeurent donc chez leurs parents. Une étude monographique de la clientèle jeune et apte au travail de l'aide sociale en trace le portrait.

Ce n'est pas toujours de bon gré que les jeunes assistés sociaux habitent le foyer parental. La moitié d'entre eux songent sérieusement à quitter leurs parents pour s'installer en appartement : pour le faire, les filles attendent un conjoint, les garçons, un emploi. Mais ces derniers aspirent à avoir une automobile ou une motocyclette d'abord. Les filles sont donc plus impatientes que les garçons de quitter la résidence familiale. Quelques raisons sont avancées qui expliquent leur comportement :

Par leur besoin d'autonomie, les filles semblent davantage réagir à un manque de liberté dans la famille. Ainsi, les garçons demeurant chez leurs parents nous sont apparus beaucoup plus libres et autonomes dans leur famille que les filles dans la même situation (Gingras et al., 1984, p. 19).

Si ceux qui avaient déjà quitté le foyer parental envisageaient comme « impossible » un retour chez leurs parents, « les rares participants pour qui un retour chez leurs parents a semblé possible ont paru plus jeunes ». Mais les actuels résidants (chez les parents), dans un cas sur trois, ayant déjà vécu ailleurs qu'à la résidence parentale, il s'agit en réalité d'un retour pour eux. Ce qui ne semble pas non plus facile :

... même si leurs parents les acceptent, ils ne se sentent pas chez eux... (ils ne se sentent) plus libres de faire ce qu'ils veulent... (ils ont l'impression qu'ils n'ont) plus de vie privée... (ils ont) l'impression de briser la routine de leurs parents et de déranger leurs habitudes (Gingras et al., 1984, p. 24).

On voit bien se profiler, pour chacun des acteurs (parents ou enfants), « l'interminable adolescence » : laissés pour compte du marché du [108] travail, ces jeunes attendent une insertion professionnelle ou matrimoniale qui devrait correspondre à leur âge biologique. Vivre dans la résidence parentale est pour eux un indicateur supplémentaire de leur non-maturité.

Vivre sans famille

Il a été souligné précédemment que le nombre de jeunes vivant en ménages non familiaux a constamment augmenté depuis la dernière guerre (Wargon, 1979). Au Québec, 40 % des ménages non familiaux sont le fait de jeunes de moins de 30 ans (B.S.Q. 1984b, p. 44) : ces jeunes sont à 55,5 % de sexe masculin, à 32,3 % de sexe féminin. On peut considérer que c'est là un nouveau mode de résidence qui se place entre le moment de quitter ses parents et le temps de fonder une nouvelle famille. S'agit-il d'une « phase transitoire de l'existence en voie de devenir une période admise du cycle de vie » (B.S.Q., 1984b, p. 13) ? C'est possible. Mais c'est encore le cas d'une minorité de jeunes : un sur dix entre 15 et 24 ans adopte ce mode de résidence (Demers, 1984, p. 51) et, par rapport à leur groupe d'âge, les garçons, davantage que les filles (voir Tableau 1).

Ces jeunes qui vivent hors famille sont surtout célibataires (94,4 %) « actifs » en emploi (65 %) et au chômage (18,3 %). Le tiers d'entre eux a une scolarité de niveau universitaire (B.S.Q., 1984b, p. 46). Il ne s'agit toutefois pas d'un ensemble homogène et environ un de ces jeunes sur six vit de transferts gouvernementaux, donc bien en deçà des seuils officiels de pauvreté. Ils apparaissent cependant moins pauvres que les personnes âgées (65 ans et plus) qui vivent en ménage non familial (B.S.Q., 1984b, p. 61).

L'augmentation du nombre de jeunes vivant en ménage non familial est à rapprocher de l'assouplissement des normes régissant les institutions matrimoniale et familiale. À cet égard, est-il superflu de rappeler que la sexualité des jeunes contemporains s'exprime dans un climat de bien plus grande permissivité que dans les générations passées ? Amorcées en fin de décennie 60 au Québec, les pratiques de sexualité prémaritales ont pris de l'ampleur par la suite, qualifiées par des sexologues de « décollage sexologique des années 70 » (Gemme et Crépault, 1981). Les indications qui nous sont données (peu récentes et souvent fort partielles) montrent par exemple que la majorité des jeunes Québécois ont une expérience de coït prémarital, [109] les garçons davantage que les filles, et ces dernières dans un « contexte d'amour » plus que de « plaisir » (ibid.). Une étude exploratoire menée en milieu ouvrier montréalais au début des années 80 montrait qu'à propos du même indicateur (coït prémarital), près du tiers des jeunes de 15 à 17 ans avaient connu une telle expérience (C. Messier, 1981, p. 127).

