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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

POUVOIR DES VIVANTS. LANGAGE DES MORTS. IDÉO-LOGIQUES SAKALAVA. (1977)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-François BARÉ, POUVOIR DES VIVANTS. LANGAGE DES MORTS. IDÉO-LOGIQUES SAKALAVA. Paris: Les Éditions François Maspero, 1977, 144 pp. Collection: Dossiers africains. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 juillet 2012 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[5]

Avant-propos


Comme le système politique qui constitue son objet, ce livre est le produit d'une somme de contraintes : écrit dans le cadre du Musée de l'Université de Madagascar pendant l'année 1973, à la suite d'une enquête de terrain menée en 1971 et 1972, il ne s'appuie sur des faits sociaux observés dans le Nord-Ouest malgache que pour tenter d'en décrire les conditions minimales d'existence. Le lecteur souhaitant confronter les raisonnements exposés ci-dessous à ces faits, qui en constituent le soubassement, devra donc se reporter à deux ouvrages faisant la plus large part aux matériaux empiriques et menés quasiment de front pendant cette même année 1973 [1].

Au lieu de s'immerger dans les faits, on a donc tenté ici, par une méthode réductrice, de se libérer de ceux qui n'étaient pas absolument nécessaires pour rendre compte des traits premiers ou, pour parler comme Hegel, du « contrat » implicite à un système politique qui, pour être marginal par rapport à l'actuel pouvoir de l'État Malgache, se fondait cependant sur des principes idéels profonds, explicites ou inconscients, réalisés diversement dans l'ensemble de la Grande Île.

[6]

L’un de ces principes profonds pourrait peut-être se formuler : transformer l'histoire en présent. Comment ? A l'intérieur de la petite monarchie dont il sera question ici, des morts ne cessent de parler : ou plutôt ces étonnantes personnalités sakalava, les possédés royaux (saha) qui représentent tous les rois morts depuis la fondation des dynasties de l'Ouest. C'est la place prise par leurs paroles qu'on tente de restituer ici - comment peuvent-ils être à la fois contemporains et passés, vivants et morts ? Interrogation si profonde qu'on pourrait être tenté de l'étendre à l'ensemble des faits malgaches les plus actuels ; interrogation identique à celle récemment décelée par P. Ottino dans l'analyse d'un mythe fondateur du pouvoir de type malgache, le fameux conte d'Ibonia. L'attention s'est donc portée quasi exclusivement sur les contraintes organisationnelles produites par des idées et des représentations. Cette préoccupation a inévitablement conduit à reléguer au second plan ce que L. Dumont a nommé, à propos de la hiérarchie indienne, la « composante résiduelle », c'est-à-dire les aspects organisationnels ressortant sans contacts de l'ordre de la production et de la reproduction de la base matérielle des sociétés, sans être affectés par les conceptions locales relatives à l'organisation sociale. Ce choix a tenu à la nature et à la situation historique de la monarchie Bemihisatra du Nord malgache. En possession d'un plus grand nombre de documents anciens, il aurait été en effet assez aisé de reconstituer le fonctionnement d'une hiérarchie qui, jusque dans les années 1830, agissait comme un instrument de contrôle territorial et foncier au profit d'un ordre noble dominant, ainsi que le montre un texte du capitaine de vaisseau Guillain, remarquable observateur des royaumes sakalava de l'Ouest malgache dans les années 1840-1850 [2]. Ceci n'était pas le cas des organisations monarchiques renouvelées par le contact avec l'État colonial français, depuis 1840 et surtout depuis l'annexion définitive de 1896. L'efficacité matérielle de la hiérarchie politique en tant que telle s'est alors brisée : au lieu que se dessinent le long d'elle des réseaux de production et de redistribution, l'ordre noble s'est progressivement séparé économiquement de l'ordre roturier, et est devenu une sorte de groupe privé, agissant pour ses intérêts propres ; même si en 1922 les procès-verbaux de bornage de la préfecture de Diégo-Suarez mentionnent sur les terres royales l'existence de métayers, qui existent d'ailleurs toujours, la relation économique ainsi posée entre [7] roturiers et nobles pouvait être considérée comme équivalente à n’importe quelle relation de métayage, à ceci près que les nobles rétribuaient moins bien, semble-t-il, leurs travailleurs que les capitalistes français. Les seuls flux économiques qu'on peut considérer soutenir la hiérarchie sont d'ordre cérémoniel, c'est-à-dire qu'ils ne sont quasiment jamais réintroduits dans l'ordre économique actuel. Cette situation fournissait ainsi une sorte d'épure d'une organisation fondée par les déterminations de l'histoire sur la seule conscience d'un ordre inter-individuel, c'est-à-dire sur des schémas idéaux.

