Roger BASTIDE [1898-1974]
sociologue et anthropologue français,
spécialiste de sociologie et de la littérature brésilienne.
“Les relations raciales
en Amérique anglo-saxonne
et en Amérique latine.”
Un article publié dans la revue Académie des sciences d’Outre-mer, vol. 33, no 2, 1973, pp. 215-229.
Il est d'usage d'opposer, dans le domaine des relations entre Nègres et Blancs, la situation des États-Unis, qui serait caractérisée par la ségrégation et la discrimination, de celle de l'Amérique latine, qui serait caractérisée au contraire par la "démocratie raciale". Et, dans une certaine mesure, cette opposition est bien réelle ; mais elle ne constitue qu'une image superficielle des réalités sociologiques qui sont sous-jacentes à cette opposition et qui n'ont, dans un cas comme dans l'autre, qu'une seule et même fonction : assurer la suprématie des Blancs. C'est à l'étude de ces mécanismes, de distribution asymétrique du pouvoir, que nous voudrions consacrer cette conférence.
Mais il nous faut partir d'abord de l'opposition. Sans tenir compte de l'histoire. En ramenant les distinctions de situations nord et sud-américaines à des "images idéales" ou "types wébériens". On l'a bien souvent signalé : le régime nord-américain est un régime de castes, le régime sud-américain est un régime de classes sociales multi-raciales. Le terme de caste pour désigner le régime nord-américain a été bien souvent critiqué, entre autres en France par M. Dumont ; critique pertinente, car dans son véritable sens, le terme de caste ne vaut que pour l'Inde. Mais le mot est devenu si habituel sous la plume des sociologues anglo-saxons qu'il serait dommage de ne pas l'employer, il rend en effet parfaitement compte de l'originalité du racisme anglo-saxon. Les Blancs et les Noirs constituent, dans un système de castes, deux populations qui coexistent l'une à côté de l'autre, dont les lois ou tout au moins les mœurs désapprouvent le mélange, qui forment donc, idéalement parlant, deux groupes endogames ; chacun de ces groupes étant divisé à son tour en trois classes, haute, moyenne et basse, étant bien entendu qu'il y a tout de même un décalage dans le niveau de vie, entre ces deux stratifications internes, la classe haute noire correspondant à la classe moyenne (haute) des Blancs et la classe basse noire se situant en dessous de la classe basse blanche. En Amérique latine, il n'y a pas de castes, la miscégénation est possible, bien qu'elle se fasse en général en dehors du sacrement du mariage ; c'est donc la société globale, toutes races réunies, qui est, elle, divisée en classes, et alors les races se stratifient selon cette hiérarchie de la société globale, la classe haute ne comprend à peu près que des Blancs, les Mulâtres dominant dans la classe moyenne, et les Noirs foncés dans la classe basse. Un proverbe, que l'on trouve aussi bien dans les Caraïbes qu'au Brésil, définit cette situation c'est-à-dire la réduction des exceptions possibles à notre image idéale : "Un Nègre riche est blanc, un Blanc pauvre est nègre".
Mais nous voyons de suite ce qu'il y a tout de même de commun dans ces deux structures antithétiques, les relations entre Noirs et Blancs étant toujours, dans un système de classe comme dans un système de castes, des relations de subordination et de superordination d'un groupe par rapport aux autres.
Van den Berghe a amélioré ces types wébériens en distinguant, quant à lui, un type de relations concurrentiel et un type de relations paternaliste. Le premier dominant dans les sociétés urbaines et industrialisées à changements technologiques rapides et mobilité horizontale développée ; le second dans les sociétés agricoles ou pastorales à changements lents et traditions enracinées.
Type concurrentiel ou anglo-saxon :
- 1° La compétition pour le travail entre les races est d'autant plus forte qu'il n'y a pas, ou qu'il n'y a plus, comme à l'époque de l'esclavage, une division rigide du travail entre elles ;
- 2° La miscégénation est sévèrement condamnée ;
- 3° Les préjugés sont liés au complexe : frustration sexuelle-agression. L'agression venant des Blancs, et se manifestant aussi bien par des reproches d'immoralité adressés aux Noirs que par des comportements sadiques, comme le lynchage ;
- 4° La discrimination, même là où il existe une législation raciale de fait, se fonde sur des motifs non raciaux (car les motifs raciaux se trouveraient en contradiction avec les idéaux démocratiques nord-américains) ; le Noir est barré parce que économiquement marginal, culturellement analphabète, toujours porteur des stigmates de la barbarie africaine ou de l'esclavage ;
- 5° La haine domine entre les groupes concernés et se manifeste périodiquement par des cycles de violence, révoltes des ghettos noirs ou violences concertées des Blancs contre les Noirs, qui se déchaînent) partir d'événements pourtant peu importants, comme l'arrestation d'un voleur noir, voire même d'une simple rumeur sans fondement (un Nègre a violé une fille blanche).