Fonder une famille

Pour les recenseurs officiels canadiens ou québécois, vivre en couple (qu'une union légale ait été contractée ou pas) correspond déjà à la résidence en « ménage familial ». Également, une mère célibataire qui n'a jamais vécu en couple mais qui élève son enfant est considérée comme vivant en ménage familial monoparental. C'est donc un sens très large qui est donné au terme famille dans les statistiques officielles [4]. Bien que la majorité des ménages familiaux soient encore composés de parents et de leur(s) enfant(s), le nombre de couples sans enfants et celui de foyers monoparentaux ont considérablement augmenté ces dernières années dans la plupart des sociétés postindustrielles, faisant « (s'affoler) la boussole des indicateurs démographiques » (Lebras, 1983, p. 117) : baisse de la nuptialité et de la natalité, augmentation marquée des divorces et des naissances illégitimes. C'est évidemment chez les jeunes que les changements ont surtout pris place.

Si on considère la tranche des Québécois de 15-24 ans, « la majorité des jeunes qui avaient quitté leurs parents avaient déjà formé leur propre famille » (Demers, 1984, p. 51). Rappelons que si 67 % d'entre eux vivaient chez leurs parents, plus de 20 % vivaient dans un ménage époux-épouse (qu'ils aient ou pas des enfants) ou comme parent unique. Le tableau suivant présente des données pour les jeunes de 15-24 ans qui vivent ailleurs que chez leurs parents (voir Tableau 1).

On remarquera d'abord que les filles, deux fois plus que les garçons, font partie d'une famille de procréation à titre de conjoint ou de parent potentiel sinon actuel. Voyons d'abord les pratiques de vie en couple.

[110]

Tableau 1

Proportion des jeunes de 15-24 ans vivant ailleurs que chez leurs parents
selon le sexe et la résidence familiale, Québec 1981

FEMMES

HOMMES

TOTAL

Nombre

Proportion
sur ensemble
15-24

Nombre

Proportion
sur ensemble
15-24

Nombre

Proportion sur ensemble 15-24

Famille époux-se

158 170

25,6

27,3

83 250

13,3

13,4

241 420

19,4

20,3

Famille monoparentale

10 485

1,7

515

0,1

11 000

0,9

Non familiale

67 705

10,9

74 005

11,8

141 710

11,4

Total

236 360
 (60 %)

157 770
(40 %)

394 130
(100 %)

Source : Tableau constitué à partir des données de Demers (1984).


Vivre en couple

Comme dans la plupart des pays industriels avancés, les taux de nuptialité ont chuté au Québec et au Canada depuis le début de la décennie 70. Duchesne et Roy (1983, p. 190) font remarquer à ce propos que

... la chute de l'indice (de nuptialité) s'est produite aux jeunes âges, 15-24 ans chez les femmes et 20-29 chez les hommes. Or c'est à ces âges que la cohabitation est la plus marquée.

On sait que le mode de cueillette des recensements canadiens ne permet pas de distinguer les couples qui ont contracté une union légale et ceux qui vivent en union consensuelle, ces derniers étant assimilés aux couples mariés.

Dans une requête récente, la démographe Évelyne Lapierre-Adamcyck a tenté de cerner le phénomène des mariages sans papier ou des cohabitations. Elle les a estimés à « 20 % des premières unions contractées en 1975-80 et non encore rompues à l'automne 1980 ». Elle commente ces données :

Cette proportion d'un couple sur cinq apparaît d'autant plus plausible qu'elle suffit à rendre compte du bas niveau de la nuptialité des célibataires à la fin des années 70 (Lapierre-Adamcyck et Peron, 1983, p. 29).

[111]

C'est donc dire que la désaffection du mariage légal n'aurait pas signifié, jusqu'en 1980 du moins, une désaffection ou une baisse de la vie en couple mais seulement un remplacement des unions légales par des unions libres. Depuis 1980 cependant, le recul de la nuptialité s'est encore accentué : ce recul correspond-il à une augmentation des unions libres ? ou à une baisse de la vie en couple ? Lapierre-Adamcyck et Peron (op. cit., p. 29) penchent plutôt vers la seconde alternative (qui va dans le sens de « l'interminable adolescence », d'ailleurs), invoquant l'exemple du Danemark où, ces dernières années,

la nuptialité et la cohabitation ont toutes deux régressé... En ces temps de crise économique et de chômage, il est peut-être aussi difficile à de nombreux jeunes couples de cohabiter que de se marier légalement.

