Georges BALANDIER
“Aspects de l'évolution sociale
chez les Fang du Gabon”.
Un article publié dans les Cahiers internationaux de sociologie, vol. 9, 1950, pp. 76-106. Paris : Les Presses universitaires de France.
- Introduction
-
- I. Les implications de la situation coloniale
- II. Étude de quelques structures sociales en fonction des « situations de crise »
- III. Le mouvement de l'évolution sociale
Introduction
Il est impossible, dans un seul article, de traiter, dans le détail, un sujet aussi large et complexe [1]. Il s'agit plutôt de montrer comment la nature même des faits, que nous avions à étudier, nous a conduit à une certaine méthode de travail. De manifester, aussi, l'intérêt d'une sociologie des peuples colonises ; d'indiquer le point de vue particulier que celle-ci exige et les résultats, pratiques et théoriques, que l'on peut espérer dune telle discipline. Ce n'est, certes, qu'une première approche : les documents relatifs à l'Afrique Équatoriale sont peu nombreux, la recherche ne fait que commencer ; mais, le travail maintenant entrepris pourra se développer selon une ligne que nous pensons valable et féconde [2].
Au départ, nous avions une obligation précise, officielle. Nous devions étudier les aspects, et incidences politiques, d'un mouvement de « regroupement clanique » qui affecta la totalité des Fang du Gabon, après s'être développé chez les peuples apparentés et voisins du Cameroun (Mission de janvier-mars 1949). Puis, faisant suite à ce mouvement, ou se confondant avec lui, un pro, et de regroupement et de modernisation des villages ; projet, émis par les représentants locaux, qui trouva l'adhésion de la quasi-totalité des Fang (Mission de janvier-mars 1950). C'était donc à des situations concrètes, actuelles, que nous devions nous attaquer ; avec l'ordre d'apporter des conclusions et suggestions pratiques. L'intérêt officiel accordé au groupe Fang s'explique assez par l'importance de celui-ci : il prend en écharpe, selon une direction NE-SO, la partie supérieure du Gabon ; il représente 125.000 habitants sur les 420.000 habitants qui peuplent ce territoire ; il est voisin d'un groupe de population parentes, particulièrement actives, qui rassemble, au Cameroun, plus de 550.000 individus ; il est, au Gabon, le groupe le plus nombreux, le plus agissant, et il sut évincer, de Libreville, les anciennes populations côtières. En plus des études publiées (chroniques d'exploration, rares monographies, « notes » rassemblées par des observateurs-amateurs, etc.) que nous pûmes consulter sur place, nous eûmes essentiellement recours, en dehors des enquêtes sur le terrain, aux documents administratifs. Ceux-ci, conservés à Brazzaville et à Libreville, comprennent surtout les rapports (économiques et politiques) des districts et des régions, et des rapports spéciaux rédigés au chef-lieu. Ils portent, avec des « trous » pour les années anciennes, sur la période 1900-1950. Ces documents, en dehors des observations et des statistiques plus ou moins précises qu'ils fournissent, indiquent les « problèmes » qui se posèrent à l'administration aux différentes époques. C'est, là, leur intérêt principal. Ils permettent de saisir les moyens et méthodes d'action de la puissance coloniale ; aussi, les réactions de la société indigène. C'est, en partie, par leur intermédiaire que nous pouvons étudier comment l'évolution des structures sociales s'est faite en jonction de la « situation coloniale » [3]. Ce dernier point de vue mérite toute notre attention ; sinon, on ne fait des peuples colonisés qu'une sociologie inexacte qui ne tient pas compte des conditions concrètes dans lesquelles ceux-ci assurèrent leur évolution. Il exige, même, une analyse méthodique.
1. Les implications de la situation coloniale
Toutes les sociétés autochtones que nous étudions dans le cadre des anciens empires coloniaux, ont été soumises à une pression, à une contrainte extérieure. Elles ont été en contact avec des formes sociales radicalement hétérogènes. Ce contact contraint, inadéquat dans une large mesure, a provoqué un bouleversement, une transformation des structures existantes. Cette évolution a un caractère bien particulier, elle s'effectue sous la double impulsion du dynamisme propre à la société colonisée et de l'action colonisatrice. Elle est absolument différente de celle qui aurait eu lieu, en dehors de la situation coloniale, par le simple jeu de l'histoire africaine. Des rapports de force auraient joué, des contacts contraints se seraient établis, mais ceux-ci auraient mis en présence (en relation de domination ou d'assimilation) der, formes sociales homogènes.
C'est particulièrement net) dans le cas des Fang, à l'époque de leurs grandes migrations [4]. Ils incorporent, rapidement, sans heurts apparents, les croyances des peuples qu'ils rencontrent. C'est ce qu'indique, à là suite des observations faites au début du siècle, le R.P. Trilles : « Les Fan... adoptent avec une certaine facilité, au moins de surface, sinon les rites religieux des peuples ou des tribus qu'ils rencontrent sur leur chemin, tout au moins les fétiches qu'ils estiment puissants. Soit, et c'est en somme le plus commun, qu'ils incorporent à leur propre masse ces tribus plus faibles au moins guerrières, et le fait d'accepter, tout au moins leurs croyances, paraît alors très naturel ; soit que par leurs rapports constants, leur pénétration au cœur même de ces tribus, ils croient au contraire constater la présence de « fétiches » plus forts... » et ils empruntent ceux-ci [5]. Cette facilité d'assimilation est particulièrement active chez les Fang ; nous aurons l'occasion d'en montrer les conséquences les plus récentes.
La situation coloniale n'a pas interrompu ces contacts entre groupes ethniques différents ; au contraire, elle les a facilités ou provoqués, en ouvrant des voies de commerce où la sécurité est assurée ; en attirant (ou déplaçant) les hommes adultes vers les exploitations (les chantiers forestiers du Bas-Gabon, notamment) et les centres importants. Elle a, dans une certaine mesure, brisé les particularismes. Mais ces contacts ont des résultats différents. Ils jouent beaucoup plus, au départ, entre individus que de peuple à peuple. Ces emprunts sont utilisés et adaptés par ceux qui les colportent afin d'assurer leur prééminence. Ainsi, une même association, celle du Ngol, largement diffusée depuis le Moyen Congo (région de Ouesso) a travers le Gabon, prend-elle des formes et des sens différents selon les régions, selon les agents qui l'ont transportée [6]. En son lieu d'origine, elle favorise la domination d'un groupe ethnique (les Obamba) sur les minorités voisines ; ailleurs (région des Adoumas, Haut Ogooué) diffusée par les chefs administratifs, elle vise à établir une hiérarchie favorable àceux-ci ; le long de l'Ogooué, diffusée par les éléments jeunes et évolués, elle prend un aspect moderniste, elle rivalise avec des associations plus anciennes (telle celle du Bwiti, dont nous aurons à parler).
Lorsque ces institutions sont importées par un groupe suffisamment nombreux, lorsqu'elles correspondent à un besoin de la société qui les reçoit, elles sont adaptées et incorporées aux structures existantes. Tel fut le cas, pour les Fang, de l'association du Bwiti. Celle-ci fut diffusée par les travailleurs Fang des chantiers forestiers ; c'était un mode de groupement et d'activité religieuse général chez les peuples auprès desquels ils vivaient. Depuis vingt-cinq ou trente ans, le Bwiti s'est généralisé en pays fang (il atteint la frontière du Cameroun) ; il s'est adapté à tel point qu'il s'est fort éloigné de l'institution d'origine [7]. Le Bwiti s'est intégré aux structures fang parce qu'il répondait à des besoins précis du groupe : il unifiait un certain nombre de croyances disparates durement atteintes par l'action missionnaire et administrative, dans une certaine mesure, il prétendait (et prétend surtout) se poser en tant que religion capable de rivaliser avec l'enseignement chrétien ; il rétablissait une cohésion dans une société fragmentée et non hiérarchisée ; il visait à instaurer un système politique échappant à l'emprise administrative.