Type paternaliste ou latino-américain :
- 1° Il n'existe pas de compétition entre Blancs et Noirs pour le travail, puisque les occupations sont déterminées par la ligne de couleur, que les positions supérieures sont réservées aux Blancs, les inférieures aux Noirs. Alors que le Noir est dangereux dans une situation concurrentielle, d'où la violence des réactions dont nous avons parlé pour l'empêcher de prendre la place des Blancs, ici, au contraire, le Noir n'est pas dangereux, car incapable de concurrencer le Blanc sur le marché du travail. Nous dirions que le Noir, loin d'être "concurrentiel" est "complémentaire" du Blanc ; il fait ce que le Blanc ne peut ou ne veut pas faire, et ce qu'il faut cependant que quelqu'un fasse pour le bien de la communauté. Dès lors le terrorisme blanc n'aura pas à s'exercer, les relations entre les groupes pourront prendre un caractère plus affectif, d'où le terme de "démocratie raciale" attribué à de pareilles situations ;
- 2° La miscégénation entre membres masculins du groupe supérieur et membres féminins du groupe inférieur est tolérée ; certes le mariage est rare, mais le concubinage est en quelque sorte institutionnalisé : la femme blanche pour faire des enfants, la femme de couleur pour faire l'amour ;
- 3° C'est ce qui explique que le préjugé change ici de nature. Aux États-Unis, il est "racial" ou encore mieux "généalogique" ; il suffit d'avoir parmi ses ancêtres un Noir ou une Noire pour - même si vous avez le teint clair - être barré de certains emplois, de certains lieux de divertissements, etc. En Amérique latine, il est "esthétique" ou, si l'on préfère, "de couleur" ; il est d'autant plus fort que l'on a la peau foncée, les cheveux crépus, le nez épaté ; d'autant plus faible que l'on a le teint plus clair, les cheveux plus lisses, le nez plus aquilin ;
- 4° Les Noirs acceptent leur statut d'infériorité, qu'ils attribuent à leur instruction inférieure, leur éducation, et ils intériorisent en eux les idéaux, valeurs, normes de conduite des Blancs ; loin de se révolter, ils sont "châtrés" par le paternalisme des Blancs ; ce paternalisme peut prendre une forme institutionnelle, celle du "parrainage" catholique ; le Noir cherche comme parrain de ses enfants un Blanc qui, désormais, sera uni affectivement avec lui, qui aidera l'enfant à aller à l'école, s'il se montre intelligent, qui aidera sa femme à trouver une place à l'hôpital si elle est malade, ou qui le fera sortir de prison s'il a commis quelque bêtise ; en retour, il travaille gratuitement, lui ou sa femme, pour le parrain ; il le soutiendra électoralement, il deviendra son "tueur" professionnel si ce dernier a quelque ennemi... Ainsi le Noir se trouve toujours dans un état de dépendance vis-à-vis des Blancs et les Blancs traitent les Noirs non comme des adversaires, mais comme de grands enfants, dont ils attendent des comportements seulement de docilité, d'obéissance, de respect et d'irresponsabilité. La complémentarité de ces attitudes respectives crée ce que Van den Berghe appelle "une symbiose relativement pacifique" des deux races. Et en effet les progroms, les lynchages, les riots sont inconnus et il n'existe pas non plus de révoltes nègres, même pas des mouvements messianiques nègres, ou un "nationalisme" afro-américain ;
- 5° Le contrôle social des Blancs sur les Noirs prend une forme rituelle spéciale qui est celle de "l'étiquette", qui maintient les distances, mais rend la coopération possible en établissant un ordre de préséance, qu'il faut scrupuleusement respecter. Myrdal, dans son livre classique sur le Dilemme Américain, dit de l'étiquette qu'elle permet d'unir l'intimité des contacts avec l'inégalité de statuts. Au contraire dans le régime concurrentiel, l'étiquette est remplacée par la duplication des fonctions, comme stratégie du contrôle social. C'est-à-dire que l'on établira, en place des relations ritualisées entre les deux groupes, qui permet leur coopération dans l'asymétrie, des services séparés : un double système d'écoles, un double système d'hôpitaux. Un double système de parcs, etc.. pour que les races ne se rencontrent point et ne puissent ainsi entrer en conflit.