Ces auteurs ajoutent que de prélude à l'union légale (car le mariage s'imposait dans les années 70 quand les jeunes femmes devenaient enceintes), la cohabitation est devenue pour plusieurs couples et en particulier pour les jeunes, le substitut au mariage. L'étude de Jacques Lazure sur le jeune couple non marié (1975), montrait bien qu'à l'arrivée d'un enfant, la cohabitation (observée vers 1973) se soldait par un mariage. Les pratiques ont, par la suite, changé car le nouveau Code de la famille, en vigueur depuis 1981, qui a fait disparaître la notion d'enfant illégitime, a entériné une pratique de parentage célibataire de plus en plus répandue et dont témoigne l'augmentation constante des naissances illégitimes depuis les années 60 (de 3,6 % en 1960, elles sont passées à 8 % en 1970, à 11,2 % en 1978, à 13,8 % en 1980 et à 18,2 % en 1982 : S. Messier, 1984, p. 174). Il va sans dire que ces naissances sont surtout le fait de jeunes mères.

Mais la plupart des jeunes mères sont mariées, ou encore elles sont séparées ou divorcées. Il existe peu de données récentes sur la vie en couple. L'étude qualitative sur les familles monoparentales québécoises que je mène présentement dans le cadre de l'IQRC, avec la collaboration de Lise Saint-Jean, tend à montrer que les jeunes couples se séparent, plus souvent que leurs aînés, à la suite de la naissance d'un premier enfant (Dandurand et Saint-Jean, 1985).

On sait que depuis la mise en vigueur de la nouvelle loi canadienne sur le divorce (1969) *, la monoparentalité touche surtout des mères, [112] qui sont de plus en plus jeunes et de plus en plus marquées par la pauvreté (Dandurand, 1982). L'analyse des données statistiques du recensement de 1981 confirme largement cette tendance (Le Bourdais, 1985).

Autant le nombre élevé des naissances hors mariage que l'importance de la venue d'un enfant dans les motifs de rupture des jeunes couples sont des éléments qui permettent d'entrevoir que vie en couple et procréation ne sont plus nécessairement liées pour les jeunes, comme ce fut le cas des générations qui les ont précédés.

Quelques études récentes sur la famille ouvrière apportent d'autres résultats sur les jeunes couples mariés.

L'analyse préliminaire d'un matériel recueilli en 1982-1983 dans la région de Montréal auprès de jeunes familles ouvrières, confirme la gravité de la crise des années 80 chez les jeunes : comparés à leurs aînés qui ont dépassé la quarantaine, les jeunes couples apparaissent plus vulnérables, ayant moins tendance à faire appel aux solidarités familiales (réseau familial élargi) pour faire face aux « précarités de la vie » (Panet-Raymond, 1983, p. 48) [5]. Ils doivent donc réduire

... les projets de maison, enfant, voyage,... loisirs, vacances, sorties... Et si l'on avait des économies, le chômage les a flambées. Une plus grande frustration semble s'installer chez les jeunes qui voient leurs projets et leur avenir bloqués (op. cit., p. 47).

La situation conjoncturelle semble toucher moins les familles ouvrières dont les épouses ont été interrogées par Vinet et al. au début de la décennie 80 : et pour cause sans doute, car il s'agit de familles à double salaire (les deux conjoints sont au travail). La tranche d'âge des épouses de 35 ans et moins se distingue des autres générations par « une histoire de travail continu » (1982, p. 67), une implication plus grande dans la vie syndicale (p. 75), même si les charges familiales assumées sont plus lourdes en raison de l'âge des enfants (p. 73). La plupart d'entre elles n'ont d'ailleurs pas l'intention d'abandonner leur travail, affirment ces auteurs (p. 76). Si ces jeunes femmes paraissent mieux intégrer vie professionnelle et maternage, il est constaté avec surprise qu'elles « reçoivent moins d'aide que les autres » (femmes plus âgées), ce qui ne les empêche pas d'être davantage « réceptives à une transformation radicale des rôles sociaux » (p. 81). Ces quelques aspects de l'analyse de Vinet et al, suggèrent que des changements se font, dans la vie des femmes davantage que dans celle des hommes, et [113] au plan de la vie professionnelle, plus rapidement qu'au plan du partage des tâches de la vie domestique.