Et l'on voit comment jouent ces emprunts entre peuples voisins ou parents : ils sont surtout utilisés en fonction d'une situation de crise créée par l'action coloniale. En conséquence, deux associations, comme le Ngol et le Bwiti, créées en des lieux et à des époques différentes, arrivent à posséder des traits communs : parce qu'elles sont appelées à résoudre des problèmes de même nature posés par la situation coloniale.
Ces situations de crise sont particulièrement importantes. C'est par leur intermédiaire que nous atteignons les points où le contact a été le plus violent, entre la société colonisée et la société colonisatrice ; les « points d'impact » entre structures sociales hétérogènes. C'est donc là une position privilégiée pour l'étude des phénomènes de contact ; le seul lieu où l'on puisse saisir l'évolution des structures sociales indigènes mises en situation coloniale. En ce qui concerne les Fang, certaines crises ont été analysées par les soins de commissions ou de services administratifs, avec le but d'y porter remède ; d'autres ont été senties par le groupe qui s'efforça, lui-même, d'adapter ou transformer ses institutions. Jusqu'en 1910, ce fut la phase d'occupation, de pacification, d'exploitation économique rudimentaire. En 1918, les premières conséquences de la colonisation se font sentir. Une Commission, créée le 1er janvier de cette année, est chargée d'étudier, notamment chez les Fang, « les moyens de consolider les liens du mariage », « les moyens de favoriser la construction et l'évolution de la famille » ; à la « désorganisation de la famille », on lie la mauvaise situation démographique qui commence à se manifester. C'est à cette époque que se diffuse l'association politico-religieuse du Bwiti. Dans les mêmes années, à partir de 1920, les premières manifestations des « évolués » inquiètent l'administration : action politique à Libreville (création du premier parti, et du premier journal) ; dans les villages, début de l'opposition aux vieillards qui détiennent la richesse et la prééminence sociale. Le second après-guerre permit une nouvelle mise au point. En 1946, une Commission de la Population étudie non seulement « le problème démographique », mais, encore, « la structure même de la population, considérant que la situation actuelle est très grave ». En 1947, dernière manifestation dirigée par l'administration, a lieu le Congrès Pahouin de Mitzic [8], il est destiné à « faire le point des tendances actuelles d'une société traditionnelle » ; il manifeste, surtout, le désir qu'ont les éléments évolués de moderniser la structure politique et de jouer un rôle au sein de celle-ci. Ensuite, les Fang prennent eux-mêmes l'initiative, contre le gré, ou malgré les réticences de l'administration. C'est le cas du mouvement de « regroupement clanique » (1947-1948) et du mouvement de « regroupement des villages » (1949-1950) ; tous deux manifestent le désir de récréer une cohésion valable pour le peuple Fang dans sa totalité, une morale, une discipline, et d'organiser une structure politique permettant d'échapper partiellement à la tutelle administrative ; c'est une tentative de retour à l'unité, mais avec des structures modernisées, adaptées à la situation actuelle de la société Fang. Et l'on pressent combien l'analyse concrète des structures sociales ne peut se faire qu'en fonction de ces données ; celles-ci, de plus, constituent autant de jalons permettant d'apprécier l'évolution de celles-là.
Ces « crises », que nous venons d'évoquer, permettent d'apprécier les positions réciproques qu'occupent les deux sociétés - la coloniale (dominante), l'autochtone (dominée) -mises en présence. L'une et l'autre ne se peuvent saisir qu'en des perspectives réciproques. La société indigène s'est transformée en fonction de la société européenne : sous la contrainte (économique, administrative, culturelle, spirituelle) que celle-ci exerçait, mais, aussi, sous l'impulsion de la représentation que celle-là avait de celle-ci. Ainsi, les transformations dans les rapports réels entre ces deux sociétés ont-elles informé l'évolution des structures sociales indigènes, mais encore les transformations dans les représentations que l'une avait de l'autre. Une étude faite de manière unilatérale s'avère insuffisante ; elle laisse échapper les conditions concrètes d'une évolution qui n'est pas provoquée par le seul jeu de mécanismes internes. Lorsque la puissance coloniale, pour les besoins de son économie d'exploitation, assure des « recrutements » qui bouleversent la démographie d'une région (dans le Haut-Gabon, subdivision de Makokou, le rapport de la population hommes-femmes est absolument faussé : 4.603 hommes, 7.018 femmes, en 1946) on peut s'attendre à de sérieuses transformations au sein des structures sociales. Mais, on peut en attendre de même importance lorsque le système des valeurs se modifie en fonction de la situation coloniale. Ainsi, lorsque dans les régions les plus évoluées du pays Fang (par exemple, au Woleu-N'Tem où la culture du cacao a entraîné la modernisation des villages) le désir d'égaler l'Européen se manifeste précisément [9], et consciemment, on s'explique mieux, en fonction de ce désir, certains aspects (et l'acuité) des mouvements de regroupement clanique et de regroupement des villages.
Dans l'analyse que nous poursuivons, le fait que l'un des termes soit dominant et, que l'autre soit dominé, mérite quelque attention. Cette situation crée des rapports de soumission. Mais, la soumission peut être réelle ou fictive. Dans le premier cas, de nouvelles formes d'organisation sociale apparaissent : les villages regroupés administrativement, dans le District de Mitzic, n'ont plus l'unité tribale traditionnelle [10] ; l'organisation matérielle des villages a été « dirigée » par l'administration ; une chefferie administrative est créée qui s'insère plus ou moins bien dans le système existant (et qui appelle certaines réactions : « l'opposition aux chefs administratifs » fut quasi-constante en pays Fang, par le truchement d'institutions variées) ; des formes modernes d'exploitation agricole s'installent (ainsi, des coopératives de producteurs, chez les Boulou, groupe voisin du Cameroun) et des associations chargées des travaux d'intérêt commun (des « sociétés de travail ») ; etc... Dans le second cas, des structures « de façade »cachent les structures réelles. Ainsi, l'adhésion à la religion chrétienne - quasi-générale dans les régions frontières du Cameroun, chez les Boulou - n'entraîne pas, pour autant, la quasi-généralisation de la monogamie ; citons les chiffres extrêmement précis d'un rapport administratif (qui portent sur un canton) :
RELIGION
DÉCLARÉE
|
% DE LAPOPULATION TOTALE
|
% DE MONOGAMES
|
% DE POLYGAMES
|
Catholiques
|
56%
|
63%
|
37%
|
Protestants
|
39,4%
|
73%
|
27%
|
Adventistes
|
0,6%
|
71%
|
29%
|
Animistes
|
4%
|
43,5%
|
56,5%
|
Et la réflexion d'un villageois, rapportée par ce même document, nous éclaire sur le sens de cette adhésion (touchant 56% de la population) au Christianisme : « La religion est un progrès apporté par la civilisation, il faut adhérer à l'une ou à l'autre, mais adhérer [11] ». Autre exemple : dans l'association du Bwiti, les manifestations et l'organisation publiques (où il est insisté surtout sur l'aspect « divertissement », où les instruments utilisés ne sont pas consacrés, etc...) dissimulent l'aspect privé, « secret » (il y a, fréquemment, deux temples : l'un au village, l'autre « en brousse »). Des structures sociales ont, ainsi, une sorte de vie clandestine ; et cette situation leur impose certains caractères, et certaines formes d'évolution.
Cette soumission, que nous avons évoquée, peut être active ou passive. Active, elle se manifeste par des structures adaptées ou par des structures clandestines, c'est le cas des Fang. Passive, elle s'exprime par un repli du groupe, un refus de tout contact et de toute adaptation efficace, un conservatisme outré, c'est le cas du peuple Batéké, au Moyen Congo, qui s'est choisi géographiquement et culturellement isolé.