Certes, ces deux types sont les images idéales au sens wébérien du terme c'est-à-dire que dans le concret, aucun n'est entièrement réalisé. Certes aussi, des auditeurs peut être nous reprocheront-ils de privilégier le facteur économique, la société agricole d'un côté, la société fortement urbanisée et industrialisée de l'autre, aux dépens d'autres facteurs, comme le facteur religieux : protestantisme aux États-Unis, catholicisme en Amérique latine ; il faut ajouter : un catholicisme qui s'est peu à peu déseuropéanisé, déromanisé, pour se tropicaliser, s'américaniser dans le Nouveau Monde. Je ne nie pas l'influence de ces facteurs idéologiques ; mais je dois faire remarquer : 1° que j'ai présenté des modèles structurels, non procédé à une analyse génétique ; 2° que si j'avais procédé à une analyse génétique, j'aurai été amené à montrer que le facteur religieux n'agit jamais qu'à travers le cadre structurel, qui en canalise et oriente la dynamique propre.
Seulement, je suis resté jusqu'ici - puisqu'il s'agit de "modèles" - dans le pur syncrétisme. Or cette opposition, dont il nous faut bien partir si nous voulons comprendre ce qui se passe dans le domaine des relations raciales, va prendre un sens nouveau si nous substituons le point de vue diachronique au point de vue synchronique.
En effet, si les préjugés aux États-Unis sont bien des préjugés généalogiques, il n'en reste pas moins que les Mulâtres ont plus de facilité à monter dans la société que les Noirs - que le processus des mariages se fait, ou se faisait jusqu'à ces dernières années, tout comme en Amérique latine, selon la formule homme foncé, mais jouissant d'un revenu ou d'un statut relativement élevé avec une femme pauvre, mais claire, de façon à "éclaircir" le teint de ses enfants, à naître - qu'il a même existé des espèces d'agences matrimoniales, doublées - dit-on - d'un laboratoire génétique pour fournir à des médecins, des avocats, des professeurs, des mulâtresses quasi aryennes - que les psychiatres ont mis en lumière le drame des familles dans lesquelles il y a des enfants plus foncés, qui sont rejetés par la mère, et des enfants plus clairs, qui reçoivent au contraire toute leur affection. C'est dire qu'il existe, à l'intérieur du type concurrentiel, des survivances du type paternaliste. C'est qu'en effet la miscégénation, si elle est condamnée aujourd'hui, a existé dans le sud des États-Unis pendant toute la période esclavagiste. Si nous lisons les récits des voyageurs, nous voyons que le concubinage du Maître avec ses plus jolies esclaves était institutionnalisé, que les rapports entre les Blancs et leurs domestiques de maison étaient des rapports d'intimité et d'affection (en particulier ceux avec la nourrice noire, avec la cuisinière, avec la femme de chambre, confidente des amours de ses jeunes maîtresses), que le contrôle social reposait sur l'étiquette, sur la complémentarité des rôles, sur l'aide donnée généreusement par le Blanc, le respect et l'obéissance attendus de l'homme de couleur. Bref, le Sud des États-Unis a connu hier un climat très proche de celui de l'Amérique latine d'aujourd'hui.
Les historiens ont montré comment et pourquoi ce climat s'est dégradé après la guerre civile. Les faits sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'insister. Pour les résumer en quelques mots, nous dirons que le Nord industriel a voulu imposer au Sud agricole un régime concurrentiel, car le seul adapté à la démocratie libérale et au capitalisme qui la sous-tend. Dès lors le Noir, qui pouvait faire partie de la famille étendue, qui pouvait être aimé, tant qu'il restait à sa place, c'est-à-dire à l'échelon le plus bas de la société globale, devenait un concurrent sur le marché du travail (pour les pauvres Blancs), sur le terrain politique (à travers la redistribution du pouvoir, autrefois entièrement aux mains des Blancs), enfin sur le terrain économique (à travers une promotion possible du Noir passant par l'école et l'apprentissage technique, tandis que les grands planteurs noirs se voyaient ruinés par la guerre et obligés de vendre leurs terres). Puisque donc le paternalisme cédait la place à la lutte des couleurs, il ne restait plus aux Blancs qu'à s'adapter à la nouvelle situation, en inventant une nouvelle stratégie pour remettre les Noirs à leurs anciennes places, c'est-à-dire pour continuer à les maintenir au bas de l'échelle sociale en freinant leur éventuelle ascension. De là les lois contre la miscégénation (alors qu'elle était courante avant), les lois de ségrégation (alors que le Noir pouvait entrer autrefois dans la famille étendue), le développement d'une idéologie raciste (ne craignant pas de s'extérioriser jusque dans une politique de terreur organisée). Nous retrouvons là le complexe frustration-agression que j'ai signalé un peu plus haut. Le racisme ne se comprend que si on l'éclairé sociologiquement ; or sociologiquement, il est - du moins à ce moment de l'histoire - fonctionnel, puisqu'il assure le maintien de la hiérarchie sociale, que les troupes du Nord voulaient briser, ainsi que la solidarité du groupe blanc autour de ses valeurs occidentales contre un syncrétisme possible avec les valeurs, nous ne dirons pas africaines puisque l'africanité est morte, mais avec les valeurs propres de la basse classe noire, c'est-à-dire avec ce que j'aimerais appeler "la négritude".