Avoir des enfants

On oublie souvent que les femmes de moins de trente ans sont actuellement responsables de la très grande majorité des naissances au Québec. Cette concentration de la fécondité dans les groupes d'âge jeunes est un phénomène qui date seulement des années d'après-guerre et qui est lié principalement au contrôle de la fécondité. Les chiffres suivants en témoignent [6] :

Tableau 2

Importance relative des taux de fécondité par groupes d'âge,
Québec 1926 à 1982

Groupes
d'âge

1926

1936

1946

1956

1966

1976

1981

1982

15-19

2,8

2,4

3,4

4,2

4,8

5,8

4,6

5,0

20-24

17,7

15,0

21,9

24,8

28,4

28,3

27,2

27,6

25-29

25,1

26,0

28,1

29,2

30,4

38,6

40,6

40,0

15-29

45,6

43,4

53,4

58,2

63,6

72,7

72,4

72,6

30-34

23,2

26,7

22,9

21,6

19,9

19,7

21,0

20,6

35-39

20,9

20,0

16,3

14,4

11,8

6,3

5,6

5,8

40-44

9,2

8,7

6,6

5,3

4,2

1,2

0,9

0,9

45-49

1,1

1,2

0,8

0,5

0,5

0,1

0,1

0,1

Total

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

100 %

Source : S. Messier, 1984, p. 174, Tableau 5004.


Outre la concentration de la fécondité chez les moins de trente ans, ce tableau fait ressortir aussi un comportement qui paraît en émergence : l'augmentation des taux de fécondité chez les femmes de 30-34 ans. S'agit-il des naissances ajournées par des femmes étudiantes et/ou travailleuses, qui entendent poursuivre carrière et maternité sans sacrifier l'une à l'autre ? Cette fécondité accrue des 30-34 ans est une tendance également observée pour l'ensemble du Canada : les primipares de ce groupe d'âge sont passées de 14 % en 1970 à 26 % en 1982 (Romaniuc, 1984, p. 115). Cet ajournement des naissances observé chez les 30-34 ans semble s'accompagner d'une augmentation notable de l'infécondité volontaire dans les groupes d'âge [114] plus jeunes : le pourcentage des femmes non célibataires de 20-24 ans qui sont infécondes est passé de 26 % en 1961 à 54 % en 1981 ; pour les 25-29 ans, les pourcentages sont passés de 14 % en 1961 à 30 % en 1981 (ibid.).

Ces tendances sont difficiles à interpréter et sans doute faudra-t-il voir si elles se confirmeront dans les années qui viennent. On pourra alors mesurer si elles indiquent simplement un ajournement des naissances ou si elles représentent une volonté délibérée de demeurer inféconde, à tout le moins chez un certain nombre de femmes. Les pratiques de stérilisation chez les moins de 30 ans donnent des indications partielles concernant les deux hypothèses : si près de 30 % des femmes et 21 % des hommes sont déjà stériles à 30 ans, la moitié d'entre eux ont eu recours à cette intervention après avoir eu le nombre souhaité d'enfants (Lapierre-Adamcyck et Peron, 1983, p. 34).

LES ADOLESCENTES :
VIVRE EN FAMILLE D'ORIENTATION
ET RÊVER D'UNE FAMILLE
DE PROCRÉATION


Vivre au jour le jour

Vivant très majoritairement chez leurs parents (les 12-14 ans à près de 100 %, les 15-17 ans à 93,7 % : Demers, 1984, p. 49), en famille d'orientation donc, les adolescents qui ont aujourd'hui entre 12 et 17 ans sont nés entre 1968 et 1973. Ils sont pour la plupart encore dépendants de leurs parents, qui appartiennent sans doute aux promotions de mariage des années 60 et 70 : ces adolescents ont donc plus de chance que leurs aînés d'avoir été des enfants désirés, par contre ils ont sans doute moins de frères et soeurs. Leur mère a probablement un travail rémunéré et leurs parents, mariés légalement, ont plus de chances d'être séparés ou divorcés. Si leurs parents sont séparés ou divorcés, ces adolescents vivent en majorité avec leur mère, et dans une situation voisine de la pauvreté si leur père ne verse pas de pension ou/et si leur mère n'est pas une travailleuse qualifiée.