L'adaptation, lorsqu'elle s'accomplit, est inégale selon les différentes couches sociales, selon les différents groupes de la société étudiée. Elle n'est pas la même pour les jeunes générations et pour les anciennes générations : le mouvement de regroupement clanique n'a pas le même sens pour les « Jeunes Fang » et pour les « Vieux Fang » ; pour ceux-ci, il est, avant tout, un retour aux anciennes cohésions et solidarité tribales ;pour ceux-là, il est une possibilité d'émancipation relative dans le cadre de la situation coloniale, une tentative pour aboutir à un fédéralisme tribal. Elle n'est pas la même pour le groupe des hommes et pour let groupe des femmes ; celles-ci sont, quelquefois malgré elles, maintenues dans leur ancienne condition. La puissance coloniale n'a guère songé à organiser l'éducation et l'émancipation des femmes [12]. Et, les Fang les plus évolués n'envisagent pas de modifier cette condition (ils demandent, au contraire, que leur autorité soit incontestée, avec toutes les formes de coercition traditionnellement reconnues). Lors du Congrès Pahouin de Mitzic, aucun voeu n'a été émis en ce qui concerne la situation de la femme et la polygamie (pas même par les représentants africains des Missions religieuses) [13]. On peut dire qu'au caractère hétérogène des contacts socio-culturels est lié le caractère hétérogène des structures sociales nouvelles.
Cette hétérogénéité ne manque pas de se manifester au niveau de la psychologie collective ou individuelle, C'est ainsi qu'une étude psychologique du Fang christianisé, ou du sectateur du Bwiti, ferait apparaître le syncrétisme des croyances et le manque d'unité des comportements. Il en est de même, au niveau de l'individu : deux rivaux, de race fang, à l'occasion d'une campagne électorale à Libreville, opposent non seulement leurs programmes mais, encore, leurs magies. Le caractère composite que nous venons de signaler, dans le domaine des structures sociales comme dans celui des structures psychologiques, entraîne un état de déséquilibre ; ces « situations de crise » auxquelles nous avons donné une place importante au cours de cette analyse. Dans une certaine mesure, l'étude que nous faisons est une socio-pathologie.
II. Étude de quelques structures sociales
en fonction des « situations de crise »
Les premiers observateurs de la société Fang ont attiré notre attention sur un certain nombre de points : l'âpreté de la compétition économique et de la rivalité pour les femmes, l'instabilité du groupe familial (dans sa composition, et dans sa localisation), l'absence d'une armature sociale stable. Les anciens rapports administratifs donnent des indications de même nature : fréquence des palabres et des guerres tribales dues à « la question des femmes », troubles causés par le manque d'approvisionnement ou la suppression des factoreries, impossibilité de « trouver un embryon d'organisation [14] ». Il y a, là, trois faits compétition économique, rivalité pour les femmes, manque de stabilité sociale qui doivent être envisagés ensemble. La compétition économique se manifeste essentiellement par le besoin d'acquérir des « marchandises » (bioum) qui entrent dans la composition de la dot (celles-ci sont, en quelque sorte, des « femmes virtuelles ») ; la femme, instrument de reproduction et de production, instrument d'alliance, créatrice de parenté, est à la base de l'organisation sociale. Ces liens ont été entrevus par les anciens observateurs ; ils doivent être étudiés précisément.
Remarquons, au départ, que la compétition ne s'exercé pas sur le plan des services sexuels qui sont demandés à la femme. Les jeunes gens non mariés ont, entre eux, une entière liberté sexuelle [15] ; un époux peut mettre une de ses femmes à la disposition d'a 'a ou d'étrangers ; les échanges de femmes sont possibles, comme les prêts réciproques. Ce n'est donc pas en fonction des services sexuels que la femme est estimée ; ce n'est pas essentiellement pour ceux-ci qu'elle est recherchée.
La femme est un bien ; elle est assimilée aux « marchandises » : « elle fait partie des biens (ou bioum) du groupe dans lequel le mariage la fait entrer » [16] ; l'adultère de la femme mariée « est puni sévèrement parce que considéré comme vol * (15) » ; la femme n'a pas de propriété personnelle en dehors de sa case et de ses biens, d'usage ; elle n'accède pas aux successions ; elle est héritée. Mais elle est un bien d'une nature spéciale ; elle est le bien par excellence : un « capital » créateur. Source de produits (par sa fonction agricole, d'autant plus importante maintenant que la femme participe aux cultures riches) et de services (par ses diverses fonctions domestiques). Source de puissance : par la « procréation d'enfants concourant à la défense du groupe ou procurant des alliances [17] » ; par le système d'alliance (abè) qu'elle permet. Source de parenté : elle élargit le nombre des parents, des gens avec qui l'on entretient des relations d'échange de services et de cadeaux, des gens qui peuvent accorder aide et assistance. Dans une société où l'élevage n'existe quasiment pas, où la propriété du sol lut pendant longtemps inexistante [18], où la mobilité du groupe exige la mobilité des biens... [19], la possession de nombreuses femmes devient le signe de la richesse et la condition de tout accroissement de richesse.
La circulation des femmes, d'un groupe familial à l'autre, lut extrêmement importante quant à l'organisation sociale des Fang. Elle établit des liens, des alliances entre groupes familiaux isolés ; elle permet de briser les limites des groupes familiaux et claniques. C'est particulièrement indispensable dans une société où l'unité tribale ou clanique n'existe pas localement, où les groupes sont dispersés, où aucune hiérarchie ne fonctionne au niveau de la tribu ou du clan (en dehors de certaines associations, à fonction de justice, telle celle du Ngil aujourd'hui disparue). Les premiers documents relatifs aux Fang [20] insistent sur cette utilisation des alliances par mariage pour acquérir la prééminence ou assurer la sécurité (c'était notamment un système employé par les traitants pour user des pistes de commerce, sans risque de dommages ; non seulement en pays Fang, mais au sein des tribus étrangères). La loi d'exogamie et le processus d'utilisation de la dot contribuent à la multiplication de ces liens. Le mariage est interdit non seulement dans son propre clan (qui est le clan du père dans cette société patrilinéaire), mais encore dans le clan de la mère. La dot récupérée en mariant la fille dans un clan est utilisée pour fournir, au fils, une femme d'un clan étranger. Ainsi, un groupe familial composé du père, de la mère et de deux enfants, fille et garçon, mariés, est inclus dans un système où les liens d'abè jouent entre quatre fragments claniques. Cette fonction de liaison est à la base même de l'organisation sociale ; grâce à elle, les groupes familiaux sont accrochés les uns aux autres au sein d'un réseau complexe de relations ; ils ne sont plus des unités biologiques, économiques, politiques repliées sur elles-mêmes. Ceci explique, à la fois, l'absence de liberté en matière de choix du conjoint - le groupe familial (en la personne du chef de famille) choisit l'alliance qui lui est la plus avantageuse [21] ; la violence des réactions [22] lorsqu'une -femme quitte le groupe où elle s'est mariée (par abandon ou par rapt) - c'est non seulement un préjudice matériel qui est causé mais, surtout, une rupture d'alliance (et le groupe victime de cette rupture réagit dans son ensemble).
La dot apparaît, alors, comme l'instrument permettant la circulation des femmes et la création d'alliances entre les groupes familiaux, le signe marquant l'appropriation d'une femme par un homme (et, à travers celui-ci, par un groupe familial). Jusqu'en 1918-1920, la dot est payée essentiellement en monnaie symbolique (bikki) et en « marchandises » à valeur éminente. À partir de cette date, la part du numéraire devient de plus en plus importante, la part des « marchandises »s'amoindrit jusqu'à se réduire à quelques symboles (mouton, matchette, sac de sel, pagne) et cadeaux faits aux parents de la femme. Cette transformation s'est opérée parallèlement au mouvement de diffusion du numéraire qui se fait dans les centres urbains et sur les chantiers, d'abord, les régions à cultures riches, ensuite.
