Introduction
- "Rien d'humain n'est tout à fait incorporel"
- M.Merleau-Ponty [1] [1, p. 178)
Les concepts relatifs au corps, et à la personne, ont fait l'objet de tant de travaux et suscité tant d'écrits qu'il serait un peu vain de ne faire ici que de les reprendre pour en tenter une synthèse, sans doute impossible tant les points de vue sont divers, voire contradictoires. Diversité des modes d'approche des anthropologues et de tous ceux qui se sont penchés sur la question, diversité encore bien plus grande des concepts à travers le temps et les civilisations.
Aussi semble-t-il intéressant de se poser quelques questions qui puissent ouvrir la porte à des réflexions sinon tout à fait nouvelles, du moins actuelles. À l'heure où le modèle biomédical et la médecine expérimentale donnent chaque jour la preuve de leur force par les découvertes de leur recherche fondamentale et par leurs applications, l'image du corps sur laquelle ils se fondent semble se brouiller ici ou là. Les concepts relatifs au corps qui sont issus de la médecine expérimentale sont remis en question par ceux qui craignent qu'ils ne s'érigent en vérité sur la nature de la personne. Le réductionnisme biologique heurte, et pour l'écarter, les apports de la biologie sont réévalués, critiqués, voire refusés. Certains de ces refus s'expriment ouvertement, d'autres se révèlent indirectement, par des conduites, notamment en matière d'alimentation, d'hygiène et de santé mais aussi de diagnostic et de soins.
Ces comportements font deviner l'émergence d'autres images, d'autres concepts du corps. Mais surtout ils donnent accès à un problème que toutes les cultures ont traité : les rapports entre le corps et la personne. Et ce sont ces rapports, bien plus que l'image du corps lui-même qu'exprime le langage du corps. Parler du corps, c'est toujours en effet parler de la personne. On peut en parler en la prenant pour centre, et le corps est une composante qu'il s'agit de situer. On peut aussi en parler en prenant le corps lui-même pour centre, et c'est la personne qu'il faut alors situer. On peut aussi parler du corps en l'identifiant entièrement à la personne... Mais n'est-ce pas là la position inacceptable, celle que les cultures refusent, en construisant diverses représentations qui réfutent cette équivalence, que ce soit dans les interactions sociales ou dans la conception de la maladie ?
Car, dans les sociétés où le discours biologique est dominant, que deviennent ces rapports ? Les concepts sur le corps s'inscrivent-ils dans la suite et dans la réinterprétation de pensées préexistantes ? Assiste-t-on à de nouvelles élaborations en réponse à des besoins que les concepts biomédicaux du corps laissent insatisfaits ? Sans être outrageusement fonctionnaliste, il n'est pas injustifié de penser que les concepts relatifs au corps qui émergent de nos jours, à l'écart de la biomédecine et de ses bases expérimentales, se situent quelque part face à ces besoins, et qu'ils donnent son fondement à un langage capable de leur répondre.
Aussi avons-nous construit ces réflexions au long de quelques axes :
- • le rappel des principales considérations classiques sur les conceptions du corps
- • leur confrontation à la modernité
- • l'examen de formes nouvelles sous lesquelles se présentent les conceptions du corps, telles qu'elles se posent par rapport au modèle biomédical et expérimental.
[1] Merleau-Ponty M. 1982 ( 1968), Résumés de cours. Collège de France 1952-1960 Paris, Gallimard 182 p.
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