Quand ils demeurent chez leurs parents, quatre adolescents sur cinq sont encore étudiants (80,2 % des 15-17 ans) et une minorité d'entre eux sont déjà actifs (17,3 %) sur le marché du travail, plus vraisemblablement à temps partiel. D'ailleurs, ceux qui ont quitté le foyer parental à cet âge sont davantage actifs (27,6 % des 15-17 ans) et moins souvent étudiants (64,4 % des 15-17 ans : Demers, 1984, [115] p. 50, 51). Il existe des interrelations complexes entre vivre chez ses parents et faire des études, que Linda Demers formule en ces termes :

Les jeunes qui demeurent au foyer sont-ils plus susceptibles de poursuivre des études ou les jeunes voulant poursuivre leurs études ont-ils plus tendance à demeurer au foyer familial ? Inversement les jeunes qui ont quitté leurs parents ont-ils plus de difficulté à continuer leurs études (pour des raisons économiques par exemple) ou encore ceux qui ont abandonné leurs études sont-ils plus en mesure (à cause de leur indépendance économique par exemple) de quitter leurs parents ? (1984, p. 50)

Un petit nombre d'adolescents et surtout d'adolescentes vivent déjà en couple : nous n'avons pas trouvé de chiffres sur les 12-17 ans mais seulement sur les 15-19 ans. Chez les jeunes (peu nombreux) qui vivent en couple à cet âge, la majorité sont en union libre et environ le quart sont déjà des parents. Linda Demers (1984, p. 53) rapporte en outre qu'en 1977, « les mères célibataires étaient responsables de 52,9 % des naissances chez les 15-19 ans ». On soupçonne bien que les événements démographiques liés à la fécondité et à l'avortement sont souvent problématiques [7] à cet âge où se retrouvaient plus de 20 % des avortements thérapeutiques en 1982 (Messier, 1984, p. 188). Ces événements sont toutefois moins dramatiques pour ces jeunes que pour celles de la génération de leurs mères, qui n'avaient pas accès à l'avortement, qui faisaient face à une stigmatisation sociale certaine et devaient la plupart du temps abandonner leur enfant à l'adoption (Masse et al, 1981).

En raison de l'abondance de la littérature, n'ont pas été considérées les études des milieux de recherche-action, axées davantage sur des objectifs de thérapeutique sociale : on pense aux travailleurs sociaux, psychologues, criminologues et sociologues qui, autour d'organismes comme la Protection de la jeunesse ou les Centres de services sociaux, se préoccupent des déviances et des problèmes des adolescents. Qu'il me soit permis de rappeler, dans ce domaine, quelques-uns des constats du rapport Badgley sur les abus sexuels à l'endroit des enfants et des adolescents au Canada. Les résultats suivants, qui proviennent de sondages auprès de la population canadienne et d'enquêtes menées auprès des corps de police, hôpitaux, centres de services sociaux, montrent bien que la population adolescente et le milieu familial sont largement concernés par les abus sexuels :

[Au Canada, pendant leur vie], une femme sur deux, un homme sur trois ont été victimes d'infractions d'ordre sexuel (Badgley, 1984, p. 208)...

[116]
Au moment où ces incidents ont eu lieu pour la première fois,... la majorité des victimes [d'actes sexuels non désirés [8]] étaient des enfants et des jeunes âgés de 12 à 18 ans (ibid., p. 196)... Parmi les personnes entre 18 et 21 ans [interrogées par le sondage national] sept femmes sur dix (70,2 %) et environ quatre hommes sur dix (38,6 %) avaient été victimes d'une infraction d'ordre sexuel (ibid., p. 200) [...] Dans les deux premiers sondages [national auprès de la population et auprès des forces de police] entre 1/5 et 1/4 des suspects [d'agression sexuelle] étaient des membres de la famille de la victime. Par contre, environ la 1/2 des agresseurs des enfants examinés dans les hôpitaux et un peu moins de neuf personnes sur dix soupçonnées d'agressions sexuelles à l'égard d'enfants connus des services de protection de l'enfance étaient des membres de la famille (ibid., p. 236).

Ces quelques données suffisent à ébranler les idéologies de la « famille-havre de paix » : on n'est pas étonné de voir que dans la présentation du rapport, il est rappelé que les agressions sexuelles à l'endroit des enfants et des adolescents, « largement ignorées et cependant extrêmement répandues », étaient « jusqu'à récemment, rarement discutées ouvertement » (ibid., p. 29).