La femme est (était surtout) une richesse, un instrument d'alliance, au niveau du groupe familial et non au niveau des individus. Les échanges s'effectuent de ndè bòt a ndè bòt [23]. C'est le ntôl * qui, en tant que possesseur des biens, assure la répartition des femmes à l'intérieur du groupe ; il détient les richesses mais il « donne » les femmes. Au besoin, il accroît le nombre des femmes auxquelles le groupe peut prétendre par le seul jeu des échanges : par des razzia de dots et de femmes, par des « achats [24] » de femmes au sein de peuples étrangers, par des « alliances » que des groupes plus faibles lui proposent afin d'obtenir sa protection. Le ntôl est, à la fois, « donneur de femmes [25] » et faiseur d'alliances ; c'est la raison principale de son rôle éminent au sein du groupe familial. C'est dans la mesure où il organisait la répartition des femmes, et assurait la sécurité, qu'il maintenait - et symbolisait - l'unité du ndè bòt. Et l'on comprend que la femme, qui est l'instrument de tout cet ordre, soit nécessairement soumise d'une manière inconditionnelle [26].
Ce pouvoir du ntòl, que nous venons de signaler, n'est pas sans limite. Lorsque celui-ci ne pouvait (ou ne voulait) pas donner des femmes à ses cadets, il provoquait la coupure du groupe. C'est un fait particulièrement grave : il entraîne la formation de deux groupements antinomiques ; et l'opposition entre « descendants des aînés » et « descendants des cadets » existe encore, aujourd'hui, même si la coupure remonte à quatre ou cinq générations. C'est une opposition du même ordre qui est latente entre la génération des tara (des « pères ») et la génération des mwana (des « fils ») ; elle est une réaction à l'état de dépendance où se trouve celle-ci par rapport à celle-là.
Tel est le système qui se trouva placé en situation coloniale. Une des premières conséquences de la pacification fut d'obliger le groupe à se limiter à ses seules femmes. Les apports étrangers - par razzia ou par achat, par « pression » exercée sur des peuples faibles - deviennent quasiment nuls à partir de 1910-1915. Les peuples soumis par les Fang (notamment dans le Bas-Gabon) retrouvent, grâce à l'ordre colonial, une relative indépendance et se replient dans un particularisme hostile. Cette limitation est accomplie au moment même où la compétition pour les femmes se généralise. Avec la diffusion du numéraire, la place prise par celui-ci dans la composition de la dot, la dépendance dans laquelle le ntòl tenait les gens de son groupe se relâche. Le jeune Fang peut, à lui seul, tenter de constituer une dot [27]. Le mariage tend à ne plus être une affaire réglée de groupe familial à groupe familial ; la compétition s'individualise.
Dans la mesure où le ntôl n'est plus essentiellement un « donneur de femmes », où son rôle de « faiseur d'alliances »tombe en désuétude (les groupes familiaux, même restreints, peuvent vivre isolés sans craindre pour leur sécurité) l'unité et la cohésion du groupe qu'il représente sont atteintes. Les jeunes hommes, qui se marient sans avoir recours à l'aide familiale, cherchent, dès qu'ils ont un groupe suffisamment nombreux, a acquérir une semi-autonomie ; les ndè bòt se multiplient et s'amenuisent [28]. Mais, la polygamie reste l'instrument de cette volonté d'indépendance : elle seule permet de constituer un groupe assez nombreux et d'acquérir la prééminence ; l'homme qui a un rôle dans la société Fang reste le nkumakuma, « celui qui possède » (femmes et biens). Cette course à la polygamie, généralisée et non plus réglée entre groupes familiaux, donne une particulière acuité, en plus des deux raisons déjà signalées, à la compétition pour les femmes.
De cette acuité, il faut trouver le signe dans les aménagements apportés à deux règles essentielles : celle de l'exogamie et celle de l'inceste. Nous en trouvons l'indication dans deux études rédigées à la même époque (1936) : il n'y a plus « empêchement au mariage... lorsqu'un enfant viable est issu de leurs relations sexuelles tenues cachées puis déclarées lors de la naissance du dit enfant, entre : a) cousins germains, b) cousins, c) membres d'une même tribu » ; le mariage entre parents est autorisé après levée de l'interdit [29]. Les principes stricts réglementant la circulation des femmes ne jouent quasiment plus ; non seulement la compétition se généralise, s'accentue, mais elle devient presque libre.
Nous avons l'indication de celle-ci dans les statistiques récentes. Les chiffres relevés dans un district riche (celui d'Oyem, pays à cacao) portant, pour quatre cantons, sur une population de 7.250 hommes [30] donnent les pourcentages suivants : célibataires : 41% ; hommes mariés : 59% ; et la répartition des femmes entre les hommes mariés s'établit comme suit :
1F
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2F
|
3F
|
4F
|
5F
|
6F
|
7F
|
8F
|
9F
|
10F
|
11F
|
55%
|
25%
|
10%
|
4%
|
1%
|
1%
|
moins de 1%
|
moins de 1%
|
moins de 1%
|
moins de 1%
|
moins de 1%
|
Avec ces proportions, un groupe de 100 hommes récupère environ 110 femmes ; soit un nombre à peine supérieur à celui de ses propres femmes cédées en mariage. L'importance de la compétition s'exprime par le haut pourcentage des célibataires et des monogames forcés ; la monogamie tend à se généraliser dans la mesure même où la compétition pour les femmes se généralise.
Avec l'installation, de plus en plus étendue, d'une économie mercantile, se substituant à l'ancienne économie basée sur l'échange et la réciprocité, la valeur sociale de la femme est avilie. La dot, composée essentiellement en numéraire (pour 75% de sa valeur totale), apparaît de plus en plus comme un prix ; la somme qui la compose n'est plus, souvent, conservée comme moyen d'échange, elle peut être utilisée, tout comme l'argent acquis par la culture du cacao ou le commerce. La circulation des femmes n'est plus réglée en fonction d'alliances à créer [31], mais en fonction du profit. La femme, bien rare, devient un instrument de spéculation facile. Le coût de la dot varie avec le cours des produits sur le marché local [32]. Le jeu des divorces et des remariages permet la spéculation sur la hausse du prix de la dot [33]. L'adultère, plus ou, moins consenti, plus ou moins provoqué, devient une source de profit par les indemnités (en hausse, elles aussi, puisqu'elles représentent une portion de la dot) auxquelles il donne droit. Lorsque la réglementation de l'exogamie et de l'inceste se relâche, il ne faut pas s'attendre à trouver des règles impératives en matière de divorce et d'adultère.
Dans le même temps, les possibilités d'affranchissement de la femme se multiplient. Bien rare, objet d'une compétition quasiment libre, instrument de spéculation, elle dispose, ainsi, d'un moyen de pression sur l'homme qui l'utilise (mari, amant ou père). Le rôle qu'elle prend dans une économie riche en cours de développement (celle du cacao, par exemple) agit dans le sens de son émancipation. Par ailleurs, l'action missionnaire et l'action administrative lui donnent des possibilités de libération. Celle-là, en voulant résorber la polygamie, s'est attaquée au système familial traditionnel, et les Missions ont été des lieux de refuge pour les femmes en rupture de ban [34]. Celle-ci, en protégeant la femme contre les méthodes traditionnelles de coercition (mutilation, exposition à l'arbre aux fournis, châtiments corporels, etc.), en n'ayant pas la possibilité de leur substituer une discipline réelle ; c'est dans le domaine de l'organisation et de la morale familiales que la destruction du système de contrôle social a entraîné les plus graves conséquences. Ces possibilités d'affranchissement des femmes se heurtent à l'opposition unanime des hommes (nous l'avons, déjà, signalé) ; ceux-ci se plaignent que celles-là aient « pris la mauvaise tête ». Les femmes sont rendues responsables de la dénatalité et du désordre social ; un anti-féminisme se manifeste soit directement, soit de manière symbolique (il semble bien y avoir un aspect anti-féminin dans le symbolisme du culte Bwiti).
