Introduction
- Terrorisés par l'Église capitaliste romaine, même si ça paraît de moins en moins, par les paiements à rembourser à la Household Finance, par la publicité des grands maîtres de la consommation, Eaton, Simpson, Morgan, Steinberg, General Motors... ; terrorisés par les lieux fermés de la science et de la culture que sont les universités et par leurs singes-directeurs Gaudry et Dorais et par le sous-singe Robert Shaw. Nous sommes de plus en plus nombreux à connaître et à subir cette société terroriste et le jour s'en vient où tous les Westmount du Québec disparaîtront de la carte.
- (Extrait du manifeste du FLQ)
Certains événements marquent l'imaginaire. Ces moments ponctuent l'Histoire des peuples comme des temps d'arrêt où tout semble susceptible de basculer du jour au lendemain. Pendant ces moments, des nations entières ont retenu leur souffle.
La crise d'Octobre qui survient au Québec à l'automne 1970 fait partie de ces secousses qui marquent profondément une société. Celles et ceux qui ont vécu les événements sont encore sous le choc. Ils évitent souvent d'en parler de peur de voir resurgir de vieux démons que l'on préfère oublier. Les plus jeunes, nombreux à avoir visionné le film Octobre, sont fascinés : ils cherchent à comprendre. [16] Voilà que la crise d'Octobre devient un événement clef de l'histoire du Québec contemporain ; un bloc dans la mémoire collective du peuple québécois.
Durant les événements d'Octobre, les campus universitaires sont perçus par la classe politique comme de véritables poudrières susceptibles d'exploser à la moindre étincelle révolutionnaire.
À l'automne 1970, Montréal compte quatre universités : deux anglophones et deux francophones. L'Université McGill est l'une des plus vieilles institutions universitaires du Canada. Son prestige dépasse les frontières canadiennes. L'Université de Montréal est aussi une institution très respectée par l'élite québécoise. Depuis plusieurs générations, l'Université de Montréal forme une bonne partie des leaders d'opinion de la société québécoise. Ces deux vénérables établissements sortent transformés de la chaude décennie des années soixante. Contestées, critiquées à l'interne comme à l'externe, pour des raisons propres à l'une ou à l'autre, ces institutions se démocratisent et consentent peu à peu à descendre de leur piédestal.
Les cas de l'Université Sir George Williams et de l'Université du Québec à Montréal sont quelque peu différents. Peu de chercheurs se sont penchés sur les origines et sur l'histoire de la première. Reste qu'elle sera le théâtre d'une radicalisation des étudiants qui deviendra très violente à la veille des événements d'Octobre. De son côté, l'UQAM est l'un des produits de la transformation de la société québécoise durant la Révolution tranquille. Elle est une réponse à cette volonté légitime des Québécois de voir naître à Montréal une seconde université de langue française. À l'automne 1970, l'UQAM vit ses premières heures. Rêvant d'une université nouvelle, ses artisans seront souvent très turbulents lorsque viendra le temps de discuter de l'avenir du Québec.
[17] Tentant d'expliquer les décisions du gouvernement fédéral un an après la crise d'Octobre, le secrétaire d'État et ami intime du premier ministre Trudeau, Gérard Pelletier, a ce commentaire révélateur :
- L'une des crainte les plus aiguës que j'ai éprouvées durant cette période de la crise fut qu'un groupe d'étudiants extrémistes, croyant le grand soir arrivé, ne descendent dans la rue et ne provoquent des désordres qui, avec la police et l'armée sur les dents, auraient pu se terminer en fusillade. J'ai peut-être cédé à une tendance au catastrophisme ; pourtant, ce scénario s'est déjà déroulé trop souvent pour qu'il ne soit nécessaire de faire la preuve de sa plausibilité [1].
Afin de saisir cette « crainte aiguë », pour reprendre l'expression très cartésienne du secrétaire d'État, et pour mieux mesurer ce « scénario » trop souvent répété, il faut se rapporter au contexte de l'époque. Un contexte de grande turbulence où l'ordre établi est battu en brèche par une portion importante de la jeunesse occidentale.
[1] Gérard PELLETIER, La crise d'Octobre, éd. du Jour, Montréal, 1971, p. 131.
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