Rêver à demain

Comment ces jeunes envisagent-ils leur vie familiale future ? Une étude canadienne de Maureen Baker et de Marylee Stephenson présente les témoignages de jeunes de 15 à 19 ans, qui se situent donc en fin d'adolescence et en début d'âge adulte. Ce sont surtout des filles (étudiantes, travailleuses, mères) qui ont été interrogées (122) ; la cueillette d'information auprès d'un groupe-témoin de garçons (28) permet de caractériser le profil des aspirations des filles. On y constate que les modes d'insertion matrimoniale demeurent majeurs et que l'insertion professionnelle est toujours secondaire pour elles :

... les adolescentes envisagent toujours leur avenir en termes très traditionnels et romantiques. La plupart savent qu'elles devront fréquenter l'école plus longtemps et trouver un travail rémunéré... [Mais] elles envisagent toujours de rester à la maison avec leurs enfants jusqu'à ce que le plus jeune commence à fréquenter l'école... [mais en attendant], alors que les garçons s'efforcent d'être acceptés à l'université ou tentent d'acquérir un métier, les filles rêvent de mariage (Baker, 1984, p. 3, 4).

Ce constat d'ensemble rejoint avec un accent différent les conclusions d'une étude de Pauline Fahmy-Pomerleau sur les aspirations des [117] adolescentes interrogées en début de décennie 70 : « leurs aspirations prédominantes tournent autour du thème d'une vie familiale qui fait peu ou pas de place à l'activité professionnelle » (1981, p. 97, 8). L'étude plus récente de Sorecom (1980), sur les valeurs des jeunes de 16 à 20 ans ainsi que l'enquête d'Huguette Dagenais sur des adolescents québécois du secondaire et collégial (1981) montraient que les aspirations des garçons et filles quant à leurs rôles professionnels et familiaux futurs demeuraient « traditionnels ». Huguette Dagenais (1981, p. 167) s'explique ces attitudes déroutantes de la façon suivante :

... l'adhésion des jeunes à des valeurs traditionnelles... trouve son explication dans le modèle de socialisation auquel ils sont soumis depuis leur naissance...

aussi bien dans la famille, à l'école que dans les médias.

Il semble pourtant se dégager quelques perspectives d'innovation dans la façon dont les garçons et filles de 15-19 ans envisagent leur situation familiale à trente ans, d'après l'étude de Baker.

Tableau 3

Situation familiale prévue à 30 ans selon le sexe.
Échantillon canadien, 1983, 1984

Filles

Garçons

Marié(e)

74,8

64,3

Concubinage

5,9

10,7

Célibataire (ou vivant seul(e)

15,1

25,0

Incertain(e)

4,2

0,0

Total

100 %

100 %

Source : Baker, 1984, p. 130.


Mariées ou pas, 28 % des filles ne prévoient pas avoir d'enfants à 30 ans ; 15 % d'entre elles (Baker, 1984, p. 40) affichent le projet de ne pas avoir d'enfants du tout, pendant leur vie, ce qui est un comportement assez nouveau. Si les garçons, qui prévoient ne pas avoir d'enfants à 30 ans (44 %) sont plus nombreux que les filles à prévoir cette situation (28 %), ceux qui envisagent d'être encore célibataires à 30 ans sont surtout ceux qui désirent se marier plus tard, vers 35 ou 40 ans et alors, avoir des enfants. Si ces aspirations se réalisaient, il faudrait donc prévoir qu'une proportion de femmes auraient un comportement d'infécondité volontaire et qu'une proportion [118] d'hommes auraient des enfants à un âge plus tardif. Si on tient compte de l'écart d'âge au mariage (d'environ deux ans entre les hommes et les femmes), ceci correspondrait à l'augmentation, remarquée précédemment, de la hausse de fécondité chez les femmes de 30-35 ans.

L'étude de Baker apporte des précisions intéressantes sur les filles qui ont des comportements qu'on pourrait appeler novateurs : la primauté accordée à l'insertion professionnelle et l'ajournement des projets de fécondité et d'insertion matrimoniale s'observent en milieu aisé et fortement scolarisé (1984, p. 161) ; celles qui envisagent une infécondité volontaire, une vie en concubinage ou de célibat sont bien plus fréquemment parmi celles qui ont vécu avec un parent séparé ou divorcé ou avec une mère travailleuse et qualifiée. Cette dernière corrélation permet de formuler l'hypothèse suivante : pour les filles à tout le moins, le profil de la famille d'orientation serait un déterminant majeur dans le choix (ou le rejet) d'un modèle de famille de procréation.