À partir de 1918, époque de la première Commission chargée d'étudier la « désorganisation de la famille », les enquêtes administratives insistent toutes sur les mêmes points : limitation de la dot, restrictions à apporter aux divorces, sanctions limitant l'adultère (1918) ; « désintégration de la famille par la recrudescence de l'adultère et du divorce que ne sanctionnent plus les rudes châtiments de naguère » (1947). Les Fang, eux-mêmes, prennent conscience de cette crise du groupe familial, en des termes encore plus précis. Lors du Congrès Pahouin : limitation de la dot, limitation de l'indemnité d'adultère. Lors du mouvement de regroupement clanique : renforcement de l'interdit d'exogamie et de l'interdit d'inceste, limitation de l'âge du mariage, contrôle du divorce et de l'adultère, renforcement de l'autorité sur les femmes [35]. Ce sont des aspects rencontrés au cours de notre analyse.
Fragmentation et dispersion des ndè bòt qui se constituent en unités de plus en plus indépendantes, diminution de l'autorité détenue par les ntòl [36] et opposition plus marquée des générations (dans la mesure où les jeunes Fang ont acquis des possibilités d'émancipation économique ils ont acquis, en même temps, des possibilités d'émancipation sociale), compétition généralisée (et non réglée) pour, les femmes et utilisation mercantile de celles-ci, émancipation relative de la femme, malgré l'opposition des hommes, et accroissement de la tension entre les sexes, relâchement des règles organisant le groupe familial, tels sont les signes cliniques que nous avons relevés.
La dislocation du ndè bòt fait suite à un processus de désintégration qui avait atteint les groupes supérieurs. Celui-ci s'explique par la structure même de la société Fang et par l'histoire récente de cette société.
La société Fang se présente comme une série de groupes emboîtés depuis la tribu (ayõg) jusqu'au groupement le plus restreint (ndè bòt). L'appartenance à ces groupes est déterminée par la place que l'individu occupe sur la lignée paternelle (nzam bòt). Ces groupes sont d'extension de plus en plus vaste, de formation de plus en plus ancienne ; et les relations créées entre les individus qu'ils rassemblent s'expriment par une « fraternité » de moins en moins réelle, de moins en moins contraignante. La qualité de « frère » (mwanényà) au sens fort n'existe qu'entre enfants de même père et cousins (jusqu'à la troisième génération). Ceci explique qu'en règle générale les groupes se fractionnaient à la quatrième génération (le village « se cassait ») et les fragments, séparés parfois par des distances importantes, entretenaient peu de relations communes. Le ndè bòt, ou les ndè bòt voisins qui ont entre eux cette parenté efficace, sont les groupes les plus cohérents. Cependant, à l'intérieur même du ndè bòt, des tensions existent, que nous avons déjà signalées. Opposition des générations qui est, en fait, l'opposition de ceux qui possèdent (femmes, biens et rôle politique) et de ceux qui ne possèdent pas. Opposition de l'aîné (ntòl) et des cadets : celui-là symbolise l'unité du groupe familial mais tous ses « frères » se considèrent comme ses égaux [37] ; on attend de lui la juste répartition des femmes, des richesses et des tâches ; il ne dispose que d'un rôle éminent limité par les menaces de fission du groupe ou de remplacement sous prétexte de son incapacité. Opposition des femmes et des hommes : celles-ci se soumettent à leurs diverses fonctions sociales mais cherchent à libérer sur le plan des relations sentimentales [38]. Toutes ces tensions se sont actualisées à la faveur de la situation coloniale ; nous l'avons longuement montré.
Par ailleurs, la société Fang n'est pas hiérarchisée. Des rôles éminents sont concédés à certains individus : l'aîné (ntòl), le riche (nkukuma), le plus habile aux palabres (ntéhé), etc. À condition que leur puissance, leur richesse ou leur savoir soient mis au service de tous les membres du groupe qui sont leurs égaux. Toute prééminence acquise à titre purement personnel est dangereuse ; certains observateurs n'ont pas manqué de le souligner, notamment dans des études consacrées à la « mort intentionnelle [39] ». Dans l'ancienne société Fang, l'ascension individuelle (celle qui accorde « richesse, force, puissance » à titre personnel) ne peut se faire qu'en marge de la société normale, par la possession d'un « génie » particulier, l'évur, qui permet, en même temps, domination et protection. L'individu est, alors, n'nem (sorcier) en état d'agression et de défense continuelles vis-à-vis des autres membres de la société. Même à l'époque des conquêtes et des migrations récentes, les Fang ne semblent pas avoir connus de « personnalités » marquantes : « Les Fang... n'ont pas conservé le souvenir d'un ou plusieurs grands chefs ayant conduit leurs migrations. Pas davantage, de « héros », chefs de groupements plus ou moins considérables » [40]. Le récent mouvement de regroupement clanique n'apparaît pas comme l'innovation de fortes personnalités mais comme une réaction de groupe [41] ; la hiérarchie qu'il suscite est entièrement nouvelle et repose sur l'élection accomplie au moment des réunions claniques (ésulan). En fait, aucune fonction hiérarchique n'existe qui permettrait à certains individus de réduire toutes les tensions que la société Fang porte en elle-même et de maintenir la cohésion. Ceci explique la difficulté du commandement pour une administration qui n'eût pas, ici, la possibilité de récupérer des chefferies traditionnelles puissantes : nombre de rapports administratifs (et le Congrès Pahouin de 1947) insistent sur le caractère artificiel (et l'inefficacité) de ces chefferies [42].
L'histoire récente du groupe explique, aussi, la faiblesse des structures Fang. En moins d'un siècle (du début à la dernière décade du XIXe siècle) les Fang ont occupé la partie septentrionale du Gabon, selon une ligne nord-est-sud-ouest qui les conduisit du HautGabon aux comptoirs de la Côte. L. Martrou, qui étudia cette population aux environs de 1900, évoque des groupes « de vingt-cinq à deux cents hommes, qui se scindent, se rejoignent, dérivent vers l'Est ou l'Ouest... sous l'influence des nécessités alimentaires, de l'utilité commerciale ou politique » (les nécessités alimentaires n'étant pas impératives, en fait, dans ce pays forestier). Il s'agit, à cette époque, de groupes familiaux plus ou moins importants qui recherchent les points économiquement avantageux : routes et régions de traite, comptoirs commerciaux et factoreries. La conquête économique se substitue, ou s'associe, provisoirement, à la conquête guerrière.