Or ces phénomènes qui se sont passés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle sont entrain de se réaliser aujourd'hui en Amérique latine, avec l'urbanisation sans doute, mais plus encore l'industrialisation. Lorsqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'UNESCO entreprit toute une série d'enquêtes au Brésil sur les relations entre Nègres et Blancs, les rapports élaborés par les différents chercheurs appelés par l'UNESCO à enquêter dans les diverses régions du Brésil durent sembler contradictoires, suivant que les chercheurs, comme Wagley, avaient travaillé dans des zones rurales et sous-développées, ou, comme Florestan Fernandes et moi-même, dans une grande métropole, la ville la plus industrialisée de toute l'Amérique latine, Sâo Paulo. La capitale Rio de Janeiro, étudiée par Costa Pinto, présentant une situation intermédiaire entre le type paternaliste et le type concurrentiel.
Le début de l'industrialisation à Sâo Paulo coïncide avec la suppression du travail servile. Et dans une certaine mesure les deux phénomènes sont liés, car l'esclavage coûtait cher, très cher, et le capital investi dans l'achat des hommes devenait désormais libre pour s'investir dans les entreprises industrielles. Théoriquement, ces entreprises auraient pu absorber la main-d'œuvre noire libérée et jetée brutalement sur le marché du travail, et cela d'autant plus que 1° les ex-esclaves, ne voulant pas rester sur les plantations de café qui leur évoquaient trop de douloureux souvenirs, affluaient en masse à São Paulo, et que 2° le capitalisme, qui n'a qu'une seule loi, celle du profit, est antiraciste par définition : il choisit des ouvriers non d'après la couleur de la peau (car c'est un critère non économique) mais d'après leurs capacités au travail et leur acceptation de salaires inférieurs. Seulement, c'est l'époque de la grande migration des Européens, Italiens, Allemands, Espagnols surtout, en Amérique latine et le Noir ne pouvait les concurrencer, car l'esclavage ne lui avait donné aucune qualification professionnelle, tandis que les migrants étaient déjà habitués au système industriel. Aussi sera-t-il vaincu sur le marché du travail et - alors qu'esclave, il était intégré tout de même à la société et protégé à l'intérieur de la famille étendue - il va se voir "marginalisé". Seules les femmes de couleur pourront s'insérer dans la nouvelle société de classes, comme domestiques, cuisinières, laveuses ou repasseuses ; les hommes ne pourront que vivre à leurs crochets, ou chaparder, voire voler, mendier, se "clochardiser". De là les stéréotypes qui encore aujourd'hui ont cours au Brésil du Nègre voleur, ivrogne, paresseux, vagabond, et qui remplaceront désormais les anciens stéréotypes sur l'esclavage, parfois péjoratifs certes, mais aussi souvent élogieux (avec tout le cycle du père Jean ou du "bon Nègre").
Mais la situation a évolué par la suite, d'abord avec l'intensification de l'urbanisation, qui ouvrait tout de même aux ouvriers noirs non qualifiés l'industrie du bâtiment, ensuite avec la seconde grande poussée de l'industrialisation, qui est contemporaine de la seconde guerre mondiale (le Brésil était obligé de créer des usines pour les produits de consommation que l'Europe ne pouvait plus lui exporter) et qui est allée de pair avec l'arrêt des migrations européennes ; la concurrence Blancs-Noirs se ralentissait ainsi au moment où le besoin de main-d'œuvre grandissait. Le Noir sort alors de sa position marginale, il peut s'intégrer désormais à la société de classes, comme prolétaire. Ne nous y trompons pas ; il s'agit là d'une promotion dont on ne peut sous-estimer l'importance et qu'une phrase d'un de mes amis de couleur souligne bien : « Autrefois, nous ne pouvions boire que de la pinga (eau de vie de canne bon marché), maintenant nous pouvons boire de la bière ». Cette intégration est loin encore d'être complète : « Les Blancs qui concourent avec 86% de la population fournissent 84% des employés et 92% des employeurs... Le Nègre et le Mulâtre qui à eux deux forment les 11% de la population concourent avec 15% des employés et seulement 2,5% des employeurs » [1]. Encore ne s'agit-il ici que de la population active, régulièrement employée. Ce qui définit la situation de la majorité des Noirs, c'est sinon le chômage complet, du moins ce que l'on appelle le demi-chômage.