CONCLUSION :
TRAITS SAILLANTS
ET PISTES DE RECHERCHE


En guise de conclusion, j'aimerais rappeler quelques traits saillants de ce qui précède et signaler par la même occasion quelques-unes des pistes de recherche qu'il serait intéressant d'ouvrir ou de poursuivre.

1. Il est d'une importance capitale pour les débats sur la natalité au Québec de saisir à quel point avoir un enfant au Québec en 1985 repose sur les épaules des jeunes femmes de moins de 30 ans. Dans les débats publics, si on a bien saisi les liens « jeunes — chômage-aide social — pauvreté », on a souvent oublié d'adjoindre à cette chaîne de phénomènes, « maternité ». Si la situation des jeunes s'avère précaire, celle des mères l'est aussi et le sort de la natalité, dans cette conjoncture, l'est également. Les modes de vie des jeunes couples et des jeunes mères seules sont de toute évidence à explorer davantage. Pourquoi ont-ils des enfants ? De quoi vivent-ils ? Quels liens les jeunes couples ont-ils avec leur famille d'orientation (parents, frères et soeurs) : les relations du réseau familial occupent-elles un large espace dans la sociabilité des jeunes familles, comme la chose a été clairement observée en France notamment (voir Roussel, 1976 et Pitrou, 1978) et au Canada anglais (Lanphier et Perez, 1983, p. 4) ? Ou bien d'autres formes de solidarité sont-elles à se créer, axées davantage sur les réseaux amicaux ou de voisinage ?

[119]

En somme si les préoccupations à l'endroit des jeunes ont davantage mis l'accent sur la dégradation des conditions d'insertion à la vie professionnelle, on a souvent oublié de considérer que se dégradaient aussi pour eux les conditions d'insertion à la vie matrimoniale et familiale. On a peu étudié les effets de cette dégradation sur les modes de vie des jeunes. En particulier, il conviendrait de voir quel rôle joue la famille d'orientation autant comme élément amortisseur que comme courroie de solidarité face à ce problème d'insertion que vivent les jeunes d'aujourd'hui.

2. Il semble se dessiner une légère transformation du calendrier des naissances chez certaines femmes, qui choisissent d'être primipares après 30 ans. Ces femmes sont encore une minorité et on peut penser que ce calendrier correspond à une insertion professionnelle préalable. C'est sans doute un comportement caractéristique surtout des classes moyennes supérieures.

3. Comme il a fallu dissocier sexualité et mariage, il faut dissocier insertion matrimoniale et accès au parentage (comme activité de production des enfants). Outre les modèles traditionnels, qui perdurent chez certains jeunes, des modèles matrimoniaux et familiaux différents paraissent se dessiner : vie en couple après union légale ou pas, accompagnée ou pas de parentage, parentage assumé par un couple ou par un parent seul, qui est plus souvent la mère.

4. Dans les profils hétérogènes des jeunes présentés ici, il faut sans doute voir, à l'instar de Lebras, un phénomène actuel d'interminable adolescence, à savoir des destins qui témoignent d'un lieu d'attente avant d'accéder aux privilèges et responsabilités du monde adulte, de la famille et du travail. D'ailleurs on a pu constater que la maturité est plus ou moins précoce selon les milieux sociaux et les sexes : en général, plus précoce pour les jeunes de milieux populaires qu'aisés et également plus précoce pour les filles que pour les garçons. On s'est rarement inquiété de l'interminable adolescence des étudiants ; celle des assistés sociaux actuels inquiète davantage car elle concerne une population qui, en temps de prospérité, serait au travail. Par ailleurs, faut-il lire dans l'empressement plus grand des filles que des garçons à quitter la famille d'orientation une volonté d'indépendance précoce, une résistance aux contraintes familiales exercées sur les filles, ou autre chose ? Il faudrait explorer davantage les divergences quant à la maturité sociale des filles et celle des garçons et quant à celle des jeunes issus des milieux ouvrier, de classe moyenne ou supérieure. Là-dessus, d'autres pays, telle la France par exemple, disposent de données (que [120] nous n'avons pas, malheureusement, pour le Canada et le Québec) qui permettent d'établir des profils nettement différents selon le sexe et le milieu d'origine ; qu'en plus des motifs économiques, des modèles culturels spécifiques rendent compte d'une telle variabilité (Galland, 1984).