Cette mobilité eut deux conséquences : une mauvaise fixation au sol expliquant que la communauté villageoise soit une réalité récente [43] née des exigences administratives (maintenue, maintenant par les cultures riches et le réseau routier) ; une fragmentation multiple et un enchevêtrement complexe des clans. C'est à l'extrême pointe de la poussée des Fang, dans les Districts côtiers, que la confusion est maxima : dans le seul District de Kongo, comptant environ six mille habitants, plus de cinquante clans sont représentés. À l'inverse, dans les régions proches du Cameroun (où le peuplement Fang est plus ancien, où le pays apparaît comme un carrefour de routes de migrations et de routes commerciales), il existe des « taches claniques ». L'unité clanique n'existe pas ; pas plus que la chefferie de clan. La tribu, non plus, n'a pas d'unité territoriale. La confusion est telle que les notions de clan et de tribu sont maintenant mal distinguées [44] ; les légendes tribales rédigées au moment du mouvement de regroupement sont, pour la plupart, artificielles. La dispersion n'a pas permis de maintenir, comme au Cameroun, les réunions périodiques (ésulan) ; le mouvement de regroupement s'est efforcé, dans le Haut-Gabon, de rendre vie à celles-ci. Le lien important et durable entre tes fragments claniques étrangers était celui créé par les mariages ; nous l'avons longuement montré et, aussi, comment il s'est altéré. Les rapports inter-claniques étaient surtout temporaires, et de circonstance : association, pour la razzia ou les expéditions punitives (mvélò) association pour tenir les routes commerciales (bizima de l'Okano), « tribunaux » ou « associations de justice » (tel le Ngil [45]) réglant les différends entre clans. En fait, les anciens documents et archives montrent les groupes claniques plus en relations d'hostilité et de compétition (notamment à l'époque de la traite) qu'en relations d'association. La situation coloniale a contribué au relâchement de ces rapports inter-claniques : notamment, en substituant de plus en plus la justice administrative à la justice coutumière (ce sont des agents administratifs qui siègent dans les tribunaux dits « coutumiers » et qui rendent justice pour tous les habitants d'une région administrative) ; la société du Ngil a disparu, certaines études publiées en 1935 n'en font même pas mention.
C'est à cette fragmentation des groupes, au relatif isolement dans lequel ils se trouvent, au manque de cohésion de la société Fang, que les suggestions faites au Congrès Pahouin ou que les essais de regroupement clanique ont tenté de remédier. Vœux demandant de lutter contre la fragmentation et la dispersion des villages, demandant l'élection d'un chef supérieur, symbole de l'unité Fang, lors du Congrès. Tentatives pour rassembler les clans au sein des grandes tribus (d'une manière arbitraire, parfois), vie redonnée à des valeurs anciennes (la race, le sang, la fraternité tribale, la puissance de l'époque conquérante), essais d'organisation du commandement, de la justice, du travail collectif sur une base tribale, lors du mouvement de regroupement clanique.
Ce mouvement de désintégration, d'atomisation des groupes, a son correspondant au niveau des structures religieuses. Nous ne pouvons l'évoquer que sommairement. Le culte du Bièri joua un rôle fondamental dans la vie religieuse des Fang. Il est un culte rendu aux ancêtres par l'intermédiaire de leurs crânes [46]. Il épouse la forme du groupe familial : « l'aîné » (ntòl) en est le prêtre ; par le truchement de celui-ci, la protection du Bièrit s'étend à tout le groupe. Mais il dépasse les limites du groupe familial par l'initiation qu'il impose aux jeunes hommes : celle-ci est accomplie par plusieurs chefs de familles appartenant au même clan ; il renforce les liens de parenté, plus ou moins précise, existant entre les fragments voisins du même clan. Ce culte a été atteint en même temps que les groupes qui en étaient le support ; sa destruction ayant, en contrecoup, contribué à la destruction de ceux-ci. L'action missionnaire s'est particulièrement attaquée en Bièri. Alors que le R.P. Trilles montre que ce culte est bien vivant chez les Fang de l'Ogooué, dans une étude de 1912, E. Trezenem, dans un travail daté de 1936, montre qu'il a quasiment disparu chez ces mêmes populations : « La majorité de la population l'a abandonné, à cause surtout de la chasse qui lui est faite par les missions chrétiennes ».
Ce culte a subi une double évolution. D'une part, il s'est réduit : en se conservant au sein de quelques groupes familiaux restreints, isolés au milieu d'importants fragments claniques étrangers ; en devenant, entre les mains de magiciens spécialisés, un instrument utilisé en faveur de n'importe quel consultant. D'autre part, il s'est élargi : en étant récupéré par le Bwiti [47], il s'insère dans une religion en principe ouverte à tous, sans distinction d'appartenance à un groupe familial ou à un clan. Nos informateurs les plus éclairés opposent le Bièri au Bwiti, comme un « culte privé » à un « culte public ».
La diffusion du Bwiti peut être considérée comme la première tentative de « regroupement » réalisée par les Fang. Elle vise à rétablir une cohésion, une solidarité, une pratique religieuse, que les anciens groupes, altérés, ne peuvent plus maintenir. Elle est une réaction contre la mainmise missionnaire (en s'efforçant de constituer le Bwiti en tant que grande religion capable de rivaliser avec la chrétienne) et contre les ingérences administratives (les sectateurs aspirent à un rôle politique qui échappe au contrôle de l'administration).
III. Le mouvement de l'évolution sociale
La situation coloniale a favorisé la désintégration de la société Fang traditionnelle. Mais les principes mêmes de ce processus étaient impliqués par la structure de celle-ci. Nous nous sommes efforcés de le manifester au cours de notre analyse. Au terme de cette étude, nous ne pouvons qu'évoquer sommairement les conditions créées par la situation coloniale.
La pacification qui impose une véritable conversion elle s'efforce de transformer un peuple de conquérants en un peuple d'agriculteurs stabilisés ; d'un peuple dominateur, elle fait un peuple soumis.
Les bouleversements économiques : à une économie de l'échange se substitue une économie du profit ; à une économie concrète - portant sur des biens et des personnes - fait suite [48] l'économie abstraite de la monnaie ; de plus, l'économie coloniale permet d'accéder à la propriété personnelle, surtout, elle utilise les éléments jeunes (ceux-là que le système traditionnel tient en relation de dépendance) et leur donne, du même coup, des possibilités d'émancipation.
Les atteintes au système traditionnel de « contrôle social »par le lait même de la domination coloniale. L'action missionnaire (particulièrement importante au Gabon comme au Moyen Congo) s'attaque aux croyances et pratiques religieuses, au système d'interdiction (les éki) qu'elles impliquent [49] ; l'organisation coutumière en matière de justice et de répression est bouleversée ; des chefferies composées au niveau des divisions administratives sont plaquées sur l'ancien système politique ; l'enseignement et « l'exemple blanc » diffusent un nouvel ensemble de connaissances et de nouveaux styles de vie, etc.
Mais, si la situation coloniale a provoqué (ou simplement favorisé) ce mouvement d'atomisation que nous avons manifesté, elle a, ensuite, permis le mouvement contraire, de reprise, de regroupement. Il convient, maintenant, d'évoquer les conditions, les agents, le caractère de ce mouvement de reprise.
C'est aux environs de 1920 que les réactions du groupe Fang prennent un caractère positif. Elles naissent dans le Bas-Gabon qui est, par excellence, le lieu des contacts multiples (groupes ethniques nombreux, ancienneté des installations européennes, centres urbains et exploitations). Elles sont de deux sortes : liées à une minorité d'évolués, limitées aux deux villes de Libreville, Port-Gentil, et régions avoisinantes, à caractère surtout politique, peu durables, d'une part ; touchant une masse plus nombreuse, la population des chantiers forestiers d'abord, les villages Fang du Bas-Gabon ensuite, dans une tradition proprement africaine où les aspects politique et religieux ne sont pas séparés, avec l'emprunt et la diffusion du Bwiti, d'autre part. Elles apparaissent au moment même où l'installation administrative se renforce, où l'exploitation économique s'organise et s'intensifie ; en réaction contre le « durcissement » de la situation coloniale. Elles ne sont pas uniquement le fait des Fang, mais c'est chez eux qu'elles prennent le plus d'ampleur en raison de l'importance du groupe.