Ainsi l'Amérique latine est en train de passer du type paternaliste au type concurrentiel dans ses secteurs les plus progressistes avec tous les caractères que nous avons donnés de ce type concurrentiel : développement des stéréotypes négatifs et des préjugés de couleur pour barrer la route à la mobilité ascendante du Noir, développement de la ségrégation (bien que celle-ci, pour ne pas tenir l'image de la démocratie raciale que l'on veut se donner pour avoir bonne conscience, prenne en Amérique latine des formes plus hypocrites qu'aux États-Unis et restent dans le domaine des mœurs sans pouvoir s'institutionnaliser), tendance à la diminution du processus de miscégénation et à l'enkystement des Noirs par endogamie de couleur, passage de la relation affective à la lutte des Noirs contre les Blancs, avec A Frente Negra (qui prend parfois des allures d'un racisme noir), transformation des sociétés récréatives des Noirs en sociétés de contestation, réclamant des pouvoirs politiques, une "nouvelle abolition" qui fasse du Nègre un citoyen égal au Blanc, et non un citoyen de seconde zone ; avec, bien entendu aussi, la réaction des Blancs en face de ce "nouveau Nègre" révolté et qui substitue dans sa mythologie, à l'image ancienne du père Jean, heureux de son sort, respectueux et obéissant, l'image du "mauvais Nègre" qui refuse son sort et la place qui lui est donnée.
Il y a plus. Nous avons dit que le régime concurrentiel aux U.S.A. avait entraîné le développement de sectes messianiques et de mouvements nationalistes noirs que l'on ne trouvait point dans le régime paternaliste. Or justement, avec les transformations qui s'opèrent au Brésil en liaison avec l'industrialisation, on voit apparaître, à côté de A Brente Negra dont j'ai déjà parlé, des mouvements religieux sinon messianiques à proprement parler, du moins expressions de la contestation nègre comme la macumba (et la place qui y est donnée à Exu, le dieu du mal) ou expressions de la valorisation des valeurs nègres contre les religions des Blancs, tel le Spiritisme de Umbanda.
Ce qui ressort, pensons-nous, de ces quelques considérations et du passage de la synchronie à la diachronie, c'est que nos deux types de relations raciales ne sont au fond que les deux moments d'un même processus et que ces relations évoluent en même temps que changent les structures économiques d'un pays. Mais si elles suivent ainsi les mutations sociales, c'est qu'elles ne sont au fond que deux stratégies différentes d'une même politique - politique qui sait s'adapter aux conditions historiques changeantes, mais qui cependant garde toujours la même finalité : assurer la suprématie d'une couleur sur une autre. Ce qui veut dire que dans les deux cas, nous retrouvons les mêmes constances :
- 1° dans les deux types, les groupes en contact sont définis à travers leurs caractéristiques physiques et en particulier par la couleur de la peau ;
- 2° dans les deux types on retrouve le même dogme de la supériorité du groupe blanc, supériorité qui serait intellectuelle, culturelle, religieuse et morale ;
- 3° les deux enfin sont constitués par des forces de conservation sociale et en vue de maintenir le statu quo racial [2].
Si ces constances ont pu être niées et si on a pu soutenir que l'Amérique latine donne au monde l'image d'une démocratie idéale et le modèle à suivre dans les relations raciales, c'est que les Sud-Américains ont, suivant l'expression de FI. Fernandes, "le préjugé de ne pas avoir de préjugés". Le "préjugé de couleur" apparaît comme quelque chose de dégradant ou d'outrageant, qui révolte l'individu ; sans aucune espèce d'ailleurs de pharisaïsme conscient, il suffit de condamner le préjugé pour croire qu'on ne l'a pas, qu'il est absolument impossible qu'on l'ait ; mais ainsi, on se refuse à voir le drame réel des populations noires ou mulâtres, on vit dans une cécité constante, on s'endort dans la béatitude de la conscience des justes ; on se croit justifié de ne rien faire pour répondre aux aspirations des masses de couleur vers la liberté et vers l'égalité des droits.
Mais ce "préjugé de ne pas avoir de préjugés", à quoi tient-il ? Au mythe de la "démocratie raciale". Il nous faut donc examiner ce mythe de plus près, voir ses origines et en analyser les effets. On me permettra de prendre ici l'exemple du Brésil, que je connais le mieux. Octavio Ianni a bien montré que l'idéologie de la démocratie raciale est née immédiatement après la suppression de l'esclavage et qu'elle est le produit de la désorganisation et réorganisation du système social au fur et à mesure qu'il a été affecté par les transformations du système de travail. Elle est indissolublement liée à l'idée de la disparition progressive de la race noire par la miscégénation qui résout finalement le problème racial par l'élimination de sa cause : l'existence de deux groupes différents qui pourraient entrer en conflit. Mais qui ne voit que la miscégénation n'est qu'une forme de génocide - un génocide doux certes, mais qui postule comme celui qui est violent, l'extinction d'une race. Certes le Brésil se "blanchit" ainsi - ou comme on disait il y a quelques années, "s'aryanise" - ; mais il suffit de lire les statistiques pour voir que ce blanchissement tient plus à l'arrivée de migrants européens, qui font basculer les pourcentages de couleur ; à la plus faible fécondité des femmes noires par rapport aux femmes blanches (due à la misère physiologique et non à un facteur racial quelconque, puisqu'aux États-Unis la femme noire est plus féconde que la femme blanche) ; hélas ! aussi à la plus forte mortalité des enfants noirs et à la mortalité plus précoce des adultes noirs... qu'au mélange des sangs. Nous avons signalé plus haut que, contrairement à l'image que l'on a divulguée dans le monde, l'endogamie de couleur l'emporte en effet, quand on peut faire les statistiques exactes, sur l'exogamie entre nuances de couleur.