Le texte suivant tente ainsi de répondre à deux questions. Comment la hiérarchie sociale déterminée par l'ordre monarchique se conserve-t-elle ? Comment est-elle liée à un appareil et une hiérarchie politiques ? C'est dire qu'il ne met pas en question la « détermination en dernière instance » par la base matérielle des sociétés [3] ; il se contente de rappeler que sans la prise en compte des projets des acteurs et de ce qui, dans leur conscience, les conduit à obéir, à accepter ou à refuser, à participer à des rituels, à prendre telle option plutôt que telle autre, la notion même de « détermination en dernière instance » est « vide, abstraite, absurde » ; car elle conduit à réduire la diversité des conceptions culturelles relatives au problème de la reproduction sociale à une sorte d'unité monotone éliminant à bon compte ce qui forme la réalité quotidienne de la vie sociale des organisations humaines ; et de ce fait, contraint l'anthropologie à une sorte de vertige toujours plus éloigne, dans sa spirale continue, des sociétés dont elle entend rendre compte pour la confiner à un dialogue entre une centaine d'universitaires et de chercheurs qui se parlent entre eux.

Le caractère central, premier, des idées ou conceptions locales relatives à la hiérarchie et au pouvoir à Madagascar m'a été révélé progressivement par P. Ottino au cours de notre travail commun à l’Université de Madagascar entre 1971 et 1973 ; de même que la richesse des faits et bien d'autres choses encore que ne sauraient épuiser des remerciements académiques ; et je dois à M. Augé, par ses commentaires, de m'avoir appuyé dans cette voie, jalonnée par son livre récent [4] qui me paraît marquer la date d'une sorte de révolution copernicienne en anthropologie. Après Théorie des pouvoirs et idéologie, il sera désormais difficile, en effet, de parler d'un domaine [8] des représentations confiné par le langage de bois des « matérialistes vulgaires » au dernier étage des « superstructures ». Toute relation entre des faits est aussi relation entre des représentations ; tout acte, tout praxis est au moins un peu déterminée fût-ce à tort, faussement, par des visées, des choix, des représentations, et toute pensée - faut-il rappeler ici les cosmologies africaines ? - porte en elle une pratique et une réalisation.

On tente de la même manière de montrer ici qu'il est impossible d'isoler une sorte de niveau premier, « objectif », du système socioculturel sakalava du Nord - par exemple « la parenté », « l'économie » - qui fonderait et déterminerait le reste de l’intérieur de sa boîte de Pandore.

Si les Sakalava sont hiérarchisés, c'est du fait de leurs propres conceptions du statut, conceptions qui reposent à leur tour sur une sorte de contrat premier assurant la légitimité monarchique. Entre l'ordre politique - commander, obéir, donner, refuser - et l'ordre social - à qui et à combien de gens donner du pouvoir, distribuer des biens, quels sont les groupes réels - c'est une cohérence d'ordre intellectuel, pensée, qui est un jeu.

LÉGENDE DES FIGURES

Dans les schémas généalogiques, les noms en majuscules correspondent aux hommes, les noms en minuscules aux femmes. Les adoptions sont notées par des flèches dans le sens « adopté » ➞ « adopteur » ; les groupes de frères et sœurs germains sont réunis par un trait horizontal au-dessus des noms, les époux par un trait situé en dessous, rompu par une petite barre verticale dans les cas de séparation.

Les traits verticaux notent la descendance.

Les contours fermés, dont la surface est parfois rayée obliquement, indiquent selon les cas les groupements de co-résidents ou les maisonnées.



[1] Conflits et résolution des conflits dans les monarchies sakalava du Nord actuelles. Publication provisoire, Musée de l'Université de Madagascar, « Travaux et Documents », vol. XII, 1973, et Permanence et évolution d'une monarchie du Nord-Ouest Malgache. Thèse de 3e cycle, Université de Paris V, 1975 (à paraître).

[2] Ce texte trop long pour être ici cité peut être consulté aux Archives nationales, section Outre-Mer, à Paris (cote MAD 17 32).

[3] Voir la lettre d'Engels de 1890 citée par M. GODELIER dans Horizon - Trajets marxistes en anthropologie, François Maspero, Paris, 1972.

[4] M. AUGÉ, Théorie des pouvoirs et idéologie. Étude de cas en Basse-Côte d’Ivoire, Hermann, Paris, 1975.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 9 février 2015 9:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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