L'action des évolués conduit à un début d'organisation des éléments jeunes et progressistes (section de la Ligue des Droits de l'Homme, parti Jeune Gabonais et son journal). Elle n'est pas durable : elle se heurte à l'hostilité des villageois (des vieillards, notamment : l'opposition entre les générations, que nous avons signalée, deviendra une opposition entre modernistes et traditionnalistes) et à celle de l'administration ; par ailleurs, les évolués sont liés à la situation coloniale qui leur donne une condition privilégiée (les affaires réalisées avec l'okoumé, à partir de 1925 surtout, font taire toutes les revendications). Cette même année ouvre l'époque des recrutements importants pour les chantiers (des déplacements de population mâle du Haut vers le Bas-Gabon). Et, dans les mêmes proportions, le nombre des « détribalisés », gens vivant hors de leur milieu socio-culturel, s'accroît. C'est eux qui ont éprouvé les premiers (parce que brutalement touchés) le besoin urgent de nouvelles structures sociales où s'intégrer. Ils adoptèrent la même solution que les minorités ethniques du Sud : ils empruntèrent l'association du Bwiti, mode de groupement qui conservait toute sa rigueur chez le peuple des Mitshogo (replié dans la forêt et hostile à toute évolution) où il incorpore la totalité des hommes. L'association s'est diffusée et s'est élaborée comme nous l'avons indiqué ; elle est active dans certaines parties du pays Fang ; elle a réussi à lier, dans une sorte d'organisation par « paroisse », des groupes qui vivaient repliés sur eux-mêmes.
Ce dernier après-guerre a apporté une nouvelle série de réactions ; le mouvement de regroupement clanique et l'actuel projet de regroupement des villages montrent combien celles-ci touchent la majeure partie du peuple Fang. Elles sont largement conditionnées par la politique suivie, en Afrique Équatoriale, à partir de 1940. Après la période d'effort de guerre et de contrainte, cette politique prend un aspect double, voir contradictoire : elle envisage, d'une part, un retour aux traditions, selon les principes définis par le gouverneur général Éboué (la « Commission de la Population », 1946, préconise de faire renaître « la coutume et les institutions coutumières », de revenir à « la morale ancestrale ») ; elle introduit, par ailleurs, des structures radicalement hétérogènes : représentation parlementaire, assemblées locales, organisation judiciaire imitée de celle de la France, nouvelle législation du travail. Et les réactions de la société Fang eurent, et ont, cet aspect double et contradictoire. Par rapport à la législation nouvelle qui égalise, unifie et ne tient aucun compte des diversités raciales, il y a un resserrement de groupes (qui atteint tous les éléments, évolués ou non) qui s'exprime par un certain particularisme et un retour aux cadres et valeurs spécifiquement fang [50]. Par ailleurs, cette même législation est utilisée, par les éléments les plus évolués, comme un instrument permettant de limiter les prérogatives de la puissance coloniale et d'adapter les anciennes structures sociales. C'est particulièrement net dans le cas du mouvement de regroupement clanique : la reconstitution de l'unité tribale, le renforcement des lois fondamentales (celle d'exogamie, celle de « fraternité » entre membres de la même tribu), la chefferie organisée sur une base tribale, la tentative pour reprendre en mains la juridiction coutumière en constituent l'aspect traditionnaliste ; l'essai de fédéralisme tribal (lait au Cameroun avec l'Union Tribale Ntem-Kribi), la constitution de « sociétés de travail » (qui représentent une adaptation à la nouvelle législation du travail, qui visent, selon un rapport officiel, à « substituer leur collectivité à celle du village »), la création d'associations (tel le Comité de la Jeunesse Ntoumou du Woleu-Ntem), les principes modernistes exprimés dans les « statuts » des tribus, l'attachement de principe au christianisme en manifestent l'aspect moderniste. Par cette ambivalence, le mouvement réconcilie « Vieux Fang »et « Jeunes Fang », entraîne une quasi-unanimité. Il convient de remarquer que l'initiative vient, maintenant, du pays Fang camerounais et du Haut-Gabon (Woleu-N'Tem) ; régions où la structure tribale a été la moins altérée, où une économie riche (le cacao) a, depuis plusieurs années, transformé la majorité des villages. Ces populations étaient les plus aptes à réaliser cette synthèse des deux tendances. Leur rôle est maintenant déterminant dans l'évolution de la société Fang.
Et l'on voit que, si la situation coloniale a actualisé certains des tensions et déséquilibres impliqués par la structure même de cette société, le mouvement de désintégration n'est pas indéfini. Des équilibres provisoires ont été réalisés, des adaptations profondes sont tentées, la société Fang est une société qui se reconstruit.
Brazzaville,
Institut d'Études Centrafricaines.
[1] Ce thème sera développé dans un travail de thèse relatif à : L'Évolution des structures sociales au Gabon et au Moyen Congo. Les groupes Fang (Gabon) et Ba-Kongo (Bacongo, Balali, Bassoundi du Moyen Congo) y seront particulièrement étudiés.
[2] La Section de sociologie et ethnologie, que nous dirigeons à l'Institut d'Études Centrafricaines (Brazzaville), s'est enrichie de trois nouveaux chercheurs« Ce qui nous a permis d'établir un programme de travail portant sur les deux années à venir.
[3] Nous empruntons cette expression à M. O. MANNONI qui l'utilisa dans diverses études de « psychologie coloniale ».
[4] Migrations qui sont relativement récentes. Les Fang sont dans le Haut-Gabon (région du Woleu-N'Tem) au début du XIXe siècle ; ils atteignent l'estuaire de l'Ogooué vers 1850 ; ils arrivent à l'extrême pointe de leur poussée (sur la côte, au Fernan-Vaz) en 1897.
[5] R. P. TRILLES, « Le Totémisme chez les Fan », Anthropos, t. 1, fasc. IV, 1912.
[6] Il s'agit d'une « association d'hommes », de création récente (1945). Ainsi définie par un rapport administratif : « elle tend à supprimer, ou plus exactement à fondre en une seule pratique, toutes les activités du culte animiste et peut-être même des sociétés secrètes. Aux anciens rites et aux anciens interdits se mêlent des prescriptions inspirées du Christianisme ». Elle a un aspect caractérisé de réglementation morale.
[7] Un de nos informateurs, l'abbé indigène A. WALKER, écrit : « Ils [les Fang] y ont ajouté tant de choses que le Bouiti des Fang ne ressemble en rien au Bouiti primitif des Apindji et des Mitsogo ». Quant à l'aspect matériel, faudrait-il préciser.
[8] Mitzic étant, selon l'expression des organisateurs, le « centre géographique » du pays fang (ou pahouin).
[9] « Cela arrivera un jour : un blanc et un noir seront, alors, la même chose. Nous voulons justement connaître ce miracle » : extra il, d'une légende modernisée propre à la tribu Ndong.
[10] On dit qu'il y fut fait mfulana méyôg, le « mélange des tribus ».
[11] Rapport de tournée, canton Ndou-Libi, subdivision de Sangmélima (1948).
[12] Ce qui n'empêche pas certaines d'entre elles d'avoir utilisé, dans ce dernier but, les Missions religieuses (sous le prétexte (le faire un mariage chrétien, monogame) et, maintenant, l'administration (plaintes contre les manifestations brutales de l'autorité du mari, contestation de celle-ci au nom de l'« égalité »).
[13] Un des délégués, représentant des Fang de Libreville, eut cette formule : « La femme est, pour notre famille, un bien tout comme la case ou la plantation ». Ce qui n'est pas très éloigné de la réflexion faite à sa femme par un jeune Fang de Libreville et rapportée, dans un document de 1918, par Mgr MARTROU : « Qu'as-tu à te plaindre, tu es ma bête... je t'ai payée assez cher ! »
[14] Rapports de 1901 à 1910, Archives du Gouvernement, Libreville.
[15] Cette coutume est nommée azoya-angon (azoya, fornication ; ngon, jeune fille).
[16] Cf. L. MBA, « Essai de droit coutumier pahouin », in Les Recherches congolaises, 25, 1938.
* Cette coutume est nommée azoya-angon (azoya, fornication ; ngon, jeune fille).