Qui ne voit aussi que la "démocratie raciale" n'est qu'un expédient inventé par les Blancs pour se refuser à voir le drame du Noir et du Mulâtre ? Après l'abolition, le Nègre avait certes la possibilité légale de devenir l'égal du Blanc ; mais ce problème était son problème, non celui du Blanc : « Sous l'égide de l'idée de démocratie raciale on justifiait, ainsi, la plus extrême indifférence et le manque de solidarité envers tout un secteur de la collectivité qui ne possédait pas les conditions appropriées pour affronter les changements qu'entraînait l'universalisation du travail libre et de la compétition. En même temps, dès que surgirent les conditions qui rendaient possible la protestation nègre (tout de suite après la première grande guerre et, en particulier, à la fin des années 20), de telles manifestations se virent proscrites (au nom justement de la démocratie raciale qu'elles semblaient mettre en péril). Ce qui fait que les premières manifestations spontanées du "Nègre" luttant pour l'égalité raciale sur des bases collectives se firent dans le vide, ne touchèrent pas le "Blanc" et n'arrivèrent pas à faire apparaître un mécanisme efficace... de démocratisation raciale des revenus, du prestige social et du pouvoir ». [3]
L'idéologie de la démocratie raciale et de l'aryanisation du pays ne constituent donc que des mécanismes de défense d'un groupe de couleur privilégié, le groupe des Blancs, pour maintenir le statu quo, nier qu'il puisse avoir quelque responsabilité dans la situation misérable du Nègre, attribuée non à son indifférence à lui, groupe blanc, mais à l'incapacité congénitale des Noirs à monter dans la société, par conséquent à rejeter finalement la responsabilité de leur infériorité sur le groupe minoritaire et ainsi à conserver une bonne conscience.
Ce qui fait qu'en définitive, la situation du Nègre en Amérique latine est moins bonne qu'en Amérique du nord. Malgré toutes les discriminations et les haines dont sont victimes les Nègres du Nord, ou plus exactement, à cause d'elle. Car les Noirs des États-Unis ont réagi contre leurs oppresseurs en se donnant des Universités, des banques, des syndicats - séparés des universités, des banques, des syndicats des Blancs, mais leur permettant de s'instruire, de financer des entreprises à eux, de se défendre sur le marché du travail. Ils ont accepté le régime concurrentiel pour devenir vraiment des "concurrents". Tandis qu'en Amérique latine, le paternalisme affectif a enchaîné le Nègre à sa situation de dépendance, a aboli chez lui toute ambition d'ascension sociale, si bien que lorsque le régime concurrentiel a commencé à fonctionner, le Noir s'est trouvé au début sans arme, tandis que l'absence d'un régime de "castes" lui ôtait les moyens d'une solidarité collective et d'un dynamisme créateur. Certes, déjà aujourd'hui, grâce à ce régime concurrentiel, on voit se former une petite bourgeoisie noire, mais si attachée à ses maigres progrès qu'elle craint de les perdre en devenant vraiment concurrentielle (et nous avons là encore un effet négatif de l'idéologie de démocratie raciale) qu'elle préfère s'enfermer dans une solitude douloureuse (se séparant à la fois du prolétariat nègre dont elle repousse les valeurs et de la petite bourgeoisie blanche, car elle a peur qu'elle lui fasse sentir, si elle entrait en contact avec elle, qu'elle est une bourgeoisie "nègre", non égale à la leur, par des propos blessants ou des comportements de supériorité). Certes aussi déjà, la démocratisation de l'enseignement peut toucher une faible minorité de couleur ; mais même dans l'État de Bahia, dont la population nègre et mulâtre est largement majoritaire, la minorité blanche entre avec 83% des diplômes de l'enseignement secondaire et 88% des diplômes de l'enseignement supérieur !