On a pu remarquer également, bien que les progrès apparaissent toujours trop lents aux femmes de ma génération, une tendance à une désexualisation des destins, à une certaine atténuation du double standard. Une certaine proportion de filles, qui ont eu accès à l'éducation, au contrôle de leur fécondité et à une place sur le marché du travail, peuvent rêver à autre chose comme rôle social qu'à la seule insertion matrimoniale et qu'à l'inexorable destin de mère assigné pour toute leur vie adulte.

[121]
[122]

BIBLIOGRAPHIE

Badgley, rapport, Infractions d'ordre sexuel contre des enfants au Canada, rapport du comité sur les infractions sexuelles à l'égard des enfants et des jeunes, Ottawa, Approvisionnements et services Canada, 1984.

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[124]

Roussel, Louis, La famille après le mariage des enfants. Étude des relations entre générations, Paris, P.U.F., 1976.

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Wargon, Sylvia, Familles et ménages au Canada, Ottawa, Statistique Canada, 1979.


[1] La présente recension de recherches sur jeunes et familles au Québec s'est limitée surtout aux disciplines des sciences sociales. Je remercie mes collègues de l'IQRC qui ont collaboré à la documentation de cet article, en particulier, Isabelle Perrault, qui a mis à ma disposition sa bibliographie commentée sur les jeunes.

[2] On est porté à se poser les questions suivantes : les associations familiales arrivent-elles à recruter des jeunes ? Si oui, quelle place leur est donnée au sein des organismes ? Quels groupes, composés de jeunes, auraient pu se présenter devant ce comité consultatif de la famille ? Les associations de la jeunesse étudiante, ouvrière, les groupes de jeunes assistés sociaux, de jeunes chômeurs ont-ils des préoccupations familiales ?

[3] Grosso modo, cette vision de LeBras est assez juste. Mais il convient de rappeler que depuis la guerre, ils ont été de plus en plus nombreux (voir Wargon, 1979), bien qu'encore très minoritaires, les jeunes qui ont vécu une « plage » de leur vie, entre famille d'orientation et de procréation, en ménage non familial.

[4] Rappelons la définition que donne Statistique Canada de la famille de recensement : « La famille de recensement comprend un époux et une épouse (avec ou sans enfants célibataires quel que soit leur âge) ou un parent, quel que soit son état matrimonial avec un ou plusieurs enfants (célibataires, quel que soit leur âge, vivant dans le même logement) » (Wargon, 1979).

* Lors de la préparation de ce texte, à l'automne de 1985, la Loi concernant le divorce et les mesures accessoires, dite Loi de 1985 sur le divorce, à l'étude ; elle a été sanctionnée le 13 février 1986 et est entrée en vigueur le 3 juin 1986.

[5] Pour ce qui est du caractère moins traditionnel des réseaux de sociabilité des jeunes familles, il y aurait quelque convergence entre les observations de Panet-Raymond et celles de Fortin et Delage, dont la recherche en cours porte sur des familles de la ville de Québec ; malheureusement, nous n'avons pas de texte pour étayer cette convergence, leurs données n'ayant été communiquées que verbalement.

[6] Ces chiffres appuient en outre ce phénomène, observé également en Europe (Segalen 1982, p. 155), que des comportements contraceptifs ont précédé la mise en marché de la pilule anovulante.

[7] Les enquêtes faites auprès de la population et des hôpitaux, dans le cadre de l'enquête sur les infractions d'ordre sexuel auprès des enfants, confirment cette assertion : « D'après nos recherches, les très jeunes filles qui se retrouvent enceintes sont considérées comme des patientes à risque élevé et exigent des soins médicaux spéciaux. Elles risquent en effet, davantage que les femmes, de connaître des problèmes de santé pendant leur grossesse et de donner naissance à des bébés prématurés ou à des nourrissons eux aussi à risque élevé. En outre, les avortements thérapeutiques pratiqués sur de très jeunes filles comportent un risque plus élevé que la normale de complications et ce, à tous les stades de la gestation » (Badgley, 1984, p. 53).

[8] Voici la définition, donnée dans le rapport Badgley, du terme acte sexuel non désiré : « La liste des actes sexuels non désirés est divisée en deux grandes catégories : les actes d'exhibitionnisme (actes ne comprenant aucun attouchement) et les agressions sexuelles (actes comprenant n'importe quelle sorte d'attouchement sexuel de la personne) » (Badgley, 1984, p. 223).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 2 novembre 2021 6:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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