[18] C'est le développement des cultures riches, notamment du cacao au Woleu-N'Tem, qui a rendu nécessaire une appropriation précise.
[19] Des déplacements, même importants, sont relativement récents. Le R.P. TRILLES (op. cit.) donne l'exemple d'un village qui avec son chef (vivant en 1910) avait accompli un déplacement de 500 kilomètres pour arriver aux abords de Libreville. Quant à l'administration, elle se plaignit, pendant très longtemps, de « la manie ambulatoire » du Fang.
[20] Cf. Du CHAILLU, Voyages et aventures dans l'Afrique Équaloriale (1856-1859).
[21] Cf. L. MBA, op. cit. : « L'avis des parties intéressées importait peu, autrefois. La demande est adressée de chef de famille à chef de famille. »
[22] « Très souvent, la femme abandonne son mari pour retourner dans le village de ses parents ou pour suivre un homme de son choix... De là, des conflits qui durent des années, qui se traduisent par des enlèvements de femmes et se terminent par des coups de fusils. » Archives de 1909.
[23] Le Ndè-bòt, groupe patri-local au niveau du village, est un groupement fondamental. Se trouvent placés sous l'autorité de l'aîné (ntòl) : la descendance de celui-ci, ses frères cadets et leur descendance, quelquefois la descendance de ses oncles paternels, des individus qui lui sont attachés par des liens de parenté, d'adoption ou d'amitié. Le ndè bòt apparaît comme une unité familiale, une unité politique, une unité économique.
[24] Cf. Archives de 1905 : « Les Pahouins achètent aussi des esclaves, mais c'est alors une adoption... l'individu fait partie du village au même titre que les autres habitants. Ces achats se pratiquent généralement pour les femmes. »
[25] L'expression est de M. Claude LÉVI-STRAUSS dans son étude consacrée aux Les Structures élémentaires de la parenté.
[26] « Je ne suis rien devant un homme ; je suis aussi stupide qu'une poule », dit un proverbe des Fang du Nord.
[27] Cf. Procès-verbal de la Commission de 1918, relative à l'étude du mariage chez les Fang : « ... Cette solution (le paiement de la dot en argent) permettra aux jeunes gens, grâce à leur travail, de trouver aisément à se marier alors qu'actuellement l'on peut dire que les femmes sont monopolisées par les vieillards, possesseurs des marchandises d'échange... », et, Léon MBA, op. cit. : « La dot en argent a permis aux jeunes Pahouins de se marier rapidement par le fruit de leur labeur dans les centres urbains ou dans les entreprises industrielles. »
[28] Dans le sens de la fragmentation va, également, l'action missionnaire qui tend à constituer des familles restreintes, le couple et ses enfants.
[29] L. MBA, op. cit. ; Ed. TRÉZENEM, « Notes ethnographiques sur les tribus Fan du Moyen-Ogooué (Gabon) », in Journal Soc. des Africanistes, t. VI, fasc. I, 1936.
[30] Les documents administratifs comptent comme « hommes » tous les jeunes gens âgés de plus de dix-huit ans.
[31] À tel point que le gendre cherche souvent surtout s'il a quelque aisance, à échapper à sa belle-famille, pour échapper aux continuelles demandes de « cadeaux » ; c'est une raison, assez fréquente, d'exode vers les centres urbains.
[32] Dans les régions à cacao (Woleu-N'Tem et Sud-Cameroun) le mouvement des dots est parallèle au mouvement des tractations réalisées avec ce produit.
[33] En réaction entre cet état de choses, lors d'une réunion de la tribu Yémisèm, en 1948, le vœu suivant fut émis : « L'homme ou la femme Yémisèm-Eba ayant divorcé deux fois de suite, à ses torts, ne peut plus se remarier ».
[34] Des allusions à cette action (et des plaintes contre cette méthode) existent dans les rapports administratifs.
[35] À l'occasion de certaines réunions claniques, des femmes, dont l'inconduite était notoire, furent châtiées publiquement.
[36] Ce qu'avait souhaité l'administration : « ... Le paiement de la dot, en argent, permettra aux jeunes gens de se marier plus facilement et aura l'avantage de miner l'autorité que (les vieillards) tiennent de leur richesse relative » (Commission de 1918) sans avoir prévu les graves conséquences de cette destruction de l'autorité traditionnelle.
[37] Cf. M. BERTAUT, Le Droit coutumier des Boutou, 1935 : « Il (le chef de ndè bòt) est le premier parmi tous les autres : mais tous se considèrent comme ses égaux ».
[38] Cf. L. MBA, op. cit. : « La femme pahouine n'hésite pas à partir avec un amant. Mariée souvent contre son gré, elle se venge de cet état de choses par une très grande infidélité. » Et note 22, page 59.
[39] Citons : « L'indigène craint tout de tout le monde ; il redoute surtout d'exciter la jalousie... La conséquence de ce sentiment (la jalousie) c'est, à ce que l'on croit souvent avec raison, la mort de celui qui l'excite... », in LE TESTU, « Le N'Gwéna », Bul. Soc. Rech. cong., XII, 1930. Et : « Bien des chefs sont morts sans s'y attendre. Bien des jalousés n'ont pas fait de vieux os. Ce doit être assez commun puisqu'il y a des proverbes qui le disent », M. BRIAULT, Sur les pistes de l'A.E.F., 1948.
[40] Procès-verbal de la Commission de l'Enquête historique, Libreville, 1949.
[41] Alors qu'au Moyen Congo, dans le groupe Ba-Kongo, autrefois bien hiérarchisé et organisé en province dépendant du souverain de San-Salvador, les manifestations politiques, ou politico-religieuses, récentes sont nées d'initiatives individuelles ; et tirent leur nom du nom de leur fondateur.
[42] « Les chefs, en raison de leur origine, n'ont en général guère d'autorité sur leurs gens... Ils ont été créés par l'administration et cela nuit beaucoup à leur prestige », Rap. politique, Woleu-N'Tem, 1937.
[43] Cf. M. BERTAUT, op. cit. : « Le village, groupant plusieurs familles, sous l'autorité de leurs chefs, a pris une vie propre. Aucun lien n'existe entre les familles que celui que crée la nécessité. »
[44] Un groupe est compté comme « tribu » dans le Haut-Gabon, comme « clan » dans les districts côtiers. Une tribu -Yémisèm - particulièrement active au moment du mouvement de regroupement clanique, est présentée par les Fang du Sud comme une « invention » des Fang du Woleu-N'Tem.
[45] Il semble bien que le Ngil soit « une compagnie de francs-juges destinée à la recherche et au châtiment des criminels » ; « les épigones du Ngil circulaient, sans craindre le moindre attentat, au travers des tribus » qui étaient « en vendetta ouverte », L.C. LEROUX, « Le Ngil », in Bulletin Soc. Rech. congolaises, 1925 (présentant des faits de 1908-1909).
[46] R.P. TRILLES, op. cit. : « ... Le fils aîné conserve le crâne de son père, de son aïeul, et ainsi de suite de fils aîné en fils aîné. »
[47] La récupération est telle que certains observateurs confondent les deux cultes. Cf. M. BRIAULT, op. cit. : « ... Je tombai à l'improviste sur une initiation au culte du Bièri, le Bwiti que les Pahouins ont emprunté aux races du Sud. »
[48] Non sans peine. Il fallut une pression administrative pour faire accepter le numéraire. D'autant plus que les Compagnies commerciales trouvaient profit aux paiements-marchandises.
[49] Tout un passage de l'ouvrage du R.P. BRIAULT, déjà cité, est consacré à la description d'une « levée d'éki » faite par un missionnaire.
[50] Dans une tout autre région du Gabon, la Ngounié, qui est une mosaïque de peuples, le Rapport politique de 1949 note « une renaissance du racisme local ».
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