Nos propos - et, en particulier, notre affirmation des constantes racistes, quel que soit le régime des relations raciales - peuvent paraître pessimistes. Ils ne veulent être que démystifiants. Pour progresser, il faut voir les choses en face. C'est ce qu'a fait Myrdal pour les États-Unis en montrant aux Blancs que leurs attitudes envers les Noirs, malgré l'idéologie de compromis qui sévissait alors : "Séparés, mais égaux", étaient en contradiction avec l'idéal démocratique américain. C'est ce que nous avons tenté de faire, mes amis de São Paulo et moi, au Brésil en montrant qu'il y avait aussi en Amérique latine un "dilemme américain", la hiérarchie des couleurs étant en contradiction avec l'idéal de la "démocratie raciale" auquel ces latins sont très sincèrement attachés par ailleurs. Désormais, les mythes abolis et les contradictions mises à jour, des progrès sont possibles. Nous arrivons ainsi à une troisième période, que je ferais commencer pour ma part avec le mouvement de décolonisation, l'accession des pays d'Asie et d'Afrique à l'indépendance, et les répercussions que ces événements n'ont pas manqué de produire chez tous les Noirs de la diaspora. Un nouveau type de relations raciales, à ajouter aux deux premiers que nous venons d'analyser, est en train de s'élaborer. Nous voudrions, pour terminer, en ébaucher l'étude.
Une remarque préliminaire est cependant nécessaire. Le 3e type est seulement en gestation ; il s'effectue donc à travers les cadres anciens, qu'il soit paternaliste tendant vers le concurrentiel, ou pleinement concurrentiel. Ce qui fait que les relations raciales actuellement se présentent dans un climat d'ambiguïté plus que nettement orientées.
Commençons par l'Amérique latine. Deux faits nouveaux interviennent ici. D'abord l'Amérique latine sort du sous-développement, mais n'a pas eu encore une politique économique capable d'étendre son marché intérieur (à cause des nombreux secteurs encore restés sous-développés et archaïques : n'a-t-on pas parlé souvent des "Deux Brésil" ?) ; il faut donc qu'elle trouve pour sa production industrielle des marchés extérieurs et l'Afrique peut être justement un de ces marchés ; dès lors les divers pays de l'Amérique latine vont tenter de faire bloc avec les nouveaux États indépendants du continent noir ; mais comment pourraient-ils à la fois se tourner vers l'Afrique et délaisser leur population noire, rester indifférents devant ses problèmes ? Nous voyons ainsi apparaître, depuis une dizaine d'années, un intérêt grandissant de l'Amérique latine pour cette population de couleur que l'ancienne idéologie condamnait, par l'apologie de la miscégénation, à l'extinction progressive. Le second fait, c'est que, au fur et à mesure que le capitalisme sud-américain devient un capitalisme de dépendance par rapport aux capitalismes européen et nord-américain, par un processus compréhensible de compensation, le nationalisme culturel et pas seulement politique se réveille : il faut montrer au monde que l'on possède une civilisation originale ; aussi, tandis qu'au XIXe siècle et aux débuts du XXe siècle, on prenait modèle sur l'Europe, maintenant on va insister sur les éléments non-européens des cultures nationales, c'est-à-dire sur les apports des Amérindiens ou des Africains ; et, bien entendu, les Noirs vont profiter de ce renversement des valeurs.
Mais ce ne sont là que des adjuvants. Le régime concurrentiel qui s'est installé dans les grandes métropoles à une époque où la migration européenne se ralentissait, a permis nous l'avons dit, une certaine ascension sociale des Mulâtres et même des Nègres et cette ascension rendait difficile la conservation des anciens modes de contrôle social ; même des entreprises qui leur étaient jusqu'ici fermées - comme le commerce de demi-luxe ou les industries à technique avancée - se voient obligées à plus de tolérance pour les gens de couleur ; mais alors, et nous l'avons aussi signalé, la passivité du Noir devant les injustices dont il est la victime diminue pour faire place à une agressivité croissante ; et le Blanc commence à comprendre que s'il répond à cette agressivité par une contre-agressivité accrue (comme il est arrivé aux États-Unis), il trahira cette image qu'il a voulu donner au monde de "démocratie raciale". C'est dans cet idéal de démocratie raciale, à laquelle les Américains du Sud sont attachés, que je fais confiance, pour que les Blancs qui sont au pouvoir, comprenant que les Noirs sont handicapés par leur passé pour pouvoir s'élever d'eux-mêmes à leur niveau, promeuvent une politique de scolarisation, d'orientation professionnelle, de relèvement des bas salaires, etc., de façon à permettre à cette "démocratie raciale" de ne plus être un simple mot, mais de devenir une réalité : "La société nationale, dit F. Fernandes à propos du Brésil, ne pourra être homogène et fonctionner d'une façon équilibrée tant que pèse sur elle la menace permanente des facteurs d'inégalité qui détruisent la solidarité nationale".
Aux États-Unis le régime concurrentiel a permis depuis longtemps par contre cette mobilité ascendante de l'homme de couleur qui ne commence que maintenant à apparaître en Amérique latine. Mais à l'intérieur de sa caste endogame. La lutte à mener ici était donc d'une autre nature : non point contre le régime concurrentiel, mais contre le régime des castes auquel il était lié pour des raisons historiques que nous avons données (conséquences de la lutte entre le Nord et le Sud). Pour sortir du "dilemme américain", dénoncé par Myrdal entre l'idéal démocratique et la situation d'infériorité des Noirs, il fallait donc ici ouvrir les frontières entre les races et les faire s'interpénétrer. De là toute une politique qui a consisté à promouvoir l'entrée des Noirs dans les agences fédérales, à ouvrir les entreprises industrielles et les syndicats au prolétariat de couleur, à lutter contre les ghettos par la construction, aux périphéries des grandes villes, d'ensembles immobiliers mixtes (par exemple 1/3 de Noirs, 2/3 de Blancs logés dans le même bâtiment), enfin ouvrir les écoles et les universités jusqu'alors réservées aux Blancs à des étudiants nègres. Cette politique s'est heurtée à des résistances brutales, elle n'a pu procéder que lentement, ce qui fait qu'elle n'a profité finalement qu'à une minorité, et que la grande masse des Noirs a vu au contraire s'accroître sa misère. D'où dans un deuxième moment, la lutte en faveur de cette masse misérable, mais elle n'a pu se faire qu'à travers des aides, des subventions, et de la charité publique, ce qui a eu un résultat négatif : celui d'enfoncer le Nègre plus avant dans un système de dépendance, qui abolissait progressivement sa dignité d'homme, et auquel il n'a pu réagir que par ce que l'on a appelé "la culture de ghetto"). Un moment, il a semblé que le Noir, devant une telle situation, préférait à "l'ouverture", tentée par les Blancs en leur faveur, la "fermeture" au contraire dans leur propre culture néo-africaine (d'où d'abord l'invention de l'Islam noir, puis le port des modes africaines par les femmes, le développement de sectes africaines immigrées, Santeria de Cuba, Vodou de Haïti, religion yoruba apportée par les "missionnaires", si j'ose dire, du polythéisme nigérien), le changement de pédagogie des Universités de noirs, qui construisent une histoire des Nègres différente de celle écrite par les Blancs, une philosophie de l'africanité différente de la philosophie occidentale des Blancs, etc.. Ce qui fait finalement que nous caractériserions la situation actuelle par une certaine ambiguïté. Les Blancs, après avoir établi une politique des quota pour les Juifs, répondent aux diverses contestations présentes par une politique des quota, par exemple dans les universités où il doit y avoir obligatoirement un certain nombre d'étudiants noirs proportionnel à la population de couleur de la région, comme un certain nombre de professeurs noirs et de femmes professeurs, par rapport au nombre des Blancs et au nombre des Noirs acceptent cette politique, font attention à ce qu'elle soit bien appliquée, mais en même temps, ne veulent rien perdre de ce qu'ils appellent leur "ethnicité" c'est-à-dire leur caractère différentiel.
Ainsi sous ces remous, il paraît que c'est bien tout de même l'ouverture qu'ont choisie les Noirs et que la lutte qu'ils mènent n'est point de séparation (le retour aux valeurs africaines n'est au fond qu'un moyen de pouvoir traiter les Américains blancs d'égal à égal ; eux aussi, ils ont une histoire, une philosophie, une science propre), mais le passage d'une Amérique où règne l'inégalité à une Amérique racialement égalitaire. "Le pouvoir noir" ne signifie pas autre chose, il signifie que le Noir a droit au pouvoir au même titre que le Blanc et qu'il faut forcer le Blanc à le partager avec lui. Car les intellectuels de couleur sont arrivés à cette conclusion que la démocratie libérale ne peut arriver à réaliser, malgré toute la bonne volonté de ses leaders, l'égalité de chance pour les diverses races constitutives d'une société multi-raciale - que la lutte doit donc s'engager non pas tant contre les Blancs que contre "le système" ou comme on dit en pays anglo-saxon contre "l'établissement" - qu'il faut d'abord changer les infrastructures de la société globale et que dans cette tâche les Noirs peuvent s'appuyer sur les étudiants, les contestataires de toute nature, les "radicaux" (nous dirions en France : les gauchistes) - que c'est un même combat pour tous - mais, peut-être par une méfiance héritée du passé, ce commun combat doit être mené séparément par les divers groupes de contestataires, ce qui réconcilie pour le moment la fermeture sur soi et l'ouverture sur l'avenir.
Ainsi se dessinent, sur tout le continent américain, de nouvelles tendances vers une société plus égalitaire - même si le chemin qui y conduit est long, même si des retours offensifs d'un passé qui survit dans l'inconscient collectif restent toujours possibles.
[1] Fl. Fernandes, Onegro de mundo dos blancos, São Paulo, 1973.
[2] Van den Berghe, The dynamics or Racial Préjudice ; an idéal type dichotomy, Social Forces, 37, 2, 1958.
[3] FI. Fernandes, Op. cit.
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